• Chapitre 36 : Résurgence

    She shines, in a world full of ugliness…

    Thrace achève de reconsituer son équipement à sa manière. Ce qui lui prend un certain temps qu'elle met à profit aussi bien pour se reposer que pour se remémorer.
    Bientôt revêtue de son arnachement de cuir habituel, elle esquisse quelques pas dans la grande salle. Son visage est à nouveau dissimulé par un masque mais cette fois, d'une manière un peu différente. La pièce de cuir noire s'arrête juste au dessus de sa lèvre supérieure, laissant le bas de ses joues et son menton libre, juste là où les pointes de ses cheveux viennent se recourber par devant. Et comme par transposition, le masque se prolonge vers le haut, dépassant légèrement de son front pour former une crête dentellée. Lorsque l'on veut en imposer à ses interlocuteurs, le style entre pour moitié dans le poids des menaces non formulées que l'on suggère par sa seule silhouette. Quand à l'autre moitié… un savant mélange d'aura, de posture et de souvenirs.

    Seule dans cette pièce glaciale lacérée de courants d'airs cruels, l'ondine se demande de quelle manière sa reprise de contact avec les fomoires va s'opérer. Doit-elle manifester sa présence ou attendre qu'on la remarque ? Elle pressent que la rencontre sera hostile. Elle est prête. Rien ne pourra l'arrêter maintenant. Non plus rien.

    Ses nouvelles bottes claquent sur les dalles de pierre. Il ne faut pas bien longtemps avant que d'autres semelles viennent y adjoindre leurs échos trépidants. Thrace sourit. Ils arrivent.
    Cinq capes vertes déboulent d'une des ouvertures. Leur meneur agite son bras pour la désigner en braillant à l'attention de ses comparses, comme si la chose n'était pas encore assez évidente en soit. Oui, l'ondine est de retour.
    Cette dernière s'immobilise immédiatement. Les mains légèrement écartés, elle attend. Elle se prépare. Elle est prête.
    Les fomoires inférieurs l'entourent et s'appliquent à adopter des attitudes passablement suggestives pour signifier qu'ils ne sont pas là pour rigoler. Tous brandissent des instruments plus ou moins tranchants avec une agressivité manifeste.

    - Thrace ! Tu… tu …. Toi !

    Un rire cristallin pour toute réponse. Celui qui vient de s'exprimer lâche un sifflement colérique et s'apprête à répliquer mais il se fait couper la parole par une voix féminine qui vient de derrière.

    - Ainsi tu es revenue. Kernal avait raison, tu n'abandonnes jamais hein !

    Thrace ne répond pas, elle hausse le menton de quelques centimètres comme pour sonder les hauteurs. En réalité, elle ferme les yeux et s'imprègne de cette ambiance tissée de nervosité et d'impatience. Elle prend alors conscience de l'état d'esprit de ses interlocuteurs. Elle ressent la manière dont l'eau circule et se bouscule en eux. L'eau charrie le sang. Mais l'eau goutte aussi dans la sueur ou les larmes. Elle le discerne, les unes viendront après les autres.
    Elle se sent incroyablement bien. Après tout, elle revient des abysses, quelle autre épreuve pourrait être plus éprouvante ?


    - THRACE ! Pour avoir massacré trois des nôtres, thu es condamnée ! Thu vas maintenant payer le prix de thon arrogance.

    L'ondine penche simplement la tête à l'adresse de l'étrange créature qui vient de s'exprimer. Un cou de taureau, des naseaux et des cornes recourbées en guise de mains. Elle lui offre une version indulgente de son sourire avant de relever la tête à nouveau.

    - Conduisez moi à Jetuk, dit-elle avec la douceur d'une ondée matinale.

    Son attitude ne désarmorce pas la rancœur qui flambe autour d'elle. Bien au contraire, elle semble l'amplifier comme si sa nonchalence était un défi, une insulte.


    - Thu…thu…thu, souffle le taureau.
    - Rak rak rak, piaffe le premier.
    - SSSSSSSssssss, renchérit un autre.

    Les intentions qui transpirent de leurs semblants de paroles devraient inquièter la tueuse, mais elle se sent si bien qu'elle ne peut effacer ce sourire insolent de son visage. Et puisque son masque n'en dissimule rien, elle en fait profiter toute l'assemblée.

    - Tsss, vous avez déjà perdu un cœur, être vous si pressés de perdre le second ?
    - Nous allons te conduire à lui… oh oui, oui. Nous allons même t'envoyer voir notre seul vrai maître Basal. Mais avant ça tu vas morfler !
    - Faites ce que vous pensez devoir faire…
    - Allons y ensemble !
    - Non laissez la moi !

    Thrace entend l'eau. Elle clapote et s'insurge. Par derrière, c'est trop facile. Elle replie son avant bras, recule le pied droit et arrête le coup vengeur de la femme avec une facilité déconcertante. Cette dernière manie une épée en forme de trident dont la pointe centrale serait réduite à une simple petite aiguille. Le métal est visiblement affûté sur tous les cotés, une belle pièce.

    - Qu…que…

    La tueuse ne lui laisse pas le temps de réagir. Son pied cogne avec un bruit sec. La fomoire laisse échapper un hoquet douloureux et recule en boitillant. L'eau, encore. Thrace pivote avec une vitesse ahurissante. Son coup de pied retourné cueille son nouvel agresseur à la tempe. Il trébuche.

    - Vous ne faites pas le poids, constate t-elle posément.

    Des cris de rage s'élève tout autour, cette fois c'est la mêlée ! Les capes vertes s'élancent en même temps. Thrace invoque une fois de plus l'acier dans ses membres pour les raidir et les durcir. Elle contre les lames par le métal, absorbe les chocs par l'eau et retourne les attaques avec une combinaison des deux.
    Bien que sans le vouloir, elle a corrompu le pouvoir de Sataline. A présent, elle possède deux forces meutrières à sa disposition. L'une plus vive et l'autre plus dure. Contre de tels adversaires, la différence est trop inégale.

