• Chapitre 64 : Le souffle du Demi-Deuil. (1)

    Il y a un dicton populaire qui dit qu'on peut faire gronder une tempête simplement à partir d'un battement d'ailes de papillon. J'ai dû mal à y croire… mais je trouve ça fascinant !

    Note anonyme.

    Pelotonnée dans une combe tapissée de mousse sèche et de ronces raidies par la chaleur diurne, une paire de silhouettes se réchauffe les doigts autour d'un feu de bois. L'une est ronde, l'autre est menue. L'une est chauve, l'autre s'enorgueillit d'une coulée de cheveux lisses et blancs qui lui inondent les épaules de petites mèches fines. Enfin, on pourrait dire de l'une qu'elle est indubitablement féminine et de l'autre, qu'elle est contestablement masculine.

    Pour le moment, le gros s'affaire à enrouler méticuleusement une cordelette de cuir plate autour de la poignée d'un arc court. Le soin, presque maternel, qu'il met dans la réalisation de cette tâche toute simple en dit long sur le degré d'ennui qui pèse en ce moment sur ses épaules balourdes. A moins qu'il ne soit un maniaque de la cordelette, ce qui est bien entendu tout à fait envisageable étant donné sa profession. Etre le garde du corps d'une nécromancienne aussi séduisante que le sourire d'un chat sur le point de barboter un bol de lait est un travail à plein temps. Longue haleine et (trop) courte paie.

    Mélanargie s'arrange toujours pour dérober quelque chose aux gens dont elle veut s'assurer la loyauté. Une goutte d'eau dans un cristal de quartz translucide, un cœur en cendre dans un rêve ou pourquoi pas, des parties génitales dans un bocal. Etre châtré fait partie du métier paraît-il. C'est ce qu'elle lui a dit en tout cas, avant de ranger le flacon contenant ses vains espoirs paternels sur une étagère.

    Mais Zarpan n'est pas rancunier. Après tout, il n'est pas si mal traité. La soupe est bonne et sa maîtresse est… disons intéressante. Peu de gens peuvent se vanter de côtoyer d'aussi près la machiavélique petite sorcière dans l'exercice de son art. C'est d'ailleurs la partie la plus inquiétante et la plus captivante de son travail : protéger Mélanargie lorsqu'elle officie, aussi bien des menaces extérieures comme intérieures.
    Pour les premières, il a son arc et ses lourdes paluches. Pour les secondes, étant donné ce que cela implique dans la manipulation, on comprend mieux que la nécromancienne préfère un eunuque ; un mâle dont la virilité a été équeutée pour écarter tout risque de tentation stupide.

    Zarpan est un talentueux dans son domaine. Il ne parle que très rarement, il s'affaire avec diligence et efficacité. Et bien entendu, il est dévoué corps et esprit à sa maîtresse. Mais Zarpan a un défaut : il a besoin qu'on s'intéresse à lui. Il veut qu'on le regarde, qu'on commente ses vêtements, qu'on parle de lui avec envie ! Habituellement, ça ne porte pas trop à conséquence ; la Maîtresse ès Liens d'Ossements ne reste jamais bien longtemps au même endroit. Elle l'entraîne souvent de villes fourmillantes en tavernes malodorantes, elle se déplace sans cesse, elle fait mijoter ses oignons personnels pour exécuter chaque mouvement avec la précision d'une joueuse d'échec confirmée. Ce qu'elle est en vérité. Et pendant ce temps, Zarpan savoure, sur leur parcours, les regards des gens qu'ils croisent. Il fait des mouvements amples, sert rodomontades rondouillardes aux taverniers trop mous, lèche les plats de ratatouilles ratées et racle le pavé aux côtés de sa déesse personnelle comme un Grand Ponte de l'obésité soyeuse.

    Seulement voilà. Depuis deux nuits, il ne se passe rien. Rien d'autre qu'un feu de camp et un seau de navets. Légume particulièrement fadasse pour un amateur de vraie viande. La soupe n'est pas si bonne finalement. Et Mélanargie, la divine drôlesse, ne fait rien de très intéressant pour le moment. Engoncée jusqu'au nez dans sa tunique de chimiste, elle parcourt des pages manuscrites les yeux brillants. Zarpan ne sait pas s'il s'agit de passion ou de fatigue, mais cedont il est sûr, c'est qu'il fait un froid de gueux dans ce recoin du Delta et qu'il en viendrait presque à envier, pendant une seconde ou deux, la sobre et austère tenue rembourrée de sa maîtresse à sa délicate tunique de soie rouge brocardée d'or.

