• J'ai été salement paumé...
    Ca m'aura pris pas mal de temps...
    Mais maintenant que le tableau se dévoile enfin en partie...
    Maintenant, j'entrevois les premiers miasmes du merdier où je suis embourbé.

    Note anonyme trouvée dans la nature.

    Les arbres défilent comme des formes floues et torturées. Un sifflement aigu me vrille les tympans. Courir. Le sol n'est plus qu'un ruban ocre qui tranche sur le gris uniforme du ciel. Plus vite. L'air devient épais, comme un mur cotonneux. Je me débats dans une mélasse intangible. Chaque respiration me mets au supplice mais je n'ai pas le choix. Si je veux m'en tirer vivant, je dois caracoler.
    Les yeux fixés sur un point lointain devant moi, je tente de faire abstraction du rugissement sourd qui monte dans mon dos. Peine perdue, le souffle gagne en intensité malgré mes efforts. Bon sang !

    - Arrancar ! Tourne toi ou meurs comme un chien !

    Pas question de souscrire à ce choix. Je rentre la tête dans les épaules pour réduire ma prise au vent. Un aiguillon vicieux vient me piquer dans le creux des reins en guise d'avertissement. Je lâche un couinement. Tant pis, va pour la première proposition.

    Mes sandales s'enfoncent dans la terre molle lorsque je pile brutalement. Une lame barbelée coulisse sur le coté, m'effleurant le flanc dans un geste calculé. Au bout du sabre, un bras tendu se prolongeant jusqu'à un sourire résolu.
    Le shinigami se redresse et fait reposer son arme contre son épaule. Son regard sombre ne me laisse présager aucune issue. Cette fois je suis bel et bien piégé. Javel va s'en frotter les mains avec un sourire machiavélique. Et il ne sera sans doute pas le seul à s'extasier devant mon cadavre. Ai-je pu être assez naïf pour oublier le principal centre d'intérêt d'une nécromancienne ?

    - Alors fini de fuir ?

    Je ferme les yeux en fronçant les sourcils. Mon adversaire ne semble pas particulièrement enjoué. Juste déterminé à mettre un terme à mon existence. La menace qu'il s'imagine lire en moi a l'air suffisamment sérieuse pour qu'il ne badine pas. Je suis mal.

    - Je ne suis pas un Arrancar.
    - Tu l'as déjà dit quand je t'ai coincé à l'instant.
    - Bon sang, ces vêtements ne veulent rien dire...tu ne vois pas que je ne suis pas armé !

    Bon j'aurais pu les enlever, mais en l'occurrence, se promener à poil par cette température me paraît joyeusement suicidaire.

    - C'est peut-être vrai. Mais ce que je vois et ce qui est, sont deux choses différentes.

    Un brin cérémonieux hein ? Je plisse le nez. Il ne va pas tarder à s'élancer pour me trucider, profitant sans doute de ces quelques instants de flottement pour évaluer mes faiblesses.

    - Attends un peu...
    - J'arrive !

    Le guerrier bondit, le sifflement de sa lame le précède. Les jambes légèrement écartées, je ne peux que reculer pour éviter le coup. Il se ramasse souplement sur le sol sablonneux, courbé en deux, les deux bras repliés vers l'arrière. Le plat de son arme me dissimule le bas de son visage. Son regard se fixe un instant au mien et il détend son bras droit brutalement. Humph ! L'esquive n'est pas parfaite, il emporte un lambeau de cette foutue tenue qui signe mon arrêt de mort. A ce rythme... Uh ! Il attaque à nouveau ! Son katana barbelé passe sous mon bras et remonte. L'enfoiré ! Je me dégage sur le coté en comprimant mon aisselle. Du sang goutte entre mes doigts crispés. Il ne perd pas de temps et remet ça, me tailladant le cou et le haut de la cuisse dans un seul mouvement. La douleur subite me traverse comme une flamme enveloppante. Mes jambes se dérobent, je m'effondre, un genou à terre. Ce type est doué...
    Pourtant il s'interrompt un instant et repose à nouveau son sabre contre son épaule. Le sang...mon sang, roule le long du tranchant jusqu'à la pointe. Les gouttes sombres tombent sur le sol. Une à une. Un pouce passé dans sa ceinture, il me dévisage froidement avec cependant ce qui semble être une lueur dubitative dans le fond des yeux.

