• Sous un fiel noir

    Dix-neuvième Fragment :

    Quintus grimaça un sourire contrarié à son adversaire. Inutile de se faire d'illusion, sans utiliser la Fureur et la Fièvre, il n'avait aucune chance de faire face. Autant demander à une sylphide éthérée de balancer des coups de poing dans un rocher. Donc, la solution envisagée était simple : passer dans le Génif, et tant pis pour les recommandations de Xylarm !

    L'homme en blouse se redressa et ramena ses deux poings fermés en avant. Bandant ses muscles, il se concentra sur un authentique beuglement guerrier qui s'extirpa douloureusement de ses lèvres fendues en forme de gémissement plaintif. Pouah ! C'est pitoyable. Sans attendre la remarque narquoise qui ne manquerait pas de venir, il se jeta en avant.
    Tranche-Tempête l'attendait avec un air ennuyé. La hache siffla dans les airs et passa à un cheveu de la tignasse de Quintus. A moitié roulant, moitié tombant, il passa sous la garde du colosse pour foncer tête baissée dans son ventre massif. Bastre ! Autant faire un concours de casse tête avec une montagne. Des étoiles dans les yeux, l'homme se détourna légèrement. Il reçut un nouveau coup au visage et dans le dos mais ne lâcha pas prise. Il se bourra le cœur de hargne et se mit en devoir de marteler tout ce qui passait à sa portée. Ses phalanges éclataient à chaque fois un peu plus, le sang giclait. Tranche-Tempête grogna et fit un large mouvement du torse. Quintus entendit le bruit du métal s'enfonçant dans un tronc. Il avait balancé sa hache ?

    - Très bien petit merdaillon ! On va faire ça à ta manière !


    Le guerrier l'enserra dans une étreinte puissante. Comprimant le corps meurtri de Quintus contre son torse de pierre. Ce dernier ferma les yeux en sentant les os crisser les uns contre les autres. Il renvoya quelques coups de pieds sans conviction alors même qu'il décollait du sol. Sortant les dents, il tenta de mordre et manqua de se briser la mâchoire. L'autre continuait de broyer, inexorablement. Pourquoi était-il aussi faible !! Il était pourtant parvenu à convoquer une force destructrice un peu plus tôt. D'habitude, le principe était simple…car pour être démon, il ne faut pas réfléchir mais souffrir. Mais là, échec critique, il ne parvenait même pas à être aveuglé par la colère.
    Un voile rouge s'invita soudainement dans son champ de vision. Sur le coup, il cru tellement que c'était Quitorm qu'il manqua d'en faire dans son pantalon. Mais en fait non, c'était juste le sang qui envahissait son crâne, chassé des endroits exigus de son corps. Quintus rejeta la tête en arrière, son souffle rauque léchait le cuir rugueux de la tenue bigarrée de Tranche-Tempête. L'étau serait bientôt trop étroit pour qu'il puisse réagir. Il ne lui restait qu'une seule carte à jouer.
    D'un seul coup, il relâcha tout l'air qui lui restait, réduisant le volume de sa cage thoracique et balança un coup de tête magistral à son ennemi. Celui-ci fut légèrement ébranlé. Quintus profita de ce petit instant de flottement pour glisser hors des paluches broyantes.
    L'air revint avec la consistance de la braise lors de la première inspiration. C'était bon !! Les yeux rouges de douleur, l'homme bondit vers le pin malchanceux qui avait été choisit pour râtelier. Ses doigts écorchés se refermèrent sur le manche rugueux de la hache avec une sombre satisfaction. D'un geste sec, Quintus arracha l'arme et la brandit face à un Tranche Tempête roulant des yeux ronds. Visiblement, cette possibilité ne lui avait pas effleuré l'esprit (si tant est qu'il en ait un). Ha ha ! Costaud mais abruti !