    Le taureau charge avec la délicatesse propre à son aspect. L'ondine se déplace souplement sur le coté et envoie son coude dans la tête d'un autre au passage. Gémissements. Elle se baisse d'instinct lorsque le trident passe au dessus de sa tête. Ses mèches d'acier tintent contre le métal. Une botte tente de la cogner maladroitement. Elle attrape le pied entre ses mains et vrille la cheville d'une manière qui force son adversaire à se retourner. Profitant de sa position, elle bondit et lui assène un méchant coup de genou entre les épaules qui l'étale pour le compte. Une main sur la nuque du gaillard, elle se relève et bloque trois nouvelles attaque en faisant danser son avant bras droit.
    Le suivant se retrouve avec les dents ensanglantées et le nez écrasé. Un choc sur l'épaule parvient à lui arracher une petite exclamation. Thrace se laisse aller en avant, prend appui des paumes et lève ses deux jambes avant de les faire retomber à l'horizontale. Elle parvient à réaliser un bref mouvement de torsion qui force ses adversaires à reculer avant de se ramasser sur le dos. Les autres tentent d'en profiter. Le premier à sa portée se fait claquer la cheville par un coup de tibias d'acier. Thrace se relève et fait un brusque mouvement en avant qui fait reculer les deux autres. Elle sourit et écarte les mains comme pour les inviter à la danse. Ses yeux irradient d'une aura de joie bleuté visible même au travers des fentes occulaires de son masque.
    Les deux fomoires se consultent du regard. Ils piaffent, hésitent et chargent ! Thrace esquive la première lame et bloque la seconde. Faisant glisser sa main, elle attrape un poignet et serre. L'autre gémit. Elle tourne, l'articulation craque. Thrace attrape l'épée avant même qu'elle ne tombe au sol et l'expédie dans la cuisse de son porteur avec vivacité. La fomoire tombe à terre en comprimant sa plaie ouverte.

    Il n'en reste plus qu'un de valide. Encore que la manière dont il boitille suggère qu'elle l'a touché qu'une manière ou d'un autre pendant la mêlée. Thrace se redresse et laisse ses bras retomber le long de son corps.


    - Conduit moi à Jetuk, répète t-elle. Je n'ai pas de temps à perdre.
    - Merde… greuh…merde.

    Le fomoire lui tourne autour, constatant comme elle que ses quatre compagnons sont à terre, inanimés ou trop blessés pour continuer.

    - Tu étais censée nous aider ! Pas nous massacrer ! Pourquoi ?! Pourquoi ?!
    - Arrête de pleurnicher. C'est vous qui m'avez attaquée.
    - Non, non ! Je ! Non !
    - Très bien. Conduit moi à Jetuk.
    - Meurs !

    Son épée levée très haute au-dessus de sa tête. Son regard fou. Sa charge maladroite. La manière dont il est possible d'anticiper son coup de taille et d'attraper sa lame. La facilité avec laquelle il suffit de relever le genou pour l'estomaquer. La tentation d'abattre le tranchant de sa paume sur sa nuque pour l'achever tandis qu'il est plié en deux. Et la décision finale de pivoter pour lui imprimer la marque de sa semelle dans le postérieur pour l'envoyer manger les dalles.

    Thrace se frotte le menton et examine un instant l'épée courte qu'elle tient entre ses doigts. Celle-ci n'a rien de remarquable. Un bout de métal planté sur une poignée.
    Le bout-de-métal-planté-sur-la-poignée se retrouve négligement rejeté par terre sur un tintement plaintif. L'ondine s'avance et attrape son dernier assaillant par le col de sa cape pour le hisser à sa hauteur.


    - Alors… Jetuk ?

    Il ne répond rien. Non pas parce qu'il joue les brave ou se trouve dans une position l'empêchant de parler. Non, tout simplement parce qu'à ce moment là, un formidable coup de tonnerre ébranle la pièce jusque dans ses fondations.
    Thrace ouvre des yeux ronds où un soupçon de peur peut se lire, étrangement contrasté par le sourire nerveux qu'elle affiche soudain. Sa main relâche l'étoffe verte, elle pivote avec une lueur de défi dans le regard. Enfin… le grand jeu va commencer. Elle sourit plus largement à mesure que sa nervosité augmente. Sa respiration s'accélère maintenant qu'elle voit se dessiner les silhouettes rougeâtres des écorchés.
    L'heure de vérité. L'heure de vérité ! Sera-t-elle de taille face au seigneur des lieux, le terrible Basal ?

    Toute concentrée sur ce qu'elle estime être une suite logique dans ses rencontres, elle est donc légèrement surprise de constater que le gros démon n'est pas présent dans le groupe qui s'approche. Il comporte en revanche un certain nombre de têtes famillières.
    L'ondine identifie immédiatement Jetuk en arrière plan, grande carcasse déguingandée toute en coudes et en genoux. Elle repère l'inimitable Morphal et sa lubricité assumée. Et en tête de cortège : Kernal, son premier contact parmi les fomoires. Aucun d'eux n'a l'air particulièrement heureux de la revoir. C'est du moins l'impression qu'elle retire de cet atroupement de faciès défigurés.
    Les Seigneurs Rouges continuent à avancer sans que quiconque ne profère une parole, comme une phallange musculaire aux maxillaires contractés. Refusant cette fois de se laisser encercler, Thrace recule au même rythme.
    Elle peut le faire ! Il ne faut pas se laisser impressioner. Aller, l'eau à droite ! Le liquide circule le long de ses veines pour se concentrer en filaments ne plus en plus épais dans le creux de sa main. L'ondine tend le bras à l'horizontale et clame soudain d'une voix forte :


    - Stop, n'avancez plus !

