• Chapitre 34 : Eclosion acérée.

    Thrace glisse sa main dans un interstice. Elle assure sa position par une courte traction puis serre les lèvres et se hisse, décrochant son pied qui se met à tapoter contre la parois en quête d'une aspérité praticable.
    Il fait maintenant suffisamment clair pour qu'elle puisse prévoir sa progression sur plusieurs mètres et la clarté tombant des hauteurs est un réconfort sans cesse croissant à mesure qu'elle augmente.
    L'ondine se cramponne un instant dans sa position avant de continuer à grimper à la force des poignets et des chevilles. Elle se prend une petite frayeur lorsque sur une erreur de placement, sa botte glisse d'un coup. Et vlan ! Son genou s'en va donner salement contre la paroi rocheuse, faisant jaillir des échardes de douleur qui fourmillent à partir de sa rotule dans son mollet et sa cuisse. Pas de doute, c'est bien du bon vieux caillou maintenant, ça fait un mal de gueux !
    Mais en un sens, cette sensation primaire et brutale que celle d'un os sensible qui s'éclate contre une surface dure est tellement rassurante que la douleur est reléguée quelque part dans les rangs bondés des insignifiantes choses secondaires.
    Au début, cette fichue paroi n'était pas aussi palpable. Pas vraiment de matière, juste la volonté de s'élever pour contrer la trouille de se rétamer. Et c'est ainsi qu'elle a entamé sa remontée. Lente, difficile et aveugle. Pas une sinécure ! Mais petit à petit, elle progresse. Elle regagne les hauteurs qui lui proposent non pas le salut mais une chance de continuer. Voilà continuer… et c'est déjà pas mal.

    La tâche est pénible et laborieuse mais pas complexe pour une jeune fille agile et entraînée. En dosant minutieusement ses efforts, Thrace se sait capable de tenir aussi longtemps qu'il le faudra pour retrouver le sous-sol des écorchés. Et quand bien même elle fatiguerait, elle ne serait pas pour autant totalement démunie. Il lui resterait le pouvoir des ondines, le pouvoir de l'eau. Oui, il suffit d'être patiente et prudente.
    L'exercice devient vite monotone et Thrace se retrouve avec une large portion de son esprit vacante et disponible pour tout type de rumination. Rien de tel qu'un effort régulier pour clarifier ses pensées. Alors elle se laisse aller à une certaine rêverie. Elle se remémore ces dernières heures si étranges et violentes qu'elles semblent irréelles maintenant que la lumière commence à garnir les reliefs de contrastes rassurants.
    Thrace repense avec émotion aux dernières phrases de Sataline, la grande ondine des profondeurs. En fermant les yeux, elle revoie son visage harmonieux et délicatement animé par les vagues mouvements de l'eau qui traversaient ses traits.

    ***

    Avant de se séparer, la grande ondine l'a gratifiée d'une longue et tendre étreinte. Puis elle s'est reculée l'a attrapé par les épaules et l'a embrassée sur les deux joues.

    - Je vais te faire un présent Emilie. Tu sais, ces pulsions meurtrières qui hantent tes réflexes pourraient te mener à des extrémités que tu ne souhaiterais pas. Alors, pour t'aider à effacer l'empreinte Mara, je vais te conférer un peu plus de notre pouvoir de vie.

    Avant même que la jeune ondine n'ait pu répondre, elle s'est avancée et a scellé ses deux paupières de ses lèvres humides. Elle a ensuite embrassé Thrace sur la bouche, longuement et passionnément. Clairement pas un baiser chaste non… mais pas non plus quelque chose de saphique. De toute façon tout s'est passé dans la surprise la plus totale.
    La tueuse a senti un grand picotement, le même que celui que procure un retour brutal de sang dans une partie du corps. Le don de la grande ondine l'a submergée comme une grande vague purificatrice qui laverait le sable fin d'une plage isolée. Un pouvoir initiateur, une fraction de création. Il était là, tout contre son cœur, attendant d'être totalement intégré dans la jeune fille. Thrace a alors acquis une nouvelle compréhension de sa constitution et la sensation de pouvoir en faire quelque chose. On trouve rarement plus exaltant et l'euphorie générée par ce baiser devait lui laisser un sourire béat pour quelques temps encore.


    - Sois fière de ce que tu es Emilie. Tu es unique. Chéris ce souvenir et garde une petite place en toi pour tes sœurs de l'eau.
    - Merci… je heu… n'oublierai pas.

    Le sourire scintillant de Sataline a alors reflété une infinité de sentiments. Qu'il aurait alors été doux de simplement s'abandonner dans ses bras ! De quitter son corps d'humaine et de fusionner simplement avec cette entité aquatique. L'appel était là, séduisant comme une bruine un jour d'été et insistant comme une soif. Peut-être était-il instillé par la caresse de la langue de Sataline… peut-être même à dessein. La méfiance de la tueuse s'est alors lovée autour de ses pensées comme un serpent vigilant, coupant court à toute tentation.
    Ce réflexe de conservation bien involontaire devait bloquer momentanément l'incorporation du pouvoir de Sataline dans son corps. La boule d'eau est restée en attente mais Thrace ne s'en est pas rendue compte immédiatement. Elle a simplement hoché la tête et levé les yeux vers ce qu'elle estimait être les hauteurs.


    - Comment vais-je partir maintenant ? Je ne sais même pas comment j'ai atterri ici… alors remonter me paraît plutôt mal parti.
    - Tu es une ondine Emilie, tu portes l'onde en toi. Utilise tes pouvoirs pour manipuler et soumettre à ta volonté ce que tu trouveras ici.
    - Ah non ! Pas d'énigme.

    Mais Sataline lui a répondu par un rire cristallin avant de s'évanouir dans les ténèbres, résorbant la bulle de clarté qui les tenait enveloppées jusque alors. Les dernières syllabes rondes de la grande ondine ont résonné un moment avant de se faire avaler par le silence vorace :

    - Il en va ainsi des anciennetés. (Elle a ensuite ajouté quelque chose d'inintelligible finissant par son nom : Emilie.)

