• Quelque fois c'est le bar qui te cogne...

    Glamdring faisait dring dring.
    Pas par méchanceté, c'était une bonne lame dans le fond. C'est juste qu'elle en avait acquis la capacité. Une épée qui sonne, c'est assez folklorique. Les histoires de tranchoirs magiques qui ne chantent que dans la main de leur véritable maître, c'est un lamentable cliché. Et d'ailleurs, on compte bon nombre d'ustensiles de baston qui ont des fonctions lumineuses, avertissantes ou divinatoires.

    Mais une épée qui fait dring dring…ce n'est pas seulement ridicule, c'est aussi très pénible. Surtout lorsque même l'aube n'a pas encore pointé ses doigts de rose (merci Homère).

    - Aller ! Réveille toi feignasse ! C'est une belle journée pour trancher. Je veux du gore, du sang. De la castagne et de la carcasse à découper !

    Sakutei roupillait encore. D'un sommeil agité…du genre peuplé de créatures baveuses qui enroulent leurs tentacules autours des chevilles des jeunes filles. A force de beuglantes, Glamdring parvint à réveiller son heureux propriétaire.

    - Debout ou je te racle les orteils jusqu'à l'os !

    Le scribe mal léché ne se téléporta pas d'un bond en position verticale en poussant un cri, le visage dégoulinant de sueur et la respiration haletante. Parce que personne ne se réveille comme ça, même après un cauchemar (mais était-ce vraiment le cas ?). Bien que ce soit aussi un lamentable cliché.
    Non, il ouvrit tout bonnement un oeil, lâcha un demi-juron, remonta les couvertures sur sa tête de buisson et se rendormit aussi sec. Glamdring reprit haleine et poussa une nouvelle série de trilles avec l'entrain matinal du passereau des collines. A ceci près que son tintamarre tenait plutôt du fracas que produirait une batterie de casseroles ébréchées en train de sautiller joyeusement sur un lit de gravier.

    L'un-peu-moins-heureux détenteur de Glamdring finit par passer ses jambes hors du lit avec fureur.

    - Nom d'un bordel de la cuisse sanglante ! Qu'est ce que c'est que ce merdier ??
    - Ah enfin, pas trop tôt ! Pfff mais quelle feignasse tu fais.... Ah. J'aurais dû rester avec mon ancien maître.
    - Que…mais qui…et d'abord, depuis quand est-ce que tu parles toi ?
    - Depuis ce matin, répondit-elle avec un brin de satisfaction.

    Sakutei pressentit que la journée allait être longue. Il se passa une main pâteuse sur le visage.

    - Je savais que c'était une mauvaise idée d'acheter une épée aussi peu cher.
    - Peu chère ! Peuchère ! J'étais pas donnée à l'origine. Ouais. Des armées entières se seraient étripées pour m'avoir au fourreau. Peu chère…je suis médusée.
    - Oh oh, arrête ton radeau hein. Voilà ce que c'est que de donner des noms à son équipement. Ils finissent par prendre la grosse tête. Mais… Mais pourquoi je parle avec une épée moi.
    - Aller ! On s'en fiche, on va trucider des mecs ! J'ai soif. Nourris moi !
    - Oui ben moi j'ai sommeil. Il fait nuit et à cette heure, on dénude les jambes des jeunes filles plutôt que les lames.
    - Oui mais t'es tout seul là.
    - Oh…perspicace en plus. Lâche moi l'épée, ou je te laisse rouiller sous la pluie.
    - Tu n'oserais pas ! lâcha t-elle sur un ton tranchant.
    -
    Vas-y, provoque moi.

    A peine catapultée au fond d'une flaque vaseuse, Glamdring se remit à faire dring dring avec un entrain redoublé. Sakutei se rassit dans son lit avec un regard désabusé. Il jeta un œil envieux à son chat du moment, Le Vieux Mûrier (oui parfaitement), qui tirait sa nuit tranquillement au coin du feu comme le vieux matou roublard qu'il était. D'accord, après tout, y'en a qui sortent le chien sous la pluie, lui ce serait son épée. D'aaaccord. Un quart d'heure plus tard, il faisait claquer la porte de sa cahute pour aller traîner ses bottes dans la boue.

    - Très bien, on y va Glamdring. Mais je te préviens, on y passe pas la nuit.
    - Formidable !

