• PhOtOsYnTeSiS - Parapluie de Lierre.

    Le barrage n'intervient que quelques kilomètres plus loin, à l'intersection d'un petit cours d'eau très encaissé et d'une ancienne voie de chemin de fer. Les barrières, lourdes, hérissées et sobrement efficaces sont dressées juste en travers du pont. Bien sûr, pour le Dm-Bula, ce genre d'obstacle n'est pas un problème. Vorgine sait qu'en manoeuvrant correctement ce bon levier émaillé d'une boule rouge et en jouant sur la pression des suspensions, elle pourra passer directement dans l'eau sans se préoccuper de la voie. Mais aussi sophistiqué soit-il, son véhicule est loin d'être le dernier cri, rien de surprenant à ce qu'il puisse s'affranchir des ponts. Donc, si la barrière a été placée ici, ce n'est pas tant pour empêcher les gens de passer que pour qu'elle soit bien en évidence. Là, mise de cette manière sur la voie dégagée pour que personne ne passe outre sans avoir conscience de braver un interdit.

    Alors la pilote ravale son envie. Elle déglutit, remâche et retient sous sa langue ce murmure tonitruant qui la pousse à jeter sa machine dans le torrent. Des frissons électriques remontent le long de son échine, démangent ses doigts. Elle les ignore. Elle sait se maîtriser. C'est ce qui distingue ceux qui savent se rendre maître d'une machine. Elle se contraint à appuyer sur les freins, à relâcher de la vapeur dans l'air déjà saturé d'humidité et à freiner entre les tiges acidulées pour immobiliser le Dm-Bula à quelques mètres. Le moteur renâcle, contrarié. Lui aussi il voudrait sauter, grimper dans les tours et s'exténuer en franchissant la ravine. Mais Vorgine le connaît peut-être encore mieux qu'elle ne se connaît elle même. Elle sépare les galets, débraye, boucle les deux circuits d'eau chaude de manière à laisser les fluides tourner en rond sans objet et le laisse bougonner dans son coin.
    Elle est plutôt fière de son sang-froid. Il en faut pour s'arracher à l'extase du pilotage, à la symphonie hurlante de l'énergie cinétique, au vent dans les tuyères, aux sifflements, aux crépitements, aux balancements vifs, soudains. Aux chocs, aux heurts. Aux impacts secs et brefs dans les muscles des avant-bras et à l'inlassable trépidation dans les mollets.
    Elle est fière, mais frustrée.

    - C'est bon. Ne t'arrête pas Vorgine.

    La fière, frustrée et maintenant très contrariée jeune femme grogne à l'attention de sa sympathique mais néanmoins très désinvolte passagère :

    - Tu pouvais pas me dire que t'avais une autorisation…
    - Je n'en ai pas. Mais ça n'a pas d'importance. Il faut savoir s'affranchir des interdits.
    - Oh… vraiment. Tu me demandes d'enfreindre le CPAV et de risquer ma carcasse ? Et si une brigade du Hélix surveille l'endroit ?
    - Je prendrais la responsabilité, après tout, je suis ta commanditaire sur cette affaire.

    Vorgine grince des dents. A plusieurs titres, elle n'a pas envie que Sisymbre soit sa "commanditaire".

    - Et moi je suis la seule maîtresse à bord ici. Tu comprends ce que ça signifie ? Je prends les décisions. J'assume les décisions.
    - Je te pensais plus frondeuse.
    - Je suis fonceuse pas défoncée !
    - Ça n'entre pas en ligne de compte, je ne te demande pas de tout démolir. Simplement de suivre un plan de route un peu original. De me faire confiance.

    Moment de silence. Vorgine tapote nerveusement sur les commandes. Finalement, elle gonfle ses poumons et vide son sac.

    - Tu essaies de m'avoir à l'affectif !
    - Bien entendu.
    - C'est déloyal.
    - Je ne dis pas le contraire. Mais rien ne t'empêche d'en faire autant. (Sisymbre manœuvre à son tour, elle décroise les jambes et les recroise dans l'autre sens sur un léger grincement de siège). Bon, ce que je veux dire c'est qu'il y a peu de chance pour qu'une rame du Hélix soit stationnée ici. Mais dans l'hypothèse où ils auraient laissé une vigilance statique, on pourra toujours s'expliquer sur le vif. Je m'y entends pour raisonner avec les gens. C'est mon travail. Alors, pour éviter de perdre du temps, on peut passer directement.

    Vorgine a retiré sa mitaine droite. Elle se masse pensivement un muscle anonyme sur le dos de la main. Elle prend une voix grise.

    - Pourquoi t'as pas d'autorisation ?
    - Trop long a obtenir. Des tas de formalités à remplir. Tu sais… il va faire nuit demain.
    - Laisse tomber Sis, je te connais trop bien pour savoir qu'on te l'a refusée.