    - C'est tout ce dont tu es capable ?

    Je ne réponds pas. Mon regard est parasité par la vision creuse de crânes, de cadavres pourrissants sous un ciel indifférent...et de rituels obscurs destinées à faire relever les morts. Mon adversaire doit sans doute percevoir mon trouble, il se fait plus hésitant.

    - Tu cherches à me déshonorer ? Défends toi !
    - Je n'ai pas d'arme crétin !
    - Enfoiré, qu'est ce que ça signifie ? C'est bien la première fois que je vois ça. Pourquoi te serais-tu aventuré ici sans moyen de te défendre hein ?
    - C'est un piège
    - Quoi ?
    - On m'a collé ces vêtements sur le dos et depuis je suis traqué par votre clique.
    - Ridicule, lâche t-il brutalement.

    N'empêche qu'il hésite. J'ai peut-être une chance mais j'ai surtout l'impression que c'est l'idée de pourfendre un ennemi désarmé qui le dérange. Nous restons immobiles quelques instants. Il a tout son temps, moi pas. Le jour est maintenant levé depuis plusieurs heures sur un ciel plombé. Tout est gris, uniforme, sans ombre ni contraste. Ce n'est pas une belle journée pour mourir. Mais il semble que je sois le seul à être de cet avis.
    Je lève les paumes dans le geste universel de paix pour tenter de continuer à parlementer.

    - Ecoute je crois que...

    A ce moment là, l'autre se met à partir d'un petit rire. Rien de joyeux là dedans, plutôt l'expression rauque d'une contrariété. Le rire enfle, charrie un monceau d'émotions réfrénées et se transforme en hoquet hystérique. Folie meurtrière. Bon sang ! Plus la peine de discuter. Je tourne les talons pour filer avant qu'il ne se reprenne. Je perçois un mouvement derrière moi. Un impact douloureux dans le dos me fait trébucher. Le goût de la terre et du sang envahit ma bouche. Un brin désorienté, j'ai juste le temps de rouler dans la poussière pour éviter de me faire décapiter. Sa lame est foutrement vicieuse, les barbillons parviennent à m'infliger une nouvelle estafilade en haut du bras. Je grimace, mes yeux clignent sans parvenir à se fixer.
    Le shinigami atterri au dessus de moi, les jambes de chaque coté de mon corps prostré. Il brandit son sabre à deux mains au dessus de la tête et s'apprête à donner le coup final. Je serre les dents, tétanisé par cette mort imminente. Il faudrait que je sois très imaginatif pour éviter un coup pareil. A la place, je préfère me recroqueviller, c'est moins efficace qu'un bon plan, mais nettement plus rassurant.
    Le sifflement aigu et expéditif est interrompu par un chuintement qui déchire l'air et provoque une onde de choc soudaine. J'ouvre des yeux écarquillés sur un bout de métal enfoncé dans le sol à quelques millimètres de ma joue. Un reste de crépitement bleuté rampe sur le fragment. Tout autour de moi, des filaments d'énergie se dissolvent pour laisser apparaître derrière, la mine déconfite de mon assaillant. Une paire d'yeux furieux passe de ma modeste personne ... à la lame brisée tenue d'une pogne tremblotante ... pour dériver un peu plus loin, sur la gauche.

    Je suis son regard pour tomber sur une vague silhouette blanche. Fière et droite comme un i. Il semble irradier de cette étrange énergie bleue. Formidable. Je ne perds pas de temps à m'extasier inutilement. Profitant de l'état de confusion de mon adversaire, je lui assène un méchant coup de talon dans le genou. L'autre gémit et recule en boitillant. Il pointe alternativement le reste de son sabre contre moi et le nouvel arrivant. Sa réaction paniquée est sans doute un peu disproportionnée pour un vétéran. Tant pis pour lui, je suis pour ma part trop dévoré par l'adrénaline pour y réfléchir. Je fonce en avant, esquivant facilement le coup faiblard qu'il tente d'interposer. Mon poing fermé s'enfonce avec avidité dans le creux de son abdomen. Il crache. Je frappe à nouveau. Le choc ébranle sa carcasse et se propage le long de mon bras. Avec un beuglement sauvage, je prends mon élan pour lui fracasser la mâchoire d'un coup pied tournant. Le dieu de la mort tombe en arrière. Son crâne heurte une pierre. Ca devrait faire l'affaire mais j'ai encore de l'énergie à dépenser. Ramenant ma jambe en arrière, je m'apprête à lui infliger quelques sévices supplémentaires lorsqu'une vibration dans l'air me fait stopper net.

