• La messe est dite. Mandaté pour faire la grasse besogne, l'indolent eunuque longe prudement les ronciers pour se rapprocher de la partie de jambes en l'air improvisée plus loin. En remontant sur les bords du creux où ils se sont abrités, il jette un œil sur le camp en contrebas. De ce côté-ci de la porte du Sidh, c'est-à-dire du côté humain, il n'y a pas grand monde. Principalement de l'intendance et quelques plantons, histoire de faire des patrouilles, d'entretenir l'arrière garde et d'imposer un semblant de discipline militaire à ce foutoir de chariots et de caisses vides. Mais considérant que Mélanargie et Zarpan sont restés à quelques centaines de mètres sans même se faire repérer malgré leur feu de camp, il y a fort à parier que les soldats ne cherchent même pas à faire semblant. Probable qu'ils soient un peu contrariés d'être restés en arrière. Et des soldats en rogne privés de leur chaîne de commandement, ça ose tout.

    La preuve un peu plus loin où l'obèse a un bref apperçu du spectacle entre deux touffes tiges sèches. Quatre types, sales, débraillés et très certainement ivres morts sont en train d'essayer de fourrer leurs appendices génitaux dans ce qu'ils espèrent être les orifices de leur captive.
    Une mimique de dégoût passe sur l'épais faciès du gros. Répugnant. Il prend un peu de recul et s'essuie les paumes sur sa tunique. Prenant le minimum de précaution requises pour rester discret, il contourne prestemment la scène pour bénéficier d'un meilleur angle d'attaque. Une fois en position, il étale son petit matériel devant lui et déroule la poche de cuir qui renferme ses flèches. Il s'humecte les lèvres. Les cris etouffés de l'infortunée le dérangent. Les rires gras de ses tortionnaires l'irritent. Zarpan est quelqu'un de délicat par principe. Mais par principe seulement.

    Il bande son arc, le chanvre crisse légèrement. Il bloque son souffle, fronce le peu de sourcil qu'il a et décoche son premier trait. Sans même prendre le temps de regarder, il arme déjà une nouvelle flèche. Le deuxième projectile acéré siffle tout droit dans l'œil d'un des gars qui relevait justement la tête pour comprendre pourquoi son pote venait de se vautrer sans grâce sur la fille. Les deux autres commencent à piger. Leurs mains changent de direction, cherchant à empoigner de l'acier en lieu et place d'une paire de miches. Ils se relèvent en jurant. Puis il se retourne subitement. Il tourne la tête, appelle son camarade, réalise qu'une empenne aux plumes noires vient de lui fleurir sur le front, bondit sur le côté… et se fait descendre à son tour, le braquemard aux chevilles, un crachat de sang dans l'air avant de crever.

    Avant même que le dernier soldat n'ait achevé de s'écrouler en gargouillant, grinçant et perdant en plus de sa dignité et de sa pomme d'adam, l'occasion de bredouiller une épitaphe convenable, Zarpan a déjà fait trois pas dans la direction de la sauterie. Ses robustes sandales s'arrêtent au milieu de corps crispés. Il fait rebondir la pointe de son arc sur un galet rond, machouille un brin d'herbe imaginaire et se passe un chapelet de doigts sur le visage. Vu la traînée humide qu'il y laisse, la cordelette de cuir ne l'empêche pas de suer des paumes. Il baisse les yeux.

    La fille est encore en vie, à peine consciente. 

    Mélarnagie est accroupie dos au feu en train de boutiquer dans son coin lorsqu'il la rapporte sur son épaule. Elle examine son reflet dans un miroir. En s'approchant, Zarpan a juste le temps de l'entendre murmurer pour elle-même :

    - …pas un démon. Ça va aller.

    Puis elle détecte la présence de son garde du corps, sursaute à moitié, planque le miroir comme une coqueterie indécente et se racle la gorge.

    - Ah Zarpan. Dépose la près du feu. Doucement.

    Elle se relève et s'approche de la thuadène amochée. Reine de l'euphémisme, Mélanargie lui retourne les paumes pour constater qu'elles sont brûlées. Tout comme ses yeux.

    - Elle est en piteux état.
    - Je vous la ramène comme je l'ai trouvée maîtresse.
    - Bon, faisons vite avant qu'elle ne meure. Il faut qu'elle reste en vie.

    Passant une main douce sur le front de la malheureuse, Mélanargie lui lisse les cheveux en arrière et lui sourit tristement.

    - Ça devrait aller.

    Et on pourrait presque croire qu'elle s'adresse à la thuadène dont elle attrape maintenant le menton pour lui faire pivoter la tête. Un désagréable craquement se fait entendre au niveau de la nuque. La fille grimace. Un cri sec dans le vent froid. Mélanargie se penche en avant, elle avance la tête et respire profondément.

    - Maîtresse ?
    - Chut.

    Elle couche sa tête sur le thorax de l'elfe et l'écoute respirer tout en fixant intensément le bas de son visage meutrit.

    - Ton nom. Dis moi ton nom.

    Un souffle rauque s'échappe de sa poitrine. Mélanargie réitère sa demande jusqu'à ce qu'un murmure à peu près aussi torturé que le reste finisse par lui parvenir. Elle colle son oreille à ses lèvres fendues.

    - Mi… oui.. Mi… Milla… Miyanne !

    La nécromancienne se redresse brusquement. Le regard brillant.

    - Je l'ai. Au travail !


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