• Chapitre 7 : le point de rupture

    Il fait nuit, la chaleur est abrutissante et la bière envoûtante. Des gosiers gorgés de mousse s'interpellent pelle mêle dans cette assemblée de frimousses gaillardes. Ca et là, quelques trognes un peu plus rougeaudes que les autres se lancent des défis bravaches mais globalement, l'ambiance est sirupeuse.
    Ce soir, c'est à mon tour d'égailler l'ambiance avec une histoire de mon cru. Hum, pourquoi pas ? J'ai quelques cicatrices qui ne demandent qu'à parader. Prenant le temps de tambouriner quelques instants sur la table pour rassembler mes idées, je me racle la gorge deux trois fois. C'est le moment de prononcer l'allocution habituelle qui précède les histoires de taverne :


    - Blurps.

    Le charme est tissé, la moindre oreille crasseuse m'appartient.

    - L'histoire n'est pas bien vieille mais j'ai l'impression qu'elle s'est déroulée il y a des années. Imaginez un monde sensiblement différent du notre où toute conduite, même guerrière, serait asservie à un code d'honneur strict et rigide. Une terre peuplée de combattants farouches aux humeurs changeantes se faisant appeler "dieux de la mort". Imaginez, et pensez que la moindre rencontre avec l'un de ces irascibles habitants ne trouverait son apogée que dans un geyser vermillon. Un endroit où l'étranger n'y est pas plus toléré que la défaite. Un endroit où l'humiliation est lavée par le sang.
    Je ne me serai jamais aventuré dans un territoire aussi sauvage sans une bonne raison. En l'occurrence, une femme.

    Quelques rires grassouillets me répondent.

    - J'étais coincé là bas depuis un jour ou deux. Bon sang ! J'avais frôlé la mort si souvent au cours de cette brève période que j'en venais à la tutoyer. Un sale temps, je n'avais qu'une envie : décamper d'ici. Et je n'ai pas tardé à découvrir qu'il était beaucoup plus facile d'entrer dans ce monde que d'en sortir. En bref, j'étais mal embarqué.
    Au cours de mes tribulations hasardeuses, j'ai fini par tomber sur une jeune femme masquée entièrement vêtue de noir répondant au nom de Thrace. Un pied de nez au destin. Cette fille farouche avait un certain talent pour marchander avec la faucheuse et s'en était tirée sans dommage jusque là. Elle m'a fait avaler du poison (une toquade de tueuse), je lui refilé quelques tuyaux...on a vite sympathisés. En conjuguant nos efforts, nous étions parvenus à démêller l'écheveau pour en tirer un fil d'Ariane qui pourrait nous mener hors de ce labyrinthe. L'espoir fouettait notre ardeur avec une énergie nouvelle.

    Le jour était bien avancé. Le moment approchait où nous allions enfin pouvoir quitter cet enfer bruissant. Face à nous, la gueule béante d'un portail magique nous promettait une issue favorable, à condition que l'on parvienne à déjouer la surveillance de sa gardienne. Ca c'était moins folichon.
    Baignés par la lumière spectrale du passage, nous avons cogités un moment sur la meilleure manière de procéder. Plutôt étrange ce portail. Il n'émettait aucun son et pourtant, on en avait les oreilles bourdonnantes à force de rester devant. Comme s'il nous renvoyait une pulsion cardiaque.
    Nous étions là, l'un à coté de l'autre. La fille se tenait bien droite, les poings sur les hanches avec sans doute un air de défi peint sous son masque noir. De mon coté, plus vouté et tordu, je hochais la tête régulièrement avec dénégation. Thrace a fini par rompre le silence ondoyant :


    "- Je pense au contraire que c'est la meilleure manière de procéder. Si le Quincy décoche une flèche dans ce portail, il y a de grandes chances pour qu'il blesse sa gardienne, et alors nous pourrons...
    - Sauf qu'il ne le fera jamais volontairement.
    - C'est pour ça qu'il va falloir ruser. Avec le pouvoir des cartes.
    - Oui mais ça ne change pas grand chose. Créer un leurre ne suffira pas.
    - Un combat.
    - Hein ?"
    Elle a pointé son index sur ma poitrine. "Tu le combattras...et pendant l'échauffourée, tu trouveras un moyen pour qu'il tire dans ce foutu portail". J'ai fait claquer ma main sur son avant bras. Ca ne me plaisait pas. "Et toi tu feras quoi ?", ai-je lâché d'un ton rogue.
    " - Je t'aiderai comme je peux sans trop me découvrir.
    - Hey je suis pas combattant moi, mon boulot c'est de faire des cartes ! Je propose d'inverser les rôles.
    - Impossible, c'est toi qu'il veut. Rappelle toi. Son honneur lui commande d'achever ce qu'il a commencé. Dès que tu seras armé, tu peux être sûr qu'il attaquera, alors qu'il n'a aucune raison de s'en prendre à moi".
    Elle a salué sa conclusion par un petit claquement de langue satisfait. Forcément, ça l'arrangeait bien. Grumph, voilà qui ouvrait une nouvelle perspective avec vue sur pierre tombale. Ca ne m'enchantait pas tellement...mais avais le choix ? Hum, voyons ça.

