• Chapitre 13 : Un peu de Calme

    Inévitablement, j'étais épuisé mais je n'arrivais pas à dormir. Tout courbatu, je me suis redressé sur mon matelas de feuilles mortes. Quelques insectes entreprenants s'étaient glissés sous le col de ma tunique. Je me suis ébroué deux trois fois pour les chasser. Une main fade sur le visage, les yeux enténébrés fixés sur les braises. Un petit geste pour ranimer les flammes vacillantes. Les autres roupillaient ferme autour, à part l'Artincheur qui devait monter la garde un peu plus loin.

    Mon regard a encore dérapé sur le fourreau en os qui me mordait l'avant bras. J'avais l'impression d'être parasité. Chacun s'était joué de moi comme d'un pion sur leurs échiquiers personnels. Mélanargie d'abord, bien sûr. J'étais maintenant suspendu dans l'attente de voir un mort surgir des ombres pour m'arracher la tête.
    En voulant tirer un mouchoir de ma poche, j'ai extirpé l'amulette argentée. Pffff. Bon, sans surprise. J'étais trop épuisé pour m'énerver. Le templier m'avait collé son petit trésor ensorcelé dans les doigts et une paire de valets dans les pattes. Lui aussi manœuvrait pour que je fasse ses petits caprices. Sans trop y croire, d'un geste absent, j'ai balancé le pendentif dans le feu. A plus tard ma jolie… J'ai trempé le mouchoir avec l'eau de ma gourde pour m'éponger le visage. Mal au crâne.
    Et puis Javel maintenant.
    Ce vieillard sournois avait bien mené sa barque. Il avait joué les surpris, les étonnés ! Mais avec le recul, c'est lui qui avait conduit la discussion tout le long. Bel enchaînement de mimiques pour déboucher sur la révélation fatale qui m'avait laissé laconique tout le reste de la journée. Un parasite en os. S'il y a une chose que je déteste, c'est bien qu'on touche à mon intégrité physique à mon insu.
    "- Ne t'inquiète pas, c'est inoffensif. Il finira par se détacher tout seul.". Comme c'était arrangeant de sa part…
    Je comprenais mieux maintenant pourquoi il ne m'avait pas tué la première fois. Il comptait se servir de moi pour piéger Mélanargie…tout comme elle de son coté d'ailleurs. Et maintenant ? La longue discussion que nous avions eue ne m'a pas donné plus de raison de lui faire confiance. Mais tout au moins, nous avions convenu de franchir la forêt ensemble. A cinq, nous serions plus à même de faire face aux imprévus. C'était acceptable. Alors…une après midi de marche éreintante qui nous avait sans doute conduit à proximité de la lisière nord. Quelques rencontres étranges, un ou deux combats mais rien d'insurmontable. Le redoutable shinigami était tout à son affaire quand il s'agissait de tirer les armes. Un vrai massacreur celui-là. Mais il fallait admettre que son art du découpage forçait une certaine admiration esthétique.

    Je me suis rallongé un moment en fermant les yeux. La vie nocturne a immédiatement envahi mon esprit. Les stridulations affairées des insectes, les mouvements furtifs, les petits craquements. Rien de très rassurant pour un modeste humain à la peau tendre, dépourvu de griffes, de crocs ou de cornes. Quoique je pouvais maintenant m'enorgueillir d'un morceau de carapace. Un faible sourire cynique a hésité un bref instant sur mes lèvres avant de laisser tomber. Je n'étais vraiment pas d'humeur à rigoler. Mes yeux se sont rouverts sur la trame dansante jouée par les ombres sur la voûte de verdure qui surplombait le campement. Au fond, je n'étais même pas sûr de faire confiance à Thrace. Elle m'avait appelé à l'aide – elle aussi – avec le minimum de précision. Je n'étais pas sûr d'être prêt à endosser la carapace scintillante du paladin. Non pitié, pas carapace. J'ai mentalement biffé ce dernier mot pour le remplacer par un "armure" moins perturbant. Non, je n'étais pas de ce bois là. Ma médiocrité quotidienne m'allait parfaitement tant qu'elle ne s'embourbait pas trop dans la misère.