    Dans le même temps, elle fait naître sa double lame de glace dans son poing fermé et pointe l'une des extrémités en direction du groupe de démons. Elle-même se positionne légèrement de profil comme pour offrir une cible moins large et centrer les regards sur la pointe étincellante de son arme givrée.
    Kernal fait un petit geste de la main et toute la troupe s'immobilise d'un seul mouvement, sans même esquisser l'ombre d'une hésitation. Morphal et Jetuk sont parfaitement impassibles. Ça ne se passe pas comme prévu… mais qu'est ce qui était prévu ? Nerveuse, Thrace s'humecte les lèvres avant de parler :


    - Jetuk, je ne suis plus votre championne, libère moi de cette malidiction !

    Le concerné lui sert un unique hochement de tête négatif mais c'est Kernal qui prend la parole comme un véritable coup de tonnerre :


    - THRACE !

    Un long silence, durant lequel même l'intéressée reste médusée. L'ondine fend l'air une ou deux fois de sa lame pour raffermir sa prise et plaque sa main gauche en renfort sur son poignet, sentant l'affrontement imminent. Kernal reprend alors d'une voix plus douce :

    - Je suis content de te revoir petite sœur.
    - Ne m'appelle pas comme ça !
    - Comme tu voudras… notre championne.

    Etait-ce un accent amusé dans sa voix ? Thrace refuse de se laisser dévorer par l'impulsion colérique et sourit le plus calmement possible :

    - Ne m'appelle plus comme ça non plus, Kernal. Je ne suis pas des vôtres.
    - En temps voulu…
    - Non, non, je ne veux pas. Tu n'as pas compris ? Je suis aujourd'hui capable de vous forcer à me rendre ma vraie nature.
    - Ecoute moi…
    - Non ! Je ne veux pas de discussion. (Elle reprend d'un ton plus ferme). Je suis prête à me battre !

    Kernal penche la tête et lève les deux paumes dans ce geste universel de paix. Et même ainsi, quelque chose de formidable s'en dédage. Il s'avance lentement. Thrace recule encore d'un pas et ferme la diagonale en inclinant sa lame devant son visage.


    - N'avance pas.
    - Pourquoi as-tu si peur ?
    - Peur moi ? Non. Ahaha ! Je suis résolue. Tu ne m'arrêteras pas Kernal, glisse t-elle entre ses dents serrées.

    Elle enrage d'être à ce point impressionnée. Son corps ne réagit pas comme il le faudrait. Qu'est-ce qu'il y a donc dans Kernal qui la terrifie tant ?! Pourquoi son instinct lui intime t-il de fuir et de se noyer dans le sein revigorant d'une source pure.
    L'ondine serre les dents à s'en faire mal et tente de contrôler son souffle. L'autre avance encore, doucement mais irrépressiblement.


    - Stop Kernal… un pas de plus et j'attaque…
    Sa dernière phrase s'achève sur une note aïgue pittoyable. Bon sang, bon sang ! Pourquoi ?! Sa garde faiblit déjà, ses mains tremblent et son épée semble soudain si lourde à lever. Oui pourquoi faut-il combattre ?

    - Thrace… il n'est pas nécessaire d'en venir là.

    Et soudaine elle comprend ! Ce pouvoir ! Cette aura ! C'est la même que celle de ce fou aux yeux ardents qui l'a… violée ? Possedée en tout cas. Oh Kernal n'inspire pas le désir, pour ça il faudrait travailler un moment avant qu'il puisse passer de repoussant à simplement moche. Mais son aura. Sa simple présence est destabilissante.
    Reconnaissant le subterfuge, Thrace nourrit son assurance par une bouffée de rage pure au souvenir de cet épisode humiliant. Son épée se redresse tout aussi sec, devenant à nouveau la menace glacée.


    - Kernal, commence t-elle d'une voix douce, j'ai changé. Ce genre de chose ne marchera plus jamais sur moi. (Inclinant légèrement son épée vers le buste du démon maintenant plus proche de cinq pas). Je te présente Sataline.
    - C'est le nom de ton épée ?
    - Non, mais ça lui va bien.
    - Dépose la si tu ne veux pas la perdre. Celle qui brandit l'épée périra par l'épée, tu le sais bien.
    - Et je m'y suis préparée ! Laisse moi te présenter mon second allié ! Kernal !!

    Elle crie de plus en plus fort pour dissiper les dernières bribes de son trouble. Son bras gauche se déporte sur le coté, à moitié replié. Le métal à gauche ! Thrace semble brièvement reluir d'une teinte argentée. Les trois mèches lâchent une étincelle jaune qui se perd dans les hauteurs.
    Et de la même manière qu'est apparue la double épée dans sa main droite, une série de lames courtes et pointues emmergent une à une sur l'extérieur de son bras gauche de l'épaule au poignet. Elles s'agencent et se superposent les unes sur les autres pour former comme une crénelure de plumes miroitantes.


    - Kernal ! Voici Acier !

    L'effet est assez impressionant pour faire murmurer dans les arrières rangs. Kernal tourne la tête et tapote sèchement du talon pour faire taire les remarques. Puis il branle du chef à l'attention de l'ondine défiante :


    - Tu penses que ça suffira ?
    - Cherche toi-même à le savoir !
    - Je vois… quoiqu'il arrive tu veux te battre.

    Kernal joint ses deux mains devant la poitrine et les écarte lentement. Une vilaine lueur rouge sourde entre ses phallanges et semble gagner en intensité à mesure qu'il poursuit son mouvement.

    - Oui tu as changée. Alors ne m'en veux pas si je ne me retiens pas.
    - Donne toi à fond Kernal !

