• Huitième Fragment :

    Au bout de plusieurs années (siècles ?) de descente, l'homme finit par rompre le silence sépulcral.
    - C'est encore loin ?
    Sa question se perdit dans les échos caverneux.
    - Avance.

    Quintus avança. Derrière lui, il sentait la présence froide de sa compagne givrée. Devant lui, un puit sans fond autour duquel s'enroulait un escalier qui ne semblait pas vouloir lâcher ses visiteurs. Les deux fugitifs gardaient un silence prudent. Ce genre de silence qu'impose l'obscurité. Qui sait ce qui pourrait se tapir ?
    Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, la fine semelle de la chaussure en toile de Quintus finit par rendre le craquement de la bonne vieille terre. Ils étaient en bas. Restait à déterminer "où en bas", mais en bas, aucun doute là dessus.

    L'homme aux yeux gris fouilla la nuit en quête d'un filet de lumière ou d'une clarté discrète. Rien. Le noir restait pesant et omniprésent, jalousement pressé autour des deux intrus comme une mère trop possessive. Ce n'était pas le genre de sensation à impressionner un vieux baroudeur comme Quintus, mais la lumière est toujours synonyme de sortie.
    Une main fine lui enjoignit d'avancer droit devant lui. Il décida de faire confiance à Xylarm qui semblait savoir où elle allait. Ses pas résonnaient curieusement, comme s'ils marchaient sous une voûte de pierre. Ce qui était probable après tout. Bientôt, le bruissement caractéristique d'une eau courante se fit entendre. D'instinct, Quintus se dirigea vers la source du bruit. Alors qu'il se rapprochait, un craquement nettement audible cassa l'ambiance feutrée. Une étincelle déchira les ténèbres et enflamma un boisseau de brindilles.
    La flamme se propagea, de proches en proches, à mesure que diverses torches s'allumaient les unes aux autres. Quintus grimaça. Au bout de chaque torche se trouvait un bras caparaçonné. Au bout de chaque bras, un moine à l'air belliqueux. Et pour couronner le tout, devant la ligne de cuirassés, se tenaient une bonne douzaine de guerriers en armes. Les lames affûtées renvoyaient des éclats tranchants prometteurs.

    - Bien joué… fulmina Quintus.
    Xylarm ne répondit pas mais se porta aux cotés de son compagnon, les poings sur les hanches.

    L'un des moines s'avança en grinçant dans son costume de métal. Il portait un heaume immaculé couverts d'inscriptions ésotériques. Sa voix sombre s'éleva de son ventail :

    - Vous ne pensiez pas vous en tirer aussi facilement ?
    - J'avoue avoir espéré qu'on pourrait arrêter les frais sans rancune, répondit Quintus entre les dents.

    Le meneur resta immobile quelques instants comme s'il voulait jauger les forces en présence. Il finit par lâcher un ordre sur un ton clinique :

    - Tuez la démone. Capturez l'homme. Le Chien décidera de son sort.

    Puis comme tout bon chef, il se recula vers les arrières protégés par les porteurs de flamme pour laisser ses hommes exécuter le sale boulot. Les moines commencèrent à s'avancer pour encercler leurs proies. Un homme sur deux, pour éviter de s'entraver les uns les autres. Xylarm s'écarta de quelques pas sur le coté pour pouvoir combattre sans contrainte. Quintus fléchit les jambes et leva les poings. Face à cet arsenal d'acier rutilant, il ne pouvait opposer que quelques coups et toute sa pugnacité du moment. Mais il y avait toujours la possibilité de recourir à Quintorm. L'homme parcouru une dernière fois l'assemblée du regard. Les moines avançaient en parfait ensemble. Comme s'ils étaient reliés par la même pensée. Il ne faudrait donc pas compter sur la confusion pour qu'ils se gênent mutuellement.

    Le premier coup vint de la gauche. Quintus recula précipitamment pour éviter de se faire embrocher par l'épieu. Il pivota, esquiva une lame barbelée et roula sur la droite. Une botte ferrée le renvoya brutalement au centre du cercle. Lentement, implacablement, les guerriers refermaient le piège. Sa seule chance résidait dans le fait qu'ils ne cherchaient pas à le tuer…pas encore. Un moine plus petit que les autres fit un moulinet de sa massue ornementée. L'arme sifflait dans les airs en décrivant une trajectoire dont seule la conclusion était prévisible. Pour esquiver un coup pareil, il aurait fallut faire preuve de beaucoup d'imagination. L'homme se releva sur un genou et interposa ses deux bras en croix. Le choc manqua de lui rompre les os. Il poussa un cri déchirant. Sa main se détendit pour agripper la massue. Trop tard. Le moine se retirait déjà, laissant la place à un autre de ses frères cuirassés. En restant au centre, Quintus n'avait aucune chance. Il le savait. Il fallait agir avant d'être trop amoché pour lancer une attaque. En face, l'autre calculait son coup pour ne pas blesser trop profondément sa proie. Il maniait une épée lourde à deux mains, ce qui ne devait pas lui faciliter la tâche. Ce genre d'instrument étant justement conçu pour calmer définitivement.
    Le souffle rauque, le fugitif se ramassa sur lui même. Il banda ses muscles, prit une grande inspiration et se jeta en avant. La lame siffla juste au dessus de sa tête et lui emporta une mèche de cheveux. Il était passé ! Quintus percuta le moine armure et se mit en devoir de tabasser son heaume. Il reçut alors un coup dans l'estomac et se crispa. Pas question de lâcher prise. Il tenta de pousser son adversaire pour se ménager une ouverture. Rien à faire, le moine restait inébranlable. Quelqu'un le tira alors en arrière par le col. Le tissu se déchira sous la poigne d'acier. A demi étranglé, Quintus tomba lourdement en arrière, récompensé pour sa bravoure par un nouveau coup de pied sur la hanche. Deux bras puissants le ceinturèrent.

    Quintus se dévissa le cou pour tenter de voir son agresseur. Son regard se porta au delà du cercle, de l'autre coté où une étrange confusion régnait entre les moines. Xylarm n'était nulle part en vue. Fin de la séance d'observation. Un moine lui porta un violent coup de poing à la mâchoire. Quintus pulvérisa un crachat de sang dans l'air glacial. Visiblement, ils avaient décidé de finir le travail à la main.

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