    C'est encore ce type là bas. Cette fois l'éclair bleu m'est passé sous le nez avec une précision inquiétante. Mal assuré sur mes appuis, je trébuche avant de me rattraper contre un tronc.

    - Hey !

    Ca m'a calmé, je retrouve l'usage de mon incontournable éloquence. Ce type vient de me sauver la vie, mais il protège également celle de mon ennemi. Qu'est ce que ça veut dire ? Sans prendre la peine de me répondre, il s'avance tranquillement. Un examen plus détaillé me permet de constater que l'étrange énergie qui émane de lui semble se rassembler dans son poing droit sous la forme d'un arc pulsant. Hum, ça explique les projectiles. Méfiant, je le laisse s'approcher. S'il est vêtu lui aussi de blanc, son accoutrement est en revanche totalement différent du mien. Beaucoup plus guindé, cintré...avec quelques détails flottants qui manquent cruellement de classe. Je préfère le mien, plus sobre et plus adapté au combat et au vadrouillage.
    Globalement, il a l'air encore plus arrogant de près. Son doigt inquisiteur se pointe sur la forme haletante du shinigami vaincu.

    - Vas t-en.
    - Quoi, le laisser partir ? Il ...

    Son regard de glace me cloue dans ma répartie. Je fronce les sourcils, il se prend pour qui au juste ? Comme s'il avait lu dans mes pensées, il se fend d'une présentation en bonne et due forme.

    - Ishida Uryuu, je suis un Quincy. Et je déteste les shinigamis.
    - Intéressant.

    Ma réponse n'a pas l'air de lui plaire.

    - Pourquoi ne pas le finir alors ?
    - Je ne suis pas leur allié, mais je ne suis pas le tien non plus. Arrancar ! Je suis intervenu parce que tu n'es pas armé mais tu restes un ennemi.
    - Quoi ? Tu veux me faire prisonnier.

    Le Quincy repousse ses lunettes sur son nez et m'offre un sifflement méprisant.

    - Je reviendrai t'affronter lorsque tu seras prêt.

    C'est tout. Il se tourne alors vers le guerrier en noir qui en a profité pour se relever. Son visage est encore marqué par la passion du combat mais il n'a plus l'air prêt à en découdre. Ce type, Ishida, pose sa main gantée sur son avant bras et se met à lui parler à voix basse. L'autre se contente d'avancer la mâchoire d'un air menaçant et finit par grommeler une réponse sur le même ton. Il rengaine le reste de son arme d'un geste sec. La teneur de leur échange m'échappe. Ils se séparent un instant plus tard, l'un plutôt vexé et l'autre hautain. Le calme relatif retombe... Je reste là, comme deux ronds de flanc à tenter de démêler le pourquoi du comment. J'ai échappé à la mort une fois de plus mais je n'y comprends plus rien.

    Faisant le compte de mes blessures, je décide de prendre un peu de temps pour récupérer. J'arpente la côte un moment avant d'opter pour un renfoncement rocheux à l'abri du vent. Bercé par le rythme des vagues, harassé par l'angoisse et la fatigue, je finis par somnoler.

    Elle est là à mon réveil. Tout pâteux et engourdi, je marque à peine un temps d'arrêt en remarquant sa présence.

    - Agaçant hein.
    - Ouais j'en ai marre de me faire surprendre.
    - Je parle du Quincy.

    Je finis de me frotter les yeux et conclue sur un bâillement félin. Mes coupures brûlent encore un peu mais je devrai m'en remettre. En face de moi, une fille vêtue d'une ample tunique noire sans manche est tranquillement assise en tailleur sur le sol. Visiblement pas menaçante...pour le moment en tout cas. Sa taille fine est mise en valeur par un ceinturon robuste qui diffère des tenues habituelles que j'ai pu voir jusqu'à maintenant. Sans doute jolie mais ses traits restent une inconnue de plus derrière ce masque de cuir noir. Je suppose qu'elle est plutôt jeune. J'ai l'impression de la connaître.

    - On s'est déjà vu non ?
    - Pas vraiment.