    Trouver quelqu'un à démembrer c'est déjà pas facile, mais en pleine nuit et sous la pluie…ça s'avère encore plus pénible. Tout en bougonnant, Sakutei tentait de se réconforter avec le mantra du cogneur : "Frappe et ne te pose pas de question". Au détour d'une rue, il tomba sur un badaud badin, rond comme une queue de pelle qui manqua de lui uriner sur les basques.

    - Ah ah ! Trouvé ! Ô mon douillet lit, ne refroidis pas j'arrive !
    - Non pas lui.

    Sakutei s'arrêta, la main sur la poignée.

    - Comment ça pas lui ?! Ne me dit pas que tu es une épée justicière en plus ou je te colle au clou.
    - Non, rien à voir mais regarde moi ce sac à vin. Il pue l'alcool. Il doit avoir un goût abominable. Trouve m'en un autre !
    - Et je suis tombé sur un difficile en plus…
    - UNE difficile. Je suis une fille. Et d'ailleurs, je ne suis pas compliquée. Juste fine gourmet. Tu t'es doté d'une lame noble, faut l'assumer.
    - Graaaah…maintenant il est parti ! C'est malin.
    - Tant mieux.
    - Mais pourquoi est-ce que je suis tombé sur toi…
    - Je vais te dire, on m'a mise à vendre parce que mon ancien maître n'était plus capable de laver son linge sale lui-même. Au propre (si je puis dire) comme au figuré d'ailleurs !
    - La ferme.

    Sakutei reprit sa marche nocturne, le fourreau de Glamdring lui battant les mollets. Celle-ci ne s'interrompit pas pour autant. Tout juste si son verbiage était entrecoupé par un hoquet lorsqu'elle heurtait les talons de son détenteur.

    - Figure toi qu'à une époque (hoc), il était si cradot qu'on l'appelait le magicien gris (hic). Il a fallut le tuer pour le passer tout entier à la trempette (hec) pour qu'il retrouve enfin sa blancheur d'antan (hanc).

    Une vraie pipelette. Pas croyable. Et les précieuses heures de sommeil dégoulinaient lentement au rythme des gouttes de pluies qui s'infiltrait dans ses vêtements. Sakutei tout cerné tout voûté, envisageait de trébucher sur son épée pour contenter tout le monde.
    Arrivant sur la place du clocher, il entrevit une bande plutôt louche qui murmurait sous cape. Un grand malingre qui se curait les ongles avec une tête à s'appeler "Corbeau". Et deux autres, plus chétifs dont un qui semblait affligé de tremblements.

    - Bon Glam', qu'est ce que tu dis de ça ?

    Un des gaillards tourna la tête dans sa direction

    - C'est à nous que tu parles petite tête ?
    - Non c'est à mon…enfin ma…heu. (comment expliquer ça ?)
    - Hé hé on dirait qu'on est tombé sur un paumé les gars. Notre chance tourne !

    Le trio partit d'un rire mauvais et s'avança, couteaux en pogne.

    - Donne ton or l'ahuri !
    - Belle épée aussi, on pourrait la revendre un bon prix.
    - Bas les pattes ! Ne vous avisez pas de poser vos sales paluches crasseuses sur moi !

    Le timbre piquant de Glamdring laissa tout le monde un peu perplexe.

    - Qui a parlé ?

    Sakutei prit les devants. Dégainant d'un geste fluide, il rejeta son manteau en arrière pour libérer ses mouvements.

    - Noooon ! Ils puent, je ne veux pas, je ne veux pas !
    - Le ferme Glam' ! Tu tranches et tu te tais.

    Un des loqueteux attaqua sur le coté. Son petit couteau de cuisine fut stoppé net par la lame vibrante. Celle-ci lâcha un : " Pff…amateur." avant de dévier sur le bras pour s'enfoncer dans la poitrine du bonhomme. Un râle s'en échappa avant qu'il ne tombe face dans la boue dans un grand splotch disgracieux. Sakutei se baissa, esquiva un autre coup de taille et envoya son coude dans les dents du petit tremblotant. Profitant du flottement, il ramena son épée en arrière et lui sectionna net le poignet. Le type recula en hurlant, gesticulant de plus belle.
    Un cri sourd, Une légère piqûre. Sakutei recula d'un bond et interposa sa lame juste avant de se faire cueillir au creux des côtes. Le métal tinta, l'épée chanta "Hey arrête de me manier comme une rapière, je suis faite pour découper, pas pour tricoter".
    Piqué au vif par ces remarques acerbes et pressé de retrouver son lit, le scribe harassé poussa un braillement rageur et enchaîna un double coup qui repoussa ses deux adversaires restants contre la fontaine centrale.

