• Chapitre 62 : Le Festin de Mara : Le passage poisseux de la poiscaille.

    Le façonnage d'artefacts de puissance est une des trois disciplines perdues de la nécromancie. Il fût un temps où les sorciers noirs étaient capables d'utiliser la puissance des esprits déchus pour enchanter des objets. Et puis, pour une raison encore ignorée, ce savoir a disparu avec le dernier d'entre eux : le Disciple Cajaxo.
    Il reste néanmoins quelques objets disséminés dans la nature, souvent ignorés de tous. Certains s'en servent pour accomplir des travaux dans les champs et d'autres se trouvent des propriétaires inattendus.

    La Geste du Delta de Sérénité par Lysandre Sergine.

    Les yeux fermés, enkysté de noir, enivré de bruit, emprisonné de sensations brutales, tout me semble plus dangereux. C'est idiot de se reposer autant sur sa vue quand il y a quatre autres sens à disposition… mais je n'ai, de toute façon, pas vraiment le loisir de me pencher sur la question.

    D'infimes démangeaisons naissent à la pulpe de mes doigts. Je ressens les prémices d'une quelconque magie avant même d'avoir cheminé le long du raidillon étroit qui serpente entre mes incertitudes et mes théories foutraques. Je m'y attendais un peu à vrai dire. Et puis depuis le temps qu'on s'amuse à me fourrer la tête dans le bac aux expériences de chimie amusante… Seulement maintenant je n'ai plus envie de me laisser surprendre, la gueule béante et les crocs frétillant d'étonnement. Je vois les choses différemment. Bon en fait je ne vois rien du tout. Mais je sais que j'ai acquis une nouvelle manière d'appréhender les forces qui m'entourent. C'est l'apanage des faibles comme moi, que d'identifier avec certitude les toiles mortelles qui chercheraient à me capturer. Et puis, d'un mouvement rapide des serres, de les déchirer pour mieux sauter à la gorge de leur tisseur.

    Hmm. Crocs ? Serres ? Sauter à la gorge ? La bête. Je constate qu'Elutrine tient toujours autant à participer à mes pensées et c'est assez dérangeant. Nos personnalités sont pour ainsi dire, diamétralement opposées.

    Je soupire. Un vent marin s'invite dans mes cheveux. Un goût salé sur la langue. Des embruns sur la peau. Bien, nous y voilà. J'ouvre les yeux sans pour autant les ouvrir. C'est évidement un jeu d'illusion. A force d'en côtoyer, on s'en blase. C'est comme de se faire transpercer par une lame… une fois qu'on s'en prend une, on les a toutes connues.

    Je suis debout au bord d'un rivage battu par des vagues tranquilles. Du sable gris sous les bottes et un ciel plombé au-dessus de la tête. Quelques cris perçants dans le lointain et la plainte persistante d'un animal géant noyé quelque part dans ce paysage dentelé de falaises rongées.
    Je tourne sur moi-même, ma main droite claque machinalement sur le pommeau de l'épée-goutte. Je reconnais l'endroit. C'est ici que j'ai rencontré Thrace pour la première fois. Enfin pas tout à fait mais ça y ressemble assez pour me pincer le cœur. Seulement cette fois, en lieu et place de la tueuse louvoyante se tient une autre jeune femme d'une allure beaucoup plus anodine. Assise à même le sol, elle retourne un morceau de coquillage entre ses doigts. Quelques mèches dans les yeux, le visage rond et des sourcils épais qui pour le moment sont inexpressivement horizontaux.

    - Tu es… la Gardienne.

    Elle sursaute subitement, comme si elle me découvrait dans son dos. Puis elle se passe une main dans les cheveux et me regarde fixement. Ses yeux sombres me piquent immédiatement dans le fond du crâne.

    - Pas vraiment ce à quoi tu t'attendais n'est-ce pas ?
    - A vrai dire je suis plutôt curieux de savoir pourquoi je sais que tu es la Gardienne…

    Elle secoue la tête, sous-entendant probablement que je ne comprendrai pas la réponse. Mais elle m'en donne quand même un aperçu.

    - C'est parce que je suis le principe vital. Personne ne peut ignorer mon existence. Quand j'arbore cette cuirasse d'effroi et de terreur, je ne fais que déployer les attributs de ma fonction. En fin de compte, tu me vois telle que j'étais lorsque j'étais une jeune thuadène mais ça ne veut pas dire grand chose. Maintenant, les notions telles que l'apparence, le sexe, les visages… tout ça n'a aucune signification pour moi. Ma tête est garnie de cors et mes pieds laissent des empruntes de sabots. Je foisonne du matin au soir et je frissonne du soir au matin.
    - Alors tu as…
    - Ça n'a aucune importance. Je ne me montre jamais sous ces traits. Je ne le fais que lorsque j'ai besoin d'être tranquille. Ou bien pour éviter les effets indésirables. Il arrive que ma puissance toute naturelle détraque les esprits. Et ce n'est pas mon but que de semer la folie. Sous ce visage, telle que tu me vois, je dois te sembler plus accessible. Moins occroissante.
    - Occroiquoi ?
    Elle souffle pour déloger une mèche qui s'est rabattue dans sa frimousse piquetée de tâches de rousseur.
    - Occroissante. L'oppression que l'on ressent en présence d'une croissance gigantesque. Si tu veux retenir quelque chose de moi…

    Elle lâche le coquillage dans le sable et plaque sa main dessus comme pour l'enfouir. J'ai un curieux mouvement des lèvres, dubitativement paumé. J'écarte les mains avec impuissance.

