• Chapitre 6 : Le Grain de Sable

    Edifiant. Non seulement le dessin a altéré le rêve de Javel, mais en plus il a modifié la mémoire que j'en avais. Si l'inconnue masquée ne s'était pas autant excitée, je n'aurais sans doute rien remarqué d'anormal. C'est comme si le rocher avait toujours été là. Repère stable et imposant dont la présence seule fait taire les doutes timides.

    Est-il vraiment possible d'altérer une réalité de manière si profonde que même les esprits de ses habitants sont atteints ? Plutôt effrayant. Peut-être que nous avons réalisé une cinquantaine de tests avant d'en arriver là...peut-être qu'il n'y avait pas de côte, pas d'océan mais juste une grande plaine. Les perspectives sont étourdissantes. Il vaut mieux ne pas trop y penser pour le moment.
    Intrigué, je porte le bout de parchemin jauni à mon regard. La carte est forcément exacte. Même si je commets de menues erreurs de transcription, le paysage s'adapte sans même que j'en aie conscience. Avec un soupir, je le roule pour l'enfourner dans un tube de bois.
    Je me tourne à nouveau vers la tête de pierre. La fille en noir papillonne autour de l'imposant rocher avec une frénésie d'adolescente. C'est avec une tête encore un peu tourbillonnante que je m'approche.


    - C'est incroyable ! Je n'en étais pas sûre, mais...ho...bon sang !

    Elle ne s'en remet pas. A vrai dire moi non plus, je suis juste moins expansif. Je pose une paume moite sur le roc, comme pour en tester la tangibilité. Il est bien concret ce salaud. J'ai soudainement envie de le marteler à coups de poings. Une partie de mon esprit se révolte contre cette intrusion. Avec une grimace, je retire ma main comme si j'avais effleuré le dos velu d'une araignée galopante.

    - Au fait, comment as-tu fais pour le remarquer ? Si je ne m'étais pas forcé, j'aurais rapidement intégré ce morceau comme ayant toujours fait partie du paysage.

    La fille s'interrompt un instant pour me dévisager à travers les fentes oculaires de son masque. Difficile d'avoir une expression plus indéchiffrable, pourtant son langage corporel est explicite. Elle frise l'hystérie.

    - Je ne sais pas trop !! Enfin si ! Je m'en doutais un peu ! Mais par Korth, ça fait quelque chose. En fait je suis habituée à analyser mon environnement. Je suppose que c'est ce qui m'a aidé ! J'ai comme un sixième sens pour ce genre de chose, tu vois c'est cette manière de toujours veiller aux moindres détails qui peut te sauver la vie dans les cas critiques. En fait je...
    - Du calme, du calme !

    Parole, un vrai moulin à purée. Ou l'inverse, je suis un peu perturbé moi aussi. Ce rocher venu du néant nous tape sur les nerfs. Il faut que j'éloigne cette encombrante présence de mon esprit quelques instants pour pouvoir y réfléchir plus calmement. Je tente de faire dévier le sujet tout en me tournant vers le rivage, dos à la caillasse. Un vent froid et vif vient me nettoyer les pensées et m'arrache un nouvel éternuement.

    - Veiller aux détails. Quelle est ta spécialité au fait ? Mélanargie t'avais assigné une tâche précise à toi aussi ?
    - Hmm. Je suis un assassin. Se faufiler, passer inaperçu et toujours être en alerte, c'est une seconde nature pour moi (ce disant, elle fait un étrange signe en forme de V avec son index et son majeur. L'équivalent d'un clin d'oeil ?).
    - Aah. (glps). Ca explique pourquoi tu t'en es tirée jusque là.
    - Oui, elle m'avait envoyé pour tuer un guerrier. Apparemment, il gêne ses plans (elle écarte les mains dans un geste d'impuissance). En fait je n'ai pas pu m'en approcher. Cet homme est si ... enfin disons que je n'ai pas pu.