    Je me suis redressé subitement, avec une nouvelle résolution peinte sur le visage. Au diable tout ça ! Sans faire de bruit, je me suis relevé en épiant les figures contrastées par les flammes de mes prétendus camarades assoupis. Je ne faisais confiance à personne dans ce groupe. Et d'ailleurs, tu parles d'une coterie ! Un assemblage de bric et de broc lié par des magouilles et des tromperies. Non, c'était décidé, j'allais faire cavalier seul. Et d'ailleurs en parlant de cheval…

    Le brave hongre n'a pas moufté quand je l'ai harnaché. Javel était le seul à disposer d'une monture pour ménager sa vieille carcasse. Il me devait bien ça en dédommagement. Je me suis autorisé un sourire en pensant à sa tête quand il se retrouverait obligé de crapahuter. A gestes lents, j'ai sanglé quelques sacoches de vivres et de matériel sur le dos du canasson. Le moindre crissement du cuir ou tintement de boucle me hérissait. Je ne voulais pas réveiller qui que ce soit et je supposais que tout le monde dormais d'un sommeil léger et méfiant. Quelqu'un a remué près du feu. Vite. Sans prendre le temps de remettre l'épaulière d'acier (bon débarras), j'ai dénoué la longe du hongre pour le mener hors du campement. Un pas après l'autre…doucement. Un grognement m'a figé, le cœur au bord des lèvres. Ce serait si bête de se faire prendre maintenant ! Encore quelques pas pour être hors de vue et d'atteinte. Il fallait aussi que je déjoue la vigilance de l'Artincheur. Pour ce que j'en savais, le petit homme s'était certainement posté dans un coin moins touffu pour disposer d'une vue dégagée. A regret, je me suis donc dirigé à travers les broussailles. Tant bien que mal. Ma lenteur m'exaspérait, je tentais tout à la fois de guider le cheval et de ne pas m'étaler dans les ronces, le tout sans faire de bruit. Belle affaire. A chaque fois que je jetais un œil par-dessus mon épaule, j'avais l'impression d'être encore juste à coté du camp. Aller…un petit effort.

    - N'arrivez pas à dormir Patron ?

    Et merde. Tiens…cette fois il y avait une touche de sincérité dans son "patron". Il murmurait à quelques centimètres de mon oreille. Pour un peu je lui aurais marché dessus.

    - L'Artincheur…
    Que dire d'autre ?

    - Faire du cheval en nocturne dans les bois, c'est pas d'une élémentaire prudence vous savez.
    - Je pensais que tu serais plus loin…
    - Comme de juste. C'est pour ça que je suis mis là.
    - Je vois. Et bien si tu pouvais rester là encore quelques heures sans rien dire à personne, ça m'arrangerait. Je vais chercher quelque chose, je vous retrouverais à l'aube.
    - Vouais, vouais…
    - Bon d'accord, je me fais la malle. Et alors ?
    - Laissez tomber patron, je comprends ça. Et puis maintenant que vous êtes contaminé par ce bout d'os…
    Il a tapoté mon avant bras gauche. Le contact, autant que le son minéral m'ont fait sursauter. Je l'ai retiré brusquement.
    - Ne vous faites pas de bile, je resterais muet comme une tombe là-dessus. Enfin une vraie j'veux dire. Pas du genre qu'on peut ouvrir pour faire cavaler son contenu. De toute façon, toute cette affaire est trop lugubre. Et…on a quand même une mission à remplir avec Trempe. Que vous soyez là ou non ne change rien à mes ordres.
    - Hum. En un sens ça t'arrange que je ne sois plus là.
    - Exactement. On se gène l'un l'autre et je n'aurais jamais supporté d'être votre fidèle larbin une journée de plus, hé hé.