    - D'accord. Mais qu'est ce que je fais là au final ? Je doute qu'un insignifiant comme moi ait un quelconque intérêt à vos yeux…
    - Ça ne se voit pas ? Je suis en train de t'instruire. Bientôt, il va y avoir une Succession. Je vais m'effacer pour laisser la place au nouveau Dagda. Donc (elle claque la langue), pour faire simple, je te laisse mes connaissances.
    - Ha ?
    - Pas tout. Bien sûr. Mais il paraît que tu cherches à détruire la nécromancie. Je peux t'enseigner comment. (Elle sourit faiblement, tristement même, me semble t-il). Détruire la nécromancie, perdre les nécromanciens. Puisqu'ils ont été les instigateurs de notre perte, ça sera une sorte de revanche tardive…

    Je fais ma tête de "celui qu'on vient de catapulter à un place qu'il ne souhaitait pas occuper". Je n'ai jamais dit que je voulais détruire la nécromancie. Je veux juste me débarrasser des menaces de mort qui pèsent sur ma nuque. Très personnel comme démarche… je ferai aussi bien de garder ça pour moi.

     

    ***



    Certains le pigent plus vite que d'autres, le démon biscornu est en train de faire une invocation ! Il y a déjà assez d'horreur sur ce champ de bataille pour ne pas en rajouter ! Alors, d'un tacite arrangement, elfes et humains redoublent d'acharnement. Pour le moment plus personne ne se préoccupe de savoir qui est ami ou ennemi, le mot d'ordre semble être de trucider cette abomination avant toute chose !

    Jetuk pisse le sang par des dizaines de plaies. Le bas de sa mâchoire à moitié arrachée pendouille au bout d'un tortillon de nerfs et de tendons à vifs. Vu le massacre, on ne saurait dire s'il grimace mais il ne tressaille pas. Il se laisse tailler en pièces sans bouger. Juste concentré sur la forme mouvante qui palpite devant ses yeux.

    Thrace gagne encore en consistance. Après la main, vient le bras. Un avant bras nu, découvert à partir de son gant évasé. Les muscles sont déjà bandés. Puis le biceps, autour duquel s'enroule maintenant une fine lanière de cuir. Ensuite l'épaule. La reformation progresse vite. Son visage à moitié masqué est maintenant à moitié visible. De que qu'ils peuvent en voir, elle serre déjà les dents. Son regard aquatique déborde largement des fentes oculaires, des volutes s'en échappent, naissent et meurent comme des flammes liquides.
    Puis la silhouette se condense, sinueuse et énergique. Son armure semble encore différente. Plus ajustée au niveau de la taille et plus large au niveau des épaules, elle laisse son ventre à nu, déjà creusé par une respiration haletante. L'ondine apparaît voûtée un genou à terre mais les bras déjà levés devant sa poitrine.
    Alors que les énergies convergent avec plus de vigueur, l'ondine semble aux prises avec une force démentielle. Elle lutte pied à pied pour forcer son incarnation. Elle tremble. Ongle contre fluide. Elle gagne du terrain. Ses épaules se soulèvent et s'abaissent à un rythme de plus en plus saccadé. Une robuste ceinture lui entoure les reins. Des plaques crénelées apparaissent sur ses cuisses musclées. Des plaques d'acier. Ses jambes restent découvertes à partir du genou. Et puis vient une paire de bottes montantes, lacées au mollet. Encore un peu… encore un peu…

    Les épées tombent. Certains tentent de l'attaquer mais elle n'est pas encore assez tangible. L'ombre d'une lanière de cuir lui tombe du bras gauche. Une sangle.

    - C'est l'ondine ! C'est l'ondine !

    Côté humains, une acclamation accompagne l'excalamation. Mince, ils se sont gourrés, il ne fallait pas attaquer l'invocation ! Thrace est maintenant impatiente. Elle souffle comme une bête sauvage prête à bondir, séparée de sa proie par les barreaux invisibles d'une cage qui pourrait céder d'un instant à l'autre. Juste derrière elle, la charpie de Jetuk s'avachit un peu plus. Il oscille un moment comme un tronc mal équarri et tombe finalement face dans la boue sanguinolente. Thrace module un feulement de rage en retroussant les lèvres. Son masque n'a pas changé d'apparence, toujours aussi raffiné, couvrant seulement la moitié supérieure de son visage et ouvragé en pointes aux extrémités. Autour, on se prépare, on flaire l'inévitable. La furie brune va revenir !

    Elle est maintenant presque intégralement recomposée mais il manque encore la pièce maîtresse, le parachèvement tranchant. L'instrument de sa musique.
    Et justement, une note aigue perce… une lueur blessante monte d'entre ses doigts, tout ce qui reste de moutonnement vaporeux se fait subitement absorber par sa main droite. Dans un chuintement glacé, l'eau se durcit dans sa paume.

    Renonçant à s'acharner sur les restes du fomoire défait, les elfes se rassemblent et les hommes reculent. Rien ne peut empêcher le retour de la tueuse noire maintenant.
    Dans sa main droite, ça ressemble d'abord à un petit bâton. Une baguette. Ça grandit encore. Une poignée sculptée. Des lames poussent de chaque côté et s'effilent jusqu'aux extrémités. Quelques dentelures affleurent sur les rebords opposés. La main droite de Thrace tremble de plus en plus violement. Sa chevelure ne comporte pas ses trois mèches d'acier mais ses écailles ne sont pas visibles non plus. Il se passe quelque chose de nouveau Acier.

