• Меня зовут Наталья Липовская.

    C'était en 2012, le 21 décembre exactement, date à laquelle selon certains allumés, le monde devait exploser dans une grande horreur multicolore signant la fin du règne des télévisions HD, des S.U.V, du ФСБ (FSB), de la vodka et des soirées à la marijeanne afghane.

    Ah ça surprend cette voix féminine ? Normal, c'est pas Stan qui tient le crachoir là. C'est moi, Natalia Liposkaya. C'est moi la grignette qu'on voit sur les vieilles photos à entre Stanislas et Mama Ekaterina. Oui avec le bonnet des surplus de la ВСРФ (BCRF) enfoncé jusqu'aux sourcils. Chouette hein !
    Maintenant, une bonne question que vous devez vous poser : pourquoi c'est moi qui parle ? Et bien en fait, je crois que Stan serait parfaitement incapable de tenir assez longtemps sans mélanger des épisodes de sa vie avec celles d'autres connaissances de passage, d'hommes illustres ou de bestioles étranges. Nan croyez moi, vaut mieux que je m'en charge. Et puisque nous avons vécu si longtemps ensemble, son histoire est également la mienne.

    Alors oui nous parlions du 21 décembre 2017… non 2012. C'est ça, le soir de l'apocalypse. J'avais 15 ans à l'époque et Stan me rendait trois têtes de plus avec ses 17 ans boutonneux. On regardait gesticuler Poutine aux infos sans trop faire gaffe, je crois qu'il était question de Gazprom vu que ça causait tuyauterie et maille mais franchement, c'est pas important.
    Stan a relâché sa cuillère d'un coup dans son bouillon et a fixé l'écran avec des yeux ronds.

    - говнюк !

    J'ai levé les yeux sans trop chercher. J'avais plutôt intérêt à me dégrouiller d'ingurgiter le potage avant que Masha n'arrive pour nous flanquer dehors dans le froid à racler la glace à la chaîne. Sauf que Stan, lui, a complètement bloqué.
    On faisait les trois huit dans une fabrique de roulements à bille. Fallait pas lambiner. Mama s'est penchée sur la table en formica et lui a collé une gentille taloche sur l'épaule pour qu'il se réveille, il nous restait juste 5 minutes pour absorber un peu de chaleur dans le bidon avant d'aller bosser. Pas de réaction. Pour le coup ça nous a interrompues. On s'est regardées comme ça avec Mama et là idée lumineuse un peu revancharde d'une petite sœur : j'ai balancé un bon coup de botte dans les tibias de c'grand gogniand pour qu'il tourne la tête. Et je peux vous promettre que s'il y a un truc vital dans ce réseau de banlieues industrielles de Великий Новгород, la Graaaaaande Novgorod, ce sont bien d'avoir des bonnes semelles !
    Donc logiquement, après lui avoir infligé l'équivalent d'un hématome de la taille d'un œuf dur, il aurait dû réagir… probablement pour m'en retourner un, ce que j'ai anticipé en reculant précipitamment ma chaise. Un peu trop rapidement d'ailleurs pour le chat, зонтик (prononcer zwantik, ça veut dire parapluie) qui se la coulait douce près du four.
    J'ai attrapé cet espèce de terroriste affectif à poils drus pour le cajoler contre mon bout de nez. Mama a réagit en première :

    - Stanislas ! Oh !
    (Par commodité, je vous fais la traduction hein)
    - Hé Stan !

    Bon, l'histoire, c'est que cet andouille est resté coincé jusqu'à ce que sa soupe au beurre se fige dans l'assiette. Je soupçonnais forcément une overdose d'acide ! Stan n'y allait pas mollo sur les narcos, c'était pas la première fois qu'il était stone. En revanche… devant Mama… l'abus là.
    Du coup, avant que Masha n'arrive et constate les dégâts, j'ai d'autorité emmitouflé le bougre dans sa parka et l'ai poussé dehors, histoire que la caillante lui colle une trempe. Dans le mouvement un peu confus, je me suis cognée au chambranle de la porte, faisant vibrer notre unique décoration de Noël (une boule en verre teinté) pendant que Mama me serinait à m'en décoller les tympans pour savoir ce qu'il se passait. Me massant le front, j'ai laissé Stan débarouler les escaliers comme un pantin fourré aux cotons tiges pendant que je bloquais les 83 kilos de robuste arrière garde de la Mama sur le perron avec mon poids plume.

    - C'est bon M'ma ! On va y aller, c'est juste la télé. La télé !
    - Natalia, ne me raconte pas d'histoire ! Ramène ton frère ici tout de suite !
    - La télé M'ma, boucle la télé, faut pas montrer Poutine pendant le repas, ça file des aigreurs.
    - Ne parle pas comme ça du premier ministre, c'est un grand homme.
    - это засранец ?!
    - Наталья !

    Quelques minutes plus tard, nous mordions le froid glacial à pleines dents. Je battais méchamment le trottoir en me frottant les côtes mais Stan, lui, restait immobile dans le vent comme si cette govnyouk de mère Russie lui faisait un câlin.