    Je voyais son sourire ironique. Je lui en ai rendu un de ma propre facture.

    - Bon alors je ne pense pas que se reverra. Passe le bonjour à cette gaillarde compagnie.
    - Ne vous fiez jamais à ça. On est empêtrés dans leurs toiles de sorciers…c'est eux qui tirent les ficelles.

    Un instant, j'ai entrevu l'étrange destin de cet homme. Comme moi, il était l'outil de quelqu'un. Je fuyais les instrumentalités de la mort, et lui était asservi par celles de la vie. Nécromanciens ou templiers, ils se foutaient bien du menu fretin. Sans en rajouter, je me suis extirpé des buissons pour prendre un chemin plus praticable. L'Artincheur m'a tapoté le bras, je me suis retourné.

    - Bonne chance ex-patron.
    - Hum. Oh toi aussi.

    Une poignée de main, un petit claquement de langue pour faire avancer le hongre et j'étais définitivement parti. Une bouffée de liberté m'a réchauffé le cœur. J'avais l'impression de quitter un bourbier infâme pour reprendre mon chemin personnel. Bien sûr, je n'étais pas tiré d'affaire. Mais je me sentais beaucoup mieux.

    Le soleil mordillait légèrement l'horizon dentelé lorsque j'ai émergé du couvert des arbres. Je l'ai accueilli avec une tête de déterré. Epuisé, je me suis juché en selle. Le paysage n'était pas nettement différent d'avant. Quelques espèces de fleurs blanches aux pétales ciselées. Et deux ou trois pousses de changre sauvage. Mais rien de très exotique. Les sabots du hongre se sont enfoncés dans la terre molle tandis que le faisais avancer sur une petite pente descendante. Avec un peu de chance, il y aurait un patelin…ou un genre de regroupement de cabanes quelque part.
    Dodelinant de la tête, j'ai laissé mon regard se perdre dans la légère brume matinale. Ambiance cotonneuse des lendemains de beuverie. Sauf qu'à défaut d'une gueule de bois, j'avais un bras en pierre. Une fois de plus, j'ai tenté d'intimider l'intrus d'os poli d'un regard brûlant. Non rien à faire, ça ne bougeait pas. Mais ça m'avait parlé…et plusieurs fois même. Pourquoi ne pas tenter le coup ? J'étais seul après tout.

    - Hey l'os….tu heu…tu m'entends ?

    Pas de réaction. Il était peut-être poli mais pas très courtois. Bon choux blanc pour le moment. Prenant appui sur les étriers, je me suis étiré le dos tout en profitant de la douceur de l'air. Des odeurs humides de thym et d'astrane enrobaient discrètement le fumet âpre du bois brûlé… Belle journée. Je me suis frotté l'œil droit. Un détail me titillait l'arrière du crâne. Voyons. Ce n'était pas en rapport avec Mélanargie, ni Javel…ça devait être lié à quelqu'un d'autre.
    Et subitement, ça m'a frappé comme une brique en pleine figure. Du bois brûlé ?! Hoyo ! Je me suis ébroué. Qui dit feu dit civilisation. Il y avait de l'humain pas trop loin. D'un claquement de langue, j'ai fait accélérer un peu ma monture.

    C'était un bourbier infâme. Crasseux, miteux et malodorant. Des gamins échevelés traînaient leur misère dans les sillons boueux qui faisaient office de passage entre les constructions. Quelques types livides ont jeté un regard envieux sur moi…ou plutôt sur mon cheval. Un regard agrandi par la faim. Une image de la pauvreté engendrée par l'insécurité. Je suis passé sans m'arrêter. Sur le coté, un vieillard a pointé un doigt tortueux qui se voulait sans doute menaçant. Deux gaillards plus costauds ont craché par terre. J'entendais leurs murmures qui se fichaient entre mes omoplates comme autant de dagues acérées. Je me suis demandé ce qu'ils voulaient dire par "Fir Bolg". Autant pour me rassurer que pour les intimider, j'ai posé une main sur la garde de ma petite épée. Des frissons me traversaient de part en part. Au moment où je quittais le "village", une voix s'est exclamée dans mon dos :

    - Les tertres se sont ouverts, les Fir Bolgs sortent de la forêt ! Je vous l'avais dit ! Les sidhs sont béants. La mort nous guette.