    Si c'est bien celui auquel je pense, rien d'étonnant. Moi même j'en suis tombé à genoux sans comprendre, subjugué sous l'effet de sa puissance naturelle. Gêné, je me gratte la joue avec la tranche du pouce.

    - Bon et ensuite ?
    - Au début Mélanargie me relançait fréquemment pour j'accomplisse ma mission. A l'époque je ne comprenais pas qui elle était, ça me flanquait un mal de crâne de tous les diables. J'ai fini par faire la morte pour qu'elle me lâche les bottes.
    - Elle te parlait hein...
    - Oui, dans mon esprit. Toi aussi ?
    - Elle doit le faire avec tous ceux qu'elle envoie ici. Une manière de garder une emprise...et qui lui permet aussi sans doute de surveiller ce qui se passe. Bon sang, elle m'a même fait parvenir des objets.
    - Quoi ?!

    Je tapote la besace du plat de la main. Nous faisons quelques pas en directions de la côte. Maintenant que j'y prête attention, la démarche de cette fille est étrangement aérienne, presque bondissante tout en restant feutrée. Elle semble toujours sur le qui-vive. Dans les faits, cela se traduit par un déhanchement régulier, rythmé par des impulsions du talon et un balancement des bras en cadence.

    - Pour t'envoyer des objets, elle doit forcément se servir d'un portail. Quelque chose du même type que celui qu'elle a utilisé pour nous envoyer ici.
    - Ne pourrait-elle pas le faire en utilisant une carte ? On a bien fait apparaître un rocher...et que sais-je encore.

    L'autre secoue la tête. Ramassant un caillou, elle le fait rebondir deux trois fois dans sa main gantée avant de le projeter au loin. Un jet plutôt impressionnant d'ailleurs, je n'aurais pas fait mieux avec 5 mètres d'élan. Cette fille est une tueuse...elle est dangereuse. A cette pensée, quelques poils se dressent sur ma nuque tandis qu'un frisson serpentin se coule le long de mon échine. Si l'autre remarque mon trouble, elle ne semble pas s'en offusquer.

    - Non. Si elle t'a envoyé dresser une carte, c'est qu'elle n'en possède pas à priori. Et puis, quelque chose me dit que ça ne marcherait pas. Je pense qu'il faut être sur place pour utiliser cette méthode d'altération.
    - Pure spéculation. Elle pourrait très bien avoir une vision fragmentaire et utiliser des petits plans. Ca ne donne pas pour autant la possibilité d'avoir une vue d'ensemble.
    - Nan, je pense qu'elle utilise un portail.
    - Pourquoi être si catégorique ?
    - Je sais qu'elle maîtrise parfaitement ce pouvoir. Comme je te l'ai déjà dit, j'ai survécu assez longtemps pour voir se succéder plusieurs candidats. En fait, j'ai même eu plusieurs fois l'occasion de les voir arriver. A chaque fois, le processus était le même. Un chatoiement irisé. Quelques touches de couleurs frangées d'or, pas mal d'éclairs bleutés et soudainement, une béance qui s'ouvrait comme une déchirure. C'est à ce moment là qu'un nouvel arrivant était vomi par le portail. Inconscient en général. Le plus curieux restait sans doute l'absence totale de toute forme de son. Comme si tout ce fatras appartenait à un autre monde et qu'il m'était juste donné la possibilité d'en voir l'image, comme un reflet sur un lac pur.
    - Je vois. Pas vraiment en fait, il y a un détail qui me chiffonne. Pourquoi ne pas en avoir profité pour retraverser ?
    - J'y ai pensé, je ne suis pas idiote ! Mais l'ouverture ne reste stable que quelques secondes. Le temps de cracher son passager.