    - Bline ! Qu'est c'tu fous. Défoncé devant Mama ! T'as pas honte, dérévo !
    - Natalia, m'a-t-il répondu finalement de sa voix grave.
    - Chto ?!
    Et là, à ma grande surprise, il a écarté les deux bras d'un geste outrageusement théâtral et a esquissé un petit pas de danse sur de la pointe des pieds comme un danseur du Bolchoï en manque de fleur de Lys (je parle de LSD là).
    - Y'a plus de travail pour nous à Dzerzhinsk.
    J'avoue que je pensais tellement qu'il allait me sortir une de ses inepties qu'on bégaye quand on est shooté que ça m'a surprise. J'ai laissé le vent m'arracher une larme et me suis mouchée avant de lui demander pourquoi.
    - C'était aux infos, un petit bandeau qui passait sous le reportage. Tu sais, là où ils mettent les trucs pas importants, les meurtres de vieilles, les cambriolages de datcha.
    - Ouais, ouais, ouais…
    - Explosion à Dzerzhinsk ! Explosion ! C'était marqué comme ça. Rien d'autre.
    - Raaah mais on s'en fout ça ! La météo doit gagner 13°C à chaque fois qu'un mécano donne un tour de clé à molette.  Normal que leurs chaudières finissent par leur sauter à la poire. C'est ce qui est arrivé au vieux je te rappelle !

    Le vieux, c'est papa. Il est mort avec des dents en fer fondu. Oui, on a fini par s'en remettre, merci.

    - Nan nan mais réfléchis, c'est pas ça le problème. Ils vont boucler le quartier, va y avoir plein de flics de partout. Pas envie qu'ils nous posent des questions. Pas envie qu'ils fourrent leurs paluches sous le manteau si tu vois ce que je veux dire пиздорванец !
    - Me traite pas de gamine !

    Ça m'a vexée, je suis allée botter quelques congères noircies par la pollution au bord du trottoir. La nuit promettait d'être mortelle, surtout si Stan commençait avec ce genre de refrain. Au bout d'un moment, à force de plus sentir mes orteils, ça m'a quand même mis la puce à l'oreille.

    - Qu'est ce qu'elle fout Masha ?
    - Elle est en retard hein, pas normal ça hein…
    - Arrête !
    - Je te dis que c'est cramé pour ce soir.

    Une ou deux minutes plus tard, on se blottissait sous le porche. Stan a fouillé dans ses poches.

    - T'as pas une clope ?

    On s'est fait tourner la dernière du paquet en se demandant ce qu'on allait bien pouvoir faire du coup. Rentrer à la maison, c'était pas le bon plan. A trois dans 20 mètres carrés sans compter le matou, c'est vite humide là dedans. Pas la peine d'aller priver Mama des quelques heures de tranquillité qu'elle avait mérité. C'est Stan qui a eu l'idée logique :

    - On va chez Ivan et Elena.

    Ivan, c'était un pote à Stan. Le genre dealer, le genre punk, le genre à se faire virer des boites de nuit à coup de pompe dans le derrière. On se connaissait depuis des années et bien croyez le ou non, c'est l'œil noir et mortel de son flingue qui nous a accueilli ! Quelques clignements de paupière plus tard, quand il a finalement visé que c'était nous, il a rabaissé son arme et a ouvert la porte.

    - Stan, Nat ? Qu'est ce que vous foutez là ?
    - Oh relax Ivan ! T'as les chailles ? Dourak !
    - Arrête de blouser, y'a des flics partout. T'as pas entendu ? Ils ont fait tout péter près de la zone.
    - Bah c'est pas duraille ça…
    - Déconne pas, amenez vous.

    Il nous a fait entrer dans son ensemble salon/salle-à-manger/cuisine/(et parfois chambre) brun rouille où Elena était déjà en train de préparer un genre de plat à base de patate et de chais-pas-quoi de visqueux ressemblant à de la graisse de machine.
    J'aimais bien Elena, petite, blonde, simple. Les gars de la bande à Ivan disaient que c'était une давалка, une fille facile, mais dans le fond, c'est juste qu'elle était affective. Ivan a allongé une bouteille de vodka et nous a sorti le grand barratin.

    - Les mecs qui ont fait ça, c'est pas un accident. Y'a du grabuge chez les mafieux, va y avoir des règlements de compte. Je crois que le FSB va rester sagement pour compter les coups et ensuite ils vont liquider les survivants. Ça Ils vont bicher, picoler, faire une fête à déchirer les accordéons et dézinguer tout ce qui bougera.
    - Arrête…
    - On déconne pas avec ça Natalia, faut rester planqué cette nuit. Sors pas le museau dehors. Stan, z'avez qu'à pioncer ici.

    Mon frangin a râlé, il voulait aller chez Piotr pour récupérer un peu de farine. Elena a froncé le nez pour sourire et s'est essuyée les pommettes avec son tablier.

    - Restez tous les deux. On a rien de prévu ce soir de toute façon.
    - Faut que je passe un coup de grelot, a lancé Stan.
    - Mi casa e su casa.
    - Préviens Mama !
    - баян !
    - идиот…

    Elena a lancé un disque des Cocteau Twins et Ivan a fait tourner un joint. L'un dans l'autre, c'était une bonne manière de passer le solstice. Sauf quand Stan est revenu quelques minutes plus tard, une mimique perplexe barrée sur la figure comme si le père fouettard venait de lui passer commande.