    Thrace est restée perplexe un moment, frustrée par ce départ en queue de poisson et légèrement égarée par le brusque reflux de l'obscurité épaisse. Plus un son, plus un rayon. Elle n'avait pour se guider que cette sensation palpitante près du cœur. Le legs de Sataline qui clapotait en son sein.


    ***

    L'ondine négocie un passage un peu plus sévère et se voit contrainte de se suspendre un moment à un surplomb bien malvenu. La surdose d'effort requise coupe un instant le fil de ses pensées et elle se voit contrainte de mobiliser toute son attention sur chacun de ses moindre mouvements.
    C'est finalement au supplice qu'elle parvient à basculer son buste sur une courte plateforme. Adossée à la falaise glaciale, elle s'accorde quelques minutes pour souffler, écoutant le rythme de son cœur s'apaiser lentement. Elle pourrait passer sous forme vaporeuse et confronter son nouveau pouvoir avec la morsure du froid. Oui, elle pourrait… ou plutôt elle l'aurait sans doute pu si seulement le don de Sataline était resté intact.
    Une vague de regret passe sur le visage de la svelte brune, aussitôt chassée par un froncement de sourcils. Inutile de se lamenter. Les choses sont ce qu'elles sont et les choix imposent toujours une part de renoncement. Cette pensée arrache tout de même un léger soupir à l'ondine. Elle n'avait PAS le choix justement. Ou plutôt elle a choisi l'indépendance, ce qui lui semble primordial.


    ***

    Après s'être retrouvée seule, Thrace s'est naturellement mise à marcher. Au hasard, sans but précis ni direction puisqu'il lui était tout bonnement impossible d'en déterminer une. Le balancement régulier de ses hanches l'aidait à tenir la bride à la panique générée par ce néant sans vie. Cet endroit si étrange qu'il semblait tout à la fois l'enfermer dans son opacité et l'égarer dans son immensité. Et l'ondine qui oscillait sans cesse entre agoraphobie et claustrophobie avait besoin de renouer avec un processus musculaire simple et tonique.

    Ses angoisses alimentées par suffisamment de sujets de réflexion pour lui faire oublier le froid ont fini par l'amener à la conclusion au combien pertinente que sa position n'était pas des plus enviables.
    En supposant qu'elle parvienne à remonter tout en haut en utilisant l'indice sibyllin de Sataline, il lui faudrait encore affronter les fomoires pour définitivement rompre leur relation et la malédiction qui l'accompagne. Et vu que ses performances des derniers jours ont contribué à réduire le nombre déjà restreint des survivants de cette vieille race, il y avait peu de chances pour qu'ils soient complaisants à son égard. L'ondine s'est alors remémoré (avec un frisson qui ne devait rien à la température) le coup d'éclat de l'archidémon et la confrontation pour le moins confuse qui s'en était suivie. Quelle serait la réaction des écorchés s'ils la voyaient pointer son nez tout innocemment avec un index suppliant tourné vers ses canines mutantes et un mot d'excuse sur les lèvres ?
    Non. Stupide et inenvisageable. Il lui fallait donc une monnaie d'échange, quelque chose à négocier. Et quand on est une tueuse, on mise en général sur la vie des autres.

    Offrir la vie ou la mort est sans aucun doute l'argument le plus décisif quand il s'agit d'emporter un marché. Mais encore faut-il avoir les moyens de mettre du poids dans les balanciers pour ne pas se faire décoller la tête des épaules à l'ouverture des enchères.
    Voilà pourquoi Thrace n'a pas cherché tout de suite à se démener avec les ondes pour remonter. Voilà pourquoi elle est partie à la recherche… d'Acier.

    Pour comprendre pourquoi elle s'est mise en quête de cet élémentaire cruel qui a failli mettre un terme à sa carrière, il faut remonter encore en arrière. Lors des heures passées en la compagnie ondoyante de Sataline.


    ***

    - Encore une question, lui avait demandé Thrace avec un air curieux.
    - Je t'écoute.
    - Pourquoi… non comment… enfin, pourquoi Acier ne m'a-t-il pas tuée ?
    - Je ne pense pas qu'il y ait de raison de le regretter, avait rétorqué la grande ondine avec une moue amusée.
    Thrace avait froncé les sourcils, gardant un ton mortellement sérieux. Les plaies étaient résorbées mais le souvenir de la douleur était encore vivace. La séance n'avait rien comporté qui donnait matière à sourire.
    - S'il vous plaît, expliquez moi… ce qui a fait fuir Acier.

    Il s'était écoulé un moment liquide où rien d'autre n'avait bougé que les battements de cils. Sataline avait fini par croiser les bras sur sa petite poitrine pour répondre doucement :

    - Acier est l'acier. Il est né bien après nous. L'eau dont nous sommes les filles, quand à elle, est un des premiers éléments. Même un être aussi pervers qu'Acier ne peut ignorer la transcendance de notre ancienneté. Non vraiment, il n'aurait en aucun cas pu espérer nous tenir tête bien longtemps. Il est vicieux, sournois, cruel par caprice et méchant par opportunité mais jamais, oh non jamais hardi.
    Après tout, avait-elle ajouté avec un éclat dur dans le regard, il est une création des humains. Ce sont eux qui ont donné la vie à cette chose en façonnant le métal contenu dans le sol.
    - Acier est né par la forge ?
    - Pas exactement. Les humains n'ont pas crée le travail du métal. Et avant Acier, il y avait Bronze.
    - Que lui est-il arrivé ?
    - Acier est plus dur et plus tranchant, tout simplement.
    - Il l'a tué ?
    - Non, il l'a remplacé. Emilie il faut que tu saches qu'ici tout est vide. Alors savoir qui tue et qui meurt… c'est assez confus. Ce qu'on sait en revanche, c'est que lorsqu'un élémentaire est dépassé par un autre, il disparaît. Ce n'est pas une lutte, c'est un cycle naturel. En fait c'est un peu comme comparer la prise de contrôle des ondines de la surface sur celles du sous-sol. Vois tu, à l'époque…