    Une prédicatrice. Bah, je n'étais pas concerné. J'ai jeté un œil par-dessus mon épaule. Vachté, c'était l'assemblée des gueux. Une ribambelle de trognes déformées par les maladies. Des poils hirsutes, des nez épatés, des grimaces. Et beaucoup d'outils plus ou moins tranchants agités par des bras maigrelets. Oh…peut-être bien que j'étais concerné finalement. Bon sang, c'était le moment de tenter un galop. J'ai donné une petite tape sur l'encolure du hongre tout en lui imprimant une franche impulsion des genoux. Il a henni, j'ai rugi nous avons filé dare-dare.

    Passé ce premier contact un peu rude, j'ai fini par entrer dans une petite bourgade à quelques kilomètres de là. Plus opulente et donc plus calme. Les habitants émergeaient tranquillement de leurs masures cossues. Une bande de jeunes gars charpentés arpentaient les rues, épée au coté et épieu sur l'épaule. Les fameuses milices du seigneur Hédrin. Un moyen somme toute économique de faire régner la loi puisqu'il évitait ainsi d'entretenir une armée de réguliers. Economique mais beaucoup moins fiable ! En cas de problème, chacun de ces groupuscules armés pouvaient se retourner contre leur maître.
    Ceux là arboraient fièrement une tunique écrue sur laquelle on avait cousu un genre d'écusson noir. J'ai abordé la patrouille pour leur demander le hall des coursiers.
    J'allais enfin pouvoir contacter quelqu'un de confiance. Je n'avais pas d'or mais Javel si. J'ai trouvé une poignée de sequins dans les fontes de sa selle. Excellent. Malgré la fatigue, ma première action a donc été d'envoyer un message à l'intention du Prévôt Maille. Il ne restait qu'à patienter.
    Je me suis payé le confort d'une auberge alléchante, faisant le point sur les dangers qui m'entouraient et les prochaines actions à lancer.

    C'est à peu près à ce moment là que l'intriguant Kageisha m'a rattrapé.
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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Vendredi 23 Octobre 2009 à 10:27
    Le rythme ralenti un peu. J'essaie de préparer la suite à venir sans aller trop vite en besogne. En fait j'expérimente pas mal sur cette nouvelle...alors forcément, il y a des tentatives un peu hasardeuses.

    Enfin bon, je mitonne une suite mouvementée, j'espère que ça vous plaira ^^.
    2
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Dimanche 25 Octobre 2009 à 16:35
    Oui c'est plus plus calme mais moins captivant. Cette amulette qui revient sans cesse m'intrigue au plus haut point.
    J'ai adoré la traversee du camps de gueux prêts a manger le cheval l'ambiance est particulierement bien retranscrite. Je te repondrairépondrai mieux en rentrant parce je crois que mon tel  aime pas eklablog et je galere trop. Par contre je peux bien lire^^ (ça c'est une invitation deguisee pour que tu postes la suite lol). 
    3
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Dimanche 25 Octobre 2009 à 16:39
    Zut il m'a sauté un mot!
    Plus simple mais PAS moins captivant. Tsss saleté de tel
    4
    Sakutei Profil de Sakutei
    Lundi 26 Octobre 2009 à 23:43
    Huk huk huk, c'est le mot qui change tout pourtant o/
    Bon, message reçu pour l'invitation déguisée xD. J'avais d'ailleurs prévu de poster aujourd'hui...mais les impondérables et toussa.
    C'est bientôt prêt, donc ce sera pour demain sans faute :)

    Rock 'n' Roll !
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