    Préférant toujours l'attaque à la défense, Thrace ne laisse pas le temps à son adversaire de se préparer. Elle bondit, en avant, ramenant à elle sa double épée. Kernal a juste le temps de bondir en arrière avant d'écarter totalement les bras.
    Le premier choc est incroyablement rude. L'ondine reste littéralement suspendue en l'air, bloquée dans son attaque par quielque chose qui luit horriblement entre les mains du puissant Seigneur Rouge. Sa double épée est comme figée. Alors elle détend son bras gauche hérissé de rasoirs. Kernal fait un geste étrange. Thrace ouvre des yeux ronds et déporte son poids sur le coté. Bon sang ! Le poing griffu file juste sur le coté, lui arrachant une mèche de cheveux au niveau de la tempe. D'où sort-il celui-là ??
    Thrace se ramasse sur le coté et bondit trois fois en arrière pour réassurer ses appuis. Alors elle contemple la masse de Kernal dans son entièreté. L'écorché s'est complètement déployé. Il exhibe maintenant quatre bras et autant de jambes ainsi qu'une paire d'ailes membraneuses dans le dos. A gauche, une étrange épée blanche comme l'os. Elle semble articulée, capable d'agir tantôt comme une lame tantôt comme un fouet. Le réseau de filaments rouges qui la parcourent et rejoignent directement le bras de Kernal laissent à supposer qu'elle est comme innervée à son porteur !
    Et à droite, une sorte de bouclier formé d'un assemblage d'ossements et de tendons. C'est également à cet instant qu'elle remarque que les cornes qui ceinturent le front du démon sont notablement plus longues qu'avant… et qu'elle prend conscience de ce glougloutement continu qui émane de son corps. Oui l'eau, il faut écouter l'eau.
    Quatre bras, c'est autant de menaces à contrer, mais c'est encore possible ! Thrace se rue à nouveau en avant, criant pour se donner du cœur à l'ouvrage.
    La lame de Kernal enveloppe la double lame. L'os crisse contre la glace. La tueuse bloque deux autres bras du gauche et parvient à pivoter pour éviter le quatrième. Bandant ses muscles, elle incline sont épée pour faucher les tibias de Kernal mais ce dernier bondit en arrière au bon moment. Les lames sifflent dans les airs sans s'entrechoquer. L'ondine baisse la tête à temps, Kernal recule le torse. Les pointes d'acier crissent sur le bouclier. Un coup de pied ne recontre que le vide. Elle frappe, bloque, esquive et perce sans succès. Le démon ne modère pas son ardeur lui non plus tant et si bien que les deux combattants se retrouvent à haleter comme des bûcherons au labeur.
    Mais l'ondine sait qu'elle est en mauvaise posture. Kernal n'utilise pas le plein potentiel de ses bras surnuméaires. Il suffrait qu'il prenne deux autres épées pour renverser le combat ! Il faut qu'elle gagne ce duel avant qu'il ne réalise qu'il l'a sous-estimée. Elle peut encore le faire. Il ne l'a pas touchée une seule fois.
    Reformant sa garde, la tueuse repasse à l'attaque. Les lames sifflent et s'entrechoquent sur des tintements tantôt cristalins, tantôt osseux. Elle tente une virevolte plutôt risquée qui doit l'amener sous la garde de son adversaire mais doit battre précipitement en retraite lorsqu'une griffe menace de lui emporter un œil. Son moulinet de parade se voit intercepté par le fouet de vertèbres qui crée monmentanéement une ouverture chez Kernal. Ouverture réciproque puisque le flanc droit de l'ondine se trouve exposé.
    Choisissant de tenter le tout pour le tout plutôt que de se retirer, Thrace bondit, invoquant le pouvoir de l'eau pour fluidifier son mouvement. Kernal jette son poing. L'ondine avance son bras dentelé. Les deux se neutralisent mutuellement avec une violence crissante qui arrache des larmes de douleur à la jeune fille. Son genou droit file dans un mouvement inattendu et parvient heurter le démon en pleine poitrine, lui arrachant une exclamation rauque.
    Les deux combattants se repoussent mutuellement, Thrace tombe en arrière, reçevant au passage un coup de poing dans ses côtes exposées. Tous deux estomaqués, ils se dévisagent un instant pour reprendre leur souffles respectifs. Ils ont maintenant tous deux le regard de combattants qui estiment la valeur l'un de l'autre. Thrace sait qu'elle ne tiendra pas longtemps à ce rythme. Il faut en finir bientôt.
    Elle charge avec toute l'énergie qu'elle peut réunir, faisant crisser la lame inférieure de son épée sur le sol. Kernal ne s'attendait visiblement pas à  ça, il interpose précipitement deux de ses bras en croix et ramasse une sale estafilade au passage. Elle le tient ! Prolongeant son mouvement, l'ondine se fend et vrille son arme au dernier moment pour le faucher par-dessous.
    Une méchante douleur éclate sur son épaule et le temps de tourner la tête, elle se prend une violente claque en pleine figure qui la fait littéralement se retourner. Par réflexe, elle se propulse hors de portée et évite le coup de fouet suivant par un coup de chance.
    Lorsqu'elle veut se relever, elle s'aperçoit que son cœur et comme lacéré d'aiguilles… la contraignant à poser un genou à terre en grimaçant. C'est ce moment que choisit Kernal pour enfonçer le clou. Il fond sur elle comme un rapace sur sa proie.
    Malgré toute sa volonté, Thrace est incapable de contenir une attaque venant de quatre cotés à la fois. Elle esquive la lame, arrête un poing mais écope d'une autre manchette et d'un terrible coup de bouclier en pleine face.
    Elle lâche un cri soudain et bascule en arrière. Son épée gicle sur les dalles. Non ! La roulade qu'elle enchaîne lui permet de récupèrer son arme et de se remettre en garde. Kernal la dévisage à nouveau.