    L'arme était lourde mais Quintus n'était pas non plus une chiffe molle, s'étant déjà épargné une humiliation prévisible en dégageant la lame d'un seul coup, il se sentait tout à fait capable d'aller en loger le tranchant dans le cul ou le cou de son adversaire. Saisissant l'arme à deux mains, il bondit en avant. Le colosse recula légèrement en interposant sa main calleuse. Le sourire sauvage du fuyard devait l'inquiéter. Le coup fulgurant que Quintus lui porta était imprévisible, tournoyant, virevoltant, changeant de direction au dernier moment. C'était jouissif de voir cette étincelle de doute dans les yeux du barbare ! La lame siffla et mordit avidement la chair de son maître. Le barbare rugit lorsque son membre mutilé voltigea dans l'air pour atterrir dans les aiguilles. Un nuage de gouttelettes écarlates voila la vue des deux combattants un instant.
    Quintus laissa retomber la hache dans la terre molle, exténué. Son corps en avait trop subit, il ne tenait pas le coup. Merde ! Un filet de sueur noire perlait au bout de son nez. Tranche Tempête commençait tout juste s'échauffer. Reprenant son souffle, il rua et balança un coup de botte rageur. L'homme tomba en arrière en criant. Il roula sur le sol tandis que son ennemi récupérait son arme de la main gauche. Plus aucune parole n'était échangée. Le premier sang avait été versé pour de bon…et continuait à s'écouler à gros bouillons de la plaie. Le bûcheron fendit le sol à deux reprises tandis que Quintus se contorsionnait. Une pierre lui cogna le crâne, il s'en servit de projectile contre l'ogre. Celui-ci la prit en pleine poire et s'ébouriffa simplement pour chasser la douleur. Son coup de manche renvoya Quintus contre une écorce. Il se baissa, le tronc fut coupé en deux. Il se releva et avisa son propre glaive, à quelques pas. Un coup de poing sur le coté, une dérobade. Tranche Tempête massacrait les résineux, les cailloux et les mottes de terre…et parfois ajoutait un bleu à la collection de son adversaire. S'il avait été un démon, aucun doute qu'il serait passé en métamorphose. En termes humains, sa rage berserk se traduisait par une folie destructrice sans prendre en compte sa propre sécurité.
    Quintus parvint à atteindre son glaive. Il s'efforçait de respirer en cadence, de contenir les battements de son cœur et gardait un esprit clair. C'était déstabilisent et inhabituel.
    La hache arriva à la manière d'un reptile, Quintus esquiva d'une rotation du torse et s'avança, lame dressée et regard haineux. Tranche Tempête acheva son moulinet par une descente fulgurante qui fit trembler la terre. L'homme bondit par-dessus et leva son glaive. Son coup tournoyant fut intercepté par la lame double. Comment ? Rapide l'enfoiré ! Griffe crissante contre croc étincelant, les deux adversaires se dévisagèrent de part et d'autre de la croisée métallique. L'enfer dans le sang, le sang gouttant sur le sol boueux, rictus boueux dévoilant des dents se chevauchant, regards se chevauchant avec haine et rancœur, cœurs battants à l'unisson sur un rythme forcené. Jamais Quintus n'avait autant détesté quelqu'un, et il sentait que la réciproque était vraie.
    Ses muscles tremblants menaçaient de le lâcher, mais il refusait de céder. Il n'avait peut-être aucune chance dans cette confrontation mais sa Haine et sa Hargne tissaient un voile sombre sur son esprit. Un voile Noir.
    Tranche-Tempête commençait à prendre le dessus. Des filets de salive luisants se perdaient dans sa barbe broussailleuse tandis qu'il exultait sous l'effort et la satisfaction d'écraser petit à petit son adversaire. Quintus fut contraint de reculer pour ne pas succomber. Son regard noir transperça son adversaire, il revint à la charge. Son épaule se contracta alors sous le coup d'une attaque de coté. Il tourna la tête…et se retrouva soudain prit d'une crampe monumentale. Que ?

    Un doigt ganté de noir pointé dans sa direction et au bout, la triste figure de Crâne d'œuf. Ah, elle a finalement décidé de bouger…pensa t-il avec ironie. Incapable de soutenir son propre équilibre dans cette position, Quintus tomba lourdement sur le sol. Il ne restait plus qu'à attendre le coup de grâce. L'enfoirée…elle m'a pris en traître.
    Une paire de bottes élégantes lacées au mollet entra dans son champ de vision. La fille s'agenouilla devant lui dans un crissement de cuir. Elle tira une dague de sa manche et en promena le tranchant sur la joue de Quintus. Lentement…avec un certaine passion plutôt dérangeante. Finalement, elle utilisa sa main libre pour abaisser le col de sa tunique qui masquait le bas de son visage.
    Une frimousse plutôt séduisante…des lèvres fines, une courbure de joue harmonieuse se finissant sur un menton tendrement arrondi. N'aurait été son crâne dégarni, elle aurait été belle. Mais son expression sévère brisait complètement le charme. Elle prit la parole d'une voix doucereuse :

    - Il serait tellement facile de te tuer maintenant…

    Elle laissa la pointe de sa lame descendre vers la veine jugulaire. Piquant légèrement jusqu'à faire perler une goutte de sang. Quintus ne pu se raidir d'avantage, il était déjà tout crispé, mais il accompagna l'idée en esprit.

