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Chapitre 64 : Le souffle du Demi-Deuil (4)
La svelte nécromancienne aux petites mimiques mutines passe immédiatement au stade euphorique. Elle renverse joyeusement le contenu de leur paquetage, au grand dam de Zarpan qui avait emmailloté avec soin quelques beloques précieuses à ses yeux. Le grand déballage s'achève sur une note mate lorsque un petit coffret en bois claque sur les pierres. Mélanargie s'empresse de le redresser, cheveux dans les yeux, avec le sourire qu'aurait un pillard du désert venant de trouver un citerne d'eau en or massif.
Elle fait claquer les fermoirs en acier, bascule le couvercle et plonge les avants bras dans son intérieur matelassé. Bien malgré lui, Zarpan ne peut s'empêcher de se rapprocher avec curiosité.
Ce que sa maîtresse achève de tirer du coffret lui est totalement inconnu. Un assemblage très compact fait de baguettes en métal, de tiges souples et de cercles. Le tout relié d'une manière ou d'une autre par des lanières de cuir et des chaînettes. Indéniablement un aspect savant, peut-être redoutable, mais pour le moment, ça a surtout l'air bricolé. Beaucoup d'arêtes tranchantes et de pointes. Comme une pendule à qui on aurait appris à mordre. Il n'y a pas beaucoup d'horloge dans le Delta de Sérénité, mais Zarpan en a assez vu pour comprendre que celle-ci ne fait pas partie de la famille de celles qui donnent l'heure.
Mélanargie l'exhibe fièrement avant de lui donner son nom, probablement inventé sur le vif :
- Le Girosophique.
Le gros plisse le nez sur le côté. Grimace éloquente s'il en est.
- Je pensais l'appeler "Broie-les-âmes" sinon.
- Mieux. C'est plus impressionant.
- Oui mais ça n'a pas grand-chose à voir avec sa fonction.
- Et ça fait quoi ?
- Je manipule des fils invisibles. Pour cette fois, cet instrument sera mon métier à tisser. Zarpan, je te préviens, ça va être dangereux.
Il ne répond rien. Ça correspond simplement à une consigne de plus ; "Protège moi".
- Ça va me faire drôle de remettre ça.
Mélanargie dégage maintenant une jolie collection de ceintures de son tas d'objets. Elle commence à les passer une par une dans les passants qui sont judicieusement répartis sur sa tenue à cet effet. Au total, il y a six brides de contention, les chimistes de l'Université Noire s'en servent usuellement pour sangler des spécimens incontrôlables. Puis, par la suite, lorsqu'ils commencent à toucher à la nécromancie proprement dite, ils s'en servent pour se sangler eux-même.
Mélanargie n'en a eu que rarement eu besoin mais pour cette fois, il semblerait que ce soit différent. Avant de demander à son grolosse – sorte de gros molosse - de tout boucler, elle achève de préparer son matériel. L'étrange assemblage métallique commence à se déplier sous ses doigts agiles. D'abord petit et compact, il prend de plus en plus de place. Déployé d'une manière arachnéenne, tout d'abord un triépied dont les griffes crantées mordent le sol. Elle met en place ensuite la partie supérieure qui se constitue de plusieurs articulations soutenant un triple cerclage de cuivre. Une couronne de griffes à trois articulations sont rétractées tout autour, c'est ce qui lui donne cet aspect vorace sans doute. Il y a enfin, pour conclure ce mécanisme obscur, une série de petits goblets dorés suspendus à autant de potences. Ça semble capable de tourner un peu dans tous les sens. Mais ça semble aussi capable d'un certain nombre d'autres choses moins triviales.
- Cette fois Zarpan, on ne va pas faire un simple lien d'ossement. Je ne veux pas que son corps. Je veux aussi son esprit. Tu vois l'idée ?
- Non maîtresse.
- Pour ça, je vais utiliser un mélange de produits que je vais faire glisser le long du lien nécromantique !
- Vous allez faire glisser un liquide matériel sur un fil immatériel…
- Pas de sardonisme. Le lien agit sur la matière, l'immatériel et le matériel sont deux minces enveloppes d'un même fruit. Les filaments que je tresse quand je dirige un corps ne sont peut-être pas visibles, on ne peut pas trébucher dessus et même une araignée n'y trouverait pas de quoi faire une toile.
- …
- Mais quand je contrôle un corps, j'agis bien sur de la matière vrai ou faux ?
- Je ne nie pas maîtresse. C'est vous qui ressentez le besoin d'expliquer quelque chose d'infiniment complexe à quelqu'un d'infiniment profane.
Un drôle de silence s'en suit. Ce n'est pas souvent que Mélanargie se fait moucher par son propre garde du corps. Elle fait glisser une des ceintures entre ses doigts et la relâche avec un soupir tout en détournant les yeux vers le lointain.