    - Tu devrais arrêter. Je suis trop puissant pour toi.

    Sans répondre, Thrace passe encore à l'assaut, puisant toujours plus de force dans ses pouvoirs élémentaires d'eau et d'acier. Ses coups pourtant bien orchestrés se voient évités ou contrés. Kernal riposte par une série de frappes précises et brutales qu'elle parvient à repousser avant de réattaquer. Encore et encore. Le démon reçoit deux autres blessures dont l'une d'elle, juste au-dessus de l'œil rend sa responsable assez fière. Saisissant sa chance, elle plante son épée au sol, ratant de peu l'un des pieds de Kernal. Pour autant elle ne perd pas espoir, maniant son arme à la manière d'une perche, elle saute en l'air et passe son bras gauche en travers de sa poitrine. Kernal ne peut pas parer ça ! Mais contre toute attente, il replie ses ailes au-dessus de lui. Thrace lacère la membrane rigide et se voit littéralement ejectée en arrière l'instant d'après.
    La réception est rude. Elle grimace à nouveau et frappe le sol de son poing fermé. Elle n'y arrive pas ! Il est trop fort ! Non. Non. Une larme de frustration s'écrase sur les dalles. Elle se relève et fait à nouveau face au puissant fomoire. Pourquoi ne peut-elle pas le vaincre ? Elle est au maximum de ses capacités, c'est maintenant ou jamais !


    Thrace rassemble ses énergies et prend encore l'initiative. Feinte, contre-feinte, double feinte. Les combattants s'évitent plus qu'ils ne se cognent à présent. Chaque coup compte. Du moins pour l'ondine. Alors elle retente de clouer les pieds de son adversaire. Ce dernier anticipe et lève déjà les bras pour parer une attaque aérienne. Oui ! La jeune tueuse se glisse dans l'ouverture comme l'eau dans une fissure. Elle passe sous le buste, ramène son arme, frappe ! Et frappe ! Bon sang, quelque chose bloque.
    Elle pousse plus fort, cherchant des yeux ce qui l'empêche de tailler dans le vif. Et c'est alors qu'elle remarque le fouet enroulé d'un coté et le poing fermé de l'autre. Les deux bloquant chacun une extrémité de sa double lame. Non ! Non ! Non ! Thrace appuie plus fort, faisant saigner Kernal et s'approchant encore de son torse exposé. Mais le bras de fer dure trop longtemps. D'un revers fulgurant, Kernal écrase la tranche de son bouclier en plein milieu. L'ondine a juste le temps de reculer sa tête mais son épée se fait proprement briser en deux. Sur le coup, elle trébuche en avant ce qui lui vaut un sévère taillade sous la fesse et un mauvais goût de cuivre dans la bouche. Le coup de pied magistral qui succède la cueille juste sous le menton et l'envoie valdinguer un peu plus loin.
    Elle se relève néanmoins, faisant fi des lucioles qui dansent dans ses yeux et les douleurs cuisantes qui montent de diverses parties de son corps.

    - Non ! Pourquoi ?!

    Un morceau d'épée dans chaque main, l'ondine attaque encore, avec l'énergie du désespoir cette fois. Une ruée souvent salvatrice lorsque la situation est équilibrée mais bien insuffisante dans le cas présent. La punition de son audace ne se fait pas attendre et elle se retrouve une fois de plus à terre,  crachant du sang et pleurant de rage.
    Ses sanglots se muent en un cri de guerre tandis qu'elle tente de taillader du gauche et de planter du droit. Apparement imperturbable, Kernal se contente de lui retourner son épée dans la cuisse avec une nonchalence désarmante. L'ondine hurle de douleur et rate  complètement sa riposte.
    Un nouveau cri résonne lorsque la lame d'os ressort, s'articule et vient la fouetter au visage, déchirant son masque dont la moitié échoue lamentablement dans la flaque de sang qu'elle commence à répandre.


    - Arrête maintenant.

    Une main pressée sur sa cuisse ouverte, Thrace se relève sur les genoux. Elle lâche le dernier morceau de son épée de glace qui se brise au sol et secoue son bras gauche pour le stimuler. Kernal se contente d'interposer son bouclier qu'elle martelle, encore et encore, jusqu'à épuiser la dernière étincelle de vigueur. Elle brûle, elle s'évapore en larmes et en sueur à frapper cette protection qui ose résister à son acier si pur. Des copeaux d'os voltigent. Elle tranche, elle plante, elle coupe, elle crie mais ça ne marche pas. Ça ne peut plus marcher.
    Son bras finit par retomber de lui-même à bout de force, les écailles d'acier se résorbent contre sa volonté. Elle est trop faible pour les maintenir. Alors elle lève son poing fermé et tente de continuer mais privée de sa compresse, sa plaie se remet à cracher salement. Thrace est contrainte de replacer sa main sur sa cuisse et lève son visage vers son avdersaire.
    Son masque ne recouvre plus que la moitié de ses traits, laissant voir son expression coulante où se lisent tour à tour la rage, l'impuissance et la détresse la plus profonde. Après tout ce qu'elle a enduré… échouer de cette façon…
    Le gosier en feu, les yeux humides et la peau livide, elle trouve assez d'air dans ses poumons incandescents pour expulser péniblement une ultime question :


    - Hou'quoi… ?

    Kernal laisse le silence s'installer confortablement avant de lui botter le derrière de sa voix assourdissante.

    - Tu ne pouvais pas gagner de cette manière. Ta cause est trop égoïste. Je me bats pour mon peuple. Et bientôt, tu feras de même. Tu comprendras.
    - Hach hah hahaha… tahhhhaarrar.