    Hm. Cette discussion ne mène nul part. Frustré, je botte un caillou du bout du pied avant de me rappeler (douloureusement) que je suis en sandales. Je ne vois toujours aucun moyen de s'en tirer. Est-ce que je vais vraiment devoir me farcir tout un boulot de cartographie en louvoyant entre plusieurs morts certaines ? Grumph. Toutes ces belles découvertes ne servent à rien.
    Mon regard dérive et fini par échouer sur la robuste tête de pierre, avachie quelques pas plus loin. Cette satanée bobine à l'air de me dévisager avec un air moqueur.
    Et soudain ça me frappe comme une brique en pleine figure. J'ai la solution ! Sous les yeux en plus. Avec une lueur brillante dans les yeux, je me tourne vers la fille masquée :


    - Bon, supposons qu'on arrive à stabiliser un portail...on pourrait passer non ?
    Elle doit voir que je tiens une idée, elle ne cherche pas à tergiverser sur ce qui est possible ou pas.
    - Hum je ne sais pas. Mélanargie cherchera sans doute à nous en empêcher.
    - Comment ça ?
    - C'est elle qui invoque le passage. J'ai un peu étudié la théorie, mais c'est difficile. Tout ce que je sais, c'est que tant qu'elle garde le contrôle, on risque d'avoir des soucis.
    - Hum de quel ordre ?
    - Tout dépend si tu aimes l'idée de retourner dans ton corps avec l'âge mental d'un gamin de 3 ans. C'est très dangereux. C'est pour ça que je cherche à en savoir plus !

    Bordel ! Je me frappe la paume du poing. Pourquoi faut-il toujours qu'il y ait un nouvel obstacle ?! Dépité, j'enfonce les mains dans mes poches et me met à arpenter la côte d'un pas rageur. La fille m'attrape par le coude et me fait pivoter.

    - Regarde.

    L'idiot regarde le doigt, pas la direction qu'il indique. Après avoir lorgné quelques secondes sur son index pointé, je déniche une silhouette blanche immobile un peu plus loin.

    - S'il essaie de passer inaperçu avec ses frusques immaculées, c'est raté.
    - Il veut juste te faire savoir qu'il est là. Et qu'il guette.
    Comme pour illustrer ces paroles, le bellâtre Quincy se dérobe à nos regards pour se fondre dans un bosquet gris.
    - L'enfoiré, comme si j'avais pas assez la pression comme ça. Tant pis, on essaye !
    - Quoi donc ?
    Je lui résume mon idée en quelques mots. Elle a l'air dubitative mais finis par hocher la tête.

    - Si ça rate, tu es conscient que tu n'auras pas de second essai ?
    - Boarf, pense positif !

    Elle me récompense d'une bourrade. En dépit de son sinistre métier, je pourrais en venir à l'apprécier. Affichant un faux air contrit, je m'éloigne de quelques pas. Face à l'océan, le visage fouetté par les embruns, je m'efforce de relâcher la tension qui me noue les épaules. Il va falloir que je sois très rapide pour réussir.

    Je m'accroupis au sol et fait l'inventaire du contenu de ma besace. Après quelques minutes de recueillement devant un tas informe d'outils de scribouillard, je me décide pour un rouleau de parchemin vierge. L'étalant sur le sol, je redessine une petite carte de la zone. La langue entre les lèvres, je m'applique, sans prêter attention aux déambulations discrètes de la fille qui a entrelacé son destin au mien pour tenter de s'en tirer. Oui, ce sera quitte ou double. Deux retours ou un aller simple de plus pour l'enfer.
    Et maintenant le moment de vérité. Je n'ai aucune idée de la manière de faire. Comment contacter Mélanargie ?
    Je tente plusieurs fois de vider mon esprit sans succès, trop de nervosité parasitaire. Je finis par expulser une violente respiration. Plus je m'acharne et moins c'est facile. Alors que je trépigne, une petite main gantée de noir se porte à mon attention. Il y a quelque chose dans le creux de sa paume. Je l'interroge d'un mouvement de menton.


    - De la Blatie-mordante.
    - Quoi ? Tu veux que j'avale ce poison ??
    - Ce n'est pas la même variété que celle qu'on trouve dans le Delta de Sérénité. Elle t'aidera à relâcher ton esprit.

