• Chapitre 64 : Le souffle du Demi-Deuil (2)

    Mélanargie commence par sourire d'un air matois. Mais Zarpan n'aura même pas le temps de décrypter sa mimique qu'elle rebaisse le nez pour enfouir sa frimousse sous son col. Sa voix lui parvient, filtrée par l'épaisseur d'étoffe, toujours dotée de ses accents joueurs caractéristiques.

    - Zarpan, tu es impatient. Il y a un temps pour agir et un temps pour l'expérience. Il y a un moment où il faut mettre un terme à cette accumulation d'expérience qu'on appelle la vie. Et il y a un moment, en général celui qui précède, où l'on observe les derniers soubresauts et cabrioles d'un sujet promis à une destinée écourtée par une pointe triangulaire en pleine gorge. C'est en observant ces ultimes fractions de seconde qui finissent une vie qu'on en apprend le plus sur la mort.

    Elle sourit toujours, le gros peut le lire au plissement de ses yeux. Ce n'est pas tellement que Mélanargie se comporte toujours avec une frivolité totalement en désaccord avec gravité de ses actes qui gêne Zarpan, c'est d'avantage cette manie de toujours s'exprimer sur le fond du sujet sans passer par les confortables fioritures d'une conversation ordinaire. Les gens normaux ont besoin qu'on tourne un peu autour du pot. Et qu'on y tourne de manière bien circulaire, pas en faisant des détours bizarres et cliniques pour parler d'un meurtre.
    Mais cette grignette repliée sur son parchemin, il y a bien longtemps qu'elle a chippé toute la confiture qu'il pouvait y avoir dans ledit pot. Elle se contrefiche totalement des règles.

    - Bon, on attend, on regarde. Mais qu'est ce qu'on observe là maîtresse ? Je ne vois rien que nous ne pourrions observer d'ailleurs. D'un ailleurs plus confortable. Avec de la viande en broche par exemple…
    - Je pourrais te répondre que le monde se divise en deux catégories. Mais comme tu appartiens à la seconde, tu ne comprendrais pas.
    - Ça ne m'avance pas bien maîtresse.
    - Contente toi d'enrouler cette cordelette... Et fais moi griller un navet.

    De toute évidence, c'est un point mort dans la discussion. Mais ce qui est clair, c'est que Mélanargie a quelque chose de bien précis en tête. Quand elle joue l'énigmatisme, ce n'est pas pour alimenter le magnétisme mystérieux de son charisme. Non. La fille aux mèches d'argents a un but. Un objectif qui n'a sans doute rien à voir avec leur situation présente. Quelquechose qui mérite qu'on passe trois jours dehors dans la nature. Avec un seau de navet.

    Et quand Zarpan se penche pour en attraper un, il sent comme une menace invisible peser sur sa nuque. Indicible mais bien là. Un danger. Quelque chose d'ignoble va bientôt se produire. Et ce n'est pas uniquement l'holocauste d'un légume amer.
    L'obèse se redresse et fait tout doucement glisser une pique acérée dans le creux tiède et moite de sa paluche. Quand on travaille pour une nécromancienne, on développe un sixième sens. Un instinct surnaturel pour ce genre de chose. Il y a du nouveau sous la lune.
    Zarpan scrute. Il scrute et toujours très lentement et, avec cette indolence propre aux gros qui fait penser qu'ils sont tout en mous et en remous, il embroche un inoffensif navet au bout de sa pique. Puis d'un bloc, il roule les épaules, arrondit le dos, cale le tisonnier entre ses genoux et maintient le légume au dessus de la braise.

    - Les soldats du Delta font la ripaille, glisse t-il sur le ton de la conversation de table. Il aurait aussi bien pu demander le pichet de vin.
    - Hm. Hm. Nos voisins sont toujours un peu bruyant.
    - Ils violent une fille.

    Mélanargie relève la tête, les sourcils froncés. Ah. Piquée au vif dans sa dignité féminine ?

    - Une captive ? Où ça ? Si c'est une thuadène, il me la faut.

    Ah non. Intéressée, comme à son usage. Zarpan pointe la broche dans la direction d'un buisson derrière lequel il y a effectivement un orageux ébat. En prettant bien l'oreille, au dessus du ferraillement du camp des soldats du Delta, on peut même entendre les cris étouffés et les déchirures de pièces tissus. Quelque rires gras.

    - Combien sont-ils à ton avis ?
    - Quatre ou cinq maîtresse.
    - Alors c'est bien une thuadène.
    - Ah ?
    - Les hommes raffolent de l'exotisme. Une simple paysanne n'aurait pas attiré autant de monde.

    Un silence.

    - Je la veux.

    Le navet commence à rôtir sur une face, le pesant garde du corps et des légumes le retourne consciencieusement.

    - Ça ne pose pas de problème, cale t-il au milieu de sa petite cuisine comme une bonne certitude bien confortable.
    - Alors vas-y. Mais je la veux vivante cette fois.
    - Heu. Vraiment ? Ça c'est inhabituel.

    Mélarnagie lui tend son arc d'un geste théâtral, le regard fier et le sourire luisant. Zarpan espère sincèrement que c'est l'odeur du navet grillé qui la fait saliver comme ça. Mais connaissant sa maîtresse, il en doute.

    - La cordelette Zarpan, la cordelette. Occupe toi juste de ton petit bout de cordelette et laisse à la marionnetiste le soin de guider les autres fils.

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