    Silence coupable.

    - Bon alors au final je fais ça pour tes beaux yeux. Ça me va. Parce qu'ils sont… chlorophylliens. (Un bref sourire rêveur relève ses pommettes, puis elle se reprend et point un index moralisateur). Mais je te préviens, si jamais on doit passer la nuit prochaine à respirer silencieusement au fond d'une cellule terreuse à cause de toi…
    - Je ne les laisserai pas te mettre en cage Vorgine, t'es une bien trop mauvaise graine pour qu'on te fasse végéter !
    - Han mauvaise graine ! Attend un peu qu'on soit rentrées, je vais…

    La suite de la conversation est couverte par le rugissement enthousiaste du moteur lorsque Vorgine envoie la vapeur dans les conduits. Elle négocie l'obstacle constitué par le cours d'eau sans problème et fait mordre le train avant dans la terre meuble d'en face. Elle grimpe. Elle file droit, ne s'embarrasse pas de trajectoire, de souplesse ou d'économie (sans parler de confort). Elle tire au plus court, manettes en butée. Malgré l'immersion totale qu'exige sa conduite, elle trouve encore moyen de relever un peu le menton et de brailler par-dessus les chuintements.

     - A cette vitesse avec un peu de chance on passera au-dessus de la fréquence des vigilances !

    Sis lui répond quelque chose avec un air pas franchement convaincu mais Vorgine n'a pas le loisir de lui demander de répéter ni de détailler sa mimique car comme en réponse narquoise, un éclat de lumière jaune cru vient de percer la végétation sur la droite. Il épingle immédiatement le Dm-Bula dans son rayon. La pilote, paniquée, essaie de le duper, vire par mouvements secs. Au début, ça semble marcher, la lumière s'égare sur une fausse trajectoire. Mais très vite elle revient sur sa cible et accroche le véhicule tressautant sous un œil inquisiteur.

    Vorgine transpire abondamment. Elle répète en sourdine des jurons en boucle. Elle essaie encore de décrocher, elle tire à déboulonner les leviers mais ça ne change rien ; les limiers sont sur leurs traces. Elle pourrait presque entendre les stridulations émises par le sonar de la vigilance qui les surplombe à quelques mètres d'altitude en vol elliptique. Ces petits automates basés sur l'analyse des environnements sonores mâchent le travail des représentants de la loi. Et il faut bien admettre, avec une redoutable efficacité. La lumière, c'est juste pour impressionner, même si ça s'avère utile la nuit ; période de toute façon rarement propice aux escapades. Le vrai problème, c'est le sonar qui recalcule sans cesse leur éloignement, leur position et leur vitesse. Quelque soit la durée de l'épisode, Vorgine sait bien que tôt ou tard, les combinaisons caparaçonnées du Hélix viendront s'ajouter au paysage. Et effectivement, quelques embardées plus loin, les deux passagères de la Dm-Bula ont un bref aperçu d'une carène rouge et or qui file en parallèle sur le côté à fond de train. La vibration des moteurs est perceptible même dans l'habitacle de leur petit véhicule.

    - Ils sont sur nous !
    - Bah…

    La rame fuselée et étincelante des forces du Hélix finit fatalement par leur couper la route et s'immobilise devant elles. Vorgine pourrait passer. Elle sait qu'elle pourrait les contourner. Le Dm-Bula est assez vif pour ça. C'est la principale caractéristique de ces bulles motorisées dont les essieux suspendus sont conçus pour les mouvements chaotiques. Ses gros moteurs, ses nombreux amortisseurs et articulations en font un véhicule de choix pour sortir dans les zones en friches. Fleuron des ateliers de la famille Salicace, le modèle 68 présente un habitacle réduit au minimum, disposant en tout et pour tout d'un siège passager situé à l'aplomb du pilote, légèrement en retrait, juste sous la baie d'observation et d'un coffre cylindrique sur la droite. Tout le reste est dédié à la machinerie, au corps mécanique, à ses organes et son réseau de nerfs. Néanmoins la présence de sept tuyères en alliage d'acier et de tungstène et la chambre à combustion conique passéiste le rendent un peu démodé au regard des innovations mécaniques récentes. Ce n'est pas un engin taillé pour la course. Surtout, face aux rames du Hélix.

    Alors Vorgine laisse tomber, croise les bras sur son giron et remplace sa grimace de concentration torturée par une mimique dubitative plus résignée. Le moteur cahote, interloqué, presque choqué de devoir tourner à vide finit par s'étouffer dans son ressentiment.

