• La fille qui effeuillait les corolles de tes pâquerettes séchées.

    Parce que je n'ai sans doute pas de véritable existence, je n'ai pas vraiment de sens. Je ne vois et ne respire que par procuration. J'aspire vos pensées et vos songes pour me faire une idée de ce qu'est l'envie, la passion, le délice et le frisson. J'en suis gourmande ! Vos sensations et sentiments sont mes friandises. Elles cristallisent autour de mes sourires gercés comme autant de petites perles sucrées saisies par le froid.

    Tu as déjà mangé sucré ? C'est délicieux !

    Il n'y a rien de si doux qu'une émotion. Rien de si savoureux qu'une stupéfaction. Mon nectar, c'est l'ambre qui coule de vos bouches ébahies. J'aime surprendre pour mieux comprendre !
    Les âmes qui croisent ma route disent que je suis funèbre. Je ris pourtant si souvent ! Ce n'est pas moi qui suis en bière, c'est ton linceul que tu traînes. Et lorsque tu présentes devant moi tes mains ensanglantées en implorant quelque chose que je daignerai peut-être t'accorder, qui de nous deux est macabre ?

    Que veux-tu que je te dise ? C'est la vie, tu l'as perdue. J'aime rencontrer les âmes de ceux qui trépassent par ici. Il y en a tellement ! Souvent, je partage avec elles quelques instants de pure et délicieuse terreur. C'est si doux ! C'est si bon ! J'aimerais rencontrer ton âme…

    Tu aimes les grimaces ?

    Souvent, je fais des grimaces dans le grand étang aux larmes. Celles qui coulent des os qui se cassent lorsque le vent, ce rapace, dévore les restes de vos incarnations. Je joue au bilboquet avec vos crânes. Je dessine la mélancolie dans la poussière de vos pas, je lape malicieusement les restes de vos complaintes lorsque les derniers souvenirs de votre existence s'effacent.

    Donnez moi plus de sensations ! J'aime vos cris, vos pleurs et vos effrois ! J'aime aussi vos rires, vos questions ingénues et vos idées tordues mais vous en produisez si rarement…

    Certains pensent que je me sens seule et que je me suis inventée tout un monde pour m'amuser. C'est vrai, c'est celui d'où tu viens. Tu ne me crois pas ? Alors peut-être que j'ai tort mais en attendant, c'est toi qui est mort !

    Parfois, quand je perds l'inspiration, j'essaie de façonner des choses. J'aime bien tailler, sculpter… mais ici, tout s'efface si vite. Alors je prends vos os, vos ongles, vos cartilages que je tresse en colifichets amusants.

    Tu aimes les crécelles ? Quand tu viendras je t'en offrirai une ! Peut-être que je la ferai avec tes dents ou avec tes phalanges… il faudra qu'on en discute !

    Car je sais que tu viendras bientôt.

    Et lorsque ce sera le cas, si tu me cherches, arrête toi près du chapeau noir. Celui que porterait un corbeau s'ils aimaient les chapeaux.
    Il n'y a pas d'oiseau dans le royaume des morts, sais-tu pourquoi ? C'est à cause du vent, ce vorace, qui racle tout ce qui trépasse !

    Si tu as de la chance, sous le chapeau tu trouveras une touffe de cheveux noirs, une frimousse adorable et mes grands yeux curieux. On dit que quand je scrute, c'est le fond de ton âme que je regarde. Mais en fait, tes vices cachés et tes secrets honteux m'intéressent moins que l'intensité alléchante des gènes coupables qui affleurent. A la complexité amère du fond, je préfère la pulpe suave de la surface !

    C'est comme une orange renversée où le zeste resterait à l'intérieur. Tu as déjà mangé de l'orange ? J'aimerais en avoir rien qu'à moi… je m'en ferais une écharpe, ou peut-être une boucle d'oreille.

    Mais les couleurs ont du mal à s'exprimer dans mon décor, je consacre pourtant beaucoup de temps à arranger les choses. Ma tenue par exemple, une robe sans manche qu'on croirait tissée dans la couleur du temps qui passe. Malheureusement, pour la plupart des âmes, elle apparaît noire. Est-ce que tes yeux la verront mieux ? Je suis impatiente de te la montrer !

    Mes bottines en cuir de faim cassent parfois la croûte du sol pour y laisser des empreintes profondes. J'aime tracer des pistes qui s'enroulent et redessinent les reptations vaincues de ceux qui angoissent par ici !
    Autour du cou, je porte un lacet de lassitude, mes lèvres sont peintes de renoncement et mes mains sont gantées d'épuisement fin et délicat qui remonte jusqu'à mes coudes. Ce sont des matériaux que je trouve en abondance par ici où tout est noyé de gris de nuit. J'aimerais tellement en manipuler d'autres…

    Bientôt, quand tu viendras, souviens toi de la sève, souviens toi des feuilles, souviens toi des orties givrées dans le matin. Apporte moi une idée de la terre craquante relevée par les vers.
    Alors, peut-être que pour te remercier, je te rendrai ce qui a tellement de valeur à tes yeux : ta vie, ton nom, ton espoir et ce qu'il restait de ta vigueur avant que tu ne la consume par les deux bouts.

    Oui, pas la peine d'ouvrir des yeux ronds, bien sûr que je peux te renvoyer là bas ! Il me suffit de l'imaginer. Tu es là, et l'instant d'après, tu es parti. Oh, je suis déjà assoiffée de ce scepticisme que tu ressens… je t'en prie ne tarde pas ! Viens me voir et apporte moi quelque chose de doux et sucré comme le suc du doute.
    Mais si tu me sers un casse-tête, alors je n'en ferai qu'à la mienne et je viderai l'enveloppe de tes soupirs pour garnir de mousseline le bord mou de ma capeline.

    Tu savais que les soupirs ne durent jamais bien longtemps ici ? A peine prononcés, ils se font lacérer par le vent, ce vorace, qui les transperce d'une bourrasque, une seule.

    Il détruit et moi, je dresse des petits châteaux de fable en racontant des histoires dans le vent. A ma manière, je peux créer ce qui me fais envie du moment que j'ai assez de fil à ma disposition. Alors ne m'en veux pas s'il faut que je coupe un brin de ta trame pour alimenter ma pelote de peine, mais c'est dans l'âme que l'on trouve le meilleur crin.

    Tiens, c'est comme ma bougie. Tu sais celle qu'on utilise pour mesurer la vie. J'en pioche parfois une dans la grande caverne. Plus elle est longue et plus elle persiste mais je préfère souvent celles qui se terminent dans un dernier éclat luminescent.
    La lumière est une denrée périssable ici. Je m'en sers pour marchander avec le vent. Contre une obole de clarté, il laisse coulisser sa fièvre tumescente  jusqu'à moi. Lorsqu'il souffle la mèche, je le sens se gonfler de voix. Il gémit, il hurle, il croasse. Dans ces moments là, nous dansons, lui et moi.
    Il m'enlace, soulève sensuellement les bords de ma robe et s'invite dans ma cage thoracique comme une petit corbeau au plumage encré. Je le regarde s'y balancer quelques instants. Je le griffe de caresses, il plante ses serres amoureuses contre mon sein. Il s'y suspend le temps d'un heurt et puis repart, me faisant larmoyer d'expiration.
     
    Tu sais, la dernière que tu laisseras filtrer entre tes lèvres parcheminées viendra l'alimenter. Encore et encore. Il aime les derniers souffles, le vent, ce vorace.

    Et moi j'aime vos bougies.

     

    Burtondoll

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