    - C'est pour bientôt, tenez vous prêts, lâche un meneur thuadène, les dents serrées. Il rajuste son bouclier. Les lames s'abaissent en arrêt. Protégés derrière leurs boucliers ronds, ils attendent. Prêts à charger.

    De leur côté, les soldats humains restent circonspects. Plus trouillards mais aussi moins menacés ; l'ondine leur tourne le dos. Et puis, elle est approximativement de leur bord non ? Des vagues froides s'écrasent autour de la tueuse en cristallisation. Les guerriers reculent presque involontairement. Il y a comme un blizzard hurlant dans ce déchaînement tempestaire.

    Et soudainement, l'apocalypse : Thrace sourit. Sa double lame se termine brutalement lorsque deux faux d'acier claquent aux extrémités. Une dans chaque sens. Une arme de glace et de métal dont chaque centimètre est une menace à partir de la poignée, et ce dans n'importe quel sens.

    Buste incliné, l'ondine détend ses jambes avec souplesse, puis elle se redresse totalement avec une fierté et une féminité arrogante. Sa tenue est notablement plus sensuelle que la précédente… et son ustensile de guerre autrement plus mortel. Magnifique tueuse aux cheveux aile de corbeau, dommage que son sourire soit amputé des canines…

     

    ***



    Les cavaliers éventrent totalement la tentative de formation des thuadènes. Le choc de grappes de corps projetés en arrière sans cérémonie, des morceaux voltigent. Luk baisse la tête et se couvre d'un bras. Une forme obscurcit momentanément le soleil. Un chevalier noir passe à portée, son épée jaillit et trouve les jarrets de la monture caparaçonnée. Il cisaille d'un mouvement sec, compense une bourrade d'un coup d'épaule et se relève au moment où le destrier s'effondre en bavant de douleur sur ses antérieurs déchirés. Son cavalier parvient à sauter à terre avant même que Luk n'arrive au contact. Ces gars là sont d'une autre trempe que les précédents !
    Il lui tombe sur le râble, pare son épée trop longue et lui claque le heaume contre son propre pectoral. Un coup de pied bien placé. Il lui déboîte la rotule, bloque le poignet et l'envoie à terre d'un coup de pommeau dans la tête. Il lui revient dessus mais se fait projeter sur le côté par une bousculade. Une lame tinte sur son casque. Il grogne, se dégage et relève un thuadène mal en point.
    Une épée passe sur le côté, il réagit en un éclair. Une giclée sur son avant bras, une tête roule. Des grondements teigneux montent de derrière un amas de corps. Luk se tend, il pressent qu'une autre menace lui fonce droit dessus. Mais pour le moment, il cherche quelqu'un des yeux. Le tumulte de la formation éclatée, les chevaliers noirs dispersés dans ses rangs… mais où est Bjorn ?!

    Il cherche des yeux la stature blonde et indomptable du nordique mais il y a maintenant trop de confusion. Impossible de s'y retrouver. Et il faut continuer à se battre. Luk dégaine sa seconde épée et rentre la tête dans les épaules lorsqu'une lame lui frôle le cimier. Il se relève d'un coup, bondit en croupe d'un chevalier noir et lui enfonce ses deux épées dans les reins, juste dans le défaut de la cuirasse. L'homme braille sa douleur, se cambre inutilement en arrière et finit par se laisser désarçonner pour sa perte.

    - LUK LE MARCHEUR DES CIEUX !

    Le grondement est nettement plus lourd maintenant. Les syllabes sont projetées avec une force de rancœur plutôt impressionnante. De sa position momentanément privilégiée, le thuadène peut voir venir l'énorme masse rouge qui taille au jus avec une ardeur vive écarlate pour le rejoindre. Il y a dans cette avancée irrépressible une colère et une haine farouche.

    - Foutu fomoire… lâche t-il entre ses dents sous son heaume cornu.

    Puis il tourne la tête. La charge est passée en diagonale, Bjorn s'est fait emporter dans le mouvement. Il doit le rejoindre et réorganiser les troupes. Sans l'aide stabilisante de l'anterserk, il n'a aucune chance de tenir une position.

    - LUK !!

    La bête feule et se rapproche encore. Il est repéré. D'un signe de connivence pour lui-même, l'intéressé saute à terre et se fond à nouveau dans la masse. Il n'a pas le temps de se battre avec un fomoire maintenant ! Il doit rallier Bjorn. C'est un moment crucial.
    Jouant des épaules, des coudes, des lames et de ruades improvisées, le capitaine parvient à se frayer un chemin dans le sillon de mort laissé par les chevaliers noirs du Delta.
    Alors qu'il passe à côté d'un affrontement en règle et assiste à un duel acharné entre deux guerriers, l'un noir et l'autre cuirassé de bronze, il se fait la réflexion qu'il y a quelque chose d'étrange dans la manière qu'ont ces cavaliers de manier leurs épées lourdes. Un style tellement différent qu'il saute au visage même lorsqu'on est soi-même occupé à faire sauter quelques mâchoires. Etrange… et démodé. De grossiers coups de taille qui ne sont efficaces que lorsqu'ils sont portés dans le galop effréné d'un cheval.
    Il passe sur le côté, pare une pique épique et s'enfonce dans une poitrine chagrine. Hors d'haleine, il reprend son souffle le temps de punir un autre humain en deux mouvements secs. Il avance. Bjorn est devant. Il distingue presque sa barbe chahutée maintenant. Et il n'est pas seul.