    Elle fait un curieux geste du bras. Je penche la tête sur le coté. Le vermisseau qui me sert de creuse-méninge finit par faire son trou.

    - Aaaah, sur la falaise...
    - Tu as eu beaucoup de chance d'en réchapper cette fois.

    J'en conviens, mais le sauveteur était pour le moins étrange.

    - Comment se fait-il que tu en saches autant sur moi ?
    - Donnant-donnant, je t'ai aidé, c'est à ton tour maintenant.
    - Quoi ?
    - Par quelle étrange coïncidence penses-tu que le jeune et fier Quincy se soit retrouvé au bon endroit et au bon moment ?
    - Hmm les règles de ce monde m'échappent. On y meurt souvent mais jamais totalement et on y trouve trop d'étrangetés. Alors s'il y avait une règle impliquant qu'un nouvel arrivant doit se pointer dans les cas critiques...
    - Ne sois pas caustique. Je l'ai attiré sur les lieux du combat.

    Je profite de la conversation pour fouiner dans ma besace. Je finis par en retirer une petite fiole opaque pleine d'un liquide glougloutant. Du vin ?

    - Ah merci...je suppose que c'est à toi que je dois la vie alors. Mais pourquoi n'es-tu pas intervenue directement ?
    - Je ne tiens pas à attirer l'attention sur moi. Et ce chevalier servant était parfait dans son rôle.

    Le bouchon fini par céder à mes insistances. Odeur inconnue. Je me gratte pensivement le thorax.

    - Je vois. Habile, mais maintenant j'ai un ennemi de plus sur le dos.
    - N'en sois pas si sûr. En s'interposant entre toi et le shinigami, il a réclamé la propriété du duel. Désormais, c'est une affaire entre lui et toi.
    - Pfff qui me dit qu'ils vont respecter cet accord. L'autre n'avait pas l'air jouasse.

    Pouah ! C'est de l'encre ! Je m'étrangle à moitié en recrachant le liquide noir, abreuvant au passage mon interlocutrice d'une bordée d'injures dirigées contre l'inoffensive petite bouteille. Je l'imagine hausser un sourcil avec amusement. Elle reprend sur un ton pince-sans-rire.

    - L'honneur est un concept clé ici. En t'attaquant désarmé, le shinigami a souillé le sien (je suis presque sûr qu'elle aurait voulu dire "entaché"). Le Quincy a marchandé là dessus pour acheter le combat. En échange de son silence, il s'assure de garder la primeur de l'affrontement. Donc en fait tu es nettement moins menacé qu'avant.
    - Je vois...mais...
    - Ne t'en fait pas, ce charmant jeune homme est trop fier pour s'abaisser à te tuer sans que tu puisses te défendre. Tant que tu n'as pas d'arme, il ne bougera pas.

    Ca mérite réflexion, mais si ce qu'elle dit est vrai, alors je lui dois une fière chandelle. C'est un coup habile.

    - Bon, que veux-tu de moi ? Je suppose que tu n'as pas fait tout ça juste pour le plaisir de tailler le bout de gras.
    - Comme je te l'ai dit, j'ai besoin de ton aide. Dis moi comment tu es arrivé ici.

    Je me rejette en arrière, adossé contre la paroi inconfortable, avec quelques restes d'encre sur la langue à savourer comme il se doit. Je décide de jouer le jeu, cette fille à l'air d'en savoir plus que moi et je ne détiens aucun secret digne de ce nom.

    - Je ne sais pas trop. Celle qui m'a envoyé ici a brouillé ma mémoire.
    - Hm elle a recommencé.
    - Je crois que j'ai suivi un passage. Je me souviens d'une pente et d'une douleur au fond de la poitrine.
    - Ca ne m'aide pas beaucoup. J'aurais aimé apprendre le secret de ces portails. Tu n'as pas de détail plus précis ?
    - Non désolé, le seul point dont je suis sûr, c'est que mon corps physique est resté là bas.
    - Comment ça ?
    - Je l'ai vu...enfin je me suis vu, allongé sur une paillasse. Il y avait du sang.

    Le fait d'en parler commence à dissiper le brouillard. Intéressant, peut-être qu'en poussant un peu j'aurais un aperçu du visage de Mélanargie.

    - Du sang ? C'était un rituel ? Est-ce que tu as vu autre chose ?