    Lorsque le démon se penche pour l'aider à se relever, elle écarte sa main tendue d'un mouvement sec et se relève d'elle-même, toute tremblante et mal assurée sur ses appuis.
    Au fond, les autres écorchés ne remuent pas d'un cil. Ou du moins, s'ils en avaient, ils ne les bougeraient pas plus que le moindre de leurs tendons.
    Thrace encaisse mal sa cuisante défaite, Kernal n'a pas l'air le moins du monde affecté par le combat. Pourtant elle l'a touché ! L'ondine digère avec difficulté le fait qu'il soit intensément plus fort qu'elle. Ce qui signifie qu'une fois de plus… comme avec Mélanargie, elle se retrouve soumise. C'en est si frustrant que les larmes qu'elle tente de retenir tant bien que mal coulent amèrement sur ses joues pâles. Son souffle lui revenant petit à petit, elle se met à fredonner doucement :

    - Le jour où tu es parti,
    Je me suis retrouvée abandonnée.
    Toutes ces choses que tu m'as laissées,
    Sont trop lourdes à porter.
    Mais je suppose que tu t'en moques.

    Sa voix devient plus claire et plus forte à mesure que sa mélodie enfle. Elle ne sait pas d'où lui vient cet air ni ses paroles. Elle se sent juste terriblement triste. Elle s'est battue toute sa vie pour échapper à l'emprise de ceux qui voulaient la contrôler. Mais rien n'y fait. Elle semble condamnée à être un outil. Alors que viennent faire là ses désirs et ses envies ? Elle est finie. Finie. Elle regarde néanmoins droit devant elle en passant à coté de son nouveau maître.

    - Kernal.
    - Oui ?
    - Tu n'étais pas obligé de rester sur la défensive. (Elle baisse la tête). Mais je suis vaincue quand même. Merci.
    - Ne sois pas si désespérée Thrace. Je n'ai jamais combattu meilleure que toi.
    - Tu mens, ne sourit-elle pas faiblement.
    - Non. Tu es notre championne mais cela ne veut pas dire que tu es la meilleure d'entre nous. Tu es celle qui nous conduira au combat. (Il l'arrête d'une main sur l'épaule – pas celle qui est blessée- ). Thrace, tu es la plus combative, et la plus passionnée. Que l'on drape ta résolution d'une vraie raison ne pourra que te rendre plus forte.
    - Ma liberté…sic… était ma raison.

    Et sur ce soupir, elle s'éloigne pesamment du lieu souillé du combat. Elle pensait en finir ainsi avec ses retrouvailles et aller s'écrouler dans un coin mais la voix de Kernal l'arrête une fois de plus.

    - Tu peux partir quand tu veux tu sais. Rien ne t'oblige à demeurer parmi nous dans cet antre glacial.
    Cette fois, un rictus ironique soulève le coté droit du visage de Thrace lorsqu'elle se retourne.
    - Si je m'en vais, comment pourrais-je bien vous mener au combat ?
    - Tu n'en as pas besoin. C'est nous qui te suivrons.
    - Oh très bien, rétorque t-elle d'un ton pincé.
    - Thrace ne te méprends pas. Nous te sommes infiniment redevables de nous avoir débarrassé de Basal. Il n'est pas dans nos intentions de te nuire.
    - C'est trop tard, murmure t-elle dans un souffle avant de réagir avec un sursaut. Vous avoir débarrassé de Basal ?! Comment ça ?
    - Grâce à toi, j'ai affronté et vaincu notre ancien et arrogant maître. Je suis maintenant le nouveau seigneur des fomoires. (Voilà pourquoi tu ne pouvais pas me battre), achève t-il à mi-voix.
    - Hein ! Oh… oh. Mais et eux… ?
    - Les capes vertes ? Des dissidents. J'ai encore du mal à unifier tout ce petit monde sous ma coupe. Même s'il n'en reste pas tant que ça grâce à tes propres coupes.
    - Oh ça va hein.
    - Que vas-tu faire maintenant ? Enchaîne t-il à brûle-pourpoint.
    - Partir. Puisque je n'arrive pas à ôter cette malédiction qui me crame les veines, je préfère aller nourrir mon ressentiment ailleurs.

    Ce disant, elle claque la langue et pointe ostensiblement du doigt sa mâchoire. Kernal ne fait pas mine d'être désolé en lui apprenant qu'il ne peut rien pour elle. D'ailleurs, pour une tournure plus exacte, il faudrait probablement dire qu'il ne veut rien pour elle. Bah.
    Thrace reprend sa marche vers la petite masse de Seigneurs Rouges qui se pressent devant l'ouverture qui, elle l'espère, conduit à la surface.
    Il lui reste une sacrée montée à s'appuyer et dans cet état… mais pas question de leur offrir le spectacle avilissant de sa résignation. Elle montera ! Ou mourra en essayant, plus probablement.

    - Jetuk, guide notre championne à la surface. Et tu auras peut-être quelque chose pour elle…

    Là-dessus, Kernal fait volte face et suit son propre chemin. L'ondine trouve alors un soutien inattendu et bienvenu dans le bas que Jetuk lui présente d'une manière discrète et irréalisable pour quelqu'un doté d'articulations normales.

    - N'aies pas l'air de trop t'appuyer dessus, chuchote t-il avec un soupçon de taquinerie à laquelle la cible répond par un grognement pas vraiment encourageant.

    Laissant derrière eux la grande salle et ses occupants, l'ondine et le fomoire marchent pendant un instant silencieux avant que la première ne soit sur le point de s'écrouler et le second de prendre la parole.

    - Thr…
    - Attends il faut que je refasse mon lacet.
    Et blâm, elle lui tombe dans les bras.
    - Vas-y doucement. Il ne t'a pas ménagée… Tiens attends.

    Jetuk replie son bras, puis le replie encore et s'entaille le triceps de l'ongle. En lieu et place du sang que l'on s'attendrait à voir couler, c'est un liquide bleu curieusement épais qui suinte de la coupure.