    Au cours de leur longue conversation, la grande ondine se perdait souvent dans ce genre d'explications un peu nébuleuses. Elle remontait sans cesse aux fondations pour déverser ensuite des fragments d'histoire en cascade. Sans aucun doute passionnant pour un érudit mais le débit était beaucoup trop important pour les capacités de synthèse de Thrace qui se retrouvait souvent un peu noyée par sa grande soeur. Sataline disposait d'un tel océan connaissance qu'il lui était apparemment difficile de ne pas engloutir son interlocutrice sous un flot incessant de parenthèses et de retours aux sources.
    Alors sans hésiter, elle l'avait coupé :


    - Sataline, pourrais-je le vaincre moi aussi ?
    - En voilà une étrange question ! Tu ne comptes tout de même pas l'affronter ?
    - Non bien sûr, avait relancé Thrace avec un sourire gêné, je suis juste curieuse… au cas où il m'attaquerait de nouveau.
    - Tu n'as rien à craindre de ce coté je t'assure. Sataline avait agité sa main plusieurs fois comme pour chasser cette éventualité à la manière d'un insecte irritant.
    - Mais si ça devait arriver, avait-elle insisté, pourrais-je utiliser ce même ascendant ?
    - Je ne sais pas… (La voix de la grande ondine c'était faite plus distante, rêveuse). Peut-être oui mais ce n'est pas sûr. Tu sais que rien n'est absolu. La destruction, la création, la soumission, la rébellion. Regarde, les thuadènes pensaient massacrer les fomoires mais il en reste finalement des rescapés qui protègent le cœur de Baal.
    - Oui enfin la situation a changé récemment. Le cœur n'est plus à sa place. Les fomoires ne sont plus… très nombreux.
    - Oh… je vois. Cette époque est décidément bien troublée pour qu'il s'y passe tant de choses. Je n'arrive plus à suivre du fond de ce gouffre on dirait, s'était-elle amusée. Alors il ne sont donc pas tous morts ?
    - Et bien il ne semble pas. Quelques uns sont parvenus à se libérer de la malédiction en se greffant un second cœur dans la poitrine. Mais peu d'entre eux ont eu ce privilège.
    - C'est astucieux…
    - Voui.
    - Où en étais-je ?
    - Aucune idée.

    ***

    Une conversation surprenante, c'est le moins qu'on puisse dire. Perchée sur le petit surplomb, les jambes pendant dans le vide et le dos plaqué contre la rocaille irrégulière, Thrace s'étire copieusement pour dénouer ses muscles rigides. Il est temps de se remettre en route… enfin en varappe quoi.
    L'ondine se fait craquer la nuque à l'issue d'une série de contorsions du dos et réarrange ses longues mèches noires en queue de cheval au moyen d'un petit lacet de cuir qu'elle a produit de la même manière que le reste de son accoutrement. Comme quoi elle possède bien une part de créativité en elle. Curieux qu'elle ne se soit jamais attachée à comprendre comment elle était capable de faire naître tout ce harnachement de cuir à partir de rien.
    Sa main reste un peu plus longtemps que nécessaire dans sa chevelure, comme si elle voulait vérifier quelque chose. Apparemment satisfaite parce qu'elle trouve, la tueuse noire branle du chef et se dresse sur sa plateforme pour reprendre son ascension. L'effort entraîne à nouveau son lot de pensées.

    ***

    Trouver Acier n'a pas vraiment posé de problème, c'est plutôt à partir de là qu'ils ont commencés.
    Thrace déambulait depuis quelques centaines de pas lorsque le son grinçant et désagréable d'articulations métalliques s'est fait entendre. Cette fois elle s'était mentalement préparée à la rencontre et à défaut d'avoir un arme, elle avait un plan.
    De ce qu'elle a retiré de sa conversation avec Sataline, c'est que l'élémentaire du métal n'était pas sensible aux armes conventionnelles. En fait, il s'en nourrissait, ce qui expliquait pourquoi sa petite épée fomoire n'avait pas pu changer grand-chose à leur première confrontation. Mais il y avait une autre manière de l'emporter.

    Aux premiers échos tranchants, l'ondine s'est tout d'abord figée, prise d'une brusque montée d'adrénaline. Mais habituée aux situations de stress, elle a rapidement maîtrisé son excitation et s'est concentrée. Lentement, un mollet après l'autre, elle s'est agenouillée sur la non-surface qui faisait office de sol. Même au travers de ses bottes épaisses, elle pouvait sentir ses deux gros orteils se toucher tant elle s'efforçait d'affûter ses perceptions et de régler le moindre détail de sa position.
    Thrace a posé ses deux mains à plat sur ses cuisses, redressé le buste et bloqué sa respiration. C'est ainsi qu'elle s'est présentée à ce tueur fou, totalement offerte et vulnérable à la morsure de ses lames.


    - Commme c'est sssstupide de ta part de revenir me voir !

    Une cascade de cliquetis dégingandés et le son âpre de cette voix sifflante. Thrace n'a pas bougé. Elle s'est contentée de tenir cette position, regardant droit devant elle.
    Perceptiblement perturbé par son attitude, Acier lui a tourné autour un moment. Il a hésité, ne sachant trop s'il lui fallait attaquer ou faire autre chose. Et puis, comme un animal sauvage qui éprouverait une proie inanimée, il a glissé une de ses extensions acérées entre les omoplates de sa victime d'un mouvement brusque, pratiquant une légère incision dans le cuir mais sans toucher la peau. Immédiatement, à la manière de l'eau qui reflue, la jeune ondine s'est appliquée à résorber la coupure, ses vêtements faisant en quelque sorte partie intégrante d'elle-même.
    Acier sentant cette régénération s'est mis à piaffer et a produit un son crissant à la limite de l'audible.

    - Graaaaah ! Ondine crâneuse ! Kriiiiii.

    Thrace s'est prise d'un léger sourire. Elle avait vu juste. Lors de leur dernière rencontre, l'élémentaire s'était repu de sa peur et de sa souffrance. En l'empêchant de jouir de ses sensations, elle le privait de son plaisir. Et tant qu'elle pouvait reconstituer ses plaies, les attaques d'Acier n'auraient pas plus d'effet que des coups d'épée dans l'eau. A force d'émousser son plaisir d'occire, c'est son désir même qui s'éroderait. Alors elle pourrait passer à l'action.
    En grand prédateur, Acier a tout de même tenté quelques passes. Tranchant sans passion et sans véritable pression, ses couperets semblaient manquer de la cruauté qui l'avait tant marquée la dernière fois. Thrace a serré les dents, comprimant la douleur dans des petites poches, puis enfilant ses petites bulles sur un fil qu'elle a noué fermement au fond de ses abdominaux bandés. Elle s'affairait à envoyer des influx partout où les sillons brûlant naissaient sur sa peau, puisant sans relâche dans le legs de Sataline ; petite boule d'eau palpitante qui amplifiait ses pouvoirs créateurs.

    - Grssssssh ! Ssssale ondine ! Tu n'as pas PEUR !

    La colère nettement perceptible dans la voix métallique n'a pas effrayé Thrace. Bien au contraire, c'était la preuve qu'elle l'avait bientôt poussé à bout. Il fallait tenir encore un peu et le jeu allait être terminé. Acier s'est encore acharné un petit moment mais sans conviction, ses assauts faiblards n'ont rien changé.
    Finalement, les frottements et les cliquetis se sont interrompus sur une note frustrée. L'assemblage hirsute dont semblait être fait Acier ne bougeait plus. Elle le tenait ! Sentant sa chance venir, Thrace s'est humectée les lèvres pour parler.


    - Bien, tu vois que ne peux rien contre moi. Parlons.
    - Sssssh ! Que veux-tu ? Pourquoi viens-tu me défier ? Tu ne peux pas être coupée ? La belle affaire, tu ne peux pas m'attaquer non plus. Ah !
    - Tu te trompes Acier, je sais comment te nuire mais toi en revanche, tu ne peux rien.
    - Ah tu crois ça ?
    Le doute était cependant nettement palpable à ce moment là. L'ondine s'est enhardie et a décidé de pousser son avantage.
    - Je suis une fille de l'eau, l'acier ne peut pas couper l'eau. Le reconnais-tu ?
    - Ssssh !
    - Alors tu conviens que je suis plus forte que toi.
    - Qu'est ce que tu crois crétine effrontée ! Je…
    - NON ! Toi tais-toi !

    Thrace a presque crié ces mots pour l'interrompre. Il était indispensable qu'elle conserve le contrôle de la conversation de bout en bout pour parvenir à ses fins. Acier était comme un carnassier affamé pris au piège de sa propre faim de souffrance. La moindre erreur pouvait le libérer de sa laisse. Il a fallu jouer finement.

    - Je pourrais te détruire là, a-t-elle entamé de but en blanc. Oui rien ne serait plus facile. Si tu es assez idiot pour ne pas sentir les pouvoirs dont je suis investie, alors tu es encore plus vulnérable que je ne le pensais.
    - Crr cRrr cRrrr.
    De la rouille qui grince. Lamentable.
    - Il y a cependant une raison pour laquelle j'ai décidé de te garder en… vie, malgré ce que tu m'as fait subir. Tu possèdes quelque chose qui pourrait m'être utile et j'ai décidé de m'en emparer. Tu peux choisir de te le faire arracher ou bien me le donner librement, cela ne dépend que de toi.
    A l'issue de cette déclaration, Thrace a croisé les deux bras sur sa poitrine en plaquant ses deux paumes sur ses épaules et s'est relevée lentement. Très lentement même, au point de sentir les infimes crissements de ses semelles. En face ou ailleurs, l'élémentaire n'a pas bougé.
    Lorsqu'elle eût fini de se redresser, l'ondine a décroisé les bras avec fluidité pour présenter ses paumes vers le haut. Toujours aucune réaction en face. Il n'y aurait pas de meilleur moment. Avec ce mélange d'impatience et d'incertitude qui caractérise l'emploi de nouvelles technique, Thrace s'est accordé sur la boule d'eau de Sataline pour déchaîner la puissance créatrice de l'eau.
    L'onde et la lumière se sont ruées à l'assaut du vide obscur, déchirant les ténèbre dans un rugissement de plus en plus mordant. L'effet était le même que de se glisser volontairement dans un tourbillon de vent. Tout à la fois effrayant et terriblement grisant. Elle a vu une boule de lumière naître au creux de ses paumes et s'amplifier rapidement pour atteindre la taille d'une grosse citrouille.


    - Hé mais qu'est ce que tu … !!!

    La suite a été noyée par un cri de douleur abominable. Ça marchait ! Elle pouvait le faire. Acier reculait en gémissant, paralysé de douleur. Entre les doigts gantés de Thrace, la boule lumineuse a pris l'aspect miroitant d'une flaque d'eau bleutée. Les reflets aquatiques projetés sur le pourtour conféraient à la scène un aspect sous-marin inattendu.
    Elle a vu l'extrémité pointue de deux pattes effilées reposer juste dans la limite de son aura. Acier refluait en arrière. Il fallait agir vite ou il allait s'échapper ! Fronçant les sourcils, l'ondine a accéléré le mouvement, englobant l'élémentaire de fer d'un seul coup magistral dans sa lumière d'eau.
    Alors elle a vu Acier. Celui qui l'avait transpercée et avait joué avec elle était un assemblage d'articulations sans cesse en mouvement. Des lames et des pointes, des lames et des pointes sans queue ni tête. Il est difficile de décrire ce qui ressemblait tantôt à une pelote d'épingles, tantôt à une sorte d'insecte myriapode. Seule sa bouche était clairement identifiable, gueule de rasoirs qui s'ouvrait et se refermait compulsivement, claquant et grinçant à mesure que la lumière dévoilait cette étrange ossature.


    ***

    En y repensant, il était plutôt ridicule, prostré ainsi dans sa lumière. L'ondine se prend d'une petite bouffée d'orgueil en songeant avec quelle facilité elle a pu former cette sphère. Le coup n'était pas gagné d'avance !
    Là haut, sur la falaise, les rafales deviennent plus incisives, se faufilant parfois brusquement entre deux interstices et manquant de la déloger. Pas question de retomber là dedans ! Thrace plaque son corps contre la paroi, cherchant les prises suivantes à tâtons. Si ça souffle autant, c'est qu'elle ne doit plus être très loin du sommet à présent.
    Relevant les yeux, elle tente d'estimer le chemin qui lui reste à parcourir mais ne voit qu'une étendue grise et irrégulière. Sa vision s'interrompt un peu plus haut sur une saillie qui l'empêche de voir plus loin.
    Elle finit par trouver un arête à agripper de la main droite. Elle se hisse mais la roche tranchante s'enfonce à travers son gant et lui cisaille la paume. Voulant soulager sa pression, elle modifie un peu son assiette et manque de se rétamer tout du long. Sa botte glisse, elle ripe d'un demi mètre et se rattrape de justesse avant que sa chute ne prenne trop de vitesse, juste du bout des doigts… d'une manière très inconfortable, là où ça fait mal.

    - Merde. Aïe.

    Lorsqu'elle rajuste ses appuis, elle attrape l'extrémité de son gant droit entre ses dents et tire sa main hors de la protection de cuir. Deux ongles cassés et une traînée de sang le long de l'index. Sa paume est marquée d'une vilaine balafre violacée qui l'élance douloureusement. Bon sang, il est temps que ça finisse !
    En voulant le remettre, son gant lui échappe et se fait emporter dans les profondeurs. Chiasse, elle n'a pas les moyens de s'en refaire un pour le moment. Toute son énergie est tournée sur cette pénible escalade. Tant pis. Elle lèche l'égratignure et continue tant bien que mal. Elle peut y arriver, elle a connu bien pire. Il faut juste se concentrer et ignorer les petites douleurs qui sont le lot inévitable des activités de plein air.


    - Plein air tu parles ! Saleté de vent.

    Difficile mais surmontable. Oui elle a connu pire. Un de ces pires est arrivé lorsqu'Acier s'est rebiffé alors qu'elle le croyait à sa merci. La petite chose hirsute recroquevillée dans la sphère irradiante avait pourtant l'air vaincue. Dans le fond, elle aurait dû s'en douter. Si l'élémentaire se nourrissait de la douleur des autres, il y avait fort à parier pour qu'il soit lui-même habitué à l'endurer. Mais confiante dans ses capacités, Thrace s'est précipitée pour en finir avant d'être épuisée. La débauche d'énergie requise pour produire cette petite zone de vie était ahurissante. Et pourtant cette création qui la rendait si fière n'atteignait même pas le tiers de la taille qu'avait celle de la grande ondine.
    Elle s'est laissée emporter par son enthousiasme. Elle aurait dû se rappeler que c'est en se dépêchant qu'elle est tombée dans le ravin.


    ***

    - Et maintenant Acier, je viens ou tu me donnes ce que je veux ? (Toute guillerette, Thrace a laissé un petit rire enfantin s'échapper de sa gorge). Oups, j'ai oublié de te demander de quoi il s'agissait. Ce n'est pas très civilisé de faire souffrir quelqu'un sans lui préciser pourquoi hein… ?

    L'élémentaire métallique a remué faiblement. Sa mâchoire s'est abaissée sans qu'aucun son n'en sorte. Thrace a pris ça pour une marque de supplication, une erreur bien sûr.

    -  Je veux ton pouvoir… Maintenant !

    Acier s'est contenté de remuer faiblement, toujours sans exprimer la moindre parole. A croire que la lumière lui avait définitivement coupé la chique. Sa voix n'étant pas particulièrement agréable à entendre, ce n'était pas pour déplaire à l'ondine. Tenant toujours son pouvoir en tension, elle s'est avancée de quelques pas.
    C'est ce qu'attendait Acier, il s'est déplié d'un coup, projetant quelques unes de ses lames directement en direction des tibias de l'ondine. Thrace était un peu trop optimiste mais elle n'en restait pas moins une tueuse entraînée. Elle a immédiatement bondit en arrière, évitant de peu de se faire couper net les deux jambes.
    L'effet immédiat, c'est qu'elle en a perdu son contrôle. La sphère s'est effilochée en brins faiblement luminescents qui se sont laissés gober comme des vers par l'obscurité gloutonne. La seconde conséquence, c'est que l'air s'est empli d'échos métalliques et de grincements dont le rythme tétanique n'était pas sans évoquer une certaine forme de rire dénaturé.


    - Merde.
    - CriiiCriii ciriii ! Alors, toujours intéressée par mes rasoirrrs ?!

    Thrace a juste eu le temps de se baisser en devinant l'attaque frontale. Elle se retrouvait dans une situation similaire à celle de leur première rencontre et ça ne lui plaisait pas du tout ! Une série de spasmes glacés a secoué son estomac tandis qu'elle réalisait qu'elle ne pouvait plus réunir assez de concentration pour jouer les méditatives incoupables. Elle était nettement coupable ! Coupable d'y avoir cru sans vraiment comprendre. La sanction risquait d'être guillotinante.

    Elle pouvait encore s'en tirer, elle connaissait la point faible d'Acier, il suffisait de se concentrer et…
    L'élémentaire lui est tombé dessus par derrière, empalant à nouveau son épaule droite comme en préambule à la suite. Thrace s'est jetée en avant, plus tombant que sautant, comprimant sa nouvelle blessure avec une grimace de rage. Ce n'est pas tant le fait de s'être faite à nouveau voir qui l'irritait, c'était surtout la stupidité dont elle avait fait preuve en venant défier Acier dans son domaine. Et pourtant, elle avait besoin de cette puissance ! Et elle était sûre de pouvoir le vampiriser et le dompter.
    Une nouvelle lame s'est abattue quelque part sur sa droite. Thrace s'est forcée à ne pas rouler de l'autre coté, sachant pertinemment que c'était ce que voulais Acier. A la place, elle s'est avancée de trois pas, a bondi en avant et effectué une cabriole jambes tendues à l'issue de laquelle son talon s'est écrasé sur quelque chose de lisse et glissant. Acier a reculé en grinçant à qui mieux mieux.
    En conjuguant la force vitale de Sataline et le pouvoir tranchant d'Acier, Thrace était convaincue de pouvoir devenir invincible. Plus personne ne pourrait lui résister. Plus personne ne pourrait la manipuler…

    Maintenant sur la gauche et sur la droite simultanément. Thrace a puisé dans ses ressources pour faire apparaître de petites gangues d'eau autour de ses avant bras. Le froid intense les a gelées presque instantanément. Les lames se sont abattues, à peine ralenties par ces protections précaires. Elle n'a pas crié quand l'acier lui a entaillé les deux bras. Elle s'est ramassée sur elle-même, bandant ses muscles pour repousser les deux rasoirs avant de ressouder les plaies du mieux qu'elle le pouvait au moyen de ses brassards aquatiques.

    … personne, ni les fomoires… Acier a feinté par l'avant. Thrace a esquivé. … ni les thuadènes…

    Un claquement sourd sur le sol intangible. L'ondine est parvenue à coincer une patte sous sa semelle. Au mépris des risques, elle en a attrapé l'extrémité pointue à pleines mains et a commencé à tordre vers le haut.

    … ni Mélanargie.

    Acier s'est dérobé en grognant. Il a soudainement fondu sur Thrace avec toutes ses lames dardées. Même en sentant l'assaut, l'ondine ne pouvait rien faire pour l'éviter. Elle a entendu sa mort sifflante. Pouvait-elle échouer maintenant ? NON !

    … ni même Mara ; cette espèce de créature noire qui s'est mélangée à ondine captive. Ses deux mères.

    Non. Elle était prête à tout pour arriver à ses fins.

    - Désolée Sataline, a-t-elle murmurée avant de tendre sa main devant elle. De l'autre, elle a enserré son poignet et s'est brièvement concentrée. Là tout contre son sein, il y avait une boule d'eau qui n'avait pas totalement incorporé son corps. Une source potentielle, une fibre de vie… ou de mort. Tout pouvoir peut-être retourné contre son usage.
    Sans hésiter, l'ondine a sacrifié cette essence pure, la corrompant et la façonnant comme une arme et non comme un cœur. La boule s'est effilée, étirée, amincie pour quitter sa poitrine et ramper le long de son bras droit en torsades pulsatives.
    Les faux avides de son sang se sont abattus sur elle. Thrace a gémit, ses doigts se sont écartés. Elle a senti une horrible douleur sur le flanc droit et s'est ramassée à genoux avant même de l'avoir remarqué.
    L'instant d'après, elle tenait dans sa main droite une intense lumière bleue. Acier s'est reculé immédiatement, croyant sans doute à une autre attaque de type "sphère".
    Un bref examen en montrait pourtant les infinies différences. L'aura se concentrait dans son poing sous la forme d'une épée double dont les lames jaillissaient de chaque coté de la poignée comme des vagues pétrifiées par le gel… ou des ondes créations à jamais saisies par la mort.
    La bulle de lumière était aussi vivante que cette arme était morte. La première vibrait, pulsait et changeait sans cesse d'aspect tandis que le double tranchoir se contentait de luire d'un éclat froid qui mettait en valeur le tranchant de ses arêtes. La lueur s'est d'ailleurs bientôt résorbée dans une ronde de murmures aspirés. Thrace entendait toutes ces voix… elles lui demandaient pourquoi.


    - Je suis ce que je suis, a-t-elle lâché avec conviction.
    - Alors tu ferais bien d'être plus attentive crétine !

    Une des lames touchant presque ses bottes et l'autre pointée loin devant elle, Thrace s'est relevée d'un bond pour attaquer. Plus rapide que adversaire, elle a croisé les bras en faisant tournoyer son arme. Acier lui a rétorqué par une série de parades hâtives. Le métal tintait contre la glace. La glace craquait mais ne cédait pas.
    Les deux élémentaires se sont affrontés à armes égales. Thrace serrait les dents pour chasser la douleur de ses plaies vives, elle esquivait, anticipait les coups et utilisait l'allonge impressionnante de son épée pour attaquer. Le noir ne l'indisposait plus. Elle poussait Acier à la défense et ce denier n'en avait visiblement pas l'habitude.
    Les coups pleuvaient de part et d'autre. Thrace est parvenue à infliger deux coups successifs à son adversaire, martelant chacun de syllabes crachées pusillanimement.


    - JE. VEUX. TON. POUVOIR.
    - Crr Crr. Mords ton écaille petit poisson, car tu ne connais rien à cette endroit !
    - Kaaaa-Yaaah !

    Cette fois elle est parvenue à sectionner net un des membres au niveau de son articulation. Le bout de métal est tombé à terre, inerte et hors d'état de nuire. Triomphante, Thrace a poussé son avantage en augmentant la densité de ses attaques. Son souffle en devenait rauque et mugissant, elle s'évaporait de sueur malgré le froid et se moquait éperdument de modérer ses muscles. Il fallait en finir vite.

    Acier a reculé en bondissant, écartant la double lame d'un revers faiblard. Elle l'a perdu un moment pendant lequel ses moulinets n'ont haché que l'air. Un instant, il a semblé se passer quelque chose d'étrange dans l'air glacial… comme une vague de chaleur. L'impression s'est vite dissipée.


    - Où es-tu trouillard ?!
    - Mais je suis là, a-t-il grincé dans son coin.

    Thrace a fait volte face et l'a à nouveau ressenti… comme un courant chaud dans les eaux qui ne présage rien de très naturel ou de très rassurant.


    - Je t'avais dit que tu ne connaissais rien à cet endroit idiote.

    A peine a-t-il fini sa phrase qu'une véritable explosion de lumière et de chaleur l'a enveloppée. Thrace s'est vue expulsée en arrière, incapable de comprendre ce qu'il se passait. Elle s'est étalée sur le dos avec une brutalité qui lui a coupé le souffle. Ses blessures devenaient trop douloureuses, elle perdait trop de sang et trop d'eau.
    A tâtons, elle a cherché son arme avant de réaliser qu'une faible clarté émanait de l'avant. Inquiète, elle a brutalement relevé les yeux pour trouver son adversaire littéralement noyé sous les flammes. Du feu ?! Ici ?! Le corps de métal d'Acier blanchissait déjà, apparemment incommodé ni par la chaleur ni par la lumière. Ah ça, il l'avait bien dupée tout à l'heure l'enfoiré !


    - Qu'est ce que …
    - Je te présente Gamma. Tu vas l'aimer.

    Parlait-il de ces flammes intenses ? Apparemment oui, car celle-ci ont réagi par un mouvement spontané qui a brièvement façonné une forme. Aussi rapide qu'a été l'apparition, l'ondine l'a parfaitement vue. C'était un visage. Une frimousse de gamin dont une chose marquait terriblement : il était affamé.

    - Un autre élémentaire ? A-t-elle présumée entre ses lèvres pincées.
    - Attiré par le boucan que tu as fait ah ah ! Mais pas de chance, ce n'est pas ton ami… alors que moi.

    Acier a levé ce que l'on pourrait comparer à deux bras comme pour s'abreuver aux flammes voraces.


    - Tu sais quel effet a le feu sur le métal ?

    Le rugissement s'est amplifié et dans le même temps, la température est montée. Même à distance, Thrace pouvait sentir tout ce qu'il y avait de cuisant dans cette nouvelle arrivée. Cuisant qui pouvait s'ajouter à l'amertume d'une défaite sans retour. Son épée de glace commençait déjà à montrer des signes de ramollissement.
    Thrace a reculé, Acier s'est avancé, toujours environné de flammes. Sa stature avait déjà commencé à enfler, à se dilater sous l'effet de la fusion.
    Il a bondi d'un coup, forçant l'ondine à reculer précipitamment. De plus près, le brasier devenait trop intense pour elle mais Acier n'était pas le seul à être servi par la température. Maintenant, son pouvoir de vaporisation était disponible. Devait-elle l'utiliser ? Elle ne pourrait plus combattre sous cette forme. Gardant cette idée derrière la tête en dernier recours, Thrace s'est appliquée à esquiver les attaques brûlantes.
    Alors qu'elle battait à nouveau en retraite, Acier s'est soudain redressé. Il avait déjà gagné un bon mètre d'envergure et s'étirait de plus en plus. Mais au lieu de s'abattre de toute sa hauteur, il a fait claquer ses mâchoires rougeoyantes avec une satisfaction évidente :


    - Et maintenant je te tiens !
    - Je…

    Quelque chose lui est tombé sur le dos ! Ses genoux ont ployé sous le choc. Elle a juste eu le temps de voir Acier foncer. Thrace a levé son arme et est parvenu à bloquer quatre des pattes incandescentes d'une manière ni confortable ni très stable. Elle en tremblait déjà de tous ses membres.
    Une intense chaleur se déversait le long de son échine comme un liquide en fusion. Son armure de cuir était une bien piètre protection contre ça ! Qu'est ce que c'était ? En tournant la tête, elle a vu ce qui l'attaquait par derrière. Ni plus ni moins que le morceau d'Acier qu'elle était parvenue à trancher ! Là aussi le métal était en fusion, clapotant sur ses épaules, ruisselant dans son dos, jusqu'à ses reins et giclant sur ses cheveux noirs.
    Thrace a hurlé quand la morsure du feu métallique s'est finalement propagée dans sa chair. Son épée de glace s'est brisée pratiquement au même moment dans un joli mais fatidique tintement clair.


    Acier a rugi son plaisir, une de ses lames faucheuse s'est levée. Thrace est tombée à terre, folle de douleur. C'était fini. Trop mal. Trop chaud. Elle a attendu ce coup fatal… qui n'est jamais venu. Entre ces cils emperlés de larmes salées, elle a vu Acier se débattre contre lui-même, ses propres membres englués les uns aux autres.


    - Gamma ! Gam-ma ! Arrête tu vas trop loin ! Arrête !

    Le squelette épineux s'est mis à gesticuler pour se débarrasser du feu désormais trop mordant. Il eût beau tailler dans le vif, rugir, couiner, rien à faire, il était désormais la proie.
    Thrace haletait. Elle a tenté de se relever mais le métal en fusion qui lui collait à la peau était bien trop lourd et la souffrance cisaillait le moindre de ses muscles. Jamais encore elle n'avait eu aussi mal. Avec un accès de panique, elle a remarqué que le duo d'élémentaires enchevêtrés dans leur lutte se dirigeait à nouveau droit sur elle !


    - Thrace, dégage vite bon sang !

    Il y a eu un éclat de lumière vive, du vent, des copeaux de limaille de fer et des étincelles. La mâchoire de l'ondine s'en est décrochée. Une jeune fille aux cheveux blanc… elle se faisait déjà engloutir sous le feu et l'acier, défigurée, consumée, pratiquement carbonisée mais ralentissant l'arrivée de la mêlée de quelques précieuses secondes.

    - Aller sauve toi… idiote, a-t-elle articulé péniblement d'une voix étrangement douce avant de disparaître sous les assauts de Gamma l'affamé. Le feu avait presque entièrement liquéfié Acier, il se dirigeait maintenant vers Thrace en quête de nouvelle nourriture.

    L'ondine n'a pas hésité un instant. Elle a relâché sa cohésion et s'est vaporisée, se débarrassant de ses souffrances et de l'acier fondu qui lui collait à la peau… du moins une partie. A peine en forme vapeur, elle s'est retrouvée quelques pieds au dessus du sol. Thrace s'est laissée porter par les vents ascendants gonflés d'air chaud pour remonter en flèche. Plus bas, Acier semblait se dégager d'une partie de son étreinte et reprenait sa lutte hargneuse. Il pensait sans doute pouvoir couper le feu maintenant…
    Les élémentaires agissent selon leur nature. L'acier est combattant, le feu est dévorant… et elle l'ondine à cheval entre vie et mort, qu'elle est-elle ?


    - Je suis ce que je suis, s'est répétée Thrace d'un ton humide.

    C'est en prenant pied sur un promontoire rocheux un peu plus tard, lorsque le froid s'est fait trop intense pour conserver sa forme vaporeuse, qu'elle s'est aperçue du changement. Mais avant d'en tirer une quelconque conclusion, satisfaction ou regret, elle s'est laissée aller contre la paroi pour dormir un moment. Trop épuisée, trop éprouvée pour entamer son ascension avant d'avoir récupéré.


    ***

    Les dalles sont paisibles en haut. Pourquoi ne le seraient–elles pas d'ailleurs ? Tout est calme, silencieux et vide. Soudain, une main noire surgit des profondeur comme une araignée sauteuse pour agripper le rebord avec une ténacité sur laquelle on aurait pu tordre (ou fondre) de l'acier.
    Avec un cri de victoire, Thrace se hisse sur le sol de la grande salle des fomoires. Elle  bascule le torse puis fait passer ses deux jambes avant de rouler sur le sol, loin, loin le plus loin possible de ce gouffre infernal !

    Elle s'immobilise enfin sur le dos, un large sourire étirant ses lèvres d'une manière qu'elle a rarement eu l'occasion de pratiquer depuis quelques temps. La sensation exaltante d'être arrivée au bout de son périple se fraie lentement un chemin dans son corps fatigué. Un profond soupir de soulagement s'échappe de sa poitrine. Un second s'en suit, et pour finir, elle se met à rire. Elle a réussi ! Elle a ré-u-ssi !
    Roulant sur le flanc, elle dégrafe le haut du col de sa tunique pour s'aérer. Il n'y a personne dans la grande salle… et c'est tant mieux, elle ne tient pas à se faire repérer aussi tôt.
    Elle s'autorise encore quelques minutes d'euphorie débridée avant de se relever pour inspecter les lieux plus attentivement. Elle n'est pas encore tirée d'affaire mais c'est déjà un grand pas en avant.

    Finalement, elle est quand même parvenue à arracher une partie du pouvoir d'Acier. En s'évaporant, elle ne s'est pas débarrassée de la totalité du métal qui lui brûlait profondément le corps. Les molécules étaient comme imbriquées les unes aux autres… il faut croire que ça a suffit.
    L'ondine dénoue le petit lien de cuir pour libérer son abondante chevelure aile de corbeau. Elle a toujours aimé ses cheveux, c'est pour ça qu'elle ne les a jamais coupés malgré leur manque cruel de praticité. Et maintenant, elle peut s'enorgueillir de trois nouvelles mèches argentées. Ou du moins c'est ce qu'un observateur distrait pourrait conclure. Mais il suffit de se pencher un instant pour constater qu'elle sont en réalité faite du métal le plus pur et le plus brillant qu'il soit.

    Des brins d'Acier.
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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mercredi 31 Mars 2010 à 21:45
    Mélanargie me manque terriblement...

    Désolé pour ce retard la-men-table. Je suis resté bloqué 3 jours sur le dialogue entre Thrace et Acier.
    Au début je voulais éviter certaines choses, et puis finalement je me suis rendu à mes propres arguments : ces choses sont incontournables. C'est comme ça ^^.
    2
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Jeudi 8 Avril 2010 à 13:33
    Bon il a fallu que je le relise au calme pour essayer de tout comprendre tant il y a des choses interessantes dans ce chapitre, mais je ne suis pas sure d'avoir tout compris.
    Le discours entre les 2 ondines m'a troublé parce que j'ai eu de mal a comprendre a quoi pouvait servir l'energie insufflée dans Thrace et surtout quel genre c'était, enfin la maleabilité qu'elle pouvait avoir. Un peu pareil avec ll pouvoir d'Acier, là j'avoue que j'ai pas trop compris ce que Thrace pouvait en faire ou du moins comment il allait se manifester sur elle.
    C'est plein de nouvelles idées a introduire, et ce monde est encore plus étrange que celui du dessus.
    J'aime l'idée des élementaires qui "passent" et sont remplacés, cette idée d'energie profonde qui s'exprime comme ça.
    Y a du Shinto dans tout ça lool.
    3
    Sakutei Profil de Sakutei
    Jeudi 8 Avril 2010 à 14:01
    Hey Akemi ^^
    Alors l'idée des pouvoirs, c'est que pour le moment on ne sait pas trop à quoi ils servent justement.

    En tant qu'ondine, Thrace bénéficie du pouvoir de Sataline pour améliorer ses compétence... mais de quelle manière ? ça reste à voir.

    Et on en a un apperçu lorsqu'elle se bat contre Acier en utilisant sa force nouvellement acquise non pas pour alimenter la vie mais comme instrument de mort. Fatalité de tueuse.

    Sachant très bien qu'elle ne pourra pas faire face aux hostiles fomoires avec ses capacités actuelles, elle décide donc d'acquérir encore plus de force en soudoyant Acier.
    L'élémentaire du métal est une puissance de combativité et elle s'intéresse à cet aspect pour renforcer la sienne.

    Evidement, tout ne se passe pas comme prévu mais au final...
    Thrace dispose d'une amélioration de ses pouvoirs d'ondine qu'elle a dénaturé pour en faire une arme et a incorporé une partie de l'essence d'Acier, dont les effets sont encore à découvrir.

    Thrace va devenir extrèmement...  quelque chose ^^.
    4
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Jeudi 8 Avril 2010 à 16:11
    AH ben j'avais bien compris alors ,mais il m'a fallu plusieurs lectures pour tout assimiler^^. Je me doutais que ce flou était artistique et que tu réservais pour la suite...sadique!
    J'ai pensé que l'acier qu'elle avait pris marcherai comme la "main" de Sakutei ce qui laisse envisager bien des choses quoique pour Sakutei ce soit plus complexe apparemment.
    Bon si Melanargie te manque moi c'est Sakutei parce qu'il y a maintenant beauuuucoup de chapitre que tu l'as laissé dans une situation des plus angoissante^^...

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