    Mélanargie, comme d'habitude, avait prévu que les nuits seraient aussi longues que froides. Raison pour laquelle elle a empaqueté cette grosse veste écrue qui protège les apprentis de l'Université Noire lorsqu'ils font leurs premières expériences. Le col est haut, les manches sont larges et les parties molles sont capitonnées. Idéal pour bouquiner en milieu ouvert.

    Consciente qu'elle fait l'objet d'un examen attentif, Mélanargie relève ses yeux clairs de son document chiffonné. Elle n'a jamais été du genre soigneuse, d'ailleurs, elle a encore de l'encre sur le menton. Elle retourne son regard à Zarpan et penche doucement la tête sur le côté.

    - D'accord. Pose moi ta question.

    L'obèse cligne des yeux comme au réveil. Elle est aussi foutrement clairvoyante. Bon, il a le droit à une question. Une seule. Mieux vaut ne pas la gâcher sur une exclamation involontaire du genre "Hein ?". Ça serait dommage.
    Un moment de silence s'en suit, uniquement déchiré par quelques bourrasques acérées qui couchent les flammes de leur petit foyer. Zarpan se racle la gorge. Un raclement long et guttural. En quatre temps. Un de ceux qui précèdent les grandes phrases compliquées.

    - Maîtresse, si vous aviez décidé de me laisser le tuer quand il est entré dans le Sidh ne serions nous pas en train de rentrer au chaud ?

    Jolie manière de poser quatre questions en une ! Un : pourquoi avoir retenu mon bras ? Deux : quel est le plan après l'avoir tué ? Trois : qu'est ce qu'on attend là maintenant ? Quatre : j'ai froid, est-ce que je peux retourner me changer ?

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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mercredi 11 Avril 2012 à 22:23

    Quelques nouvelles !

    Tout d'abord, je suis vivant (horray).

    Ensuite, je reprends enfin la suite de Demi-Deuil et Coeur de Cendre. Mais je commence à me connaître et j'ai décidé de changer un peu mon mode de publication. Aussi, au lieu de poster un chapitre complet de 10 pages tous les 36 du mois, je vais poster beaucoup plus régulièrement des petits bouts de chapitre. Plus facile d'écrire le soir comme ça. De longueur variable donc, en fonction de la scène et de ma forme !

    Lorsque j'aurais terminé le chapitre en question, je mettrai à jour le premier post pour que ça ressemble à quelque chose, et on reprendra !

    Le rythme va donc devenir plus soutenu, la quantité moindre mais la qualité, j'espère, toujours plus alléchante :).

     

    Sinon dans la liste des projets à plus long terme, outre le fait que je décide de donner un tour plus sérieux à tout ça, je suis également en train de plancher sur une nouvelle formulation du blog. Je cherche un moyen de faire quelque chose de joli, qui soit à la fois clair et qui permettre d'avoir une bonne vue d'ensemble de tous les textes. Dans l'idéal, je voudrais y mettre des images propres à mon imaginaire... mais ça, ça reste d'un domaine artistique que je ne maitrise pas (petit appel du pied).

    N'hésitez pas à me communiquer des idées si vous en avez !

    2
    Moo Profil de Moo
    Samedi 28 Avril 2012 à 09:13

    Wouhou, des nouveautés \o/

    J'ai qu'un accès limité au net (une fois tous les 15 jours), donc la lecture attendra un peu; je c/C tout ça, ça me fera de la lecture pour ce soir :)

    3
    Sakutei Profil de Sakutei
    Samedi 28 Avril 2012 à 18:39

    Comme tu l'auras surement remarqué, maintenant je poste en petits morceaux ^^". Ça te fait plus de boulot en copiage / collage :D.

    Mais du coup, j'avance bien, cinq posts par semaine pour le moment. Bon rythme !

    Accessoirement, pour cet interlude du n° 64, c'est un flash-back. J'espère pas trop confusant, vu l'écart entre les deux épisodes.

    4
    Moo Profil de Moo
    Lundi 7 Mai 2012 à 08:05

    Ca va, je suis docteur ès c/C, je gère.

    La suiiiiiite  :)

    5
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mercredi 16 Mai 2012 à 18:16

    Purée on est déjà le 16 ! Bon, je continue, je me reconcentre, on reprend :]

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