    - MARCHEUR DES CIEUX ! TOURNE TOI OU MEURS EN LACHE !

    Un fouet claque autour de son bras gauche, il sursaute. Merde ! Le fomoire l'a rejoint ! Luk le voit s'écraser au sol dans un battement d'ailes orageux. Il sectionne le lien de chair qui l'emprisonne, pivote et recule d'un bond, lames en parades.
    La créature difforme pointe une vilaine épée. Les parties qui ne sont pas rougies de sang sont blanches comme de l'os.

    - Fous moi la paix ! Je n'ai pas de temps à te consacrer, déchu !
    - Ah vraiment ?

    Il lui fonce dessus. Luk encaisse le bouclier de plein fouet. Il prend appui dans la boue collante, roule sur l'arête tranchante de cet écu et surgit sur le côté. Son épée d'argent se fait intercepter par une lame courbe. Le démon abaisse, le force à ouvrir sa garde et déroule son quatrième bras dans un mouvement horizontal. Le thuadène recule le torse de justesse, la pointe de l'épée crisse sur son pectoral dans une gerbe d'étincelles orange. Il tousse. Quelques uns de ses frères et sœurs se portent à sa rescousse. Le gros fomoire en déloge la plupart d'un battement d'ailes colérique et se permet même d'en décapiter deux d'un coup de faucille.

    - RECULEZ ! C'est un duel entre moi et votre capitaine !
    - Jamais de la vie ! Taillez moi ce salopard en pièces !

    C'est de la folie. Il n'a ni le temps ni l'envie de se lancer dans un duel hasardeux avec ce gros écorché vengeur. Ce n'est pas le moment ! Luk tente à nouveau de se dérober mais le fomoire parvient encore à l'intercepter. Cette fois il écope d'une plaie sur la cuisse et tombe en arrière.
    Le fomoire fait claquer sa langue et écarte les importuns à grands moulinets sifflants. Sa colère enfle au point d'en devenir perceptible dans la contraction nerveuse de ses pectoraux à vif.

    - BATS TOI !

    C'en est trop pour le Semeur de Chaos. On ne met pas à terre le capitaine des thuadènes sans conséquence. Il se relève rapidement et fait tinter ses deux épées l'une contre l'autre pour se stimuler.

    - Mais qui es-tu espèce d'acharné déchaîné ?!

    Pour répondre, le gros fomoire se déploie sur toute sa hauteur, écartant ses quatre bras, dépliant ses ailes membraneuses et poussant un cri qui doit sans doute s'entendre sur tout le champ de bataille.

    - JE SUIS KERNAL ! LE ROI DES FOMOIRES !
    - Formidable… tu auras l'air beaucoup moins royal avec quelques crocs en moins.

    Le fomoire est évidemment puissant, mais il est aussi rapide. L'attaque pourtant fulgurante du Semeur de Chaos se fait contrer sans effort par l'épée d'os. Il contourne l'obstacle mais se confronte alors à la faucille, puis au bouclier. Et pour finir, le fouet le déséquilibre.
    Empêtré aux mollets, il se trouve dans une position où il ne peut plus utiliser sa mobilité. Le dénommé Kernal le domine de toute sa hauteur mais le thuadène fondu dans les ombres de son casque de mort ne se laisser pas impressionner. Il lève les deux bras et bloque les lames. Il convoque alors d'avantage d'ombres autour de son bras droit. L'aura le dévore momentanément et il se dérobe au regard de la créature furieuse pour mieux reparaître dans son dos.

    Il frappe, sa lame ricoche sur un os. Kernal se retourne, lui inflige une riposte sévère. L'épée manque de lui glisser des doigts. Il se reprend, touche terre un court instant, juste le temps de se relancer et l'attaque de front cette fois.
    Conformément aux usages, aucun autre guerrier ne s'interpose dans ce combat de chefs. Une sorte d'arène s'est spontanément formée, isolant les deux combattants au sein de la mêlée rageuse.

    Luk se déplace à petits pas rapides pendant que l'autre écrase simplement de grosses mottes sous ses pattes griffues. Leurs armes s'entrechoquent durement, il s'esquivent, se surprennent, taillent, contretaillent, piquent d'estoc ou cisaillent en oblique. Mais ces premiers échanges ne servent qu'à se jauger mutuellement. Ils ne savent l'un et l'autre. Le vrai combat commence après.
    Luk recule encore d'un pas. Son regard s'écarte un bref instant comme pour vérifier quelque chose dans son dos. Punition immédiatement, il se voit en position de faiblesse pour parer l'épée de son adversaire. Ce fou furieux lui assène des coups brutaux qu'il ressent jusque dans les genoux. L'aura de terreur noire conférée par le Gardien l'enveloppe encore dans un chuintement. Il disparaît, émerge des ombres par le côté et disparaît de nouveau aussi sec.
    Le fomoire peut sans doute contrôler tous les angles à la fois mais il a quand même besoin de deux bras pour parer deux lames. Surtout quand elles sont maniées par un combattant aguerri. Et pourtant, quand le Semeur surgit dans un éclat de noirceur évaporée, ses deux épées se font détourner par les mouvements improbables du démon.
    Qu'il parvienne à se déboîter les articulations pour faciliter ses mouvements ou qu'il soit déjà en position par avance, Kernal parvient toujours à éviter les dégâts que pourraient lui infliger l'argent et l'acier du thuadène.