    La jeune fille se penche en avant, avide de savoir. C'est le moment de prendre les choses en main. J'ai besoin d'un peu de temps pour rassembler mes pensées et je ne tiens pas à dilapider toute ma monnaie d'échange.

    - Hon hon, une question à la fois. C'est à mon tour.
    - Je t'ai sauvé la vie !
    - Et je compte bien la garder. Mais ça ne suffit pas pour établir une confiance mutuelle. Alors respectons le code. Chacun son tour, c'est toi qui l'a annoncé au début.

    Elle grommelle et bougonne mais fini par accepter de ronger son frein. Bien, je ne suis pas totalement à la merci des créatures de ce monde. Mais je n'ai pas beaucoup de réserve, j'ai intérêt à bien choisir mes questions. J'hésite plusieurs fois avant de me décider pour un point essentiel.

    - Comment connaissais-tu le nom de Mélanargie ?

    C'est au tour de la fille de changer de posture. Une de ses mains se perd dans sa chevelure aile de corbeau.

    - Tu n'es pas la première personne à avoir été envoyée ici. Avant toi, il y en a eu beaucoup d'autres. Tous sont morts. Sauf moi. Ca m'a pris du temps mais j'ai fini par remettre la main sur son nom. Un coup de chance, comme toi, j'étais frappée d'amnésie, incapable de comprendre ou de me souvenir. Et encore aujourd'hui, je n'ai que ce nom, arraché à l'oubli, pour me guider vers une hypothétique sortie.

    C'est donc ça. Elle cherche la sortie. Tout comme moi. Mais ça n'explique pas tout.

    - Comment as tu ... ?
    - Ttt, c'est mon tour, lance t-elle avec une pointe de taquinerie. Je soupire, frustré. Alors, dis moi, est-ce que tu te souviens de son visage ?

    Aïe. Pas question d'inventer.

    - Non. Pose moi une autre question.
    - Grumph. Pas la moindre image ? Comment as tu fait pour voir ton propre corps étendu ?

    Je me concentre quelques instants. Si, il y a bien quelque chose. Mais c'est trop flou.

    - C'était une auberge je crois. A coté de moi, il y avait ce type, Javel.
    - Javel ?
    - Tu ne l'as jamais rencontré ? C'est apparemment le propriétaire des lieux.
    - Non, depuis que je suis ici, je compte sur mes talents de discrétion pour passer inaperçue. Qui est ce ? Que veux-tu dire par propriétaire ?
    - Ca fait deux autres questions.
    - Ne te fous pas de moi ! Un éclair de colère perce à travers sa voix, elle se redresse brusquement, plus menaçante. J'interpose une main pacifique.
    - C'est bon, je plaisante. De ce que je m'en souviens, Javel est un rêveur. Un étrange petit bonhomme plongé dans un sommeil cataleptique. Ici, nous sommes dans son rêve, et il en fait partie intégrante. Je suis étonné qu'il ne te soit pas tombé dessus. Ce vieillard m'a salement secoué quand il m'a trouvé. Il m'a donné un jour de répit pour évacuer les lieux avant de me tuer.

    Ce qui me ramène à la douloureuse réalité du répit qu'il me reste. L'étau se resserre, je doute que la "protection" achetée par le Quincy serve à grand chose. Tout en ruminant, j'expulse quelques grains de poussière de ma tenue parsemée de gouttelettes d'encre noire.