    - Eh beh ?
    - J'ai eu Boris au fil, il m'a dit que…
    - Je croyais que t'appelais Mama !
    - Ouais ouais, aussi ouais, bon tu me laisses finir.
    - Tiens attrape.
    Stan a collé le pétard entre ses lèvres le temps de tirer dessus et me la tendu. Je crois qu'on écoutait Persephone, une de mes préférées de l'album.
    - Il est au courant pour Dzerzhinsk lui aussi. Il sait qui a fait ça.
    - Ah ouais ?
    - Teddy de Montréal qu'il se fait appeler le gars.

    Il a eu du mal à prononcer ça. Dans sa bouche, ça donnait plutôt "Tièdvi diè Monne-Réal". Ivan a sifflé.

    - Français ça.

    On est resté quelques heures à échanger des idioties. Le temps passait et je voyais bien que Stan avait des fourmis dans les guiboles. La veille, on était dans la caserne désaffectée avec Piotr et d'autres à tagger les murs et vider des seringues. Ce crétin avait eu la bonne idée de mettre mon frangin sur un plan farine. Ce que je sais de la dame blanche, c'est qu'elle te conduit aussi sûrement entre quatre planches que tu la cherches ou que tu la trouves. La cocaïne, faut pas y toucher. Mais de nous deux, c'était moi la sage.

    - Je vais chez Boris.

    Il s'est levé d'un coup d'un seul. Ivan n'a pas bougé, il s'en foutait et de toute façon Stan est pas du genre à se laisser materner. On s'est donc engueulé dans l'entrée et je suis revenue me vautrer dans le canapé, les yeux rouges de larmes. Nan il m'avait pas frappé ! Stan m'a jamais frappé, il était pas du genre violent. Sérieusement. Stan m'a jamais frappé.

    Je n'ai jamais trop su ce qu'il est aller boutiquer chez l'autre zigue mais je me souviens très bien en revanche ce qu'il s'est passé après son départ. J'étais toujours sur le canap', un peu renfrognée, un peu rêveuse, une cigarette entre les doigts et la tête renversée en arrière. Je me disais que je me ferais bien teinter les cheveux en violet pour voir…
    Quelqu'un a sonné. Ivan a écrasé son mégot dans une boite de ravioli. Il s'est levé.

    - Ouais qui est là ? C'est toi St-BLAAAAM !

    La détonation ! Au début j'ai cru que c'était Ivan qui venait de tirer mais j'ai aussitôt repéré le Tokarev sur la table. Ce qui ne m'a pas rassurée du touuuuut ! J'étais dos à l'entrée lorsque le type est arrivé. Roulée en boule derrière le dossier du canapé, il ne m'a pas vue, ne s'attendait pas à me voir.

    - BLAAAM –

    Elena est tombée en arrière, y'a eu un bruit de brisure et de coulure. Et moi, paralysée ! Des pas. Il m'entendait forcément respirer. Trop fort, trop lourd. Le Tokarev était à portée de main. Trop loin. Trop long. Trop…

    Le type m'a vue. Et là, le grand flou. Le seul truc que je sais, c'est que le téléphone a sonné à ce moment là. J'ai sauté sur le pistolet soviétique empoissé de sang et logé une balle dans le mur. J'ai eu de la chance que la sécurité ne soit pas mise mais le recul m'a surprise. Le gars a sauté en arrière, j'ai voulu tirer encore mais le truc était coincé !
    Il a braqué son arme, j'ai crié sur la sonnerie du téléphone et…

    - BLAAAAM –

    La suite, on la connaît tous deux avec une égale confusion. Stan est arrivé dans l'appartement silencieux à peine quelques minutes après. Il a vu les corps, il a crié quelque chose en russe et m'a récupérée, ensanglantée près du cadavre de ce cinglé dont je n'ai jamais connu ni le nom, ni les motifs.

    - Наталья ! Наталья !

    Il criait mon nom mais je ne comprenais même plus ma langue maternelle. Cette fois, c'est lui qui m'a tirée dehors. On a du s'arrêter, j'ai vomi dans la neige et on est reparti tant bien que mal vers la bécane.
    La sirène des flics. Quelqu'un avait fait sonner le biniou. Et forcément, un perdreau a déboulé du coin de la rue. Croyez le ou non, mais en me voyant tituber, avant même de savoir ce qu'il se passait il a dégainé et tiré deux fois dans notre direction.
    J'ai cru que j'allais vomir une nouvelle fois. Stan m'a tractée en avant, j'ai déparé sur le trottoir. Le flic s'est amené en courant. Je l'ai entendu brailler dans sa radio :

    - Fusillade, Fusillade ! Rue Vostok, suspects repérés et en fuite !

    Enfourcher l'Ural Wolf s'est révélé une acrobatie extrêmement compliquée mais avant même que je ne m'en rende compte, la bise me griffait les joues.

    On s'est arrêté dans une ruelle déserte entre deux usines aveugles, le vent m'avait un peu calmée. J'ai remarqué que je serrais toujours le pistolet d'Ivan entre mes doigts congelés, ayant irrémédiablement laissé mes gants là bas. Merde, le flingue ! Voilà ce qui avait mis la puce à l'oreille du poulet.
    Stanislas m'a réchauffé les mains sous sa parka et a essuyé les larmes qui avaient givré sur mes joues.

