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Chapitre 67 : La mort de Bjorn (2)
Comme à chaque fois qu'il doit recevoir un coup, Bjorn se replie instantanément dans l'anterserk et n'encaisse que la douleur. Les véritables dommages, eux, apparaissent une fois de plus sur le corps de son ennemi. Cet ennemi complètement fou qui s'acharne encore et encore sur la même blessure !
Le nordique relâche son souffle en même temps qu'un petit nuage de postillons. Pendant un moment, le duc opère quelques fentes élégantes qui font fleurir quelques entailles sur son corps et quelques éclats de douleur sur le sien. Il serre les dents. Il esquive quand les taillades sont trop bénignes. Mais il souffre ! Et soudain :
- A l'épaule gauche !
L'acier transperce encore la chair et les os broyés. La douleur, l'horrible douleur lui fait tourner la tête. Il perd pied un court instant. Comme si chaque blessure, chaque petite coupure qu'il a accumulée depuis l'enfance remontaient à la surface pour se rappeler à son bon souvenir. Le duc passe sur le flanc et couche sa lame de travers. Cette fois, Bjorn ne le laisse pas passer. Il bloque d'un coup sec et lui décolle un claque du revers de la main qui éloigne temporairement le paltoquet. Le puissant thuadène s'éponge le front. C'est bien plus difficile qu'il ne le pensait. Le duc joue un petit jeu sadique avec lui dont il comprend parfaitement la teneur. C'est comme jouer à se tenir le menton. Le premier qui criera aura les tripes à l'air.
En annonçant l'imminence de son attaque la plus virulente, le duc espère briser sa concentration. Il tente de le pousser dans ce fossé poisseux de peur et de renoncement où il ne chercherait plus qu'à éviter le coup. S'il n'accepte plus d'encaisser la douleur, alors il perd son anterserk. Il n'arrive pas à croire que l'humain ait pu comprendre cela aussi facilement. Et pourtant, c'est exactement ce qui risque de se produire. C'est un duel de résistance. Oui, le premier qui abandonnera fera trempette dans ses propres liquides.
Le duc manie son épée à une main mais ses attaques n'en sont pas moins vives. Passement sur la droite, feinte, contournement, battement sur l'avant bras, petite pique dans les côtes et fente !
Bjorn recule de trois pas. Ses appuis ne sont plus aussi sûrs qu'au début. Bah, il faudra quand même tenir le coup.
- T'es ben un mignon bretteur.
- Ah mon pauvre. Tu essaies de gagner du temps.
Le nordique se renfrogne. Piqué au vif, il encaisse de plein fouet les deux estocs suivants. Ignorant superbement les éclairs rouges qui écaillent sa vision. De la même manière que le duc ignore royalement les innombrables lacérations qui continuent de déflorer son torse vierge, lequel se zèbre peu à peu de carmin. Un joli rouge.
Et puis le nordique remarque un détail. Avant de parvenir à comprendre, il percute d'abord l'épée de Maille sur le flanc, la sent siffler contre son aine et…
- EPAULE GAUCHE !
Bon sang ! L'épée arrive comme au ralenti. Est-ce qu'il le fait exprès ? Il prolonge volontairement le moment où… Non, l'arme passe plus haut, elle lui effleure à peine le poil et se pose nonchalamment contre l'angle de son cou.
Bjorn lâche un sourire à la mesure de son soulagement.
- Vas-y, fais moi sauter la tête. On va voir qui de nous deux restera sur ses guiboles à la sortie.
Le duc, lui sert pour sa part un sourire flûté.
- Tu es costaud, l'elfe, mais tu manques de suite dans les idées. Regarde.
La lame démesurée fait un rapide va-et-vient. Bjorn a l'impression de se faire empaler de part en part. Comme si ce n'était pas une simple piqûre mais une véritable déchirure. Deux mains de géants qui essoreraient son petit tas de muscles jusqu'à en tirer tout le jus d'une récolte de raisin mûrs. Il se fait charrier sur les vagues acides d'un océan sans rivage et à chaque fois qu'il boit la tasse, c'est un torrent de lave bouillonnante qui se déverse dans sa gorge. Il voudrait levers les bras, implorer les cieux, les dieux et leurs jeux cruels mais sa peau se détache déjà. Ses tendons rougissent, raidissent, virent cramoisis et claquent un par uns pour ne laisser que son ossature rongée par le sel.