    - Colle tes lèvres là-dessus et aspire.
    - Mais je…
    - Ne t'en fais pas.

    Thrace n'a pas d'autre choix que d'obtempérer vu qu'il lui plaque d'autorité le bras contre la bouche. L'effet est revigorant en diable ! Enfin si l'on peut dire. Elle se sent nettement plus disposée à crapahuter jusqu'au sommet.

    - Mieux non ?
    - C'est encore un de tes pièges ?
    - Pourquoi faire…
    - Bon.

    Ils repartent à vive allure.
    Pendant le trajet, Jetuk lui explique qu'en son absence, Kernal est parvenu à surmonter la force belliqueuse de ce balourd de Basal. Le combat épique qu'il lui relate donne à penser à son interlocutrice qu'affronter l'écorché en combat singulier n'était pas la plus fine idée qu'elle ait eue.
    A son tour, tout autant pour rendre la politesse et pour occuper le temps, elle raconte sa brève expérience des profondeurs, omettant cependant la plupart des passages clés pour se limiter à la description des lieux… c'est-à-dire pas grand-chose en somme. De toute façon, aussi stimulée qu'elle soit, Thrace est toujours blessée et consacre la majeure partie de son énergie à repousser la douleur dans un coin de son esprit.
    Ce n'est que lorsqu'ils arrivent en haut que Jetuk axe la conversation sur un terrain plus intéressant. La douce chaleur qui envahit peu à peu les membres gourds de l'ondine lui est aussi agréable qu'elle semble indisposer son guide. Elle se sent plus calme et plus sereine maintenant que le ciel n'est plus très loin. Même si ce n'est pas encore son ciel.


    - Kernal m'a demandé de te donner quelque chose… et j'ai en fait plusieurs choses pour toi.

    Fourrant sa main dans un improbable repli de muscle au niveau de sa cuisse, Jetuk lui présente trois petites fioles. L'une claire et transparente et les deux autres emplies d'un liquide noir et opaque.

    - La première contient de l'eau pure de ton monde. Les secondes… (Il toussote nerveusement) contiennent le poison.
    - Le p… !!
    - Celui qui tuera le germe, coupe t-il pour anticiper.

    Puisqu'ils sont maintenant dans les sous-sols du fort de la forêt, il y a des meubles. Jetuk lui fait signe de s'asseoir un instant sur une chaise à peu près entière. Curiosité piquée au vif est mère d'une courte patience. Thrace obtempère et réprimant déjà au moins une vingtaine de questions.

    - Tu n'auras probablement besoin que d'une dose pour venir à bout de ce que tu appelles la "malédiction" et qui est en réalité un germe devant te métamorphoser en fomoire. Laisse moi t'expliquer comment fonctionnent les choses.

    Jetuk dépose les fioles sur une petite table devant lui et tente de replier sa carcasse dans une chaise avant de renoncer et de rester debout, le dos voûté sous le plafond.

    - Si j'ai tant d'autorité sur les fomoires, c'est parce que je suis leur médecin. C'est moi qui ai mis au point l'opération des cœurs. Mais il y a plus.
    Tu l'as sans doute remarqué, nous sommes asexués. Cela signifie que notre peuple ne peut plus se reproduire… et est condamné à l'extinction. Alors j'ai travaillé sans relâche pendant des années jusqu'à élaborer une substance vivante. Toi et moi ne la verrions que comme un liquide, mais certains de mes assistants disposant d'yeux particulièrement perçants étaient capables d'y déceler des petits mouvements. Alors on a appelé ça des germes.
    - Comme des graines ?
    Il hoche la tête.
    - Les germes ont la capacité particulière de modifier profondément l'organisation du corps, et ce pour n'importe quelle race. Mais évidement, sur des animaux ça ne présente pas beaucoup d'intérêt. Alors…
    - D'accord, d'accord. C'est l'antidote en quelque sorte.
    - Pas un antidote non. C'est vraiment du poison. Une substance violente et nocive qui te collera une belle nausée… qui sait tu en mourras peut-être. Mais à bonne dose, un poison peut devenir un remède.

    Thrace attrape l'une des fioles sombre et la tient un instant devant son regard sombre frangé d'un chatoiement bleuté.

    - Pourquoi ? Kernal n'avait pas l'air…
    - Kernal est notre nouveau maître et il agit comme il se doit. (Jetuk se gratte la tête un moment). En fait je ne sais pas trop ce qu'il insinuait lorsqu'il m'a demandé de t'accompagner. Tu sais, il t'est vraiment redevable pour ce que tu as fait… même si c'était indirect. Sans Basal, les choses sont plus simples.

    C'est au tour de l'ondine de se frotter la nuque. Discuter de sujets sensibles flanque toujours des démangeaisons.


    - Tu penses qu'il voulait me libérer mais qu'il ne pouvait pas le faire devant les autres ?
    - Tu es perspicace. Mais à vrai dire je n'en sais rien. J'ai tenu ce poison secret si longtemps… j'ignore s'il en a eu connaissance. Kernal se révèle étonnement rusé depuis qu'il s'est emparé du pouvoir.
    - Hm je vois.

    Un petit instant de flottement s'en suit. Jetuk commence à se dandiner comme un échalas mal équilibré. L'ondine lui renvoie un regard profond avant de déboucher la fiole et de respirer prudemment son contenu. Une odeur légèrement acre s'en dégage, de quoi froncer les sourcils mais pas plus.

    - Alors que vas-tu faire ?
    - Eh bien, je n'ai tellement d'autre choix que de te faire confiance… mais si je dois rendre mes tripes, je préfère le faire ailleurs.