    - Cette technique ne te mènera nulle part, augure t-il sombrement. Si tu veux m'affronter fais le en vrai guerrier ! Pas en faux-fuyants indignes !

    Luk ricane. Il se présente de face, lève le bras gauche à l'horizontale et tient son épée à l'envers, pointée vers le bas.

    - Je voulais m'assurer de quelque chose. Et comme je le pensais…

    Il lâche son épée d'argent qui se plante de travers en terre.

    - Je n'aurais pas besoin de ça pour en finir.

    La pique porte, le fomoire rugit et tente de le surprendre. Ils sont si faciles à provoquer quand ils se croient investis d'une revanche sacrée. Luk esquive d'un pas de côté, puis d'un autre, puis encore. Mais il ramasse quand même le bouclier dans le ventre. Par la tranche. Estomaqué, il relève son épée noire, l'attrape à deux mains et se plie en deux pour charger tête baissée.
    Contre toute attente, au dernier moment, il se dérobe d'une roulade et passe juste à côté de son ennemi qui massacre le sol en cherchant à le faucher dans le mouvement. Avec la l'aura de terreur, il est plus rapide. Plus imprévisible. Plus chaotique. Luk recule, il s'éloigne toujours plus vers les bords de cette arène improvisée qui s'ouvre devant lui. Le démon bondit et lui tombe sur les talons.
    Le thuadène se retourne pour enchaîner un triple coup furieux. Ses mouvements flous produisent des sons étranges. Des chuintements, des grincements, comme une carcasse métallique peuplée de petites choses à fourrure en train de s'affairer. C'est sans doute assez perturbant pour que Kernal ne regard pas au bon endroit au bon moment. Luk feinte sur la droite, attrape le fouet à main nue, tire d'un coup sec et passe sous la garde de son adversaire.
    Son épée glisse le long de son flanc. C'est le moment ! Il pique vers le bas et transperce l'entrelacement de cartilages et de muscles noueux. Le fomoire rugit à nouveau. Luk s'enfonce encore, il lui cloue le pied au sol. Il laisse là son épée noire, bondit en arrière et, mains dans le dos, attrape deux javelots abandonnés par leurs défunts propriétaires. Kernal lève son bouclier, ses bras armés se relèvent comme autant de membres arachnéens porteurs de mort.

    - STUPIDE !

    Passant dans les ombres, Luk surgit sur son épée noire et détend les deux bras de chaque côté. Cette fois il lui épingle les deux pieds ! Les deux javelots mordent et s'enfonce assez profondément pour entraver le fomoire un moment. C'est fait. Il referme la main sur son épée, serre la poignée et relève la tête au moment où Kernal s'apprête à le trucider pour la peine.

    - Adieu, petit roitelet…

    Et là-dessus, il disparaît.

     

    ***



    Je reprends contact avec la réalité au moment où la gardienne décide qu'elle ne peut plus me consacrer de temps. J'ouvre les yeux sur le champ de bataille affolant qui gronde toujours dans la plaine.
    Il y a des bataillons humains, des formations elfiques, des formes rouges, des mouvements brutaux. Et pas très loin, une agitation frénétique. Des éclats bleutés et des cris assez déchirants pour dresser les poils sur les avant-bras.

    Le Gardien, éternel vigilant, émet une sorte de long brame et enserre son gros gourdin à deux mains. Il ne reste plus assez de thuadènes pour empêcher les humains d'arriver au contact et on se bat déjà sur le pourtour des pierres !
    Je remarque alors qu'une partie des mains disponibles ne s'affairent pas à enserrer des instruments de mort mais juste à tirer les blessés et les cadavres hors du combat, pour les aligner dans le périmètre des pierres.
    Je pourrais comprendre s'il y avait des soigneurs mais apparemment, ils se contentent de les entreposer là. Laissant leurs râles et leurs plaintes se répandre lentement comme un poison démoralisant. Plusieurs d'entre eux ont déjà succombé à leurs plaies dans l'indifférence générale. A quoi ça rime ?
    Quand j'essaie de poser la question, on me répond courtoisement de la boucler. Mon rôle consiste à protéger le Dagda, point. C'est le terme du pacte que j'ai passé avec le druide. Je fais la moue mais je n'ai pas vraiment le choix.
    Ce qui m'ennuie un peu, c'est que je ne vois pas vraiment comme je vais faire pour empêcher une armée complètement de venir écharper ce tronc majestueux et… pour reprendre les terme du Gardien, occroissant. En contrepartie, ce qui me rassure, c'est que je ne vois pas non plus comment cette armée, aussi hargneuse soit-elle, pourra réunir assez de force pour tuer une entité aussi vivante. Au final je ne sers à rien.

    Alors j'en profite pour ressasser les dernières paroles du Cerf-Chêne environné de terreur.