    - Qu'est ce qu'on va faire Stan ?! Qu'est ce qu'on va faire ?!
    - Je ne vois qu'une seule chose à faire…

    Et c'est comme ça qu'on est parti pour Moscou.

    On a même pas dit au revoir à Mama, on est parti sans paquetage ni rouble pour échapper à ce qui ressemblait trop à une guerre des gangs. Nous, on ne craignait pas grand-chose, on se contentait de consommer et de savourer mais on avait pas mal de "potes" qui faisaient plus que ça. Et puis maintenant, j'avais tué un homme…
    Franchement, on a détalé comme des rats pendant le naufrage. Au début j'ai beaucoup pleuré. Je culpabilisais mais qu'est-ce qu'on aurait pu faire d'autre ? Ouais tout compte fait, j'aurais préféré l'apocalypse ou rien.
    L'apocalypse ou rien... Evidemment, à l'époque, je ne pouvais pas savoir…

    ***

    2016 ou pourquoi il ne faut jamais tenter le diable.

    Finalement, on n'est jamais arrivé à Moscou. Il s'est passé pas mal de choses, des détails sordides, des bas et des encore-plus-bas mais pas une fois nous ne sommes retournés à Novgorod. C'était comme ça.
    On avait vendu la moto pour acheter un début de vie et petit à petit, l'idée s'était frayée sous mon crâne que nous devions quitter le pays. Pas tellement pour fuir mais plutôt par opportunité. J'avais envie d'aller en amérique. Stan était tiédasse, surtout qu'on baragouinait pas un mot d'anglais mais j'ai fini par le convaincre, un peu malgré moi il est vrai.
    Pour ça, il a fallut qu'il me surprenne en revenant de l'usine dans les bras d'un chaudronnier des chantiers navals de Volgograd qui avait bien dix ans de plus que moi. Je m'étais découverte un talent pour la guitare que j'exploitais au bar des ouvriers. Des gens qui se sentent souvent très seuls…
    En voyant ces mains noires et épaisses qui pétrissaient ma peau si pâle et tendre, quelque chose a claqué en lui. Il était temps que tout ça cesse.

    On a desquaté et embarqué dans un périple ferroviaire qui nous a fait échouer à court d'argent et d'espoir dans un pays que nous ne connaissions pas, dans une ville dont nous ne soupçonnions même pas l'existence.
    Les aléas des changements et des retards de la SNCF nous ont fait définitivement poser notre balluchon à Bordeaux. Trois mois de galère pour comprendre ce qu'on nous racontait, trouver du travail, de l'argent, un logement… j'ai cru qu'on n'en sortirait jamais.

    Finalement une bonne âme nous a pris en charge. Un immigré américain débarqué ici dans les années 60 pour faire sa vie dans le "vieux monde" par conviction, par caprice et parce qu'il refusait le modèle de sa patrie.
    Lars Mortime, fumeur de cigarettes au maïs, affligé d'un certain nombre de tics et toujours pas débarrassé de son indécrottable accent ricain malgré les années passées dans ce que les français appellent l'hexagone. Vu qu'on bafouillait avec notre langue slave qui plaçait mal les voyelles, nos dialogues étaient digne d'un comité de retraités obligés de se répéter cinq à dix fois les choses.
    Il tenait un petit atelier de mécanique qui employait une douzaine de personnes et a accepté de nous prendre tous les deux au black pour nous filer la pogne. Les choses commençaient à s'améliorer.
    Je travaillais à la peinture et Stan à la soudure. On trouvait moins de drogue qu'en Russie mais de meilleure qualité et dans un sens, ça nous a aidé à lever le pied, ce qui est une bonne chose, je commençais à avoir les sinus explosés en permanence à force de fumer.
    Je crois que venais de terminer de passer un dernière couche d'émail sur un capot de cafetière… à moins que je ce ne soit un autre truc ménager. Je me rappelle juste avoir entendu Lars crier à travers l'atelier :

    - Stanley ! Staaa-nley !

    Vu ses racines, le vieux parvenait pas à imprimer correctement le patronyme du frangin. Et paradoxalement, il m'appelait souvent Natacha parce que ça faisait plus russe à ses yeux. J'ai sourit, toussé dans les odeurs fortes de dissolvant, rejeté le chiffon sale qui me servait d'essuie-tout et suis allée prendre un café.
    La secrétaire, Marie ou Magie (je n'ai jamais su la différence) a soupiré en faisant mine de se flinguer, deux doigts sur la tempe. Elle m'a dit un truc qui ressemblait à :

    - Franchement, quand est-ce qu'ils vont blablabla ?! Je peux pas blabliblo !!

    (J'ai remarqué que les français ne sont pas particulièrement attentifs aux étrangers…)
    Elle désignait la fenêtre d'un air exaspéré. Sans comprendre, j'ai juste remarqué un vélo et une ambulance qui passait toute braillante avec pour fond sonore, la sirène des pompiers. En avalant une gorgée de café brûlant, je me suis même fait la réflexion que ça durait depuis un moment.
    C'est là que j'ai entendu le message à la radio. Ça je m'en rappelle… la diction était tellement hachée que même une étrangère comme moi pouvait comprendre l'essentiel.