    Je plisse les yeux. La tueuse masquée...dans quelle mesure puis-je lui faire confiance ? Maintenant qu'elle connaît le pouvoir des cartes, elle pourrait décider de faire cavalière seule. Les compagnons sont rapidement encombrants.
    Aux coups d'oeils suspicieux se succèdent bientôt des mimiques évocatrices. L'assassine petite peste se rapproche. Je peux entendre sa respiration régulière filtrée par l'épaisseur de cuir. Je sens l'étrange odeur de végétaux qui émane de ses vêtements...et je perçois la lueur glaçante de son regard.
    D'un coup fulgurant, elle m'attrape la gorge de sa main libre. Je me débats, naïvement, en agrippant son bras. Pas croyable ce qu'on peut-être gourd quand on se fait étrangler. Pour toute réponse, elle serre plus fort, me poussant en arrière. Je bascule durement en lâchant un cri angoissé. Ma bouche grande ouverte tente en vain d'avaler quelques filets d'air frais. La fille est maintenant perchée sur ma poitrine, me comprimant impitoyablement la cage thoracique. Sa main droite raffermit son étreinte, je suffoque, martelant inutilement ses bras, son dos, son visage de mes poings fermés. Mes coups manquent de vigueur et de précision. Je tente encore de me dégager mais je commence à manquer de force.
    Le voile rouge se tend...bientôt viendra le rideau noir...et la mort. Mais la séance n'est pas terminée. Subitement, un torrent de feu dévale ma gorge meurtrie. De l'air ! J'aspire de grandes goulées, manquant de m'étouffer. La fille se recule d'un bond, je me redresse sur un coude, haletant et grimaçant de douleur. J'ai l'impression que ma gorge a triplé de volume après avoir été réduite à l'état d'une tête d'épingle. Tandis que je me remets, la colère montre son nez dans le mien.


    - Qu'est ce que... Ma voix est rauque, à l'article de la mort.
    - Tu ne m'aurais jamais cru et on n'aurait jamais avancé.
    - ?!

    Avec une lenteur calculée, la tueuse me dévoile sa paume gauche...à présent vide. Qu'est ce que ça veut dire ? Le poison ?! Elle en a profité pour me faire avaler cette saloperie.

    - Je vais te ...

    Je me mets à tousser violemment. Il faut agir vite ! J'essaie de m'enfoncer deux doigts dans la gorge pour me faire vomir. La fille réagit immédiatement par une clé au bras qui me fait retomber face contre terre.

    - Ca suffit ! Arrête de résister. Tu vas bientôt te détendre et tu pourras contacter cette salope.

    La joue contre la poussière, je tente de toiser la fille avec mon plus bel exemplaire de regard mauvais. Toise toujours tu m'intéresses... Elle ne relâche pas sa prise, attendant sans doute que la plante fasse effet. Pour le moment, je ne ressens pas encore la sensation de brûlure qui accompagne en général l'ingestion de Blatie-mordante. Ou peut-être que si...j'ai du mal à démêler ma peur et mes perceptions. Mon souffle reste régulier, même mon coeur refuse de s'emballer. Oh ? Je vois.
    L'étau se relâche. Je me redresse pesamment. Mes membres sont lourds, comme chargés de sommeil et pourtant je ne me sens pas fatigué. Mon esprit est d'une clarté rare.


    - Maintenant, vas-y. Contacte Mélanargie.

    Oscillant légèrement, je me masse les tempes profondément. Je suis aérien. Cette fois, je me sens beaucoup plus disposé.

    Il y a quelqu'un ?

    Pas de réponse. Je retente plusieurs fois, m'efforçant de ne pas prononcer un nom que je suis censé ignorer. Au bout d'un moment, je sens qu'un contact s'opère. Ca marche !

    Hey ? Tu m'entends ?
    Oui, qu'est ce que tu fabriques ?
    J'ai décidé de faire le boulot. Pas le choix apparemment.
    Tant mieux. Respecte les conditions du contrat, et je te ramènerai sans faute, sain et sauf.