Et lorsqu'enfin il parvient à déglutir, il réalise que le duc ne l'a frappé encore une fois, qu'à un seul et unique endroit. Une voix hachée s'immiscer dans son orage de souffrance comme un lourd roulement de tonnerre.
- Qu'est ce que la douleur Bjorn ?
Il rouvre des yeux larmoyants sur une silhouette brouillée. Ton de rouge sur un grand gognant blanc.
- Ce n'est pas juste une sensation. C'est avant tout un produit de l'esprit. Si j'ai retenu une chose de mes leçons de vie, c'est que nous ne sommes pas tous égaux devant des blessures similaires. Il y a ceux qui endurent mieux, c'est certain. Mais il y a aussi ceux qui semblent insensibles.
Le duc a planté son épée en terre. Il s'appuie bien plus sur la poignée qu'il ne voudrait le laisser voir mais Bjorn a des centaines d'années d'expérience du combat. Il voit sa main trembler sur la poignée. Il remarque les gouttes de sueur. L'infime tressaillement de sa paupière qui trahit une perte de contrôle. Et encore une fois, il remarque cet odieux détail : il se tue à la tâche pour rien.
Le duc connaît son affaire et la plupart de ses estocades ne sont que de minces estafilades. Les premières ne saignent déjà plus. Les autres n'ont rien de très alarmant. En fait, à part l'horrible hachis de l'épaule gauche, tout le reste de son corps s'en remettra en quelques heures seulement.
Le colosse se retient de serrer le poing, ce serait trop voyant, mais il n'en étreint pas moins un gargouillement de dépit dans son estomac. Tout ça, toute cette souffrance, toutes ces implacables perforations laminaires ne sont que des rayures pour des cristaux !
- Vois-tu, lorsque je t'annonce la couleur de ta prochaine douleur, même si tu es entraîné, à ton corps défendant, tu imagines. Tu amplifies. Tu redoutes !
- Et alors ? Ça n'a rien de neuf. Vas-y, frappe encore. Encore deux ou trois fois et ton bras se détachera !
- Tu n'as toujours pas compris.
Le duc déracine son arme et la fait passer à l'horizontale sous ses yeux brillants. Il a beau se la raconter, il lutte lui aussi. Bjorn a bien plus d'endurance, c'est évident. Il ne pourra pas l'avoir à l'impression. Et pourtant, quelque chose cloche. Un insidieux sentiment qui s'apparente à un cousin éloigné du découragement. Ce n'est peut-être rien mais c'est suffisant pour écailler ses certitudes. Le doute le prend de ses bras froids.
- Cette arme, je l'ai faite faire en fondant tous les outils de mon père. Elle a été forgée avec le métal de ses instruments de torture !
L'humain se met à avancer en faisant des moulinets saccadés. Sa voix dérape par instants. Bjorn recule à mesure en fronçant le nez.
- Elle PORTE en elle, la douleur de CENTAINES de corps brisés !
Il tente de l'atteindre de face mais le nordique fait un pas de côté et l'évite de justesse. Il retient son souffle.
- ELLE est UNIQUE ! ELLE est LEGERE comme le dernier SOUFFLE de CEUX qui n'ont plus d'ONGLES pour gratter leurs orbites CREUSES où les démangent les dernières BRAISES d'un SUPPLIIIICE raffiné.
De bas en haut, en diagonale. La lame l'effleure et lui arrache un petit gémissement involontaire. Bjorn gonfle ses joues. Il le sent mal. Mal. Mal. Très mal. Ou alors, il faudrait changer de méthode.
- Elle inflige la BRULURE du fer rouge, la torsion de la roue dentée, la PIQURE de la vierge de fer, des pincettes et de la langue de vipère. Elle rappelle l'insoutenable MORSURE des mâchecouilles et du brise-rotules.
Des mots qui pénètrent la cuirasse de Bjorn bien plus que le reste. Dur. Le duc l'attaque, il se baisse. Non ! Il dévie d'un coup et le touche dans le dos.
- Cette épée porte la mémoire de la souffrance. Du pire des crève-cœur. Elle s'attaque à ton esprit. C'est là que tu plies. Et lorsque je te frappe à l'EPAULE, tu t'ECROULE !
Le corps à corps enfiévré s'accélère, l'éclat du miroir acéré passe d'un coté et de l'autre. Il siffle, il file, il passe. A mouvements rapides, le grand thuadène esquive. Il danse presque mais ce n'est pas sa spécialité. Il rentre la tête dans les épaules, fais le dos rond, se redresse, se penche en avant, en arrière, à gauche mais ne peut, finalement éviter la sentence de ce bourreau fou furieux. La lame pénètre profondément, plus intimement que jamais. Elle est partout et nulle part à la fois. Elle rebondit contre son anterserk, dérape et va se ficher dans l'épaule de son agresseur.