    - La nécromancie a été inventée par les humains. C'est donc un humain qui devra la détruire. Avec le temps, les adeptes se sont multipliés, mais ils ne sont pas si nombreux. Bien sûr, il y a pas mal de disciples mais ils n'ont pas de véritable pouvoir. Les seules menaces tangibles sont les maîtres des neufs disciplines de la nécromancie. Neuf personnes que tu devras tuer pour tarir leur savoir.
    - Ça ne me paraît pas évident dit comme ça…
    - Tu dois savoir que les nécromanciens révèrent Mara, la déesse de la mort, comme leur mère. Ils prétendent que c'est d'elle qu'ils tiennent leurs pouvoirs. Mais bien sûr, il n'en est rien. Une déesse est une déesse. Juste une croyance. Pas une entité vivante.
    - Ah… ah ?
    - Regarde moi qui suis bien tangible. Me donnerais-tu le statut de divinité ? Non, ou alors tu aurais tort de le faire. C'est la comparaison qui pousse les humains à nous croire de nature divine mais nous ne sommes que des créatures mortelles. Pas des idées.
    - Sacrément persistants pour des mortels !
    - Nous vivons assez longtemps… mais à notre âge d'or, il existait une autre race. Les fomoires étaient pour nous ce que nous sommes pour vous.
    - Bon. Mais quel rapport avec la nécromancie ?
    - Ce que je veux te faire comprendre, c'est que la nécromancie a été créée par un humain qui s'est compromis suffisamment avec les fomoires pour en dérober la longévité. Un simple humain. On l'appelle Hidelmark. C'est lui qui a tout inventé. Conçu. Il est le Grand Maître. S'il meurt, la nécromancie disparaît. Les neuf maîtres seront sans force et alors tu pourras en finir facilement.

    A ce stade, je me suis senti perturbé. Hidelmark n'est nulle autre que le type que j'ai tenté de tuer dans la tente du toubib. Celui qui a altéré la substance d'Elutrine sans même la toucher… je suis inquiet. Ce type est redoutable. Et s'il était vraiment aussi puissant que ça ? Assez fort pour contrôler tout ce pouvoir maudit. Les nécromanciens sont joueurs… Pourtant des détails ne collent pas. Et maintenant que ça me revient, un doute m'assaille. S'il est si fort, pourquoi n'a-t-il pas pu contrôler Elutrine mieux que ça ? Encore un jeu ?

    Pendant que je réfléchis, la svelte aveugle rouquine avec qui j'ai pu passer un moment assez sucré me rejoint avec un gobelet d'eau fraîche. Miyanne je crois.

    - Tu devrais boire maintenant. La suite risque d'être mouvementée.
    - Mais l'elfe shot ?
    - Quoi ?
    - On dit qu'une maladie affecte les humains qui consomment un produit du Sidh.
    - Oh ça. C'est à toi de voir alors.

    Elle me laisse le gobelet entre les mains et s'apprête à repartir mais je la retiens d'un regard. Je m'égare d'ailleurs un peu dans ce regard. Elle est quand même bien balancée…

    - Dis moi, je peux te poser une question à propos de la nécromancie ?

    Elle se passe la main dans son abondante chevelure automnale et soupire.

    - Oulah, c'est loin d'être ma spécialité mais dis toujours.
    - Est-ce que leurs pouvoirs viennent vraiment d'un seul et unique créateur ? Est-ce qu'il suffit de tuer le Grand Maître Hidelmark pour s'en débarrasser ?

    Elle reste interdite un court instant. Comme saisie de stupeur. Je crains d'avoir révélé un secret mais je suis un peu paumé.

    - Hidelmark… c'est le Gardien qui t'as dit ça ?
    Je remâche ma réponse.
    - Oui…
    - Alors je suppose que c'est la vérité ! Qu'est ce qui te chagrine ?
    - Je ne sais pas, juste une impression désagréable. Ça paraît trop simple. Et très frustrant. Le Gardien ne se trompe jamais ?
    Elle confirme d'un hochement de tête décidé.
    - Jamais.

     

    ***



    - Hidelmaaaaarck, c'est moi.

    Le baron barbu se fige dans son geste. Depuis quelques heures, réfugié dans son pavillon et isolé de tout, il tente de faire abstraction de l'agitation qui couve dehors pour se plonger dans une opération apparemment assez sanguinolente.
    Mais en entendant ce timbre caractéristique où se mêlent audace joueuse et sarcasme rieur, il se pétrifie littéralement. Ses yeux trahissent une sensation qu'on ne s'attendrait pas à trouver chez un homme aussi robuste et déterminé. Sa main se prend d'un très perceptible frémissement. Il a peur. Non, il est terrifié.

    - Mélanargie… attends… non.

    Dans son dos, une femme s'avance dans un froufrou de jupes. Elle n'a ni grâce, ni élégance. Juste la prestance vulgaire d'une prostituée.

    - J'ai entendu dire des choses horribles sur le baron de Mordaigle. Il paraît que c'est une gagneuse qui a répandu la rumeur. Je me suis dit que ça serait justifié de te tuer avec l'une d'entre elle. Tu ne trouves pas ça d'une géniale ironie ?

    Hidelmark se retourne, glacé. Sa poitrine est ouverte béante. D'étranges fils en sortent, des pinces tâchées et des ficelles entortillées. La prostituée manipulée par Mélanargie fait une moue d'adolescente.

    - Encore en train de ranimer ton cœur de secours hein. Cette fois on dirait que c'est trop tard.
    - On peut négocier, je me soumettrai !
    - Ah ah ah ! Ah ah ah ! Je n'en reviens pas d'entendre ça de quelqu'un qui est mon aîné  de beaucoup trop de décennies ! Ah ah ah !