    - Un jour ? pourquoi ne pas t'avoir tué directement ?
    - Il avait l'air de craindre quelque chose. Je n'ai pas tout compris, mais visiblement, il savait que quelqu'un m'a envoyé ici. En fait... (j'hésite, elle m'encourage à poursuivre)...je crois savoir pourquoi.
    - Dis moi ce que tu sais, je te laisserai poser autant de question que tu veux après.
    - D'accord. Mélanargie est une nécromancienne.
    - Quoi ? Comment le sais-tu ?
    - Son nom. C'est un nom rituel, pas son véritable nom. Les nécromanciens se servent de fausses identités tout à la fois pour se protéger et pour acquérir leurs pouvoirs. On les reconnaît facilement car ils ont toujours une signification funèbre.
    - Et dans ce cas ?
    - Demi-deuil.
    - Artistique.
    - Et éphémère. C'est un papillon. Bref, je pense que son plan repose sur la manipulation des morts. Ca n'aurait rien d'extraordinaire pour sa profession. Elle doit donc attendre que je me fasse trouer le cuir pour entrer en scène.
    - Tu penses que le vieux aurait eu peur de te tuer pour ne pas déclencher le piège ? Mais alors comment t'es tu retrouvé avec ces vêtements. Tu n'ignores pas qu'ici, ils signent ton arrêt de mort. Je ne comprends pas non plus la logique...jusqu'ici, tout ceux qu'elle a envoyés sont morts avec succès !
    - Elle a pu changer de méthode en s'en apercevant justement. De manière à exploiter cette tendance à perdre la vie.
    - Ca paraît étrange qu'elle ne s'en rende compte que maintenant. Les candidats se sont succédés avec une régularité déconcertante. Voleurs, paladins, guerriers...elle a essayé toutes les combinaisons possibles. Au fait quelle est ta spécialité ?
    - La cartographie.

    Un moment de silence s'en suit. Je commence à avoir sérieusement faim. Un gargouillement rauque s'échappe de la caverne qu'est devenu mon estomac.

    - Je vois...c'est astucieux.
    - Comment ?
    - Ca fait longtemps que je suis dans ce monde et je n'ai jamais vu de carte ni même de plan sommaire. En fait, il me semble que certains lieux changent. Cet endroit est en perpétuelle évolution et du coup, il ne peut pas être cartographié de manière fiable.
    - Alors c'est un coup d'épée dans l'eau ?
    - Non. Tu dis que nous sommes dans un rêve alors c'est logique qu'il ne soit pas stable. Que se passerait-il si quelqu'un fixait les limites de ce territoire sur papier ?
    - Hum. Le vieux Javel avait l'air de redouter cette possibilité.
    - Ca colle. Dis moi, je viens de te voir boire de l'encre...tu n'aurais pas du papier et une plume en guise de hors d'oeuvre ?
    - Grumph. Sans commentaire.

    Fourrageant dans ma besace élimée, j'en tire le matériel demandé avant de le lui présenter. La fille déroule un manuscrit et l'étale sur le sol en le calant avec des pierres. Puis, attrapant un stylet, elle en trempe la pointe dans le col de la bouteille d'encre.

    - Je ne vois pas où tu veux en venir...
    - Je tente une expérience. Si ma présomption est bonne, le résultat devrait être intéressant. (elle se met à tracer quelques lignes hésitantes) Tiens, voici la petite pointe où nous sommes réfugiés. Ici, le rocher...et le renfoncement.

    Mon coté professionnel reprend le dessus, je l'interromps.

    - Non, plus large ici. Et je pense que tu sous-estimes la distance vers ce bosquet.
    - D'accord, fais-le toi.

    Je m'exécute, m'efforçant de restituer un portrait honnête du secteur sans pouvoir reconnaître les lieux efficacement. Le rendu final est tout de même assez approximatif.

    - Et maintenant.

    L'inconnue masquée pointe son doigt sur une zone vierge.

    - Place un rocher ici. Assez gros pour être vu de loin.

    Je ne pige pas mais je lui dessine une bonne grosse caillasse en forme de tête. Lorsque j'achève les ombrages, elle pose sa main sur mon avant bras et fixe l'emplacement réel comme si elle espérait y voir surgir un tête de pierre. Au bout d'un moment, je retire sa main délicatement.

    - Hem.
    - Attends, attends, je sens qu'on oublie quelque chose. Qu'est qu'il faut pour finaliser une carte ?
    - Et bien, une légende, une échelle et bien sûr, la signature de son auteur.
    - C'est ça ! Fais le.
    - Où est le nord ?

    Je complète la carte avec ses indications et parachève le tout par une belle griffe torsadée. Oui, je suis un peu exubérant coté signature. C'est tellement frustrant de tenir la bride de sa plume pour les petits détails que j'aime m'envoler quand je peux le faire.

    - Regarde !!

    Sa voix est toute excitée. Qu'est ce qu'il y a ? Oui le gros rocher en forme de tête...j'ai déjà noté qu'il avait une allure étrange en venant m'abriter ici. C'est d'ailleurs ce qui m'a attiré à la base. Pur réflexe contemplatif je suppose. Hey mais ...

    - Bordel de foutre noir !

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