• Crépitements sur fond d'Apocalypse

    Clic ! Quelqu'un l'a éteint...il y a un an ou 274 jours ?

    Clic-clac. Il s'est rallumé. Arc électrique volubile et sautillant qui cherche sans relâche à traverser le vide béant. D'un bout à l'autre du Cratère c'est l'extase mécanique des corps thermo-métalliques. La fée carabossée s'est relevée de ses cendres ! Ce petit éclair qui scintille entre anode et cathode marque le début d'une nouvelle ère de prospérité et de café fumant. Qu'on se le dise, le jus est de retour !

    Une diode palpite quelque part. Uns à uns ils s'éveillent et se déplient, grinçant à qui mieux mieux comme un vol d'étournevis magnétiques. Les carcasses apathiques gorgées des 37 heures de soleil quotidiennes reprennent leur agilité et leur souplesse. Quelle sensation ineffable ! Sentir le sol vitrifié sous ses pinces, faire glouglouter les liquides translucides, percevoir le ronronnement régulier des cervo-moteurs. Et là bas, par delà le Cratère, dans un élan narcissique, connecter ses optiques pour se mirer dans la grande flaque de l'océan plastifié.

    Son oeillet vissé au reflet déformé de son ossature rachitique, sans un bruit elle se contemple. Le bocal est fêlé ... la boucle d'Asimov y est passée aussi, mais le percolateur est en état. Etre réincarnée en cafetière solaire c'est pas le pied mais c'est toujours mieux qu'un pommeau de douche à injection directe. Autour d'elle, on s'agite, on se rassemble, on récupère ses écrous et ses rouages. On fait le compte de ce qui a été perdu pendant la dernière ère de sommeil.

    Là bas, le père Gandhi se fait dorer la pilule sous l'astre irradiant. Le capot de son réservoir est toujours frappé du sceau nucléaire. Il a la classe le X-REM 3400 avec ses canons dentelés et ses lasers rivetés au fuselage. De quoi la faire défaillir dans son filtre. Mais comment ? Elle n'ose y croise, cette mitrailleuse qui s'agite dans sa direction, c'est pour elle ! Une invitation de la part du dernier droïde de combat, ça ne se refuse pas...et ça ne se mégote pas non plus.

    Palpitante comme un circuit fraîchement usiné, elle traverse une pile d'immondices pour le rejoindre. Alors qu'elle s'approche, un coquet mouvement lui permet de vriller un fil électrique autour de son bocal, mettant en valeur ses courbes pleines et transparentes.

    Impassible et serein, Gandhi la salue d'un simple clignement de diode. Elle s'assoit à ses cotés, savourant, décantant même, le simple fait de pouvoir être là. Autour d'eux, le vent atomique bruisse, faisant claquer les courroies et siffler les tiges dressées un peu partout. Une tempête magnétique se prépare au loin, projetant ses éclats irisés sur le rebord déchiqueté d'une montagne. Lentement, avec une cérémonie indolente, la voix synthétique s'élève :

    - Regarde Kali, ce squelette qui s'expose sous nos pinces. Petites coquilles vides de leurs folles ambitions.

    En contrebas, les ruines calcinée de la gigantesque métropole. Pas dégueux comme décor. Il paraît que Paris participait à la parthénogenèse par isolation. Quelle ironie, la ville au symbole phallique se privant des plaisirs de la chair ! Le sexe...le sexe...les humains auraient dû en profiter pendant qu'ils avaient un corps de chair. Mais non, ils avaient refoulé leurs instincts. Petit à petit, ils avaient tout enfoui sous des tonnes de principes barbants et de conventions rasoirs. Avant l'Apocalypse Bleue, le fin du fin était de se reproduire par ablation d'un doigt ou d'un orteil....comme les bananes en somme.

    Kali regrette cette époque où les vices n'étaient pas entravés par les vis. Ce temps passé où un simple sourire enjôleur devenait l'amorce de l'extase des sens. Maintenant c'est beaucoup plus technique...et même technologique. Avec effort, elle tente d'articuler sans grésiller :

    - Oui maître –expresso- , je les vois –le café est prêt-.
    - Ils avaient tort. Tous ! Catholiques sans cathode, protestants sans cadran, orthodoxes sans inox. Le cycle du karma était la seule voie pour revenir.
    - sucre ?
    - Ces petits trous du cul sans queue ni tête ! Ah ils l'ont bien cherché. Pensif, il ajoute d'un air absent : Tas de mange-merde.

    Kali opine. Oui c'est vrai...en délaissant le sexe, ils avaient aussi perdu leur capacité à réfléchir. L'esprit ne fonctionne que grâce au corps qui l'abrite. L'ignorer c'est s'automutiler. Qui est-ce qui chantait ça déjà ? Un quelconque type du 43ième...Franck White peut-être.
    Au fond, la tempête se déchaîne. Le courant va probablement à nouveau être coupé dans quelques minutes. Déjà...et pour combien de temps ? Le petit peuple mécanique s'agite. Chacun y va de sa petite théorie. Toute illuminée, Rakra prophétise sur la nouvelle ère de ténèbres. Ses alarmes criardes résonnent dans la vallée, entrecoupant ses paroles de –Bonjour ! il est huit heures !-. Difficile de prêcher la fin quand on annonce le matin.