    Ce type, le Quincy, m'avait sauvé la vie un peu plus tôt. En échange, il avait simplement promis de me trucider quand je serai capable de me défendre. Les créatures de ce monde avaient vraiment un sens de l'humour à froid plutôt indigeste.
    Le raisonnement de Thrace tenait debout. Pas moi. Mes gibolles menaçaient de me lâcher. Fatigué et pas vraiment enthousiaste à l'idée de risquer ma couenne une fois de plus dans une escarmouche mal préparée.
    J'ai bien râlé un moment mais il a bien fallu que je me rende à ses arguments. On n'avait pas l'éternité devant nous. Ce portail ne resterait pas éternellement grand ouvert.
    Me pinçant l'arête du nez, j'ai lâché un profond soupir. Je ne pouvais pas éviter l'affrontement mais je pouvais au moins faire en sorte de maîtriser le terrain. Bien plus que simplement l'attirer où je voudrais, oh oui...je pouvais totalement arranger les choses à ma convenance.


    "- Bon tu veux m'aider ?" ai-je déclaré abruptement.
    - Du moment que tu ne me demandes pas de te tenir la chandelle."
    Le ton enjouée d'une pétillante enjôleuse. Celle fille avait vraiment un tempérament étrange. Troublant même.
    " - Très bien, on a du pain sur la planche alors."

    J'ai débouclé ma besace pour en tirer une brassée de parchemins. Sur le coté, j'ai placé une fiole d'encre et une poignée de stylets. Installé à même le sol, j'ai attrapé le premier parchemin de la pile pour commencer à gribouiller tout en égrainant quelques instructions d'un voix monocorde. Thrace s'est efforcée de réagir au mieux. De temps en temps, un vague sourire éclairait mon visage. Je bichais, pour une fois que je pouvais mener la danse !
    Oui, loin des échauffements, méditations shamaniques et autres escrimages en règles, ma préparation guerrière consistait à cartographier. Ah ah ! Des petits dessins valent mieux qu'un long discours...et bien plus encore qu'un long parcours du combattant.
    En fait, c'était mon seul atout de circonstance, et je comptais bien l'utiliser à fond. Quelques temps plus tôt, nous avions découvert (avec un certain émoi) que ce n'était pas la carte qui se conformait au paysage mais l'inverse. La moindre différence était corrigée dans la réalité même, allant jusqu'à altérer notre perception des choses. Une fois entérinée, c'était comme si la modification avait toujours été là. A tel point qu'il en devenait difficile d'accepter qu'une autre version avait pu exister quelques battements de cils plus tôt. En d'autres mots, je pouvais façonner le terrain, et ce jusque dans ses moindres détails.
    La technique était simple. Je dessinais et complétais une carte des lieux. Il me suffisait ensuite de parachever le tout par une signature pour déclencher le processus de modification.

    Pendant quelques heures, nous avons griffonné frénétiquement. Le crissement des stylets n'étant interrompu que par des soupirs, des questions lâchées dans le vent ou un juron occasionnel. Pour le moment, je demandais à Thrace de ne signer aucune carte afin de ne pas les activer trop tôt. Les ratés mordaient la poussière tandis que les plans retenus étaient soigneusement roulés et rangés dans un tube en bois. A ce stade, nous n'avions encore rien touché du "décor".


    "- Et voilà le dernier", ai-je laissé tomber en me passant une main sur le visage.
    Le soleil se coulait en tapinois derrière les pins. Thrace s'est relevée pour s'étirer à s'en faire craquer les articulations. Je me suis attardé quelques instants pour contempler ses mouvements félins dans le clair-obscur du couchant.

    - Poacre, je suis moulue. Sakutei, ce boulot est inepte, comment peux-tu consacrer ta vie à "ça" ?"