    - Ceci est un message du ministère de l'Intérieur. Ne sortez pas de chez vous, ne restez pas en vue et barricadez les issues. Il s'agit d'une crise de sécurité nationale. Ne sortez pas de chez vous, ne quittez pas votre lieu de travail. Les forces de l'ordre vont prendre les mesures qui s'imposent. Attention. Ceci est un message…

    Même au travers de l'émetteur, la voix me paraissait stressée, horriblement stressée. Marie/Magie est restée médusée, le regard vide, les traits figés. Je me suis secouée bien avant elle. En Russie, ce genre de truc arrivait souvent quand l'armée déboulait dans un quartier pour faire le "ménage". Fallait pas lambiner !
    J'ai dévalé l'escalier en tôle pour crocheter Lars par le bras. Il discutait à bâtons rompus avec Stan –masque de soudure relevé sur son visage crasseux- à propos d'une livraison de tiges de nickel qui n'arrivait pas. Le bon Lars m'a projeté son haleine de cowboy au visage en raclant le fond de sa gorge pour sortir quelques mots bien râpeux :

    - Qw'est ce que thiu me rwaconte Natacha ?
    - Faut tout fermer Lars, ils vont faire une descente !
    - Dis pas n'importe quoi, ça marche pas comme ça ici, пиздорванец.
    J'ai poignardé Stan du regard.
    - Va écouter la radio si tu me crois pas dérévo, ça passe en boucle, tu peux t'en repaître les feuilles.

    Finalement, un autre employé a déboulé du fond de l'atelier, les yeux exorbités. Il a tendu un autre poste au patron qui l'a écouté très attentivement, les rides de son visage aussi soucieuses que celles d'un vieil arbre.
    Stan m'a regardé, perplexe. Les autres se rassemblaient, ça ergotait.

    - C't'un canular, c'est évident…
    - Nan mais y'a peut-être eu une explosion, comme AZF, t'sais…
    - Arrête c'est du flanc j'te dis.
    (Les français ont la sale manie de compresser leurs mots qui rend difficile leur compréhension mais avec le recul, le dialogue devait ressembler à ça).
    - Tss gouvernement de merde ouais ! Qu'est ce qu'ils nous foutent encore !
    Lars a tranché le débat avec son autorité naturelle.
    - Bon écoutez les gars, on panique pas. On fait comme ils z'ont dit et on boucle tout. Aller magnez vous !
    - Roh fait chier…
    (Les français sont râleurs aussi, c'est pas croyable).

    On s'est dépêché de tout fermer. La grande porte coulissante a noyé l'atelier de pénombre. J'ai abaissé les volets roulants, on a même capitonné les interstices avec des chiffons pour le cas où. Le poste radio pendu à la rambarde continuait à seriner sa monotone rengaine. Un des gars à voulu changer de station mais c'était partout pareil !
    Tout le monde avait l'air très énervé et très tendu tout à coup. Ça m'a déteint dessus, je me suis pris le bec avec un des ouvriers au point qu'il m'a poussé sur le comptoir où je me suis ouvert la main sur une lame de scie. Ça aurait pu dégénérer si Stan ne s'était pas interposé.

    Lars a fait regrouper tout le monde dans la petite pièce d'où Maria n'avait d'ailleurs toujours pas bougé. Et là, massés, suants autour de la petite table, nous avons écouté les nouvelles de l'apocalypse.
    Pas de nouvelles. Grésillements. Bref rapport de situation incompréhensible. Message d'alerte.

    - Merde c'est du sérieux…

    La sirène des pompiers s'est étranglée à 17h15. J'ai soudainement eu très peur de ce silence froid et pernicieux qui venait de couler sur la ville. Il y a eu une explosion quelque part. On a entendu des cris… des cris d'agonie et de mort douloureuse… de mort mâchée, sale, charpie.
    Plusieurs des ouvriers avaient déjà récupéré des outils ou des barres de fer, sentant une menace primitive agiter leurs instincts. J'ai moi-même empoigné un tournevis avant de réaliser l'inutilité de la chose. Je regardais Stanislas qui restait peut-être calme.
    Il ne bougeait pas, posté près de la porte avec son masque à souder sur les genoux. Deux heures de nervosité croissante. On osait même plus aller aux toilettes. On s'était repliés sur nos terreurs les plus primitives, sacrifiant le lavabo pour les besoins les plus pressants (ce dont je ne me suis pas servie… merci).

    Et soudainement, il y a eu un bruit de tôle.

    - Z'avez entendu !
    - Chut !
    - Chute !
    - CCCCHhhteuh !!

    Respirations. Le cœur qui bat. La radio s'est mise à diffuser des grésillements. Plus rien sur aucune fréquence. L'antenne ?

    - Faut qu'on sorte d'ici !
    - Ta gueule !!

    Encore des bruits. Quelqu'un rodait près de l'atelier. Un truc est tombé, j'ai cru que j'allais hurler.

    - Là ! Là !
    - La quoi ?
    - Y'a un truc qui est passé derrière le volet je vous dit !