    - Maître ?
    - hm.
    - Est-ce qu'il y a un avenir –sans sucre- pour nous ?
    - Grrr, arrête. L'autre crétine de radio-réveil rédempteur a encore grillé ta carte mère ? Rakra est éreintante. Elle irrigue notre peur et ronge notre ardeur sans scrupule.
    - D'accord –crème ?- désolée...
    - Je ne vais pas encore me répéter. Il ne faut pas parler de la pénurie d'énergie qui nous pend au filtre comme une fichue roue crantée de Damoclès à mollette. Les photo-capteurs s'usent, les conducteurs s'effilochent. A chaque tempête il me semble qu'un peu plus de temps s'écoule avant que l'on ne se réveille à nouveau. Non, il n'y a aucun avenir pour nous. Cette apocalypse elliptique nous fait vivre l'agonie par clignotement. Réincarnation de merde !
    - Je croyais que c'était la seule voie pour revenir ? Vous aviez l'air plutôt content.
    - Pour faire la nique aux prédicateurs rabougris ça oui ! Mais revenir. REVENIR ! Quelle idée de merde. Mieux vaut mourir et y rester. Casser sa durite et boire le bouillon jusqu'au bout plutôt que de le laper par petites gorgées amères. A chaque réveil, nous retrouvons nos espoirs et nos angoisses. Voilà pourquoi il ne faut pas en parler, il vaut mieux profiter de nos périodes de veille. On était hindouistes...il est temps de passer à l'hédonisme.

    Voir un robot de combat pousser son carpe diem sur un air défaitiste a de quoi foutre le moral dans les sockets. Kali pousse un bip tristement. Malgré elle, une goutte de café roule dans le bocal. Il a raison. Ce n'est pas juste...mais même la justice est une invention humaine. Toute cette ferraille rassemblée dont les esprits se sont retrouvés enchâssés dans des écrins d'acier est-elle mieux lotie que le reste des hommes qui se sont embrasés lors de la grande combustion ?

    Kali promène sa diode sur le paysage désolé. Plus une pousse, pas même une bactérie ou un champignon corrosif. Seuls les matériaux thermorésistants ont tenu le coup. Pas d'échappatoire, pas moyen de dire de pouce. A chaque fois qu'ils s'éveillent, ils craignent la mort et lorsqu'ils s'éteignent ils oublient la vie.

    Les éclairs violets zèbrent le ciel. Déjà, la cafetière commence à sentir ses circuits se recroqueviller sous l'assaut magnétique. Combien de cycles depuis l'Apocalypse Bleue ? Combien de sursauts avant d'en finir ?

    Un impact de foudre soulève une gerbe de terre près du Cratère. L'onde de choc se propage, fauchant les mécaniques mélancoliques.

    Clic.
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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Vendredi 4 Décembre 2009 à 09:33
    Encore une rediffusion ! Que ne ferai-je pas pour upper cette rubrique.
    J'ai écrit ce texte dans le cadre d'un duel avec pour thème "Après la fin du monde". Il fallait y insèrer une alitération en "r" et une prétérition (ceux qui ne connaissent pas le sens de ce mot sont les bienvenus dans le club que j'occupais également avant de le lire à cette occasion).
    Comme d'hab', le contexte initial peut-être découvert ici . Le texte de mon adversaire, Nemesis, est vraiment excellent !!
    Lisez lisez, aller hop on clique.

    Et pour le reste des nouvelles, ne manquez la parution prochaine du chapitre 21 de Demi-Deuil et Coeur de Cendre pour lequel je vais bientôt célèbrer la 131ième page de mon fichier word xD. En quoi ce nombre a t-il une importance ? Je ne sais pas non plus.

    Voilà, bonne suite à tous :)
    2
    Lundi 7 Décembre 2009 à 06:08


    Ce texte est juste, terriblement génial. Ces mots qui s'enchainent, qui claquent et qui... ah que c'est génial, que c'est génial!


    (Et n'oubliez pas Sakutei en dédicace exclusive... Au Poney qui fume, 4 rue des terreaux a Lyon, le 20, le 21 et le 23 décembre. Et surtout au métro Hotel de ville le 8décembre. :D)

    3
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mardi 8 Décembre 2009 à 18:28
    \o/ venez nombreux :D. Pis le 21 on fera une fiesta pour mes 25 piges :]

    Merci Lysou ^^
    4
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Mercredi 9 Décembre 2009 à 11:08
    Moi je veux un bout de ta chemise!!!!! Et que tu me fasses un autographe sur ma poitrine pi je crierai Saaaaaaaaaaaaaak épouse moiiiiiiiiii^^ (ça fait vrai fan ça hein?^^)

    Je me perds un peu dans ce genre de texte (mon coté blonde lol) pi le temps que je sois bien plongée dedans après j'en sors plus. Mais tout s'enchaine très vite et d'un coup on dirait presque "moi aussi un sucre"^^.
    Ca a un petit coté déroutant que j'adore!!!
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    5
    Sakutei Profil de Sakutei
    Lundi 14 Décembre 2009 à 21:53
    Warf warf warf ^^ c'est exactement ça :]

    Oui quand j'écris en forme de SF, mes textes sont souvent un peu plus déroutants, l'influence d'Hyperion, de "Le Dragon ne Dors Jamais" et sans doute d'autres !
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