    - Alors c'est vrai. Tu as perdu tes pouvoirs. C'était intéressant de te voir te battre avec ta tête. Mais tu es encore un novice…

    La dague trouva finalement sa place tout contre sa gorge. Crâne d'Oeuf l'y laissa là, le métal froid apposé contre sa peau frémissante. Elle retira son gant droit et laissa sa paume glisser sur la joue mal rasée de Quintus. Son regard sombre se frayait un chemin directement au travers de ses pupilles tourmentées par le doute et l'étonnement.

    - Combien de temps vais-je encore devoir attendre ?

    Elle se pencha encore d'avantage, faisant grincer sa tenue de cuir à chacun de ses mouvements. Sa respiration légère et attentive caressa l'oreille de Quintus. Et soudain, comme une gamine enjouée prise d'une impulsion, elle pressa ses lèvres contre sa joue. L'homme en blouse sentit nettement la langue de la fille en noir laper sa peau. Il ne comprenait rien…mais il n'y avait sans doute rien à comprendre pour le moment.

    Et puis ce fut terminé, elle se releva souplement et fit quelques pas sur le coté. Il la perdit de vue, incapable de bouger ou de parler. Tout juste apte à aspirer quelques goulées d'air. Quelques craquements, un lourd raclement…elle reparu à son regard, faisant transporter le pesant Tranche-Tempête sur le dos de sa légion de bestioles visqueuses. Il avait l'air furibard le gros, à raison d'ailleurs. L'intervention de la magicienne noire n'entrait certainement pas dans ses plans. Egalement paralysé par le sortilège, ce n'est pas maintenant qu'il allait pouvoir punir Quintus pour la perte de sa main.

    Crâne d'Oeuf fit quelques gestes rapides des mains et le portail se rouvrit subitement, comme une gueule béante sur un enfer grésillant. D'un claquement de doigt, elle fit passer son "compagnon" dans la faille…ce qui se fit non sans une débauche d'étincelles et de distorsions étranges. Puis se retournant sur le pallier du portail, elle embrassa la scène d'un dernier regard.

    - Hâte de toi de grandir Quintus. Je suis lasse de t'attendre.

    Puis elle remonta le haut col sur son nez et tourna les talons. Un battement de cil plus tard, il n'y avait plus aucune trace de magie. Le fugitif prostré au sol sentit la tension qui lui nouait les muscles se relâcher. Se redressant péniblement, il sursauta lorsque la dague lui tomba sur les genoux. Hum, elle l'a oubliée ? Plus probablement laissée là à dessein. Il la posa sur le sol et s'affaira à battre le rappel de ses sens et pensées, promenant à son tour son regard sur le théâtre des évènements.
    Des traces de l'empoignade en revanche, il y en avait. Des copeaux de bois, des troncs fracassés, des mottes de terre arrachées par les impacts brutaux. Pouarf, c'était dur.
    Quintus se rejeta en arrière pour réfléchir. La gamine chauve menait sa barque en solitaire. Ses paroles et son attitude avaient été plus que dérangeantes. Pour autant qu'il le sache, elle ne faisait pas partie de la coterie du Chien à l'origine. Une seconde génération ? Une hypothèse comme un autre. Elle était assez jeune pour être la fille de l'un d'entre eux…enfin sauf Tranche-Tempête. L'ogre était d'emblée exclu de ce genre de considération.

    Et puis il y avait ce combat. Cette fois, il n'avait pas été métamorphosé, mais il avait senti l'approche de forces inhabituelles. La Haine et le Hargne. Si Xylarm avait raison, l'Essence Démoniaque était composée de multiples éléments. Alors…il serait parvenu à en acquérir deux nouveaux ? C'était sans doute ça qu'il avait senti pendant le Nécréolien.
    Pour le moment, elles lui tournaient autour comme des fauves intrigués. Reniflant, étudiant, cherchant une faille. Les relations entre un démon et son Essence ne sont jamais pacifiques, c'est une confrontation qu'il faut être capable de surmonter pour ne pas se faire dévorer.
    Quintus avait besoin de leur puissance. Il lui faudrait donc apprendre à les soumettre à sa volonté. Apprivoiser la bête. Et bientôt.
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