- Parfois je me demande s'il y a un seul homme digne d'intérêt dans tout le Delta de Sérénité…
- En tout cas pour ma part c'est tout vu maîtresse.
Légèrement agacée, Mélanargie fronce les sourcils (ça ne lui va pas très bien) et s'apprête à ajouter la note finale sur son montage. Elle débouche plusieurs petites fioles tirées du même coffret et s'accroupit devant le girosophique, la langue entre les lèvres. L'ouverture des différents bouchons a déjà libéré une cohorte d'odeurs revanchardes qui se répandent dans la combe avec la ferme intention de coloniser les lieux et si besoin, de conquérir par la force les narines récalcitrantes qui tenteraient de se couvrir derrière une main, un pincement de nez ou même derrière soixante centimètres d'épaisseur de tissu. Les elixirs sont voraces, entêtants, puissants et acres. Ils portents des noms étranges dont les libellés sont visibles sur les flacons : azur de sanguisorbe dilué, larme de damassine vaporeuse, camphre rouge dur, sel de pleurote amoniacal et d'autres encore.
L'odeur saisit les sinus, accable les yeux de larmes espiègles et fait couler le nez. Mais Mélanagie ne se laisse pas incommoder par ces détails anatomiques. Elle se concentre et remplit avec précision chacun de gobelets dorés selon un schéma réglé comme du papier à musique.
Elle tousse légèrement – un exploit, n'importe qui se serait déjà écroulé dans son vomi en restant aussi près du mélange – et se recule de quelques mètres sur les genoux.
- Bon, voilà. Je vais prendre possession du girosphique pour démultiplier mes capacités de lieuse et imprègner mes liens avec la quintessence aromatique de cette petite cuisine. Maintenant, sangle moi.
C'est un Zarpan rouge brique qui relâche enfin son souffle pour lui répondre.
- Maîtresse, je doute.
- Sangle moi !
- Mais les soldats, ils vont être attirés par les vapeurs.
- SANGLEMOI !
- Oui maîtresse.
Le bedonnant lardon en soie fauve coince les coudes et les genoux de sa maîtresse avec une délicatesse doublée d'inquiétude. Mélanargie se laisse faire lorsqu'il lui incline la tête en avant pour serrer les ceintures une par une dans son dos. Camisolée, déterminée, son regard remplace maintenant tout ce qu'elle pourrait orchestrer comme gestuelle. On a rarement vu paire d'occulaires plus expressifs.
- Maintiens moi. Les sangles ne suffiront pas.
Zarpan crochète la grignette sous les aisselles et réunit ses deux poings contre son sternum.
- Ne m'écrase pas les seins s'il te plaît. Je les aime comme ils sont.
- Comme tous ceux qui sont capable de les apprécier.
- Qu'est ce que tu veux dire ? Rapproche moi du sujet.
Zarpan se redresse doucement et porte Mélanargie à proximité de la dénommée Miyanne. Il se réinstalle, les talons calés entre les pierres, sa tête verrouillant celle de la nécromancienne par le côté. Mélanargie commence à opérer. Tout d'abord un simple lien d'ossement. Jusque là, la voie est sûre et famillière.
- Rien. Qu'est ce qu'on fait si les soldats arrivent ?
- Ils ne nous verrons pas. Tu penses que je suis séduisante ?
Elle commence à se trotiller par spasmes vifs et secs. Elle concentre, comprime, accumule et cherche à contenir des forces tempestaires invisible au coeur même de son anatomie si frêle en comparaison.
- Jesaispas, pas qualifié pour répondre maîtresse. (Zarpan serre plus fort). Ils ne nous verront pas ? Ils sont à côté et ils s'ennuient maîtresse.
- Et bien s'ils viennent, tu les tues.
- Et je les tue comment ?
Une courtepointe de professionalisme froissé.
- Je sais pas. Pas qualifiée. Lance leur des navets si tu veux. (Mélanargie gémit soudainement, elle crache un postillon et serre les dents). Je l'ai. Je l'ai. Ne lâche pas prise. Surtout ne lâche pas.
Au devant, ô ténèbres, ô rage, ô reur, le girosophique se met à tourner. Les griffes commencent à se déployer sous l'impulsion du lien d'ossement. Mélanargie est parvenue à posséder le mécanisme ! Le gros Zarpan s'applique au mieux. Mais quelques menus instants plus tard, alors qu'il avale du gravier et des fumées toxiques par tous les pores de sa peau, il se rappelle que bien entendu, comme la plupart des gens surdoués, sa maîtresse exige des montagnes, sans comprendre qu'au delà d'une collinette, ce n'est déjà plus tenable.
Un cri d'horreur primale déchire la lande. Zarpan peut être tranquille. Pas sûr qu'une armée soit assez courageuse pour venir vérifier ça.
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