    - hugh…pas si fort…je me sens mal…j'ai la nausée
    Il attrapa Glamdring par la naissance de la lame et la porta à son regard furibond.
    - Mais tu vas la boucler oui !

    Distrait, il reçut une blessure douloureuse au creux du coude. La plaie se mit à pulser au rythme de son coeur. Il souffla de rage et se lança à l'assaut. Le premier truand se fit salement écharper, avant d'atterrir en morceaux dans l'eau claire de la fontaine. Restait le manchot qui s'enfuyait en comprimant son moignon.

    - Hey qu'est ce que tu fais !! Non, ne me lance paaaaaaaaaaas !

    La nuit se terminait sur une note écarlate. Le sang se diluait lentement dans les flaques en rigoles sinistres. Sakutei rengaina Glamdring dans son étui dégoulinant. Bon, il pouvait encore rattraper un peu de sommeil.

    - Par tous les saints ! Que s'est-il passé ici ?!
    Un moine, ce qui était commun aux abords d'une église. Mais celui-ci avait l'air sobre et pieux…ce qui l'était moins.
    - De la sale viandasse dégueulasse ! Voilà ce que c'est !
    - (A l'épée, avec un ton morne)
    La ferme… (au moine) Rien. Un peu de gibier de gibet. Je leur ai réglé leur affaire.
    - Des brigands. Oh je vous dois une fière chandelle alors
    - Comment ça ?
    - Je suis le frère Angélus, j'apporte les deniers de l'église à notre abbé. La dîme est bonne cette année.
    - Ah ah…
    Sakutei était trop fatigué pour flairer le butin.
    - Bien, je vous laisse mon bon sire, il faut que j'aille sonner les mâtines ! Comme mon nom l'indique, je suis également responsable de l'angélus.

    Les cloches ?! Le scribe fit volte face brutalement, et s'avança lentement, tête baissée et pouces dans la ceinture.

    - Ah non ça, ça va pas être possible.
    - Pourquoi ça ? demanda le candide dévot.
    - Glamdring, tu vas avoir le droit à une ration supplémentaire.
    - Oh ouiii ! J'aime le sang religieux, c'est riche, c'est gouleyant.
    - On était faits pour s'entendre finalement.

    Le frère l'Angélus poussa un petit cri perçant et glissa en tentant de filer. Mal lui en prit, il se fit happer par Glamdring au creux des reins.

    - Pff mais reste tranquille ! Ce serait déjà terminé si t'avais pas bougé !
    - Jésuuuuuus
    - C'est ça, passe lui le bonjour de ma part.
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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Vendredi 18 Septembre 2009 à 22:36
    Salut à ceux qui lisent !
    Un petit texte avec à nouveau Sakutei le scribe en guest star. Après tout, c'est un blog (et qui plus est le mien), j'ai le droit.

    J'ai écrit ce texte pour illustrer un combat sur un jeu par navigateur. Et comme je trouve que j'ai eu la plume heureuse...je le duplique allègrement ici !

    A ceux qui n'ont pas lu le Seigneur des Anneaux : Allez le lire. Aux autres, ahoy !

    Je dédie par ailleurs ce tas de mots à tous ceux qui en ont marre de la tyranie du Paladin Loyal Bon et de ses quêtes cul de nouille ! Vive les méchants ! Vive le Rock 'n' Roll ! Vive la Bière.

    Ah et pendant qu'on y est, je serai en dédicace les 3 et 8 novembre à l'Antidote à Lyon (non c'est une affabulation éhontée...mais j'ai toujours rêvé de dire ça).

    Donc plus sérieusement...un chapitre supplémentaire pour Demi Deuil :)...par ici : http://sakutei.eklablog.com/article-136740-684691-chapitre-4-reveil.html

    Bonne journée / soirée / nuit :)
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