    A petits gestes secs, elle agitait un stylet d'une manière inédite qui le rendait vaguement menaçant. La tueuse préférait sans doute réserver ce genre de pointes à des usages plus exotiques.
    Avec un sourire glacé pour toute réponse, j'ai alors déroulé le premier parchemin. Celui-là m'avait pris un temps fou. Il représentait l'intégralité de la zone destinée à devenir notre arène. Je l'avais tangiblement modifiée. Un coup sournois.
    Etant donné que mon adversaire utiliserait un arc, j'avais tout fait pour lui compliquer la vie, multipliant les creux, les bosses et les recoins. L'ensemble avait vaguement la forme d'un entonnoir. Et tout au bout il y avait notre botte secrète : un grotte trapue et sombre abritant en son sein le portail destiné à nous faire quitter cette prison spirituelle. J'avais hâte de réintégrer mon corps. Pour nous envoyer ici, la nécromancienne Mélanargie avait eu recours à un rituel proche d'une transe shamanique qui avait eu pour effet de délier nos esprits de leur enveloppe de chair et de tendons. Apparemment, c'était la seule manière de venir ici...mais je n'étais pas convaincu. La manoeuvre pouvait cacher autre chose.


    - "Secoue toi Sakutei, il est temps."

    Je me suis ébroué pour chasser les derniers lambeaux de reverie et ai signé machinalement. Mon esprit n'a même pas percuté. Tout avait changé mais je n'en étais pas conscient. C'était aussi bien, le paradoxe mental causé par une mémoire résiduelle aurait pu s'autoalimenter jusqu'à me faire oublier de respirer. Par contre, j'avais péniblement conscience du rôle qui m'était dévolu. Un noeud s'est formé au creux de mon abdomen. J'allais vraiment défier ce dingue binoclard ?
    Sans me laisser le temps d'interposer d'autres revendications, Thrace m'a fourré une dague dans les doigts et s'est éloignée dans un coin avec le reste des rouleaux sous le bras. Elle n'a rien ajouté en guise d'encouragement. Ca aurait été superflu. Je suis resté seul, immobile avec ce bout de métal incruvé en guise de croc (ou de griffe, c'est selon). Une arme simple et bien équilibrée. Aiguisée des deux cotés, la lame pouvait s'utiliser de manières plutôt variées et sans doute surprenantes dans une main experte. Ce qui n'était pas mon cas. Mes compétences de combat se limitaient à de franches et brèves empoignades ou le premier menton pisseux de sang signait la fin des réjouissances.
    Cette fois, le défi dépassait la simple bagarre de taverne. L'archer aux flèches bleues m'avait déjà fait une démonstration de son talent qui m'avait laissé pantois. Chiasse ! Ce n'était pourtant pas le moment d'hésiter.
    Ravalant ma salive et une grosse boule de chais-pas-quoi dans la gorge, je me suis avancé timidement dans le goulet en serrant le manche de la dague à m'en faire blanchir les phalanges. Glps. Je n'avais qu'une envie : décamper au fond de la grotte et aller retrouver mes congénères lémuriens et autres loirs pour roupiller pendant une saison. Je crois que c'est surtout la consistance grisâtre de l'inconnu qui me faisait crever de trouille.
    Le coeur battant, je cherchais un signe. Je savais que ce curieux tireur me guettait. Son code moral lui interdisant de m'attaquer tant que je ne pourrais pas me défendre. Allait-il vraiment me sauter dessus à présent que j'étais armé ? Sur la droite, quelques graviers ont roulé dans la pente. Il m'a semblé entendre un bruit sur la gauche. Je sursautais à mes propres battements de coeur. Ma paume moite glissait sur la poignée. Où ? Où ? OU ?!
    J'ai eu envie de hurler un défi à la face du jour déclinant. Le temps avait été globalement dégueulasse mais pour la première fois, le ciel s'était dégagé pour laisser éclore le panache de couleurs flamboyantes du couchant. Cette fois c'était une belle soirée pour mourir. J'ai commencé à reprendre emprise sur mes nerfs. Fier comme il était, ce blanc bec n'allait pas m'abattre dans le dos. Il allait bêtement respecter l'esthétisme de la scène pour s'offrir un beau duel.

    Et soudain...

