• Chapitre 4 : Réveil

    Il fait encore noir quand j'émerge au dehors. Peut-être qu'une journée entière s'est écoulée dans la cache de Javel. Je n'en sais rien. Un fragment d'os dans la main et des idées noires plein la tête, je décide de me frayer un chemin à travers les broussailles.
    Il fait plutôt froid, la végétation est dense mais ce n'est pas la forêt glauque dans laquelle j'ai fait mes premiers pas hésitants. Rien que d'y repenser, j'en prends une crampe à l'estomac. J'espère sincèrement ne pas retomber sur le regard d'acier du guerrier au panache en fleur de cerisier. A ce propos, il serait temps de vérifier quelque chose.
    Je porte la plaque en os devant mon regard incrédule. Le vieux de la grotte m'a certifié que cette petite croûte calcifiée pourrait me rendre moins décelable par les "dieux de la mort" qui hantent les lieux. Voilà qui impose plusieurs réflexions. Si le sabreur qui m'a lardé la poitrine en était bien un...alors ma tenue ne lui correspond absolument pas. J'ai la vague impression de me faire arnaquer et du coup, j'hésite à me ridiculiser encore plus en apposant ce petit bout d'os contre ma figure. Je le laisse tomber au fond d'une poche avec la ferme intention de l'ignorer pour le moment.

    Tout à ma rumination, je finis par tomber sur un petit sentier qui serpente entre les buissons. Un vent déchirant couche les épineux alentours. Les aiguilles griffent inutilement leur tourmenteur invisible qui ne semble pas connaître de répit dans ce coin. Sauvage et inhospitalier. J'aime bien ce coin, tout à fait accordé à mon humeur du moment.
    Du sable crisse sous mes nouvelles sandales en corde. Quitte à choisir, j'aurais préféré garder mes vieilles bottes, mais j'ai l'impression de porter une sorte d'uniforme. A quoi correspond–il ? On dirait que la couleur a une grande importance ici.


    Alors gratte papier, ça avance ?

    Voilà autre chose. Encore un coup à prendre un arrêt cardiaque. Une main crispée sur la poitrine, je fronce les sourcils pensivement. Cette voix me dit quelque chose. Comme s'il connaissait la réponse, mon cœur se met à battre plus chaotiquement. J'enrage d'être aveuglé !

    On dirait que tu es passé au travers des mailles du filet. Ne perds pas de temps pour ferrer le poisson.
    Un claquement de doigt dans l'air froid. Je viens d'avoir une lumière :
    C'est toi qui m'as envoyé ici hein.
    Belle déduction.

    Hé hé merc...je m'arrête un brin trop tard en notant le ton narquois. Hey !
    J'espère que tes crayons sont plus affûtés que ton esprit, n'oublie pas que nous avons un arrangement.
    Parlons en justement, l'accord est caduque ! Je n'ai pas de matériel et le vieux m'a donné une seule journée de sursis. Je n'ai pas le temps ni les moyens de cartographier toute la région.
    Je vais te fournir de quoi faire. Jette un oeil sous les espèces de pins parasols derrière toi. Pour dessiner la carte trouve un point culminant, je n'ai pas besoin que tu détailles plus que nécessaire. Si tu te dépêches, tu pourrais mener à bien ta mission avant la fin du délai. Ne te dégonfle pas.
    Non non et non ! Je suis un homme traqué, on fera de la cartographie plus tard. Ramène moi, j'ai un tas de questions brûlantes à te poser en rapport avec un étrange trou de mémoire.

    Peine perdue, la présence s'est déjà retirée. Pas de réponse. Plutôt inique ce genre de conversation à sens unique. Je trépigne en vain quelques instants avant de me rendre à l'évidence. Ma mystérieuse commanditaire a bien l'intention de me laisser patauger tout seul.

    Malgré le peu de foi dont je fais preuve en ce moment, je décide d'aller inspecter quelques derrières de tronc. Au bout du cinquième essai, je tombe effectivement sur un petit paquet qui fleure bon le vieux cuir. Une sacoche. Accroupi devant, je soulève le rabat. Je n'y vois pas grand chose, mais mes doigts reconnaissent le contenu. Compas, parchemins cirés, stylets...tout un attirail passionnant, mais dont l'utilité en terme de survie avoisine celle d'une botte de foin.
    Je me relève avec un grommellement. On dirait qu'on ne me laisse pas trop le choix. A moins de trouver moi même un moyen de quitter cet endroit, je suis obligé de faire mon possible pour satisfaire les exigences de ma mystérieuse commanditaire. Pourquoi est-ce que je me suis lancé dans une combine pareille ? A force de me mordiller la lèvre, je finis par en faire jaillir un filet de sang. Je l'éponge de dos de la main. Quitte à ruminer, autant cheminer. Je décide de mettre à profit une partie du temps qu'il me reste pour traîner ma rogne un peu plus loin. Je salue mon départ par un éternuement. Bon sang il ne fait pas chaud !

