• Chapitre 65 : Le Festin de Mara : Digestif Corsé (2)

    Thrace retire sa lame trempée de sang d'une poitrine trop malléable et craque une articulation du tranchant de la main droite. Elle esquive d'un mouvement de tête. Place un estoc, se fend, tire un corps à elle, se dégage, se retourne, passe au dessus d'un dos courbé et plante ce qui reste de sa lame de glace dans une hanche. L'eau durcie se fendille un peu plus. Le thuadène blessé à terre en veut encore. Foutu soleil !
    Elle le termine d'un coup de pied qui lui fracasse le crâne. Elle avance. Les pierres ne sont pas loin. Et la silhouette de leur résident non plus ! A elle le trophée de la victoire et le prix de sa liberté !
    Déjà, les premiers soldats du Delta entrent dans le périmètre sacré. C'est comme profaner dans un temple à ciel ouvert. L'ondine grimace lorsqu'elle entend le cri de guerre qui se répercute chez ses "fidèles". La Dame Noire, la Dame Noire. Trop vieillissant et trop ténébreux comme sobriquet ! Elle qui se veut si jeune et si vivante ! Mais elle peut s'estimer heureuse qu'ils ne choisissent pas de l'affubler d'un autre patronyme maintenant, parce qu'alors à coup sûr elle écoperait du titre de Souillon Visqueuse. Boue sueur et sang collent sa chevelure comme une triste serpillière sur son crâne. Sa tenue lacérée pend en lambeaux par endroits, en plus particulièrement au niveau de son bras gauche où elle invoque ses écailles d'Acier. Son bras en lui-même est d'ailleurs un triste spectacle. Thrace est peut-être une ondine, il n'en reste pas moins que sous forme humaine elle dispose des même forces et faiblesses que les humains. Et les humains ne se font pas pousser des bouts de métal sur les membres. Autour des cicatrices rouges laissées par les pointes acérées lorsqu'elle se résorbent, la chair est boursoufflée et bleuie. Une série de crevasses longilignes lui remontent tout le long de la face extérieur de son bras. Le reste est strié de sang seché. Le sien et celui des autres.

    Ainsi paraît Thrace lorsqu'enfin, à la suite de quelques autres soldats plus dynamiques et moins prudents, elle pose une botte entre deux des pierres levées du cercle. Le Gardien est là ! Juste au fond ! L'ondine frissonne d'excitation. Pour la seconde fois elle dévisage sa cible dans ce qui pourrait passer chez lui pour le blanc des yeux s'il n'y avait pas toute cette noirceur agglomérée pour dissimuler ses traits. Elle la fille de la déesse la mort se confronte une nouvelle fois au principe même de la vie. Qu'est ce qui a changé par rapport à la la précédente ? Rien. Thrace n'a juste pas le choix. C'est par là que passe son chemin. Et cette fois, pas question de se vaporiser de terreur. Elle l'affrontera jusqu'au bout.


    L'ampleur de la tâche est écrasante. Et un instant, un court instant, la tueuse masquée baisse la pointe de son épée de glace. Prendre de l'élan pour mieux sauter. Relâcher la tension pour repartir d'autant plus vigoureuse. Sortir la tête du bain de sang, respirer une ou deux fois pour mieux s'y replonger. C'est en baissant les yeux qu'elle remarque les cadavres de plusieurs soldats. Le reste se joue pour moitié à son instinct cristallin des situations piégée et pour moitié d'une bonne dose de chance.

    L'épée embusquée plonge à deux centimètres de son visage, elle se cambre en arrière, rejette la tête d'un mouvement brusque qui lui fait craquer la nuque et interpose sa lame, au jugé. Le choc clair qui lui remonte dans le bras l'informe de la réussite d'une partie de l'opération. Le herut mat de ses fesses contre le sol en revanche, témoigne plutôt d'une posture critique.

    - Merde !

    Affalée en arrière, Thrace n'a que le temps d'un juron pour parer le coup suivant alors que les thuadènes bondissent en hurlant hors de leur cachette. Son épée éclate en copeaux scintillants sous la violence d'une masse dentellée. Aux abois, Thrace parvient à rouler sur le côté, évitant la mort d'un poil de main.
    D'autre soldats viennent à la rescousse de son côté. La lutte s'engage, âpre et vorace. Les attaquants sentent la victoire, les défenseurs sont acculés dans leur dernier retranchement. Thrace parvient à se dégager, profitant de ses alliés pour échapper aux lames cruelles. Elle récupère une épée courte à terre et entreprend de se tailler un chemin. Mais les soldats du Delta ne font pas le poids ! Rapidement, les menus renforts se font décimer. Ils arrivent au compte goutte et les suivants sont encore en arrière, aux prises avec les dernières forces elfiques. Très vite, Thrace se retrouve seule. Filer ou tenir jusqu'à leur arrivée, elle a le choix. Bien sûr, elle n'opte pour aucune de ses deux solutions.