    ... non rien. Un sursaut du néant. J'ai dû louper une respiration sans comprendre. Et un grincement de dent plus tard, il était là. Blanc comme un agneau, un regard franc comme le jour et quelques mèches volant au vent. Ses lunettes reflétaient la lueur agressive renvoyée par son arc lumineux. Le dos bien droit, légèrement cambré en arrière. Il se tenait là, à quelques pas. Une vraie posture de petit merdaillon prétentieux.
    Par comparaison, ma propre allure devait paraître misérable. Tignasse en bataille, tout crispé, mal à l'aise dans mes vêtements tâchés d'encre, de sang et déchirés en plusieurs endroits.


    "- Enfin" a t-il simplement entonné de sa voix claire.

    L'instant d'après, il décochait son premier trait. Je me suis jeté en arrière, esquivant de peu ce premier tir. Mon dos a butté brutalement contre un rocher. Pouacre ! Il mettait la pression d'entrée.

    Radinant ventre à terre, j'ai couru vers ce que j'avais mentalement intitulé comme "le point A". Le Quincy est apparu juste dans mon dos. Comment faisait-il pour se déplacer à cette vitesse ? Il a tiré, j'ai plongé, il m'a loupé. Me relevant, j'ai fait passer ma dague d'une main à l'autre. Bon sang, il m'observait. C'était le moment de l'aiguillonner.


    "- Alors, c'est tout ce dont tu es capable minable ?"

    Ca l'a piqué au vif. Il a encoché un nouveau trait lumineux. Des flammes bleutées lui dévoraient le bras sans paraître lui causer le moindre mal. Au mouvement de ses lèvres, j'ai compris qu'il allait tirer. A moi de jouer :

    "- Thrace !"

    Le Quincy a attaqué. Son trait s'est brisé contre le gros rocher derrière lequel je m'étais abrité. En me concentrant, je pouvais encore me souvenir qu'il n'était pas là un instant plus tôt. C'était plutôt étrange...mais je n'ai pas eu le loisir de m'appesantir sur la question. L'autre remettait déjà ça.
    Une série d'aiguillons crépitants se sont écrasés autour de moi pendant que je sautillais comme un dément. Il ne me manquait que la barbichette et le ricanement de fou furieux pour coller à l'image du parfait secoué hérétique. Le Quincy est subitement apparu devant moi. Encore ?! Par frayeur plus que par réflexe de combat, j'ai lardé l'air devant moi. La lame incurvée s'est mise à siffler comme un reptile menaçant. Je l'ai royalement loupé, mais lui n'a pas eu cette maladresse. Quelque chose de brûlant et vigoureux m'a étreint le défaut de l'épaule. J'ai basculé en arrière. La douleur s'est diffusée dans mon torse comme feu dévorant. Un voile pourpre tissé en travers du regard, j'ai relevé la tête vers mon adversaire.
    Il était là, campé au dessus de moi. Impossible de lui échapper... A bout portant, un bras tendu et l'autre replié en position de tir. Je crois qu'il me toisait de son petit air méprisant.


    "- C'est terminé".

    Theu ! A t-on vu un combat plus pitoyable ? Une main crispée sur ma plaie, j'ai grimacé de rage. Une bourrasque de vent opportune est venue rabattre un pan de mon écharpe sur ce rictus disgracieux. J'ai fouillé la zone des yeux avec panique. Oh joie ! J'en aurais fait dans mon pantalon. Mon arme avait sauté un peu plus loin mais il me restait une carte dans la manche. J'avais peut-être le moral à zéro, mais lui...était dans mon point 6. Mon préféré.

    Du bout de l'index, j'ai abaissé mon écharpe pour pousser ce qui aurait dû être mon épitaphe. L'autre attendait patiemment que je lui offre une tirade digne de ce nom. Il a dû être déçu quand j'ai beuglé une unique syllabe d'un ton cassé :
    "THRAaAAAAaaacE !".