    Des embruns salés viennent me chatouiller le visage peu de temps avant que je ne débouche sur un rivage dentelé. Je m'accorde une pause pour contempler le spectacle du haut de falaises assez hautes pour défier la force des éléments en furie. Une flotte grise comme l'angoisse vient se jeter inlassablement contre les parois mangées par l'érosion et le sel. Le fracas des vagues est assourdissant. De quoi se laisser aller à une certaine rêverie.


    - C'est beau n'est ce pas ?
    - Oui...

    Je n'ai pas envie de sursauter même si mon coeur s'acharne à bondir. Encore une arrivée surprise. Une voix indéniablement féminine vient de s'ajouter au concert sauvage de l'eau et de la roche. Je ne me retourne pas, mon interlocutrice ne fait rien pour m'y contraindre. Elle n'a pas l'air d'humeur belliqueuse. Je suppose que le cadre n'incite pas à ce genre d'humeur...

    - C'est un endroit perdu et plutôt méconnu. On y rencontre rarement âme qui vive.
    - ...
    - Mais c'est encore plus rare d'y trouver un ryoka portant les couleurs de nos ennemis.

    Hum. Mes épaules se raidissent dans l'attente du contact pointu qui devrait logiquement suivre. Suis-je en présence d'une déesse de la mort ? On dirait que mon "déguisement" a fait long feu. Je ne suis même pas étonné. La confiance que j'ai en Javel ne vaut pas tripette. Maintenant, j'ai plusieurs attitudes possibles mais l'absence d'une arme fiable réduit la plupart de mes options. Haussant les épaules, j'opte pour un prudent et éloquent :

    - Hum.
    - Ce vêtement blanc bordé de noir. C'est celui d'un Arrancar.
    - Un rencard ?

    Ca y est je recommence à laisser ma langue exprimer ma bêtise. Il faudra que je soigne cette mauvaise habitude. J'espère que quelqu'un n'aura pas la mauvaise idée de le faire avant moi, le remède risquerait de ne pas me plaire.

    - Arrancar. Des âmes déchues qui se sont consacrées à développer suffisamment de talent pour résister aux dieux de la mort.
    - Je vois.

    Le vieux m'a donc tendu un piège. Pourquoi ne pas m'avoir tué tout simplement alors ? Le ressac s'impose quelques instants comme la seule onde sonore valable en ces lieux. Nos esprits fonctionnement à la même vitesse et nous trébuchons tous les deux sur la même question :

    - Qui..
    - ..es-tu ?

    Pas de réponse ni d'un coté ni de l'autre. On a étudié dans la même école ? Un léger sourire vient contrarier la mine lugubre que j'affiche depuis quelques temps. Le crissement d'une semelle sur le sable m'informe que mon étrange interlocutrice se rapproche. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que si je me retourne, je briserai quelque chose de délicat et cristallin. Face à tant de furie aquatique, tout le reste me paraît si fragile en comparaison que j'en ai des frissons glacés. Son souffle tiède vient lécher mon oreille droite lorsqu'elle reprend la parole.

    - On est amené à se revoir.
    - J'en suis tout palpitant. J'ai la bouche sèche à vrai dire.
    - Ce sera peut-être de chaque coté du tranchant d'une lame.
    - Raison de plus.

    Un court instant de silence s'en suit puis je perçois nettement l'inspiration résolue dans mon dos.

    - Méfies toi de Mélanargie.

    Cette fois je me retourne d'un bloc. Plus personne évidement. Juste la côte sauvage battue par les vents. Qui que ce soit, elle a disparu, me laissant avec un nom à ronger comme un os. Mélanargie...si ça me dit quelque chose, l'écho du souvenir est trop lointain pour que j'arrive à me fixer dessus. En fait sur le moment, je ressens cette étrange impression de déjà-vu comme on peut être amené à en connaître de temps à autres.
    Bon, j'ai peut-être un peu de mal à percuter ces derniers temps, mais il ne faut pas longtemps pour associer ce trouble et le trou de mémoire qui obscurcit mes souvenirs. Nous y voilà donc. Mélanargie...un nom rituel signifiant "Demi-deuil". La marque d'un caractère tranchant, et le signe des nécromanciens.

    Cette fois, ni le vent, ni les vagues ne parviennent à me détourner de mes sombres ruminations.
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  • Commentaires

    1
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Vendredi 25 Septembre 2009 à 16:12
    Raaan la garce!!! ^^
    la suite Sak siteplééééééé^^
    2
    Sakutei Profil de Sakutei
    Vendredi 25 Septembre 2009 à 16:31
    Wééé plein de commentaires ! Merci merci, domo, domo ^^.
    Ca me fait très plaisir que ça te plaise. J'espère que ton entrain ne sera pas malmené par les complications...parce que l'histoire se complique un brin par la suite.
    De mon coté, j'essaie de conserver le même rythme et le même style, mais ce n'est pas facile tous les jours ;)
    Pour te remercier de ton assiduité, la suite est postée ! Je révèlerai le chapitre suivant avant la fin de la journée :)
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