A bout de souffle, Bjorn réalise qu'il a mis un genou à terre. Bien, Sérénité, la manifestation mentale de son pouvoir, ne l'a pas quittée. Mais le prix est de plus en plus élevé !
- Ah ! Je savais bien que je finirais par t'atteindre.
Un filet tiède ruisselle le long du torse velu de Bjorn. La pointe de l'épée et légèrement enfoncée sous sa couenne. Quelques doigts. Il saigne. Il grogne de mépris.
- Je l'ai fait exprès. Pour te garder près de moi.
Le poing du nordique, dur comme un rocher, percute l'épaule défoncée du duc qui part à la renverse, lâche son arme et se retrouve étalé tout tremblant par terre. Le nordique ne lui laisse même pas le temps de respirer, il fonce sur lui, l'écrase sous sa botte et lui attrape le bras malingre qu'il tente de lui opposer. D'une torsion brutale, il lui brise l'articulation du coude qui claque comme une branche sèche et le relâche, pantelant, les deux membres inutilisables. Puis il recule d'un pas et se masse sa propre épaule. La douleur est encore plus vive maintenant. Réelle. Mais au moins, il a quelque chose à compresser. Ce n'est pas comme juguler une douleur intérieure.
- Tu es vaincu. Ton armée n'a plus qu'à partir.
Tags : bjorn, duc, douleur, epaule, corps
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Commentaires
Enfin lu, avec 2 mois et demi de retard ! Je me disais aussi que Bjorn était con de pas tenter un autre truc, en fait il est juste lent ;) La suiiiiiiiiite !Hey Moo ! Oui j'ai laissé Bjorn faire sa montée en pression façon "force tranquille". Maintentant la suite promet d'être intéressante ! Je vais finir par la poster ;)
Et bonne année :)Hoye merci Moo ! Bonne année toi aussi (et tout le monde). Je sais que je me fais un peu oublier ces temps-ci. C'est pas la première fois, et c'est pas plus original que d'habitude :)
La suite des griffonnages viendra (ou 2013 ne sera pas).
Il met un temps fou à crever, bientôt un an qu'il a une épée plantée dans le bide, chapeau !
Tu as incontestablement raison Moo, et je suis impressionné et ravi de te voir revenir malgré mon manque d'assiduité ! ^^
Le début de l'année ne se passe pas comme sur des roulettes. Mais c'est vrai, il faut que je remettre le couvert. Demi-Deuil et Coeur de Cendre ne saurait rester lettre morte indéfiniment. Je suppose qu'il ne me manquait qu'un coup (de pouce ou bien de pied au cul) pour redémarrer. Laisse moi un peu de temps pour me replonger dedans jusqu'aux coudes et je livre la suite !
Dans un geste de bonté ultime, je t'accorde 6 mois de sursis, tiens toi à carreau pendant cette période et tout se passera bien
Parfait, j'aime travailler sous pression, je me sens dans mon élément :]
Chuis comme les levures en fait...
Garde la foi ! Ca sera un grand jour, ça l'était déjà l'an dernier... ah non, ou pas... hmmmm. On ne fera pas la même blague deux fois, cette fois je le sens bien ce 21 décembre. Il m'a l'air prometteur.
Désolé Moo, tu auras été le dernier des fidèles et je t'en remercie !
Mais effectivement, après t'avoir abreuvé de désillusions, je ne peux que m'excuser de ne pas avoir tenu mes innombrables promesses de mise à jour. La vie est rude, mais un jour, peut-être... plus loin, je continuerai.
Encore merci pour tes encouragements, see ya !
18MooSamedi 13 Mai 2017 à 21:46J'me tâte à repartir au chapitre 1, juste pour voir :)
Avec beaucoup de chance y'aura un chapitre 68 au moment où j'atteindrai à nouveau cette partie de la série \o/Sinon comment va ?
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Mercredi 25 Octobre 2017 à 15:18
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Ça chauffe ! Le beau Maille sera t-il toujours aussi beau ? Le brave Bjorn va t-il réussir à lui mettre une avoinée ? Le titre du chapitre ne plaide pas en sa faveur mais qui sait... parfois le narrateur se plante.
La réponse bientôt !