    Elle rit à s'en tirer des larmes et va jusqu'à s'affaler dans un fauteuil, secouée de la tête aux pieds par un fou rire irrépressible. Le baron pense y trouver sa chance, il l'attaque aussi sec. Un couperet tiré de son étal, il fonce et frappe dans l'angle du cou. Sa lame déchire la chair, craque les os et désolidarise les vertèbres. Il tranche net la tête de cette pute irrévérencieuse et s'apprête à la démembrer lorsqu'elle lui bloque le bras d'une main incroyablement dure.
    Il se passe un moment de flottement pendant lequel Mélanargie, muette par la force des choses, s'applique d'abord à casser le bras du baron en trois, puis à tordre le couperet de métal entre ses doigts sans effort apparent. Puis elle ramasse sa tête et la replace comme un couvre chef. Par un jeu de recollage de canaux en théorie impossible, elle recouvre la parole sans aucune difficulté apparente.

    - Tsss… regarde ce que tu as fait. Ah. Au fait, j'ai une mauvaise nouvelle. Cette fille n'est pas une de mes pantins habituels. C'est une de ma cuvée année 543. Je la conservais précisément pour ce genre d'usage. Je l'ai modifiée… enfin tu auras sans doute remarqué deux trois choses. Elle a du suc d'hexamidine dans les veines et ses os sont renforcés de treille métallique. Si j'avais pu approcher le Gardien avec ça, ça serait terminé depuis longtemps. Malheureusement, les liens d'ossements ne tiennent pas le coup en sa présence. Trop de vitalité.
    - Tu es folle ! Tu ne vas quand même pas me tuer ! Tu ne peux pas faire ça !
    - Ah Hidel-Ridelle-de-Chariot, Tu as toujours été un professeur assommant. Le genre à décorner les bœufs d'ennui avant de faire rouiller la charrue. Ton cours était le plus long, le plus exagérément pontifiant... et pour tout te dire, je détestais tes travaux pratiques inutilement cruels. Seulement cette fois, tu t'es engagé dans un jeu jusqu'à la nuque. Et j'ai une autre mauvaise nouvelle pour toi : j'ai déjà gagné.
    - Mélanargie !!
    - Bon ça va, arrête de répéter mon prénom. Tu vas très calmement t'asseoir dans ton siège et m'écouter savourer ma victoire. Ensuite tu me supplieras encore un peu et puis on en finira. Qu'est ce que tu en penses ?
    - Tu n'auras jamais les faveurs de Mara !

    La fille de joie sourit lugubrement.

    - Mais c'est déjà fait mon cher et ô combien barbant professeur. Nous avons tous utilisés nos pantins à notre manière pour tenter de s'attirer les faveurs de la Déesse Noire mais ce sont les miens qui sont arrivés. Pas ton Javel que j'ai détourné de son usage. Pas plus que ce fou d'Aanon qui pense qu'il peut manipuler le duc de Sérénité. Moi j'ai joué plus modestement et j'ai trouvé le couple idéal. Une fille plus hargneuse qu'une grêle d'automne et un homme plus déterminé à survivre qu'un rongeur dans un champ de blé. A eux deux, ils sont en train de réunir toutes les conditions pour tuer le Gardien. Et alors, tu sais ce que ça signifie n'est-ce pas ? Mara reviendra au moment précis où le Dadga va expirer.
    - Tu divagues. Tu n'y arriveras pas. Personne ne le peut. Mais si nous unissons nos forces…
    - Mouarf. Laisse tomber d'accord ? Tout est pratiquement prêt. J'attends juste le bon moment pour agir. En ce moment, le Gardien est en train de révéler des secrets à l'un de mes pions. Secrets que je vais ensuite récupérer.
    - Comment le sais-tu ?!

    Elle rit encore de bon cœur, fait étrange du coup, à chaque fois qu'elle secoue les épaules sa tête se détache légèrement ce qui coupe les cordes vocales et interrompt le son mouillé sur une note discordante. Puis elle se remet en place et recommence. C'est de pire en pire.

    - Mais voyons Hidelmark. Je suis Mélanargie ! Je suis sur place depuis pratiquement le début ! Seule une lieuse d'ossement de ma catégorie peut-être partout à la fois ! Tiens, tu veux que je t'en raconte une bonne : le Gardien pense que tu es le créateur de la nécromancie. Il pense que si tu meurs, notre Art va s'étioler et disparaître. C'est marrant hein, comme une opération de double-cœur peut laisser penser que tu es immortel. Les gens pensent que tu es beaucoup plus puissant que tu ne l'es en réalité. Et ça, pour un maître manipulateur, je dois dire que c'est plutôt bien joué.
    - Ne te moque pas de moi !
    - Sauf que tu vois… oh tu permets, bien sûr que si que je me fous de toi ! Je n'ai aucune raison de me modérer ! Je disais donc, tu vois, la véritable manipulation, c'est d'amoindrir les effets apparents. Pas de gonfler. Tu n'as rien compris.
    - Et toi, du haut de ta vingtaine d'années à peine assumée tu crois que tu peux me donner des leçons !
    - J'ai appris plus vite que n'importe qui. Je suis devenue Maîtresse de ma Discipline en quelques cycles d'études seulement.
    - Et dans ton empressement, tu t'es pris un virus fomoire au passage ! Ah !
    - Plastronne si tu veux. Moi au moins je n'ai pas envoyé mon meilleur ami se faire corrompre par les fomoires. Je suis étonnée que Jetuk ne t'en ait jamais voulu. Il faut croire que ça lui a plu. D'ailleurs, tu savais qu'il a aidé mon ondine à évoluer au-dessus de sa condition ? Ton pion a aidé mon pion.
    - C'est toi qui es corrompue Mélanargie ! Tu perdras ta peau à ton tour et tu deviendras une horreur difforme !
    - Peut-être. Mais c'est toi qui meurs cet après midi. Et moi qui triomphe. Je te dis adieu, vieux prof bourru. Je te dis adieu petit homme qui rate son coup. Je t'aurais bien embrassé pour te quitter mais on dirait que tu as défiguré ma marionnette. Alors tu es puni. Je vais juste t'arracher le cœur… avec les dents.
    - NON ! ATTENDS !! ARRETE !!
    - Ah voilà, voilà, les dernières supplications. Je te l'avais annoncé nan ?