    L'escogriffe écorché hoche la tête et lui sert une de ces formules rituelles de séparation à laquelle l'ondine rétorque par un haussement d'épaule. La jeune fille empoche les trois fioles et s'étire avant de grimacer sous la morsure de la plaie de sa cuisse. Heureusement, avec cette fiole d'eau, elle pourra la guérir…

    - Avant que je ne parte, dis moi Jetuk… comment as-tu obtenu cette eau ?
    - Je l'ai récupérée quand j'étais humain. Tu as peut-être remarqué que mon nom ne se termine pas comme les autres. Le premier sujet de test du germe, c'était moi.
    - Humain… tu étais humain… Lâche t-elle un peu horrifiée.
    - Les humains ont d'excellentes dispositions pour les sciences. Les fomoires l'ont compris très tôt et m'ont capturé pour que je sois leur guérisseur. Ils maîtrisaient la magie, ça oui, mais certaines afflictions les rendaient impuissants.
    - Mais tu ne…
    - Non je ne regrette pas. Grâce à eux, j'ai pu me consacrer à mon art d'une manière bien plus profonde que si j'étais resté éphémère. (Il relève la tête, comme perdu dans ses pensées). Mais c'était il y a bien longtemps… bien avant Mag Tuired et la chute de notre race. A l'époque l'humanité n'en était qu'aux balbutiements.

    Le démon rouge se détourne et descend les degrés qui conduisent au repaire des profondeurs. Quelques marches plus bas, la moitié de son buste est encore largement visible lorsqu'il se retourne :

    - Celui qui a volé le cœur de Baal. C'est un humain aussi, un nécromancien. Méfies toi. Les humains n'ont aucune disposition naturelle pour la magie, mais ils ont utilisé leur chimie pour créer un art terriblement noir et puissant. De toutes leurs créations, c'est sans nul doute la plus redoutable.

    Thrace sait d'où vient la nécromancie à présent mais elle garde cette information pour elle. Et lorsque les pas de Jetuk finissent de s'évanouir dans les profondeurs, elle pivote sur elle-même et se traîne jusqu'à la première fenêtre qu'elle peut trouver un peu plus haut dans le complexe. D'ici elle peut voir le ciel. Il fait nuit mais l'aube ne saurait tarder si l'on en croit les franges orangées qui mordillent le drap d'encre. La lune est belle ici.
    De longues minutes passent tandis que l'ondine reste là, la tête appuyée contre le cadre de pierre. La jeune fille d'eau relève la tête comme pour s'adresser à l'astre pâle.
    Sa main droite se perd dans sa chevelure, tant pour arranger que pour emmêller ses mèches noires. Et puis il y a ces trois brins d'acier...

    - Mère, combien d'autres abominations as-tu créées ?
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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mardi 20 Avril 2010 à 18:04
    ...
    She matters
    When everything is meaningless

    Fragile
    She doesn't see her beauty
    She tries to get away
    ...

    Il y a une autre chanson dans ce chapitre ! Il s'agit bien sûr de celle que fredonne Thrace qui est une traduction prosaïque du texte original. Celle ou celui qui trouve gagne un livre dédicacé \o/. Donc indice, commencez par retraduire en anglais :]
    2
    Moo Profil de Moo
    Mardi 27 Avril 2010 à 21:54
    Vu qu'Akemi s'est visiblement perdue, je vais - exceptionnellement - prendre sa place. Pas pour un commentaire, je sais pas faire, mais pour formuler une requête en bonne et due forme (je voudrais pas bouleverser les habitudes) :
    La suuuiite ! :P
    3
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mardi 27 Avril 2010 à 23:02
    Ah ah le ton y est y'a rien à jeter Moo :D.

    Diantre c'est vrai que je m'y habitue aux demandes enfiévrées !
    Je suis sur une triple affaire en ce moment alors mes efforts sont un peu divisés mais je ne lâche pas le mors pour autant.

    D'autant que le prochain chapitre sera consacré aux effets  de la résurrection cette fois :]

    (Bon sang déjà une semaine depuis ce chapitre ._.)
    4
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Mercredi 28 Avril 2010 à 16:47
    Ouiiii Moo c'est très bien dit^^.
    Effectivement je me suis perdue au chapitre précédent, j'avais pas compris qu'il ressucitait Sakutei et la bande du coup j'ai pas osé poster de bêtises mais Sak a éclairé ma lanterne blonde et après relecture c'est vrai que c'était quand même bien expliqué. Je sais pas pourquoi j'ai pas compris...

    Par contre Sak pour Elutrine je rame toujours (même si les fils sont démélés). Bon faut que tu postes un autre chapitre pour voir si je trouve (oué je sais c'est fourbe pour avoir la suite mais j'ai trouvé que ça pour faire discret^^).
    5
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Mercredi 28 Avril 2010 à 17:00
    Ouéééééééé fraaaaaaaaaaaagile she doesn't see her beauty fragiiiiile^^ j'adore!!!! Par contre j'ai pas trouvé l'autre caché.
    Pi je voulais dire que ce qu'est devenu Kernal est super. Il est très digne et depuis qu'il est chef des formoires il prend une noblesse qui me plait beaucoup. Son échange avec Thrace est tout à la fois empli de force et de respect, enfin j'ai adoré ce chapitre.^^
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    6
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mercredi 28 Avril 2010 à 22:50
    o// Merci pour la ruée de com' subite ! \\o
    L'autre chanson en fait c'est un peu tordu, j'ai fait un peu à ma sauce pour que ça colle avec ce que je voulais faire dire à Thrace, bref j'ai un peu déformé le texte original.

    Il s'agit de Saturnine de The Gathering (le clip de The Test des Chemicals n'a rien à voir mais le son est mieux) . J'adore cette musique, pis la voix quoi... la voix *.*

    Quand à Elutrine, alors je ne dis rien :D.
    Tout sera expliqué dans le chapitre 37 en cours de griffonnage.

    (Raaah mais nan, il nous refait le coup des incompréhensions foireuses).
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