    Tout le monde s'est instinctivement reculé vers la porte. Ça devenait étroit… un des gars en a profité pour me peloter les fesses. Tsss, les hommes. Mais il faut leur reconnaître entre toutes leurs vicissitudes, ils ont un atout : leur fière et ardente virilité. Et j'étais étrangement fière quand j'ai vu Stan s'avancer quand tout le monde reculait.
    Il a attrapé une barre de fer à son tour et s'est approché du volet suspect.

    - Fais… fais gaffe mec.
    - дерьмо.
    - Attends non !

    Il relevé le store d'un coup ! Et ce qu'on a vu derrière, personne n'a voulu le croire. Il y a eu bousculade, trébuchements. Un bris de glace. Je me suis retrouvée en bas avant de comprendre comment j'étais descendue.
    - Marie !
    On a entendu une déglutition abominable et un cri suraigu. Le sang a giclé sur l'escalier.
    - Faut sortir ! Faut sortir de là !
    La… chose… a fait claquer sa queue sur la rambarde pendant que les gars se battaient pour ouvrir la porte. Je tirais de toute mes forces sur le levier qui semblait coincé. C'était bien le moment !
    Lars est arrivé avec une burette et a arrosé à peu près tout le monde sauf le mécanisme. Le monstre a sauté.
    - OUVREZ CETTE PUTAIN DE PORTE !
    Des larmes dans les yeux, je me suis arqueboutée avec les autres. On hurlait d'une trouille blanche et collante. Stan m'a serré le bras et m'a écartée pour se mettre à ma place.
    Le levier s'est cassé en deux au moment où la chose s'apprêtait à fondre sur notre petit groupe bien tassé. La porte s'est débloquée et a roulé sur le coté avec une soudaineté qui nous a fait tous tomber en avant. Nous avons ouvert des yeux ronds, il y a eu un moment de stupeur. Il y avait aussi une surprise de l'autre coté.

    De ce qu'il y avait derrière la porte, j'ai juste eu le temps de voir une paire de bottes noires, un manteau long et d'entendre les détonations. BLAM BLAM BLAM. Trois fois. Le type a réarmé son fusil et s'est approché de la bête avant de l'achever d'un coup fatal dans ce qui semblait être sa tête.

    ***

    2021 La zone perdue.

    Après ça, tout a changé.
    Le matin, quand tu croises les gonzes pâteux aux yeux bouffis de fatigue, tu ne leur demandes plus comment ça va. Le soir quand tu avales ton brouet avant de t'écrouler sur une couverture, tu pries la déesse de la zone perdue pour qu'il ne soit pas contaminé, que ta liquette ne soit pas infestée de puces, que ta place ne sera pas celle qu'aura choisie un monstre enfoui pour ressortir. On est tous devenu très superstitieux, on collecte et fabrique des colifichets qui pendent à nos poignets. On effectue des rituels avant la chasse. On s'étreint avec la fièvre d'une espèce menacée.
    Même les noms ont changé. Rétameur, Chabraque, Fil, Lisia, Carnal, Andésine, Traceur, Ronflette. On s'appelle par nos fonctions, nos sobriquets, nos pulsions, nos mérites et nos défauts.
    Tout est devenu plus dur alors on s'est endurci. Du moins, pour ceux qui ont survécu. Le vieux proverbe a changé : ceux qui ne te tuent pas te laissent engraisser pour plus tard. On a tous peur mais même la peur est un animal que l'on peut dompter. Je fais faire des tours à ma peur. Je la tiens en bride. Je l'enroule autour de mes paumes pour essuyer la frénésie de mon visage. Puis je la laisse retomber comme un vieux chiffon quand je n'en ai plus besoin. La peur est parfois la dernière chose qui nous sépare de la folie.
    On s'est tous nourris au cynisme à la chaleur trop intense des brasiers composés des morts qu'on ne pouvait plus enterrer. Oui tout a changé.

    Voyant que ni l'armée ni personne ne pouvait rien faire pour endiguer cette invasion, on s'est organisé par nous même. Notre petite équipe de mécanos est restée soudée (enfin si je puis dire). Comme l'union fait la force, nous avons été rejoint par plusieurs baroudeurs, comme celui qui avait fait irruption ce jour là pour nous sauver la vie avec sa carabine.
    A son apogée, notre bande de raideurs était composée d'une soixantaine de recueillis, de perdus, de trouvés. Des manuels, des techniciens, des soldats débandés, des ingénieurs, un seul médecin mais deux infirmières, quelques gamins et d'autres récupérés par hasard.
    Notre mode de vie était sauvage et les choix étaient souvent féroces. Puisqu'il n'y avait plus ni approvisionnement ni d'organisation, nous arpentions la zone perdue en traquant les convois. Nous trouvions notre source de vie en pillant celle des autres. La loi de la survie est dure. Très dure.

    Les mécanos comme Stan étaient très précieux pour la maintenance et avaient droit à de meilleures rations. On les choyait, on les préservait. S'il fallait guérir quelqu'un, c'était toujours dans l'ordre : un soigneur, un mécano, un raideur, puis les autres.