    Elle grimace, jette son épée sur le côté, baisse les bras et écarte les doigts largement. Ses adversaires y voient sans doute un signe de rémission. Elle inspire d'un coup sec, contracte ses deux poings dans un craquement de phallange. Juste le temps pour elle de plaquer au sol le premier d'entre eux, le connard à la masse, et de l'étrangler sous un genou pendant qu'elle relève le bras gauche à angle droit au dessus de sa tête. Les écailles d'Acier émmergent au moment précis où les thuadènes abattent leurs armes. Les lames au tranchant trop fin restent prises au piège de la crénelure en dents de scie ! Thrace en profite. Il ne lui faut pas longtemps pour en venir à bout.

    Elle se dresse alors, essoufflée, une arme brisée serrée dans son poing droit et un reste d'étoffe arrachée lors d'un mouvement brusque. Le passage entre les deux pierres. Plus rien n'en sort. Le Gardien est toujours au fond. Il ne bouge pas. Quelques silhouettes s'affairent auprès de lui. Elle le tient. Avec quoi et par quel appendice, elle ne sait pas. Mais elle le tient.

    - A nous deux.

    Une nouvelle fois, elle s'avance entre les pierres. Cette fois, très prudemment. Un pas après l'autre. La rumeur du combat dans son dos, la sueur contre ses omoplates, le cœur battant, la poitrine soulevée d'excitation, la pointe des lèvres humectée de sueur saline.

    Elle s'arrête d'un coup net au milieu du passage. Intuition féminine. C'est trop simple. Il en reste forcément. Les autres au fond seraient plus paniqués. Forcément ! Bon sang, forcément ! Elle n'est quand même pas si peu intimidante ! Si ?

    Aussi, c'est avec un mélange de joie sauvage et de soulagement cynique que l'ondine intercèpte brutalement le bras noir qui s'abat soudainement en travers de l'étroit goulet. Elle verrouille ses doigts autour du poignet et tire d'un coup sec. L'embusqué tombe  devant elle en lâchant un juron de taverne plutôt inattendu. Elle avise son casque noir étrangement évasé sur l'arrière qui lui protège la nuque. Pas moyen de l'achever d'un coup de pied. Elle se baisse pour l'attraper par la gorge et lui planter le bout d'épée cassée dans la bouche mais il parvient à rouler hors de portée. Elle se redresse, prête à encaisser l'assaut. Il se relève et fend l'air plusieurs fois de son épée, comme en panique totale. Son arme produit un sifflement étonnement clair. Thrace plante ses yeux bleus masqués dans ceux de l'inconnu. Mais entre le casque à visière et le col remonté jusqu'au nez, difficile de le jauger du regard. Il est habillé de sombre, comme elle. Mais il tient son épée comme un manche. Pas comme elle.

    - Tu es le dernier protecteur ? Pas très gaillard hein. Ecarte toi ou meurs. Je n'ai pas de préférence.
    - Par Mara ! Thrace ??

    Mauvaise réponse ! L'ondine bondit, esquive sa taillade défensive en se baissant et lui rétroque d'un mauvais coup de poing dans le foie. L'impact sourd le plie en deux. Elle faire tourner son épée cassée dans sa main droite pour l'attraper à la manière d'un poignard et lève le bras sur son dos exposé.

    - NON ! ATTENDS !

    L'épée de l'inconnu parvient à détourner celle de Thrace. Métal contre métal. Le hurlement de l'acier. Un sifflement. Elle enchaîne d'un coup de genou, claque une manchette de côté, bourre de l'épaule et l'envoie à terre avant qu'il n'ait pu esquisser le moindre geste.

    - Sale mou ! Hors de mon chemin !

    Terrible, l'ondine relève son épée pour l'achever… et prend conscience qu'il n'en reste vraiment qu'un très petit bout.

    - Que…

    Il est parvenu à trancher son arme avec cette pauvre parade sans force ? Les armes de récupération sont toujours mauvaise, d'accord, mais tout de même… Un sourcil froncé, Thrace avise alors celle de son adversaire. Deux lames élégamment courbées l'une vers l'autre. La première légèrement plus courte que la seconde, donnant à l'espace vide entre les deux, la forme caractéristique d'une goutte.

    - Mon épée ! C'est mon épée !

     

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