    Je m'humecte les lèvres, il va falloir jouer fin à présent.

    Mouais, j'ai quand même besoin d'un truc.
    Comment ça ?
    Cette nuit tu m'as envoyé du matériel, tu pourrais recommencer ?
    Si nécessaire. Accouche. De quoi as-tu besoin ?


    Tout en parlant, j'attrape un stylet et le trempe dans l'encre. Immobile à quelques millimètres au dessus du parchemin, j'énonce ma requête.

    Une boussole tout simplement
    Tu ne peux pas utiliser le soleil ?
    Il fait gris ici. Aucune ombre, rien.
    (idéal, je n'ai même pas besoin de mentir).
    C'est très fatiguant, j'espère que ça en vaut la peine.
    Bien entendu, on ne fait pas de cartes fiables en ayant perdu le nord.
    Bon compris, donne moi quelques instants.


    C'est le moment ! J'écarquille les yeux pour repérer un scintillement, une fissure, quelque chose. La tueuse est plus rapide que moi. Elle me tape l'épaule d'un geste sec. Cette fois je ne perds pas de temps à regarder sa main tendue, je repère l'ouverture en train de se refermer. Déjà ! Bon sang, il s'en est fallu de peu pour que je la loupe. Cette petite futée l'a fait apparaître derrière un roc.
    Avec une maladresse enfantine, je trace une patate grossière à l'emplacement indiqué et bâcle une signature au bas du document. Verdict ? Je retiens mon souffle, plus rien n'est en vue. La fille se déplace pour aller inspecter. Je connais la réponse avant qu'elle n'y parvienne...sous la forme d'un rugissement rageur dans mon esprit. C'est la panique ! Une véritable tempête vengeresse se forme sous mon crâne, foudroyant mon cerveau d'impacts sauvages.


    SAKUTEI ! Qu'est ce que tu as fait !!
    On ne joue pas avec l'amadou...


    Je reçois alors l'équivalent d'un coup de poing psychique magistral qui me renvoie brutalement en arrière. L'obscurité onctueuse et maternelle m'ouvre grand les bras.

    Je crois que cette période d'inconscience s'est rapidement suivie d'un profond sommeil. Impossible de savoir combien de temps. Ce n'est qu'à force de me faire secouer l'épaule que je daigne ouvrir un oeil vitreux. La fille au masque est juste là, à quelques centimètres de mon visage.


    - Oyooo, regardez qui voilà (elle me tapote la joue). Bravo, ça a marché.

    Une vieille boussole atterrit sur mes genoux, agrémentée par un petit rire moqueur. Bel objet, je l'admire quelques battements de cils pendant lesquels je m'efforce de battre le rappel de mes pensées.

    - Le portail ?
    Je connais déjà la réponse mais j'ai besoin de l'entendre dire par quelqu'un d'autre.
    - Il est là. Grand ouvert et n'attendant que nous. Enfin, pas très grand en fait, mais on y passera sans problème.
    - Bon, c'est déjà ça.

    Mais ça ne nous tire par totalement d'affaire. Tant que Mélanargie reste capable de s'opposer à notre sortie, ce passage est aussi fiable qu'une planchette de bois jetée à la va-vite sur une coulée de lave.

    - Ca ne lui a pas plu. Elle me l'a fait savoir.
    - Sans doute. Ca fait partie des petites contrariétés de la vie.

    Bastre, elle est d'humeur badine. Il faut croire que cette opération lui apporte le doux fumet d'une liberté trop longtemps perdue. Je me gratte la nuque tout en ruminant.

    - Dis donc, la Blatie-mordante...
    - Tatata, on va pas se tourner en bisbille pour ça.
    - Ben voyons, juste une petite strangulation entre amis, rien de plus.
    - Voilà, c'est pas comme si on avait couché ensemble.

    Là je manque de m'étrangler à nouveau. Bon, changeons de sujet.