    Encore cette sensation amère...comme boire un thé froid qui aurait trop infusé. Le rocher branlant ne tenait que par un étrange miracle...le hasard a voulu qu'il décide de se livrer à la gravité à cet instant...non...pas le hasard. Mais peu importait, il ne fallait pas y penser.
    La roche massivement concrète a plongé vers sa cible. Le Quincy a réagit avec un aplomb remarquable. Son regard s'est à peine écarquillé, il a poussé un petit cri et s'est éclipsé. Vite ! Délaissant ma plaie, je me suis tendu vers la dague de Thrace avant de courir à toutes jambes vers la grotte.
    Un éclair a jailli sur ma droite, j'ai a nouveau interposé un rocher d'un claquement de langue. Un combat étrange...je me souvenais des détails des différentes cartes qui entraient ensuite comme des données absolues dans ma mémoire de la réalité. C'était comme se souvenir par avance de futurs événements passés. Un abîme angoissant. Mais je n'avais pas le temps pour ça.
    Le Quincy perdait patience. Il est apparu avec une lueur de rage au fond des yeux. Cette fois, en toute modestie, je m'y attendais un peu. Ca ne m'a pas empêché de sursauter. J'ai tenté de le frapper du plat de la main, il a esquivé et a tiré naïvement sur un pan de falaise. Ah ah...le point 2. J'ai couru. Il a sauté dans mon sillage. A cet endroit, le goulet devenait plus étroit, les parois montant de chaque coté. Plus moyen de se faufiler, il fallait jouer le tout pour le tout.
    L'archer a tiré, j'ai plongé en couinant de terreur pure, le coeur au bord des lèvres. S'il avait anticipé ce geste, j'étais mort. Le trait a filé droit, m'arrachant quelques mèches en haut du crâne avant de poursuivre sa route. J'ai serré le poing avec m'extasiant de pouvoir encore ressentir la saveur de la terre froide sur la langue. Devant mes yeux calculateurs, la flèche d'énergie s'est engouffrée dans la grotte sombre, traçant sa voie dans l'obscurité avant d'arriver au portail. C'était gagné ! J'avais réussi à faire tirer cet exalté dans le portail !

    Je me suis relevé sur un coude avec un juron au fond de la gorge. Lequel est resté coincé. Il restait un détail...de taille. Le Quincy. Le blanc guerrier se tenait là, prêt m'abattre d'un coup décisif. Pourtant, il ne bougeait pas d'un muscle. Je me suis relevé lentement gardant un pouce sur la naissance de ma lame. Les lèvres fines de mon adversaire se sont étirées succinctement.


    "- Je ne sais pas comment tu fais pour m'empêcher de t'atteindre, mais j'ai compris d'où tu tires ce pouvoir
    - Vraiment ?
    - Hum."

    Il a tiré. Je me suis crispé...mais la flèche ne m'était pas destinée. Bon sang ! "- Thrace ! " Cette fois ce n'était pas pour un coup de stylet. Aucune réponse. Le coin où elle s'était embusquée demeurait sombre et silencieux. L'enfoiré ! J'ai fermé les yeux.

    "- Tu vois", m'a t-il dit, " tu n'aurais pas dû la mêler à ça. "J'aurais voulu éviter ça, mais voilà ce qui..."
    C'est ça...et quand on tire on raconte pas sa vie.
    - Pffff...
    - ?"

    Ce sombre crétin illuminé commençait à m'échauffer les sangs. Je sentais un nouveau rythme cardiaque se fondre dans mes muscles et rejaillir comme un bouillon de lave hors de mon épaule blessée. Le legs de Thrace me brûlait la paume. La dague brûlait de venger sa maîtresse. A moins que ce ne soit ma propre ardeur qui se diffusât dans le métal.

    "- Ne fais pas semblant de comprendre crétin. Tu n'as rien compris ! Non non non !"

    Me détendant d'un bloc, j'ai lancé mon bras d'un geste sec. La dague s'est échappée de mes doigts, virevoltant dans les airs en sifflant. Raté. L'autre s'est évadé dans un souffle d'air mais cette fois, je savais où il allait apparaître. Dans mon dos, comme un fier et valeureux lâche.
    Mon coup de pied tournant l'a cueilli dans le creux de l'abdomen. Il a bronché, j'ai poussé mon avantage. Poings fermés, je lui ai assené un double coup à l'aine et dans les côtes. Mon souffle devenait plus rauque. Il a tenté de s'échapper à nouveau mais je l'ai ceinturé vigoureusement. Ras le bol des coups fuyants ! Mon corps s'est mis à oeuvrer en cadence, vibrant à chaque coup porté. Je jouais des pieds et des mains, démolissant sa gentille petite gueule d'avorton. Ses lunettes ont valdingué dans une éclaboussure de sang.
    Il a tenté de me frapper. L'imbécile, ce n'était pas son truc. Je lui ai tordu le poignet avant de lui renvoyer un méchant coup de coude dans les dents. Le reprenant par le col déchiré de son costume maculé de sang, je l'ai hissé jusqu'à mon regard hargneux.


    "- C'est à cause de types comme toi que ce monde est un enfer de mièvreries. C'est à cause de ce genre d'orgueil qu'il est mal vu d'écrabouiller un faible quand on est fort ! Où tu te crois morveux ? La réalité est beaucoup plus rude qu'une petite caracole avec un arc. Retourne jouer avec ton cerceau gamin !"