     

    ***




    Les humains percent les derniers rangs. Je me relève, épée en pogne. Elutrine ronronne doucement sous une couche gluante de mon esprit. Je sais qu'une fois éclaboussé dans le combat, je ne pourrais pas la retenir. J'espère simplement garder assez le contrôle pour ne pas faire n'importe quoi. Mon but n'est pas non plus de trucider des humains, des gens que je pourrais croiser dans les rues, des gens dont je connais peut-être les histoires improbables, les plats typiques immangeables et les coutumes fanfaronnes !

    Et surtout, derrière ceux là, il y a quelqu'un qui se rapproche. La fille de Mara. Si c'est vraiment Thrace qui s'avance là bas, tourbillon de mort inexorable… alors je ne pourrais jamais me résoudre à l'affronter. J'ai encore dans la tête l'image de notre passion rêvée. Depuis le temps que je n'ai pas vu cette fille, je l'ai complètement idéalisée. Et maintenant qu'elle m'arrive dessus de plein fouet avec cette grâce insaisissable, il va falloir que je l'empêche de tuer le Gardien.
    C'est le pacte. Et pour s'assurer que je tiendrai ma part, il ne m'a pas tout dit. Il ne m'a pas dit comment tuer Hidelmark, réputé immortel. Il doit me le révéler bientôt. Mais pas encore… Et d'ici là, je dois tenir.

    Les assistants du grand Dagda Nuadien apportent maintenant un énorme chaudron remplit d'une eau fumante. La Présence Majestueuse du thuadène est penchée au dessus. Il n'incante pas. Il ne fait rien. Il regarde l'eau. Il y plonge son regard.
    A ses côtés, Miyanne semble l'assister dans sa contemplation passive. Elle a retiré son bandeau, pour une raison que j'ignore, et révèle son regard aveugle à la surface limpide.
    Ils essaient d'être discrets mais il est impossible d'ignorer une créature aussi magistrale. Ça, je l'ai compris dans son étrange illusion marine. Et puis la rouquine vient me retrouver alors même que les échos de la bataille approchent.

    - Voilà, c'est prêt. C'est risqué mais nous n'avons plus le choix. Nous devons utiliser la revivification. (Elle désigne le charnier d'une main légère). Tous les corps que tu vois là vont être plongés dans l'eau et rendus à la vigueur de Dèna. Le Chaudron du Gardien est notre artefact le plus puissant. Mais pour l'utiliser, il va lui falloir une concentration totale. Il doit réimaginer les liens de vie. Je ne sais pas si tu saisis ce que ça signifie… Imaginer la vie. Bref, c'est là que tu entres en jeu et que tu empêches quiconque de l'interrompre. Ne t'en fais pas, les morts que nous rendons à la vie serons là pour t'aider. Et tu peux me croire, ils seront très, très durs à tuer.
    - Suffisait de me dire ça…
    - Un conseil ?
    - Hmm.
    - N'utilise pas ta "patte gauche" ici. La vigueur du Gardien te détruirait.
    - Ah… aaaah, rassurant. Merci.

    Hmm. Ça explique sans doute pourquoi Elutrine ne pipe pas mot depuis que je suis aussi proche de cette entité de vie. Son ronronnement n'ira peut-être pas plus loin après tout.

    - Amuse toi bien.

    Je l'attrape par l'avant-bras et tente de fixer son regard mort sans sourciller. Par Mara, ses orbites ont été crevées... et pourtant elle est encore radieuse.

    - Qu'est ce que tu vas faire ?
    - Je dois aider mon maître bien sûr. Ce qui fais qu'on ne se reverra sans doute jamais. Prend soin de toi humain, j'ai été heureuse de ce que nous avons partagé.

    Pris d'un élan, je l'embrasse sur les lèvres, autant pour me donner du courage que pour profiter d'un dernier bout de douceur avant d'entrer dans la poisse. La vraie. Elle a l'air surprise et porte sa main à sa bouche. Et là, pour finir, me sort une phrase que je ne comprends pas mais qui m'a l'air pleine de bon sens :

    - Finalement, tu es tel que tu es.

    Puis elle me laisse avec un sourire en demi-teinte. Comme si elle portait déjà un deuil. Ou juste la moitié d'un.
    Noué par l'émotion, je raffermis ma prise sur l'épée goutte et me positionne derrière une pierre levée en embuscade. Quelques centaines de mètres à peine… je ravale ma salive. C'est pas tout ça mais je dois empêcher l'ondine de mon cœur de venir détruire le détenteur du savoir qui me manque pour me tirer des griffes de Mélanargie.

    - Ohmadéessenon…

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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Jeudi 6 Octobre 2011 à 11:51

    Ah ! Nous y revoilà. Tout le monde commence à pointer présent. Thrace sur le retour, Sakutei sur le pied de guerre et Mélanargie qui nous fait quelques révélations.

    Chez les thuadènes ça devient duraille tandis que côté fomoires, il ne reste sans doute plus que Kernal. Et les plans des uns et des autres se chevauchent...

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