• Troisième Fragment :

    Il faisait froid. Froid et humide. Sale temps pour les démons. Pas un bruit, mais dans le lointain, le scintillement musical et apaisant des étoiles. Pas moyen de les atteindre. Il devait pourtant bien y avoir un pont lumineux quelque part. Ou alors, une arche de chair et d'os pour franchir l'abîme. Pourquoi Zalnash avait-il fermé la porte ? La Fureur et la Fièvre restaient confinées dans cet espace de givre. Frustrées et cloîtrées, elles tournaient en rond, laissant parfois des griffures noircies sur les parois lisses. Elles ne pouvaient pas sortir. Elles ne pouvaient pas briser cette cage de glace. Dans le noir moite, une plainte lugubre fragmenta le silence. Zalnash est mort…sa tête empalée sur un pic…ses tripes répandant leur contenu fétide sur les marches craquelées de son palais…abreuvant les âmes perdues qui étaient jadis ses sœurs….Zalnash est mort…le démon a péri.
    Dans la cage de glace, la Fureur et la Fièvre se tordirent de douleur. Leurs griffes impuissantes crissant sur le sol. La porte était close, et l'abîme était bel et bien infranchissable.


    - "Ca n'a pas très bien tourné pour toi hein ?"

    Quintus prit conscience qu'une voix rugueuse s'adressait à lui. Son visage se crispa pour émerger des limbes. Il ouvrit les yeux. Un goût métal lui emplissait la bouche, il déglutit mais n'avait pas assez de salive pour éponger sa langue. Allongé sur le dos, il contemplait un plafond. Rien de très original en la matière. Juste des poutres et des entretoises. L'homme grogna.
    Des étoiles papillonnaient toujours dans ses yeux. Quelque chose lui martelait le crâne de manière insistante comme s'il cherchait à lui énucléer les orbites par l'intérieur. Non pas agréable du tout.
    Quintus tenta de porter une main à sa tête douloureuse, ce qui lui permit de faire plusieurs constats. Tout d'abord, sa main restait entravée par quelque chose de froid et cliquetant. Ensuite, il ne pouvait pas plus bouger la tête. Il semblait qu'une sorte d'anneau de métal lui enserrait le front. Et pour finir…il était là. Le Gardien et son sourire matois se dressait au dessus de lui. Effectivement ça n'avait pas bien tourné. Dans ce genre de situation, il n'y a pas grand chose qu'un détenu puisse faire. Mais il reste toujours la possibilité de déblatérer. Une bonne idée.

    - "J'aurais préféré ne pas voir ta sale trogne au réveil mon frère.
    - Considères ça comme une forme de pénitence mon frère.
    - Je t'emmerde mon frère."


    Le Gardien lâcha un rire glacial qui s'évapora dans un nuage de brume. Quintus prit alors conscience qu'il grelottait. L'air froid lui léchait le torse, piquait son dos d'aiguilles de givres, pénétrait les muscles de ses cuisses et tétanisait ses mollets. Allons bon…il était nu. Les chaînes carillonnaient au rythme de ses tremblements. Il se rappela alors que le Chien était en route pour lui. Il en prit mal aux tripes à point qu'il cru vomir. Une autre voix perça le silence religieux. Celle-ci avait moins des intonations de sergent instructeur que de vieux parchemin poussiéreux.

    - "Tu me l'a encore bien malmené frère Gardien.
    - Le bougre s'est mis en colère Prieur…
    - Ah, c'est un problème ces métamorphoses. Notre frère pénitent aux yeux gris à tendance à attirer les forces noires à lui.
    - C'était différent cette fois. Même pas eu besoin de recourir au Diép' néa . C'est cette crevure de Zalnash qui devait lui fournir ses pouvoirs
    (il eût un petit rire). Seulement voilà, le gros est mort. Un simple uppercut a remis notre frère à sa place.
    - Mmmh intéressant. Le mal aurait donc bel et bien été déraciné. Il suffit d'attendre que ses rameaux dépérissent.
    - Celui-là n'aura pas cette faveur ! Le Chien est déjà en route."


    Quintus grimaça à l'évocation de ce nom. Il tenta à nouveau de déglutir et se contorsionna, mal à l'aise sur la table "d'opération".

    - "Ecoutez, on ne pourrait pas discuter comme des gens civilisés ? Je ne sais pas pour vous, mais je ne me sens pas particulièrement à mon avantage là."

    Pour toute réponse, le Prieur s'approcha de lui et tendit ses doigts osseux vers son visage. Quintus montra les dents.

    - "Ttt, pas de ça." Sa voix était calme et apaisante comme la brise d'automne. Révoltant, pensa le détenu.

    Le Prieur lui maintint la paupière ouverte et inspecta attentivement l'iris grise de son patient. Sa face ridée à quelques pouces du visage buriné du frère pénitent. Pendant ce temps, le Gardien s'assit nonchalamment sur la table, écrasant sans vergogne le tibia de Quintus sous son fessier massif.

    - "On dirait que les effets de la possession sont totalement passés. Tu peux le détacher frère Gardien.
    - Pas trop tôt, grommela Quintus."


    Les chaînes retombèrent sur les côtés et le cercle de métal libéra sa prise. Quelque chose d'humide lui tomba sur le front. Foutues infiltrations. Quintus en se redressant constata sans surprise qu'il était dans le cabinet du Prieur.

    - "Bien, nous allons maintenant pouvoir nous pencher sur ta punition.
    - Je croyais que c'était déjà fait,
    marmonna Quintus en se massant le menton."

    Le rire sans joie du Gardien retentit à nouveau dans la pièce. Un jour, se promit Quintus, il l'aiderait charitablement à se passer de cette mauvaise habitude…et d'un certain nombre d'autres éléments de son anatomie.
    Les yeux gris glissèrent le long des étagères couvertes de bocaux et de récipients aux formes variées. Certains semblaient abriter des choses vivantes.
    Cette pièce était habituée à résonner des cris de douleurs et des crissements de dents. Ce n'était pas toujours involontaire d'ailleurs. Il reçut encore une goutte sur l'épaule et frissonna.
    Quintus avait la tête qui lui tournait méchamment, le Gardien était passé maître dans l'art d'estourbir son prochain. C'était d'ailleurs étrange. Comment se faisait-il que Quintorm ait pu échouer à ce point ? disaient-ils vrai ? le mal était il vraiment déraciné ?

    - "Tu va nous suivre dans le chapitre, mais enfile d'abord cette tenue. L'Oeil n'est pas friand de ce genre de spectacle." Le Prieur lui tendit une bure grise.

    Quintus remarqua alors une petite tache blanche sur le tissu grossier. Un détail qui le frappa en même temps qu'une autre goutte sur le dos. Non pas une goutte...Il leva la tête.

    Parsemés, discrets mais bien présents, des petits flocons tombaient doucement dans l'air froid. De la neige tombant de nulle part.

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique