• Chapitre 56 : l'Etranglement du Liseron.


    Il est maniéré à l'extrême lorsqu'il tire son sabre. Ou plutôt ce qu'il en reste ! Thrace a une mimique d'étonnement lorsqu'elle voit cette lame amputée sortir de son fourreau. A peine assez longue pour traverser un corps. Et définitivement émoussée. Que compte t-il faire avec ça ?
    Thrace n'en croit pas ses yeux, c'est absurde ! Incohérent ! Les mains croisées dans le dos pour attester qu'elle n'a pas d'intention belliqueuse, elle se redresse, digne à sa manière :

    - Attends ! Je me moque de qui tu es ! Je n'ai pas de raison de te combattre, et encore moins de te tuer !

    C'est vrai, elle a perdu l'envie de répandre la mort comme une héritière maudite au sang corrompu. Elle aimerait retourner trouver Sataline et…

    - ASSEZ !

    Elle sursaute. Il était pourtant si calme d'apparence…

    - Je n'ai que faire de tes raisons. Tu étais une intruse dans le domaine de mon maître et j'aurais dû t'abattre à ce moment là. Considère que je vais simplement réparer cet oubli. Tu es l'agressée. Défends toi si tu ne veux pas mourir !
    - C'est ridicule, je ne vais pas me battre !
    - J'arrive !

    L'attaque fulgurante du shinigami manque de la prendre de court. La tueuse a juste le temps de percevoir un éclat brillant sur le côté, de pencher la tête et de sentir le courant glacial lui fouetter les tempes. Elle se retourne juste à temps pour le voir s'immobiliser dans son dos, juste entre deux cadavres aux bras distordus.
    Elle grogne.

    - Défends toi, la prochaine fois, je ne serai pas aussi lent.

    Thrace baisse la tête, ses cheveux cascadent de chaque côté. Elle soupire. Inspire et grogne encore. Une légère brûlure à la pommette la distrait. Une goutte de sang sur son gant quand elle porte la main à sa joue. Hmmm. Il l'a touchée en fait.

    - Saleté. Il va vraiment falloir en passer par là…

    Tristement résolue, l'ondine élève lentement la main droite. Elle aussi gagnée par cet étrange protocole entamé par son adversaire imposé. Et d'un coup, comme une brusque contraction de l'air, son épée de glace apparaît entre ses doigts. Elle relève un regard peiné sur le shinigami.

    - Je ne vais pas te tuer, l'informe t-elle, je vais simplement t'arrêter.

    Il ramène sa lame devant lui et se remet en position, légèrement de profil, les deux mains serrées sur ce manche presque aussi long que sa lame ridicule.

    - Ça ne suffira pas. C'est un combat à mort intruse. Maintenant, viens !

     

     

    ***



    J'achève mon histoire hors d'haleine. J'ai maintenant un soif de gueux. La bouche en paille, la palais en sable… Je tuerai pour une goutte d'eau. Et je ne parle pas des sévices que je suis capable d'accomplir pour un pichet de bière.

    - C'est une histoire fascinante !

    Je souris. La fille n'a pas décroché un seul instant. C'est tellement inhabituel que j'aurais presque envie de continuer. De broder, de m'inventer une attitude digne d'admiration pour qu'elle se pâme. Sauf qu'évidemment… je n'ai pas le profil.

    - C'est ma manière de survivre.
    - C'est… hmm pénétrant. Oui. Mais dis moi, il y a quelque chose que je n'ai pas compris.
    - Demande toujours, j'essaierai de ne pas me dessécher en te répondant.

    Elle glousse.

    - Oh c'est vrai, tu dois être assoiffé. Tu veux boire ? Attends je vais te chercher de l'eau.
    - Non !

    Elle s'arrête dans son mouvement et me jette un regard interloqué par-dessus son épaule.

    - Pourquoi non ?
    - Je sais ce qui arrive à ceux qui consomment quelque chose qui provient du Sidh.
    - Ah vraiment ?
    - J'ai vu…
    Elle se retourne et me présente le dos de sa main en repliant le pouce.
    - Cela fait quatre jours que tu es dans le Sidh. Alors comment as-tu survécu jusque là ?
    - En mangeant de la nourriture que nous avons apportée.
    - Tu n'as rien ingéré ?
    - Rien.
    - Pas même une goutte de rivière en te noyant ?

    Je me crispe soudainement. Comment se fait-il qu'elle en sache aussi long ?

    - Et bien… peut-être qu'un peu d'eau est entrée dans mes poumons… mais je l'ai recrachée…
    - Ah oui ?
    - De toute façon je n'ai rien ingéré !
    - Oh que si. Mais ça ne change rien.
    - Comment ?
    - La nourriture. Sais-tu pourquoi il ne faut pas en manger ?

    Elle devient mutine. Son sourire s'étire plus largement. Sa chevelure d'automne me fait penser aux mirabelles…

    - Et bien parce qu'on ne peut pas la supporter.
    - C'est faux !
    - Mmh… parce qu'elle flanque la colique ?
    - Non.
    - Parce que…
    -Tttt. Tais-toi ! (Elle me muselle d'un index rigide sur les lèvres). Parce qu'elle accélère la mutation de votre corps. Vous devenez peu à peu comme les elfes. Mais exige trop de l'organisme pour qu'il le supporte. Et le patient meurt au milieu de déchets organiques poisseux.
    - Mquoi ??
    - Tu as déjà vu quelqu'un mourir de "l'elfe shot" ?
    - Moui.
    - Le suc jaune. C'est la destruction de l'intérieur. Il sort de tous les orifices. Jusqu'à ce qu'à l'intérieur, il ne reste que de la purée… Et cette métamorphose commence à partir du moment où tu mets un pied dans le domaine des elfes. Manger, boire, s'accoupler… tout ça ne fait qu'accélérer les choses mais ne les rend pas forcément inexorables.

    Alors qu'elle se rapproche encore de moi, séductrice dans sa menace, je recule involontairement. Et lorsque son visage souriant en diable est tout proche du mien, je déglutis péniblement.

    - Maintenant je n'ai vraiment plus soif, gargouillé-je.

    Elle reste à quelques centimètres, si proche que je sens son souffle régulier me lécher les joues. Je commence à être mal à l'aise mais elle recule dans un glissement calculé des hanches. Lissant le bas de sa tunique courte, elle laisse ses jambes nues batifoler dans le vide et me relance :

    - Parle moi de Mélanargie.

     

    ***



    Le premier contact est rude, difficile. Comment peut-il se déplacer aussi vite ? Thrace souffle, son épée voltige au-dessus de sa tête. Choc clair. Cristal. L'ombre repasse sur la droite, elle détend son bras pour l'intercepter. Non. De l'autre côté. Une autre parade un peu limite. Elle serre les dents. Elle se détend complètement pour aller le chercher en avant mais elle ressens la pression par derrière au même moment. Son épée claque en retrait. Elle lève les coudes. En utilisant la seconde lame, elle parvient tout juste à arrêter le coup de taille destiné à la décapiter. Puis rabaissant les bras, elle fait passer son épée sous son aisselle et utilise la lame basse pour tenter d'empaler ce foutu shinigami insaisissable. En pure perte. Il repasse déjà devant. Elle le voit attaquer et corrige son axe en refermant sa garde.
    Le choc rude l'envoie valdinguer en arrière. Elle se ramasse, manque de lâcher son arme mais parvient à tenir bon. Et là, au moment où elle se redresse, s'attendant à une attaque par le haut… rien.

    Estomaquée, elle cherche son adversaire dans un instant de panique. Il est là. En face. Immobile. Il n'a même pas l'air essoufflé.
    Thrace se relève, elle, est complètement haletante. Il va beaucoup trop vite pour elle. Bon sang !

    - Je te félicite d'arriver à carrer mes attaques. La plupart des humains ne peuvent même pas les boire. Je n'aime pas les combats trop longs. Alors j'ai mis au point cette technique pendant des années. En temps normal, mes abats d'excèdent pas le premier mou. Mais ça ne sera pas suffisant pour me vaincre. Il faudra que tu sois plus rapide. Plus expectative. Viens de gîte, montre toi une adversaire vigne !

    L'ondine écarquille les yeux. Comment pourrait-elle aller plus vite ? Horrifiée, elle n'en perd néanmoins pas sa morgue habituelle et rétorque méchamment :

    - Ne me fais pas rire ! Je sais que tu es rapide. Si tu penses que tes attaques basiques peuvent me faire mal, tu te fourre le moignon de ton épée dans l'œil, shinigami !

    Il opine.

    - Tu as raison. Tes réflexes subrepticement. Ton kenjutsu est digne d'éloges. Mais je sais reconnaître une vraie épéiste quand j'en vois une. Ce n'est pas ton cas.
    - Arrête de te moquer de moi. Si tu tiens tellement à mourir, pourquoi ne pas tout simplement me dire comment faire ?
    - Et pourquoi te rempaillerais-je mes coins faibles ?!

    Il termine sa phrase par une exclamation exotique et une fente qui aurait été fatale à l'ondine si le sabre avait été plus long. Elle bondit en arrière et déséquilibrée, pare trois coups directs qui entaillent la glace encore un peu plus. Sur un pied, faisant balancier, elle parvient à dévier le sabre sifflant et à forcer son adversaire à la retraite d'un moulinet sévère. Ça devient difficile. Elle n'a pas le choix.
    S'élançant, elle bloque sa garde en diagonale, rendant son attaque totalement imprévisible. Au dernier moment, elle vrille le poignet et dans la rotation qui suit, donne l'impulsion par en bas. La lame acérée remonte, bloquée. Thrace inverse son mouvement et profite de l'effet de rebondissement. Bloquée par un impact clair à nouveau. Elle continue et se faisant, se retourne peu à peu sans vraiment le vouloir.
    Son épée ricoche encore et encore, coup sur coup. Sur le côté, droite, haut, tibias, hanche… Elle détend subitement sa jambe et expédie un coup de pied qui touche le shinigami dans la poitrine. Ejecté, il tombe en arrière et se relève d'un bond. Elle l'a touché ! Et au même moment, elle trébuche.

    - Ahhhsssshhh !

    Une main sur l'épaule. Le sang roule sur sa tunique de cuir. Le shinigami reparaît dans son dos, elle ramène son épée. Trop tard ! Une autre morsure dans le dos. Thrace se cambre et résistant à l'impulsion de se replier sous la douleur, elle pivote sèchement et claque son arme à l'horizontale, bloquant un coup de très près. Trop près.
    Le sabre lui écorche le masque. Sans dommage pour son visage cette fois. Ils restent ainsi, lame contre lame forçant pour faire plier l'autre.
    Les dents serrées, appuis mal assurés dans cette boue de carcasses. Un os craque sous sa semelle. Elle cède. Elle cède ! Elle bande ses muscles, contracte ses abdominaux. Elle ne doit pas tomber. Rien à faire, son genou se plie. Le visage du shinigami est plissé de concentration, pas de douleur ou de lutte, non, de concentration. Il l'écrase petit à petit par une résolution implacable. Elle ne tient pas ! Alors en désespoir, elle roule sur le côté, espérant le déséquilibrer. Mais qu'il l'ait anticipé ou qu'il ait réagi assez vite, il ne trébuche même pas. Son épée se relève déjà, prête à frapper !

    - Sataline !

    Thrace rentre la tête dans les épaules et lève son bras juste à temps pour intercepter le coup cinglant sur l'avant bras. La gangue de glace qu'elle vient d'invoquer se brise sous le choc. Par chance, cette taillade était mal ajustée sans quoi elle y perdait un bras.
    L'ondine roule à nouveau sur le flanc, le shinigami se matérialise presque juste à côté, un bras levé, prêt à poignarder. Elle grimace. Sa jambe fouette l'air et par un jeu de souplesse pratiquement impossible, parvient à lui décocher un coup de talon sous le menton. Il ballotte. Elle pousse son avantage. Lâchant son épée, elle tire sur la lanière sanglée sous son coude gauche et agrippe la cheville de son adversaire. Ce dernier réagit un quart de soupir trop tard, elle se redresse sur les genoux et enroule la bride de cuir autour de son poignet. Elle tire ! Le nœud se bloque. Empêtré dans le lacet, le guerrier noir ne peut plus se déplacer aussi vite, il perd son assurance et se voit contraint de consacrer un bref instant pour trancher le lien. Oh pas plus qu'un battement de cil. Mais juste assez.
    Thrace bondit, déliant deux autres lanières autour de sa taille et de son bras droit. Elle cingle l'air devant elle. Il relève déjà son arme ! Le fouet improvisé s'enroule autour de la lame. Elle claque l'autre lanière en travers de la figure du shinigami et croise les bras d'un coup sec. Emporté par le lacet, le katana dévie. Le cuir résiste, elle parvient à ouvrir sa garde un court instant. Juste de quoi y envoyer son poing fermé et frapper avec toute la dureté de l'Acier en plein de son sternum.

    Finalement, à bout de force, l'ondine atterrit en vrac, rapatrie ses sens, récupère son épée et se remet en garde. Le shinigami s'arrête un bref instant. Il porte une main à ses lèvres et semble en retirer un crachat de sang.

    - Pas mal. Pas mal. Mais tu ne te donnes toujours pas à rond. Il n'y a pas de ponte à te battre avec tout ce que tu aspire. Viens avec toute ton écorce, et je ne me retiendrai pas !
    - La ferme ! Ne me dis pas ce que je dois faire !

    Maintenant Thrace est en colère. Une attaque compliquée et quand même assez risquée la porte juste en travers du champ de vision du shinigami. Mais malgré les quelques blessures portées, la vitesse de ce dernier n'est toujours pas altérée. Elle rate complètement son final et dans la débandade se retrouve pleine d'ouvertures. Il parvient à la taillader au poignet et sous le sein dans le même mouvement. Malgré son pectoral, Thrace se retrouve obligée de comprimer une blessure bien mal située. La douleur lui fait voir rouge. Sa vision n'est plus fiable.
    Pourquoi aucune de ses attaques ne l'endommage ? C'est pourtant évident. Depuis le début, elle ne l'a pas touché une seule fois avec son épée. Il a écopé en tout et pour tout de quelques gnions et d'un coup de fouet qui lui a laissé une marbrure en travers du visage. C'est mauvais. Le soleil se lève lentement derrière l'horizon. Il fait déjà trop chaud pour la glace, son épée va devenir de moins en moins tranchante… cet affrontement ne dois pas durer !

    Le shinigami repasse à l'attaque au moment où l'ondine comptait le faire. Avec un sursaut d'angoisse elle réalise qu'il se bat exactement de la même manière qu'elle : privilégiant l'attaque à la défense et les engagements courts. Le problème c'est qu'il la touche, qu'il est plus rapide et plus fort. Elle n'est pas de taille !
    Elle ne se laisse pourtant pas abattre. Elle relève fièrement sa double-épée et tâche de parer de son mieux les coups secs qui pleuvent. Elle a l'avantage de l'allonge mais il sait trop bien comment l'en priver. Elle pourrait décupler ses mouvements en utilisant plus librement ses deux lames mais il est encore plus rapide que tout ce qu'elle pourrait faire.
    Elle doit réfléchir vite. Et, au moment où le sabre lui arrache un nouveau gémissement humide, elle réalise que si l'engagement continue, elle ne verra même pas le soleil se lever. Un filet de sang s'échappe de ses lèvres. Elle détourne un coup. Droite. Lever le bras. Contrer. Renvoyer la pointe. Clouer. Trancher. Non !!
    L'ondine bascule en arrière pour éviter de se faire éborgner. Un air vif lui cisaille le visage. Elle s'écarte tourne la tête et le vois surgir en pleine gauche. Lame haute ! Elle tire sur son épée mais l'une des deux lames s'est fichée dans un cadavre, coincée entre deux côtes pourries.

    - NON !

    Le cri de Thrace semble éveiller une étincelle de feu jaune quelque part dans ses cheveux. Alors même que le katana plonge vertigineusement sur son bras, un éclair aveuglant claque soudainement. Les écailles d'Acier bloquent le coup de justesse. L'épée du shinigami reste même coincée un bref instant grinçant avant qu'il ne la dégage et se recule d'un bond. Visiblement surpris, son équilibre se fait chahuter par un corps qui roule sous ses sandales.
    La tueuse en profite pour se relever complètement.

    - Ça alors, tu musardais ça caché…
    - Tu parles trop !

    Thrace bondit, l'Acier et la Glace piquant au vif. Son attaque vive et attisée par la colère parvient à tromper la garde du guerrier pour la première fois. Elle le touche au flanc et parvient à lui râper l'estomac de ses écailles d'acier. Il gémit et titube. Elle enchaîne d'un uppercut saisissant et, triomphante d'un sourire malsain, le fait basculer d'un coup de genou dans les parties.

    Elle pense en avoir terminé, mais elle s'aperçoit alors qu'elle est loin du compte. Le shinigami se relève lentement et la dévisage avec une admiration froide. Les sourcils froncés, plus digne que jamais.

    - C'est y est. Tu l'entends ? Ça commence tout juste.

     

    ***



    - Oui c'est un détail que je n'ai pas totalement compris dans ton récit… cette, comment tu as dit ? Nécromancienne ? Qu'est ce qu'elle vient faire là ?

    Je la regarde avec ce mélange de qui-vive et de curiosité qui doit me donner un air parfaitement abruti. Surtout par comparaison. Son sourire constant et pourtant si changeant, sa manière de lisser sans cesse ses boucles comme si elle les aurait voulues raides. Et cette étrange manière de me sonder du fond de ses yeux. Sur le coup, je me dis que cette fille a mal été servie par la nature. Des yeux clairs lui auraient été du plus bel effet… et une silhouette moins agressive, plus menue… le genre qu'on a envie de serrer dans ses bras et non l'inverse.
    Je me secoue, pourquoi je pense à ça ?

    - Mélanargie… et bien.

    Je ne suis qu'à moitié étonné de voir qu'elle a retenu le nom de ma Némésis au Demi-deuil en une seule fois. Après tout, j'ai vu plus étrange. Peut-être que si j'étais moins fatigué, je prendrais la peine de réfléchir à chaque fois qu'une petite chose manque de me faire ciller. Un mot qu'elle utilise alors que je ne l'attendais pas. Et son élocution pleine de science quand je l'imaginais avec une diction plus sauvage. Et pour la première fois de ce périple, je m'interroge sur le fait que les thuadènes et nous, parlons la même langue. Mais comme j'ai du mal à ordonner mes pensées, l'échafaudage d'hypothèses déjà branlant en temps normal se voit flanqué à la cheminée sans cérémonie pour alimenter le peu de flamme qu'il me reste.
    Je claque la langue contre le palais.

    - Et bien, qu'est ce que tu veux savoir exactement ? Je n'ai pas grand-chose à dire remarque. Fut un temps, assez bref, où elle a été mon employeuse. Puis, encore plus brièvement, ma sœur. (Je me remémore l'épisode de l'auberge). Et maintenant elle me pourchasse.
    Elle fait une mimique toute ronde
    - C'est tout ?
    - Et bien je peux te révéler que son nom n'est pas son vrai nom. Ainsi qu'il en va de tous les nécromanciens sans doute. Je crois qu'ils en changent par coquetterie.
    - Par sécurité… bredouille t-elle machinalement. Non je voulais dire, c'est tout ce qu'elle est pour toi ?

    J'ouvre un œil rond. Où veut-elle en venir ? C'est le moment de jouer l'engrumé du cerveau. Ça je sais bien faire.

    - Ben oui…
    - Mmmh, je voulais dire que si tu es venu jusqu'ici au péril de ta vie. Il doit quand même bien y avoir un lien plus fort qu'une simple fuite entre elle et toi… non ? Ça n'aurait pas de sens sinon !
    - Mais non ! Au contraire. Elle veut me tuer, alors je m'enfuis et je cherche de l'aide. Je ne vois pas ce qu'il y a à reprocher à ma logique !
    - Pfff, si c'est ce que les humains appellent logique… je préfère…

    Elle regroupe ses genoux contre sa poitrine et appuie le front dans le petit creux ainsi formé. Elle a soudainement l'air si attristée que je me rapproche par réflexe.

    - Oh je suis déçue… déçue.

    Je ne comprends pas ce qui a pu la choquer à ce point mais j'ai l'impression que je viens de faire un pas du mauvais côté de la ligne imaginaire. Je me rapproche encore, les mains ouvertes pleines de bonnes intentions pour tenter de rattraper le coup.

    - Heu… J'ai peut-être mal compris…
    - Déçue… déçue (elle tourne la tête). Tu as tout oublié.

    Je m'interromps à un pas de distance. Le doute soudainement peint dans les rides du front. Ah ! Je sais ce qui cloche !

     

    ***



    Thrace sent son cœur battre la chamade. Elle l'entend oui, cette impulsion au corps. Ce palpitant cardiaque. La tension permanente entre les sourcils. Les joues, mains, cuir, peau, toute surface érodée par la chaleur du combat qui semble se dessécher sous le feu de la violence.
    Elle fait tournoyer son épée et change de main pour relever son masque d'un coup de pouce. C'est vrai, ça ne fait que commencer. Faisant cliqueter les écailles dressées sur son bras gauche, elle tapote deux fois son épée sur le col mort d'un cadavre carbonisé étendu à ses pieds. Les flammes ont dévoré les chairs, laissant apparaître le squelette noirci qui lui, ne s'est pas consumé étrangement. Sans doute l'œuvre des follets.

    - Tu es prêt ?

    D'un geste brusque, elle s'élance en défonçant littéralement d'un coup de pied, la cage thoracique a nu. Les côtes brisées giclent en l'air, elle en botte deux morceaux dans la foulée et les envoie filer vers le shinigami qui réagit avec un sursaut de retard. Fléchettes inattendues, les os acérés tintent sur le katana brisé manié de main virtuose mais la tueuse parvient à son tour au contact, un sourire meurtrier aux lèvres.
    Son épée s'enfonce goulûment dans son biceps, elle tourne pour élargir. Le guerrier noir pousse un cri et se dérobe.
    L'ondine se retourne. Trois. Elle claque son épée contre sa main gauche pour bloquer la trajectoire. Deux. Elle replie son genou et corrige son équilibre d'un battement du bras. Un. Elle aspire un grand coup. Sa botte s'écrase sur une rotule. Elle crochète son adversaire au coude et l'envoie valdinguer sur le côté. A peine effleure t-il les corps boursouflés qu'elle fond déjà sur lui dans le dos. Il pare deux de ses attaques à l'aveuglette et encaisse la troisième dans la hanche. Elle ne le laisse pas se reprendre. Elle le presse. Elle continue. Pousse, crie et dérape sur une matière molle qui se perce. Les lèvres arrondies sur une question muette. Le katana répond durement. Thrace écope d'un choc sourd dans le creux du ventre. Filet de sang. Une autre coupure s'ouvre sur son avant bras. Elle réagit. Son épée de glace perd un copeau sous le choc. Elle butte contre un mort et bondit derrière pour s'abriter. Le sabre taille la viande grise.
    Thrace évite le coup suivant en se baissant mais ne parvient pas à se dégager suffisamment. Alors qu'elle tente de se remettre en position, un choc la déséquilibre. Elle tombe sur un genou. Les bras levés, elle claque des dents sous les impacts répétés de la lame presque invisible de son adversaire.
    Elle perd son souffle. Le shinigami la surprend par le côté gauche. La lame prête à lui déchirer le flanc. Fondue d'adrénaline, elle se cambre magistralement et parvient à faire glisser son sabre entre ses reins et son bras gauche. Elle bloque. Les écailles d'Acier s'enfoncent dans sa propre chair mais elle s'en moque. Elle le tient !
    Tournant son poignet armé, elle pique d'estoc dans l'axe de ses épaules et manque de l'empaler de très très peu. Elle siffle.
    Il effectue pratiquement la même pirouette et coince lui aussi l'épée de glace, sous son aisselle. Il grimace. Du sang lui remonte par le nez.
    L'ondine manque d'air, elle ne parvient plus à se focaliser. Sa poitrine comprimée par le pectoral de cuir tente vainement de s'offrir plus d'espace. Mais l'autre ne bouge pas non plus. Il n'a plus l'air si fringuant. Ainsi maintenus l'un à l'autre par des liens tranchants, ils se dévisagent un bref instant.

    - C'est donc… vrai… tu ne tiens pas du tout la distance… sur des combats prolon…gés…

    Il ne répond rien. Il se contente d'étrécir d'avantage –si c'est encore possible- les yeux et tire d'un coup sec sur son bout de sabre. Thrace grogne, tractée dans le mouvement. Mais elle ne lâche pas prise. Les écailles ouvrent de vilaines coupures dans son dos. Elle ne tarde pas de s'improviser une nouvelle entrée en matière. Elle lâche tout. Son poing s'écrase sur le faciès trop lisse du shinigami, brisant proprement l'os nasal d'un claquement sec. Elle profite qu'il soit légèrement sonné pour se dégager et déracine les lames d'Acier de sa chair, ce qui lui arrache un cri de douleur inattendu. Des larmes dans les yeux, elle pivote sur une jambe et envoie à nouveau paître le guerrier noir dans les corps empêtrés.
    Boitillant, elle va ramasser son épée et se redresse, les jambes légèrement écartées. La lame passe derrière son dos, émergeant d'un côté par son épaule et de l'autre au niveau du mollet opposé.
    Figure étincelante d'une mort glacée. Droite dans le contre-jour, vêtue d'ombres au sein desquelles, unique croissant visible, un rictus. Une grimace de dents blanches qui pourrait être féroce s'il n'y manquait pas les canines. Pour le coup, Thrace s'est dotée d'une dentition de gamine à peine sevrée.

    Peut-être sensible à l'esthétique momentanée de la scène, le shinigami opère une retraite prudente avant de prendre la parole d'un ton rudoyé par l'empoignade.

    - Pénétrant…

    Sa voix est plus rauque… peut-être à bien y penser, qu'elle l'a cogné une fois ou deux à la gorge. Et beaucoup plus nasillarde aussi maintenant qu'il a le nez cassé, engorgé de sang. L'ondine repousse une mèche portée par la brise matinale. Occupée à emmagasiner de l'air dans ses poumons, c'est à son tour de jouer les muettes.
    Elle s'avance doucement, imprimant un léger balancement à son épée pour mieux la relancer quand le moment sera venu. Un pas après l'autre, en évitant les têtes rondes, les morceaux de cuirasse tranchante, la boue glissante… Elle fait tinter son arme sur tout ce qui passe à sa portée, comme pour se donner le rythme.

    - Je coudrais te remercier.

    Elle s'interrompt jambes croisées par sa démarche féline, interloquée.

    - Grâce à toi, j'ai retrouvé le goût du sang. J'avais oublié ce que ça faisait. Cette vraie sensation…

     

    ***



    Allongé, non vautré convient mieux, dans les feuilles. Le toquant en rideau. Les yeux rivés à ceux de mon interlocutrice, suspendue à ses lèvres tandis qu'installée à califourchon, elle allonge sur moi son argument le plus tranchant. Un bel ustensile. Mais j'ai juste eu le temps d'en apprécier l'éclat avant qu'il ne vienne me titiller la jugulaire.
    C'est sans doute ce qu'on appelle la méthode "couteau sous la gorge". Je n'ose pas bouger. Non pas tellement de peur de me faire ouvrir (encore une fois) mais par crainte d'éveiller Elutrine.
    Je veux régler ça moi-même. Et maintenant que la fille est au contact, m'enserrant entre ses cuisses, je perçois plus nettement ce parfum inimitable. Celui d'une bière, et pas celle qu'on met dans une chope. Cette fille à l'odeur du linceul. Pour être franc ce n'est pas très séduisant…
    Pour le moment elle ne dit rien. Elle me fixe de son regard "sombre-qui-devrait-être-clair".

    - Je savais que j'aurais dû réagir à "l'elfe shot". Aucun thuadène ne connaît ce mot. C'est un terme médical humain.

    Elle sourit gentiment et fait jouer la lame sur ma gorge. Comme une gamine impatiente. Je déglutis.

    - Mélanargie. Ça fait longtemps…
    - Un peu trop apparemment, tu m'as oubliée Sakutei. Je t'ai si peu manquée ?
    - Je ne dirais pas ça comme ça…
    - Je voulais que ce soit parfait cette fois. C'est un moment spécial. J'ai trouvé cette fille enterrée de frais. Je te l'ai gardée rien que pour toi. Personne d'autre ne l'a vue. Elle n'a pas servi à autre chose. Je te garde toujours mes meilleures pièces.
    - Trop aimable…
    Elle renifle soudainement et hoche la tête avec une tristesse non feinte. Du moins, je crois.
    - Mais tu n'en vaux pas la peine en fait. Non tu n'en vaux pas la peine…
    - Et si on…
    - Tu as oublié ! Comment tu as pu oublier ?!

    Elle appuie durement sur la lame, enfonçant la pointe de quelques centimètres dans la chair tendre de mon cou. Je grince, dents serrées. Lorsqu'elle relâche légèrement sa prise :

    - C'est inutile… tu ne peux plus me tuer comme ça maintenant.
    - Ah non ? Tu veux que je tente ma chance ?
    - Mélanargie… pppf, c'est puéril.
    - Je peux te tuer. Fais confiance à une spécialiste. Mais avant ça… - une longue pause pendant laquelle elle se recompose un visage d'une étonnante douceur - m'embrasseras tu, comme moi je t'ai embrassée ce jour là ? Le feras-tu ?
    - Et bien… embrasser un cadavre, ce n'est pas vraiment la panacée…

    Elle pousse sur son couteau. J'ai envie de hurler de me débattre mais en fait, je suis cloué. Sa petite dent peut bien me transpercer, sa marionnette ambulante peut bien me déchirer de trous à s'en repeindre de sang, ce n'est pas ce qui me paralyse. C'est elle. Derrière. Je l'imagine concentrée, toute sérieuse dans sa petite tunique de lin écru, en train de murmurer ces mêmes paroles dans le vent. Je la vois comme je l'ai vue ce jour là.

    - Tu sais ce que j'aime dans le liseron ?
    Je suis plutôt heureux de trouver un dérivatif, aussi court soit-il, à l'idée de gallocher une macchabée. D'autant qu'elle n'a pas garanti que ça me tirerait d'affaire.
    - C'est une rampante qui grandit sur les autres plantes. Elle pousse en s'enroulant jusqu'à étrangler (et dans le même temps, justement, elle force son pantin à resserrer sa prise, cette fille a le sens de l'illustration imagée). Elle ne pompe pas la sève comme le gui, non, elle se contente d'utiliser le support grimpant. Elle serre… et produit… (Elle se penche encore plus près, jusqu'à effleurer mon visage de ses lèvres mortes, si froides. Ses cheveux me tombent dans les yeux.)… de magnifiques fleurs blanches. Tu vois le rapport ?

    Et comme je ne réponds rien, elle s'impatiente. Elle se redresse d'un coup et pousse un cri rauque. Je me contracte à l'éventualité de perdre un œil mais encore une fois, je suis à côté de la plaque. Elle desserre l'étreinte de ses cuisses mortellement pâles et se relève d'un bond, le couteau lové dans la main.

    - Ah ? Tous les elfes ne sont pas de la bataille aujourd'hui ?

    Une ombre s'extrait du couvert des bois, je tords le cou pour mieux voir. Un type (par Mara !) répugnant. Couvert d'une peau de bête indéfinissable. Un bâton dans la main. Il se plisse d'un sourire ridé qui le fait paraître encore plus vieux. La grisaille matinale qui le décolore ne fait rien pour améliorer la chose.

    - Un Druide se doit de veiller en toute circonstance à l'équilibre de la Nature.
    - Mais je ne suis pas partisane de l'équilibre.
    - Je sais. Tu es une élève bien inconsciente et bien indisciplinée. Je pensais que ton séjour parmi nous t'aurait ouvert les yeux.
    - Je suis ma propre voie.
    - Tu as tort. Tu es comme ce papillon aux ailes blanches…
    Elle sourit doucement comme à un souvenir.
    - Melanargia Galatea. Et bien nous verrons qui de nous deux se brûle les ailes le premier.

    Le vieil homme s'avance d'un pas de sénateur. Mais un sénateur sauvage… avec des poils et pas de bedaine. Mélanargie, elle, ne bouge plus. Elle ne fait même pas mine d'interposer sa petite lame pour se défendre. Non. Elle sait sans doute ce qui va suivre et c'est pour ça qu'elle ne s'y oppose pas. Je le pressens moi aussi. Il émane du nouvel arrivant une telle bestialité… une animalité qui lui aboie qu'elle n'est pas la bienvenue en ces lieux.
    Si la nécromancienne est maîtresse en son domaine, elle se trouve en cet instant dans un lieu où son royaume n'a plus d'emprise. Elle reste immobile, défiante. Jouant sur l'anatomie musclée de son esclave pour carrer sa posture.

    - Tout de même, t'arroger le corps de cette pauvre Trifine. Tu n'a donc aucun respect ?
    - Tu sais bien ce que j'en pense.
    - Je vois…

    L'autoproclamé druide fait maintenant le tour de la jeune femme qui elle, ne remue pas un cil. Véritablement. Elle ne cille même pas, preuve s'il en fallait qu'elle n'est plus vivante. Juste animée.
    - … dans ce cas, cette conversation…
    D'un coup, elle tourne si mécaniquement la tête vers moi que j'aurais presque l'impression d'entendre sa nuque craquer. Un léger sourire, un petit mouvement de menton.
    - Sakutei… nous nous reverrons…
    Je fronce les sourcils.
    - … est terminée !
    Le bâton du druide s'abat brutalement sur la nuque de Mélanargie. Elle tressaille, tend les bras en avant comme pour se retenir mais tombe lourdement au sol. Comme une pierre.
    La sentir s'évaporer ainsi de ce corps, c'est comme de la voir mourir. Je me prends d'un pincement au cœur. Même si je sais qu'elle est bel et bien indemne dans son coin, où qu'il soit, je ne peux m'empêcher d'éprouver ce sentiment de gâchis et de regret qui envahit les pensées à l'idée d'un décès subit.
    - Ne te laisse pas leurrer, me lance l'autre. Elle te vole ton cœur. C'est sa manière la plus fine de procéder pour établir son Lien.
    - Mais je ne suis pas du tout…
    - Ha pas de ça ! Elle est plus adroite et plus talentueuse que nul autre avant elle. Et c'est pour ça qu'elle est déjà à la tête de sa Discipline à son âge. Je parie qu'elle cherche autant à te séduire qu'à te tuer.
    - Ça risque d'être compliqué à cumuler…
    Il sourit comme un vieux molosse et donne du bâton contre le tronc couvert de mousse que j'avais élu pour dossier un moment plus tôt. Distraitement, il déloge un champignon et fixe un point imaginaire quelque part dans la forêt.
    - Pas vraiment. Pour elle l'ordre n'a aucune importance.

     

    ***    



    Les coups s'enchaînent, assauts percutants, parades graciles, gardes courtes, ripostes vibrantes. Aux frappes sifflantes répondent les contres secs. Les feintes aiguisent l'agilité, les chocs alimentent la vigueur et les coupures bavent de rage.
    Leur duel dure maintenant depuis assez longtemps pour que le soleil se soit totalement dégagé du pourtour brumeux des collines à l'est. La lueur orangée lèche maintenant les silhouettes qui s'entrechoquent, mettant en valeur les formes rebondies, les pièces de métal et avivant les tons. Mais pour ces deux vêtus de noir, il n'y a pas de couleur. Leur gigue mortelle est un jeu d'ombre projeté sur une toile macabre. Les morts ne goûtent pas vraiment leur repos tourmenté sous leurs pieds qui sans cesse bousculent, cassent, trébuchent et buttent. Il bataillent dans ce terrain rendu si peu fiable. Il suffit d'une erreur pour se faire déséquilibrer et peut-être, offrir sa nuque à une attaque fatale.
    Un moment, l'ondine semble prendre le dessus, bousculant son adversaire sous ses assauts de plus en plus vifs et agressifs. Et puis l'instant d'après, c'est le shinigami qui mène la danse, essoufflant la jeune fille de coups trop rapides pour l'œil.
    De loin, le combat pourrait paraître équilibré, mais, en louvoyant astucieusement entre les reliefs de la bataille, en évitant les coups perdus et en préservant ses yeux du contre-jour, un observateur pourrait noter l'altération notable sur les visages.
    L'homme-rêve est tendu, la fille-mort sourit.

    Thrace ne répugne plus du tout à se battre. La chaleur monte, faisant perler plus de sueur, enduisant son corps d'une mince pellicule d'évaporation ; son essence même. Et cette enveloppe d'eau volatile avive ses gestes. Cela fait maintenant plusieurs minutes qu'elle savoure cette sensation salée qui lui délie les membres.
    Elle pourrait peut-être en finir. Pas sûr. Le shinigami oppose toujours une résistance farouche avec son petit bout de sabre. Ce qui change, c'est qu'il ne la surprend plus. C'est vrai, sa technique repose sur des assauts courts. Maintenant, ses attaques se ressemblent toutes. Elle les a toutes vues. Elle sait comment les contrer, les renvoyer, les annuler.
    Le seul détail – de taille - qu'elle ne peut pas maîtriser pour le moment, c'est la vitesse d'exécution de ses mouvements. C'est sa vitesse qui le préserve et lui donne toujours le moyen de tenir. Mais avec le soleil montant, l'eau devient toujours plus légère…

    Attaque de côté. Elle la reconnaît et contracte son avant bras pour bloquer sur un angle étroit. L'ondine fait grincer sa lame contre le sabre. Elle pousse sur la droite et d'un moulinet inversé, touche durement le shinigami dans les côtes.
    Le gémissement effleure à peine ses lèvres. Evidemment, la double lame de glace est presque inutilisable maintenant. Le tranchant est totalement émoussé. Elle ne peut même plus espérer infliger la moindre égratignure avec ce sorbet dégoulinant d'eau fraîche. Mais il lui reste les écailles. Elle sent les pulsations d'Acier remonter le long de son épaule. Elle sait que si elle parvient à acculer son adversaire, si elle le pousse à la faute, alors elle pourra le tuer d'une simple rotation. En croisant le bras devant sa poitrine, elle pourra d'une culbute lui sectionner la carotide et c'en sera terminé.
    Mais pour ça, il faut qu'elle s'insinue sous sa garde. Et maintenant que le rapport des allonges s'est inversé, ce n'est pas gagné. Malgré sa brisure, le sabre reste plus long que ses écailles.

    Alors elle frappe, contre-frappe et se dérobe agilement aux taillades inlassables qui tentent de la toucher. Et d'une certaine manière, elle a retrouvé son plaisir.

    Mais il n'y a rien de plus incertain que de combattre en plein milieu d'une plaine jonchée d'obstacles. Qui plus est, maintenant que leur duel s'est prolongé, des crampes commencent à se manifester aux plus mauvais moment. Il faut faire attention.
    Et ça ne suffit pas toujours, réalise Thrace, lorsqu'elle se prend le pied dans un heaume défoncé. Sa cheville se tord malgré la botte montante, elle feule, relève la tête et pousse un cri aigu de frustration.
    Le shinigami en a profité pour bondir en l'air et s'abat sur elle pour l'écraser. Elle se défend d'un coup de coude écailleux et parvient à se dégager une fois de plus. Le sabre passe devant sa poitrine, elle recule et fait virevolter sa double lame pour se ménager un espace.

    - Inutile. Cette arme ne peut plus rien.
    - Tu parles trop.

    Comment percer sa garde sans se faire découper au passage ? Le problème n'est pas aussi facile que ça. Peut-être en le laissant venir… Elle expédie sa botte sur le côté, il évite, apparaît à droite. Elle le bloque du bras, remonte son coude et… Presque !
    Thrace expulse une mèche noire d'un souffle. Ça ne marche pas. Il est trop malin. Il a de trop bons réflexes. Et de son côté, il doit réfléchir lui aussi à une manière de trucider l'insaisissable tueuse. C'est simple, le premier qui trouve a gagné.
    Dans l'engagement qui suit, alors qu'elle remonte son genou pour le leurrer et frapper par un autre angle, Thrace repère un point faible.
    Son bras gauche. Elle l'a salement amoché un peu plus tôt. Il ne s'en sert plus depuis un moment. C'est une opportunité. Elle concentre ses attaques mais il s'y attend trop. Alors elle tente une autre approche, en feintant… ça ne marche pas mieux et pour sa témérité, elle récolte une estafilade sous le menton.

    Alors qu'elle retombe en position, le cadavre qui la lorgne de ses yeux vides se met à gigoter. L'ondine se tend, Mélan… ?

    - Couverture !

    Elle voit surgir le sabre à quelques centimètres de son cœur. Epée, écailles, réflexes aqueux et nerfs d'acier. En nage, elle interpose sa main au dernier moment, tombe à la renverse et se cogne contre une cuirasse. Elle roule à l'aveuglette, un copeau de métal lui gicle au visage. Elle roule encore. Sa main droite lui fait atrocement mal. Elle finit par trouver un espace pour se reprendre. Elle plante son épée en terre, roule derrière et en se redressant sur un genou, fait reposer le manche sur son épaule pour intercepter le coup suivant qui viendra entre son épaule et sa nuque. Craquement sévère. Glissade et tremblement. Comme de juste. Encore une taillade rendue prévisible par l'usage.
    Mais la force de l'impact la surprend. Et est-ce qu'il a augmenté sa vitesse ?!

    Une petite pause s'en suit. Le shinigami est friand de petites pauses. Elle l'a déjà remarqué, à chaque fois qu'il termine une série d'attaques, il s'immobilise brièvement dans une position tendue. Vulnérable. Seulement, elle n'a pas encore pu en profiter puisqu'à chaque fois, elle était occupée à se relever, se décoincer, comprimer une nouvelle blessure ou tout simplement faire entrer un peu d'air dans sa gorge.
    Thrace halète aussi modérément que possible, elle essuie un filet de salive qui lui tombe des lèvres et tire une nouvelle lanière de cuir de son harnachement. Les doigts de sa main droite son encore contractés de douleur. Les os brisés ne lui permettent plus de fermer le poing.
    Alors sans mot dire, elle enroule rapidement la lanière pour lier son épée et sa main l'une à l'autre. Elle serre le nœud avec les dents en grondant en fond de gorge pour ignorer la cisaille atroce des morceaux d'os qui se raclent les uns aux autres. A nouveau, un cadavre bouge en périphérie de son champ de vision. Elle fronce les sourcils lorsqu'il s'affaisse. Non, ce n'est pas l'animation… ce sont des vibrations. Une trépidance qui se propage dans ses muscles aussi.

    - Ah. Tu l'as remarquée aussi.
    L'ondine se contente de relever la tête avec suffisance, guignant ce profil fier de son œil le plus brillant.
    - Mmpf. N'espère pas que ça va me déconcentrer une fois de plus.
    - Tu sais ce que c'est ?
    - Je m'en moque.
    - Tu ne devrais pas. Celui qui connaît son terrain s'assure un avantage décisif sur son ennemi.
    - Et alors ?
    Il repose sa lame un bref instant contre son épaule.
    - A ton avis, ça fait combien de temps que nous nous affrontons ? Nous ne sommes pas les seuls à vouloir profiter du beau temps aujourd'hui.

    Alors qu'il termine sa phrase, Thrace perçoit un moutonnement poussiéreux au fond. Leur combat les a déportés largement au cœur de la plaine, rendant pratiquement impossible toute forme de retraite discrète dans les bois. A mesure que les vibrations s'intensifient, elle comprend ce que cette agitation signifie.

    - Les armées…
    - … vont se rejoindre ici dans quelques instants.

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  • Commentaires

    1
    Moo Profil de Moo
    Mercredi 31 Août 2011 à 10:57

    Wouhou, preums :D

    2
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mercredi 31 Août 2011 à 10:58

    Mouahahaha, pour une fois j'ai tenu mon délai annoncé o/

    Quelle perf" !

    Un bon vieux combat comme je les aime, étalé sur tout le chapitre avec un peu de tactique à l'emportre-pièce. Et puis ça faisait longtemps que je voulais faire cette petite discussion avec la "fille à la police bleue".

     

    edit : XD Moo, mon premier preums de ma vie. J'en aurais presque la larme à l'oeil :D

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