    - Hem, et qu'est ce qu'on fait maintenant ?
    - hein ?
    - Je parle du portail !

    La voilà qui se met à rire comme une adolescente devant mes mimiques mi-figue mi-raisin. Ah ! Bravo, encore les pieds dans le plat. Me raclant la gorge, j'entame avec une idée qui me trotte dans la tête depuis le début.

    - On a aucun moyen de se cacher à son regard tout en progressant ?
    Elle reprend son sérieux.
    - Non, c'est un passage magique. Mélanargie saura à tout moment si quelqu'un l'emprunte. A moins que...
    - Oui ?
    - A moins qu'elle ne soit distraite.

    On patauge. Comment distraire quelqu'un qui se trouve dans une autre dimension ? Je doute que placer une tarte fumante ou pousser une chansonnette devant l'ouverture du portail soit très efficace. Voyons ce que j'ai a disposition : un tueuse anonyme sans visage, une poignée d'ustensiles inutiles (dont une très belle boussole acquise au prix d'une claque monumentale), le pouvoir de modifier le paysage au grès de mes gribouillages...et ah tiens, je l'avais oublié lui... un morceau d'os plat plutôt suspect.

    - Je passe mon tour. Si encore on pouvait lui jeter une pierre dans la figure...
    - Aucune chance de l'atteindre. Vu la nature du passage, il n'y a que des composés énergétiques qui pourraient être assez puissants pour garder une forme et une force capables de causer un brin de dommages.

    Je résume :
    - Un tir magique quoi. Grumph, dommage qu'on n'ait pas un sorcier sous la main. Je suppose qu'aucun dieu de la mort n'accepterait de nous aider.

    En m'entendant maugréer, la fille en noir se fige subitement. Son visage se tourne d'un coup. J'ai l'impression d'entendre le déclic mécanique d'engrenages se mettant en place sous son crâne. Allez donc savoir ce qui a pu germer dans le terreau de cette masse de cheveux sombres.
    Elle s'élance d'un bond et me saute au cou. Poacre ! Je manque de me le rompre en trébuchant sous la surprise. Lorsqu'elle se dégage, je suis un peu confus. Pour un peu, j'ai bien cru qu'elle aller pousser l'embrassade dans des retranchements plus intimes. Je réprime une brusque poussée de chaleur en toussotant discrètement.


    - C'est ça ! C'est exactement ça !
    - Heu.
    - Un tir magique bon sang, pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt. C'est pourtant simple, il suffit d'expédier un projectile énergétique.

    Je veux l'interrompre mais ne trouve rien d'intelligent à dire. Je la laisse donc continuer à me faire mariner pendant qu'elle jubile.

    - Pour ça il nous faut un archer. Pas n'importe quelle sorte. Et il se trouve qu'il y en a exactement le modèle qu'il nous faut pas très loin !
    - Niuh ?

    Elle fait un mouvement de menton, je pivote. Je repère bien vite sa silhouette vigilante sur fond gris. Du bleu pulsant dans un poing vêtu de blanc. La vache !

    - Lui ?! Le Quincy.
    - Précisément. S'il tire une flèche dans ce portail, il y a de grandes chances pour qu'elle remonte jusqu'à la source. Et là...
    - ... Mélanargie risque d'être plutôt distraite avec un trait dans le bide.
    - N'est ce pas ?

    Bon sang ce n'est pas bête. Mais il reste quelques soucis.

    - Et comment on va le convaincre de nous aider ? Je crois qu'il parlait de me trouer la peau la dernière fois qu'on s'est vus.
    - On ne va pas le convaincre. On va le duper.
    - En voilà une idée. Une autre question.
    - Hm ?
    - Quel nom dois-je accoler à la géniale créatrice de ce plan ?
    - Tu peux m'appeler Thrace.

    Certainement pas son vrai nom, mais enfin un mot qui sonne familier à mes oreilles. La situation commence à s'auréoler de meilleurs auspices.
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