    Je postillonnais avec conviction. Au final, je l'ai laissé tomber à terre dans cette poussière qu'il méprisait tant. Il faisait moins le fier, mais il a encore trouvé moyen de se relever avec une lueur myope de défi dans les yeux.

    "- Ce...n'est pas terminé...ton adversaire ... est ...
    - Ennuyeux."

    J'ai frappé du coude, il est retombé en arrière. Il voulait un final ? Très bien, mon arme ne s'était pas plantée bien loin. Mes doigts écorchés se sont refermés autour du manche rugueux de la dague. Quand je me suis avancé sur lui, une odeur aigre de peur pisseuse m'est montée aux narines. Mais toujours cette trogne effrontée. L'idiot...il ne croyait pas que ce soit possible. Il n'y a pas cru. Jusqu'à ce que mon arme vienne lui mordre les tripes. Son premier cri m'a réjoui. Je me suis laissé emporter. La suite est plus trouble. J'ai lacéré, évidé, démembré.
    Le sang coulait...les os craquaient. Bon sang, je pleurais et je hurlais. Je haïssais ce type, ce qu'il représentait et ce qu'il avait pu être. S'acharner encore et encore sur son cadavre frémissant n'était qu'un maigre exutoire. En cet instant, une fureur noire et mal retenue s'est déversée dans ma moelle épinière.
    Je ne me suis arrêté que bien plus tard, lorsque je ne poignardais plus qu'un tas de chair informe. Un profond dégoût m'envahissait, j'en étais le principal motif, le reste de monde arrivait avec une honorable seconde position.
    Lorsque je me suis relevé tout tremblant et poisseux, je n'ai pu esquisser que quelques pas avant de rendre tripes et boyaux sur le sol rocailleux. Ma propre monstruosité me sautait au visage. Pourquoi tant de rage ? Je ne sais pas. Je crois que j'avais besoin de décompresser. Je...

    Un raclement m'a tiré de ma songerie macabre. Elle n'était pas morte...juste blessée, traînant la patte pour me rejoindre devant l'entrée de la grotte que j'avais souillé de ma bile et de ma haine.
    Incapable de parler, j'ai tout bonnement branlé du chef. J'étais au bord de la crise de nerf. Thrace s'est hissée à ma hauteur. Son masque avait sauté, probablement arraché par le tir. Le visage qu'elle me révélait à présent...et bien je n'étais pas capable de saisir ce que j'avais sous les yeux. Il restait encore beaucoup à apprendre et à comprendre.

    Sa petite main est venue s'enrouler autour de la mienne tandis que l'autre passait un bout de tissu sale sur mes traits ravagés. Je n'avais conscience ni de la sueur, ni du sang qui ruisselait en fines gouttelettes le long de ma mâchoire.
    Je crois que nous étions l'un et l'autre ébranlés par le déchaînement orageux des évènements. Mon épaule se crispait par intermittence sous la douleur. Tout ceci me dépassait.


    " – La fin du voyage ?
    - Il n'est pas trop tard pour partir.
    - Il est toujours trop tard pour choisir."

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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mardi 29 Septembre 2009 à 23:39
    Un chapitre un peu long, mais j'espère pas longuet. Non ce n'est pas fini ^^. Loin de là. A suivre !
    2
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Mercredi 30 Septembre 2009 à 09:07
    Quelle scène!!!!! Non je ne l'ai pas lu en apnée mais pas loin lol. Bon évidemment en t'arretant là tu te doutais bien que j'allais encore crier la suiiiiiiiiiiite^^
    Astucieux et merveilleux combats, et je reste résolumment fan de Sakutei, de son coté tellement "ordinaire" bien loin de ses héros Ramboésques qui a force d'étre héroïque me barbent complètement. J'ai eu un instand peur pour Thrace mais ok je vais patienter pour savoir comment elle s'en est sortie et ce qu'elle va faire.
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    3
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mercredi 30 Septembre 2009 à 21:49
    Merci :D !
    Oui pour Sakutei, je m'effroce de trouver un juste milieu entre le héros épique et ses grosses armes qui piquent et le héros malgré-lui qui traine sa misère et fais pas exprès d'être au centre de l'action.
    Les deux extrèmes ont tendance à me lasser très vite également ^^.

    Quand à Thrace, une révélation à venir au prochain épisode !
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