• l'Hiver de l'Homme : Quintorm

    Deuxième Fragment :

    Quintus ne se retourna même pas. Son dos se couvrit d'une pellicule de sueur glacée lorsqu'il entendit le grincement caractéristique du loquet. Et merde…ça commence bien

    - "Par la mortecouille ! Frère pénitent mais qu'est ce que tu fous ?"

    "Frère pénitent"…une lubie unique au monarquement. Ici, les prisonniers n'étaient pas reconnus comme tels. Les moine-soldats considéraient qu'ils étaient ici de leur plein gré pour purger leurs mauvaises actions. En fait c'était plus ou moins effectivement le cas. Avant d'être cloîtré ici, chaque condamné avait le choix entre la cellule ou la corde (voire le billot, le bûcher ou l'éviscération à main nue pour certains). Douce ironie d'un système judiciaire très fier de son sens de l'humour.

    L'homme aux yeux clairs se redressa et retourna un rictus acide au nouvel arrivant. Seulement deux personnes venaient à l'occasion lui rendre visite dans sa cellule. Le Prieur, vieillard voûté au sourire ridé, n'était pas spécialement un mauvais bougre. En revanche le Gardien avait une fâcheuse tendance à manifester sa tendresse à coups de poings. Et là…pas de chance évidemment.

    - "Ah mon frère, rien de tel qu'un peu de méditation pour se purifier. J'ai pensé que ce coin de mur voilé aux regards était un excellent endroit pour refléter mes pensées.
    - L'Oeil apprécie ta dévotion…si le lit te gènes, on peut toujours te l'enlever."
    Le gros moine s'avança de quelques pas, ses mains croisées dans les profondeurs de ses manches. "Tu permets."
    Il avait le ton mielleux du tortionnaire aux aguets qui vient de repérer un fautif.

    - "Oh je ne crois pas que…
    - Les croyances c'est mon domaine, coupa t-il d'un ton brutal. Quant à ta spécialité, inutile d'en reparler n'est-ce pas mon frère ?"

    La manière dont il appuya ce dernier mot laissait entendre que sa fraternité se limitait aux phalanges. Quintus recula pour livrer passage au robuste gardien. Du coin de l'œil, il évalua la distance qui le séparait de la porte. Peut-être qu'une occasion se présenterait lorsque le moine serait plongé dans son inspection ? mais après ? Il contempla le dos massif de son interlocuteur. Penser que le Gardien était vulnérable en cet instant aurait été une erreur fatale. En fait, ce dernier, en bon bâtard retors qu'il était, n'attendait probablement qu'un geste de Quintus pour le corriger salement. Et la première règle qu'avait assimilé le frère pénitent était de ne pas se frotter aux battoirs du moine.

    - "C'est une belle collection de couverts que tu t'es constitué là. Tu voulais te tirer avec l'argenterie ? On t'as mal renseigné mon frère, les fourchettes sont en laiton ici."

    Tout en raillant le prisonnier, le moine faisait tomber sur le sol tout un assortiment de fourchettes savamment édentées et tordues, de couteaux patiemment aiguisés contre la pierre et autre ustensiles plus ou moins détournés de leur usage initial.

    - "Je me demande bien qui a pu mettre ça ici, marmonna Quintus par désenchantement.
    - Qu'est-ce que …"

    Ca y est, il l'a trouvé. Ca ne sera plus très long. J'aurais bien aimé jeter un dernier coup d'œil dans un miroir. Le gardien tira un pendentif étincelant. Il tint le bijou quelques battements de cœurs dans sa poigne d'acier. Le médaillon en forme d'œil oscillait lentement au bout de la chaînette en argent. On entendit alors le bruit d'une déglutition pénible. Mine de rien, Quintus avait une boule dans la gorge à l'idée de s'être fait prendre aussi bêtement après tant d'efforts.
    - "Je crois que je vais garder ceci. L'Oeil de la Diépine n'a rien à faire dans tes sale pattes de voleur de poules."

    Il se releva et, fronçant des sourcils broussailleux, il s'approcha suffisamment pour que les fronces de sa bure grossière caressent les bottes de son interlocuteur.
    - "Tu connais la musique mon frère. Si l'un d'entre nous enfreint les règles, c'est toute la communauté qui se doit l'aider à revenir dans le droit chemin.
    - Va te faire foutre au fond d'un trou puant
    - Poétique."


    Le poing du moine vint alors fraternellement à la rencontre de l'estomac de Quintus. A cause de la bure qui lui conférait un air paisible, il oubliait toujours à quel point ses gestes pouvaient être rapides. Plié en deux, il sentit deux grosses paluches lui saisir la tête par les oreilles. Il grimaça sous la douleur. Un froissement de tissus. Quelque chose d'incroyablement dur fit exploser une douleur écarlate sur son visage. Tandis qu'il tombait à la renverse, il sentit un liquide tiède couler de son nez. Le goût cuivré du sang remonta dans sa bouche, affolant ses papilles. Le sang. L'or rouge de son maître réveilla des sensations enfouies. Quelque part, dans les tréfonds de son être, un serpent de flamme renaquit de ses cendres et déversa son courroux incandescent. Quintus hurla. Son cœur s'emballait, imprimant un rythme lourd et puissant à son corps. Ses veines gorgées de lave se tordaient comme des vipères de braise. Lorsqu'il rouvrit les yeux, ses iris avaient pris la teinte pourpre d'un soir orageux. L'appel du sang se faisait de plus en plus prégnant. Il huma la pierre, il écouta le crissement du vieux bois, il goûta la nuit sur le bout de la langue. L'homme était avide de croquer l'âme.

    Quintorm bondit, repassant en position verticale sans que l'on ne puisse réellement comprendre quels rôles avaient joués les différents membres qui jaillissaient de sa tunique déchirée. Impatient, il darda une langue squameuse entre ses dents jaunies. Le sifflement qu'il produisit en faisant cela s'amplifia contre les parois impénétrables de sa cellule.

    - "Très théâtral."

    Cette fois le coup fulgurant vint le cueillir à la pointe du menton. Quintorm se mordit la langue douloureusement. Dans son coin, le serpent de feu fila se réfugier dans un trou en couinant. Il reçut un nouveau coup dans le bas ventre, suivit d'un impact contondant entre les omoplates.

    Quintorm se laissa sombrer dans l'obscurité avec une sorte de soulagement teinté d'amertume.

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