    Mais en ce qui me concerne, les mécanos, je n'en faisais plus partie. J'avais un autre talent. Très vite, on s'est aperçu que si je visais quelque chose, je le touchais. Et si je décidais de tirer, je touchais souvent un point faible. Appelez ça l'intuition féminine ou le reliquat soviétique mais du coup, j'étais dans la caste des raideurs. Pour ma peine, les gars m'ont confié une AK-47, mieux connue sous le nom de Kalachnikov. Bizarrement, ce genre d'armes était plus facile à trouver que l'équipement régulier des forces françaises. Je suppose qu'ils se les gardaient jalousement.
    Lars qui ne rajeunissait pas mais tenait le coup tant bien que mal m'avait rebaptisée "Wolf Mother". A part Stan (surnommé officiellement Ruskov), plus personne ne m'appelait Natalia à cette époque.

    On venait de mener une razzia éclair sur un convoi de ravitaillement. On devenait bons et précis. Une bonne prise : il y avait là assez de nourriture et d'eau pour tenir un bon mois.
    Kragier, notre meneur, a organisé le transport et nous a demandé, à tous, d'inspecter les environs. Du coup, avec Stan on s'est posé derrière un camion renversé pour fumer une cigarette.

    Je portais un bandeau serré autour de la tête pour retenir mes cheveux noirs en arrière. Stan avait l'air complètement défoncé. Je l'ai regardé de coté pour qu'il m'avoue ce qu'il cachait dans sa tige.

    - De l'afghane. Tu te souviens de ce type qu'on a récupéré dans le Chariot Chinois  l'autre jour ? Il en avait six kilos sur lui. On a étouffé le tout avec Tribal et Chacal. Ça fait un bail qu'on n'avait pas fumé ça hein.

    Il m'a passé la taffe et ça m'a rendue nostalgique. Un moment de silence s'est écoulé. Stan a fait un signe à la fille qu'il fréquentait à cette époque. Une donzelle plutôt mignonne mais je ne sais pas pourquoi, ça me rendait un peu jalouse. Peut-être parce que j'avais perdu mon copain quelques jours plus tôt. Non, pas une attaque de monstre. Une bête dispute. Une rixe et un coup de feu malheureux. Nous étions devenus tellement sauvages…

    - давалка, ai-je lâché d'un ton un peu acerbe en regardant le déhanché provoquant de la blondinette.
    - Peut-être, a-t-il sourit, mais c'est bien le seule genre de fille que je peux séduire.

    Je lui ai filé une bourrade fraternelle. Nous avons rit un moment sur des idioties puis Stan s'est rembruni dans ses pensées. J'ai relâché un long nuage de fumée grise dans l'air tiède du soir. Quelque part, quelqu'un a ripé sur le klaxon d'un camion. Des rires se sont élevés d'ailleurs. L'ambiance était détendue, la journée calme et l'avenir assuré pour quelques semaines. Je me sentais assez sereine pour aller à la charge de cette moue rêveuse :

    - как дела ?
    - Хорошо, хорошо…
    - Non sérieux Stan, dis-moi ce qui va pas.

    Il m'a tendu sa bière puis s'est tourné vers moi et, accroupi, les avants bras crasseux posé sur les cuisses, il m'a regardé. J'ai vu ses lèvres former mon prénom avant qu'il sorte de sa gorge :

    - Наталья. Je pense à Mama.

    Et la mienne s'est serrée. Oui j'y pensais. Souvent. Mais à quoi bon ? Etait-elle en vie ? Etait-elle sauve ? Ce n'était pas bon de penser à tout ça. La canette vide s'est vue expédiée dans le fossé. J'ai rallumé une cigarette d'un geste tremblant.

    - Natalia.
    - Non Stan, boucle là. Il ne faut pas… Ne parle pas de ça. Jamais.

    Il s'est rapproché et m'a regardée encore un moment, puis il a avancé sa main pour repousser une mèche de cheveux et de son pouce, suivre le tracé irrégulier de la cicatrice blanche qui me zébrait la joue.

    - Wolf Mother.

    Je lui ai sourit gentiment avant de me relever pour respirer un peu d'air et m'étirer le dos. Stan devenait facilement expansif quand il était défoncé. Moi je ne l'étais pas et je n'avais pas envie de parler du passé.
    Revenu s'adosser au camion, il a continué à parler un moment dans le vague sans me regarder. Il parlait d'avant. Il évoquait nos souvenirs d'enfance. Je serrais les dents pour ne pas laisser les larmes brûler ma carapace. Il n'en voyait rien, il ne remarquait pas la tension de mes jambes, ni le va et vient trop rapide de ma poitrine. Quel con trop sensible...

    - Tu sais… je crois qu'on devrait… essayer d'aller la chercher !

    J'ai laissé échapper le mégot de mes lèvres et fait claquer la culasse de la Kalachnikov. Vous savez, ce son caractéristique qu'on entendait avant dans les films à chaque fois qu'un type pointait son flingue. Détail stupide d'ailleurs vu qu'il n'y a pas besoin d'armer cinquante fois. Juste une seule, décisive. J'ai fait glisser la bandoulière pour ajuster ma cible.
    Stan a relevé les yeux. Il regardait la même chose que moi. Une petite tête dodelinante qui venait d'émerger des rochers.

    - Qui t'es toi ?
    - Hey on a un survivant là !

    A peine un ado. Effrayé, dérouté, perdu. Il s'est relevé sur les genoux et s'est mis à hoqueter. J'ai rabaissé mon fusil quand Stan s'est levé pour aller lui entourer les épaules.

    - Hé, пиздюшонок, gamin, ça va ?! C'est bon, on ne va rien te faire.

    C'était un peu présomptueux de sa part, parce que ça, ça dépendait surtout de Kragier. J'ai rabattu le fusil dans le dos et fait coulisser la lanière pour qu'il ne me gêne pas avant de le rejoindre. D'autres raideurs sont arrivés, un peu moins frais, un peu moins subtils. Ils ont joué les fiers à bras devant le môme qui du coup, ne disait rien. Stanislas le serrait maintenant contre lui comme pour atténuer les frissons d'un oisillon. Il l'a reniflé –hem- ça c'était un peu étrange, puis il lui a ébouriffé les cheveux.

    - On l'emmène.
    - Va te faire Ruskov, on l'emmène pas. Y'a bien assez d'inutiles dans cette bande.
    - Il faut l'abattre ici, c'est la seule façon charitable de…
    - LA FERME, mon frère a dit qu'on l'emmène alors on l'emmène.

    Malgré notre différence d'âge j'avais plus d'autorité que Stan. Les raideurs me respectaient et contestaient rarement mes décisions parce que je parlais le langage de la poudre.
    Le soir, on en parlait encore. Apparemment, Stan était parvenu à amadouer ce pauvre gosse qui ne le lâchait plus d'une semelle.

    - Tu sais Natalia, ce convoi, c'était pas du ravitaillement.
    - Ah non ?
    - Ils migraient. Pour ça qu'il y avait autant de gens sans défense. Ils migraient vers un abri situé à l'est. Jetskin dit que là bas, il y aurait des gens qui auraient trouvé un moyen de repousser les monstres.
    Un des raideurs allongés à coté a lancé :
    - Hé Ruskov, qu'est ce qu'il en sait ton môme hein ? Il a fait l'aller-retour ?
    Sa réplique en a fait marrer un autre.
    - Hey Wolf, laisse tomber, il est défoncé comme d'hab'.
    Lui, il me draguait depuis des jours. Ses chances de succès déjà minimes venaient de tomber à néant. Mais Stan a simplement haussé les épaules.
    - Ouais ouais si tu veux Alec. Le gosse dit qu'un des leurs avait fait un rêve, ou un truc comme ça.
    - Wah wah ah ! C'est un trip "terre promise" c'est ça ? Oh purée, y'a vraiment des illuminés dans la zone maintenant.
    - Je sais pas…

    Ce n'était peut-être qu'une rumeur mais ça a tout changé. Au petit jour, on se faisait attaquer par une bande rivale. Ça a saigné dur, Kragier s'est fait tailler. On a perdu tous nos médecins et pas mal de techniciens. Les retournements de situations… la veille on célébrait et le lendemain on pleurait. Quand ce n'était pas un accident, un monstre, un truc… c'était nous même, l'humanité, qui nous entredéchirions.

    Il ne nous restait pas grand-chose, nous avions dû fuir lamentablement pour nous retrouver hagard dans le désert à la recherche de nos morceaux.
    C'est une femme qui a reprit les commandes. Constance a rassemblé les blessés et les valides, fait panser rudimentairement ceux qui pouvaient l'être et achevé personnellement les autres. C'est avec un mélange de sang et de larmes sur le visage qu'elle nous a montré sa détermination. Comme quoi les blondes ne sont pas toutes écervelées.
    Cette Constance, vous vous en doutez peut-être, n'était nulle autre que la copine de Stan, ce qui fait qu'il devenait du même coup sous-chef et moi troisième lieutenant.
    Elle a décidé qu'on irait rallier cette ville. La Zone Perdue n'était plus assez sûre pour que notre petite troupe puisse y survivre désormais. Il y avait effectivement quelque chose qui se montait là bas. Nous n'étions pas les seuls à y converger.
    Et nous étions connus de certains…

    Ça n'a pas été facile, nous avions un lourd passé mais nous étions des durs, nous avions une connaissance des bestioles plus fine que bien des gens, nous savions survivre, organiser une attaque et donc une défense.
    Je regrette de ne pas être restée plus longtemps. C'était un endroit où j'aurais pu me plaire mais j'attirais beaucoup de regards suspicieux. Et en prenant mes tours de garde, je sentais qu'on me surveillait autant que je scrutais la zone perdue.
    Stan, lui, s'est glissé dans cette forteresse comme un poisson dans l'eau. Il y avait toujours quelque chose à réparer, à bricoler, à construire.

    Quelques jours seulement après notre arrivée, Constance, quelques autres et moi sommes partis pour voir si nous pouvions récupérer du matériel sur notre ancien campement et peut-être trouver des survivants égarés. Ça s'est mal passé, il y a eu d'autres morts mais je n'en fait pas encore partie. On m'a gardé prisonnière. On m'a coupé mes griffes, je ne suis plus une louve, juste une perdue de plus. Parfois je rêve que je suis une petite fille avec un bonnet de l'URSS pelotonnée contre un grand frère rassurant au torse d'acier.

    Je n'ai pas revu Stanislas depuis cette escarmouche désastreuse.
    Mais je suis sûre qu'il continue son histoire sans moi.


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