    La portière de la rame coulisse sur le côté, révélant trois silhouettes qui bondissent agilement à terre. L'un d'elle pointe ce qui doit être un fusil à prismes convergents, un PrisCo, sur le Bula silencieux d'une manière qui paraît presque désinvolte à la pilote des Arches Vertes. C'est assez incongru. Et surtout largement démesuré par rapport à la menace qu'elles représentent.
    La première silhouette se détache du trio après un bref conciliabule et se penche au hublot. L'insigne de la famille Araliace, gaufré sur une doublure de cuir, est la première chose que Vorgine aperçoit avant qu'un index ganté ne vienne toquer à la vitre embuée.

    - Aller sortez de là maintenant.

    Sisymbre presse gentiment l'épaule de sa coéquipière qui actionne la manivelle de la trappe ventrale avec fatalisme. Dehors, la soudaine morsure de l'air vif paraît animale. Le vent n'est pas spécialement violent mais chargé d'une lourde odeur d'humus, une pourriture végétale douce mais entêtante et légèrement incommodante. Après la moiteur mécanique du Dm-Bula, après les effluves familiers stagnants, mélange d'acides et de graisse huileuse, cette agression olfactive renforce l'impression d'avoir quitté un œuf tiède et sûr pour affronter la vaste voracité vivante de la végétation. Vorgine frissonne et remonte le col de sa veste rembourrée. Elle imprime lentement la marque de ses semelles dans la terre molle. Elle piétine, coupée de sa matrice, oscillant sur place comme un oiseau piscivore dont on aurait coupé les ailes. A côté, Sisymbre, le menton haut et le regard sûr a l'air pleine de grâce. La fille du Hélix qui les a interpellé n'a pas l'air spécialement contrariée. Son visage anguleux reste d'une neutralité typique. Sur sa poitrine : deux torsades entremêlées, une double hélice, le symbole de son grade. Sisymbre s'empare immédiatement de l'information pour prendre les devants :

    - Bonjour Epiphytenante, je suis la Taxono-Maîtresse Sisymbre Crucifère. Et voici ma pilote, Vorgine Salicace. Vous avez du recevoir le message non ?

    Image d'une application pur jus des directives de sécurité, la sous-officier du Hélix commence par poser la main sur la crosse de l'injecteur qui pend à son baudrier. Ensuite seulement, elle penche la tête sur le côté en détaillant la tenue de la botaniste. Evidemment, elle repère les manche évasées doublées du vert emblématique de sa chemise, la veste sans manche et la bandoulière passée par-dessus. Sisymbre porte une des nombreuses variantes de la tenue officielle mais l'ensemble est encore nettement reconnaissable. Elle se tient debout, les jambes légèrement croisées l'une devant l'autre dans une posture un peu étrange mais pas dénuée de charme de l'avis de sa compagne.
    L'autre, plus raide, grande tige perchée sur des jambes sèches, salue avec déférence mais ne se dépare pas de l'aplomb de quelqu'un qui vient d'épingler une paire de fautives. Elle néglige purement et simplement la question pour en retourner une autre, plus classique.

    - Une botaniste en pleine friche. Que fichez vous ici ?
    Malgré ce premier coup défavorable, Sisymbre répond avec une docte assurance :
    - Etude des cas particuliers de survivance dans les zones contaminées, récolte d'échantillons et analyse des environnements associés. Je conduis un projet de recherche spécifique.
    - Je vois. (D'un geste, l'épiphytenante fait signe aux deux autres hélixaires dans son dos de se déployer autour du Dm-Bula pour inspection). Impressionant. Vous êtes seules ?
    - Oui. Pas besoin d'attirer l'attention plus que nécessaire ou d'exposer inutilement du personnel. Je suis parfaitement au fait des risques et des dangers et c'est pour cela que j'ai demandé à la commission de me laisser y aller seule. Ou presque… enfin, juste histoire de pouvoir compter sur un coup de main pour me ramener à bon port si je me fait cueillir là bas. Vous savez ce qu'on dit, mieux vaut l'alacrité d'une Salicace que tout l'arsenal d'une Griseliniace.

    La flic sourit d'un air formel, la botaniste d'un air mutin. De son côté, Vorgine suit des yeux la lente progression des deux autres autour de sa chère et peu tendre mécanique. Si elle est soulagée de ne plus avoir le PrisCo pointé sur elle, ça n'enlève pas la crainte irrationnelle qu'elles ne lui abîment son précieux véhicule. Le sourire de l'épiphytenante disparaît, remplacé par une moue pensive.

    - Et pour le reste ?
    - J'ai répondu aux questions de la commission et fourni patte blanche quand on me le demandait. Le véhicule est en règle et conforme aux besoins du terrain. N'est-ce pas Vorgine ?
    La pilote n'est pas ravie d'être soudainement le centre de l'attention.
    - Oh heu… oui. Le Dm-Bula est parfaitement adapté. C'est… l'idéal. Adapté quoi. (Elle écarte les mains). Adapté quoi…
    A son grand soulagement, la sous-off détourne vite son regard un peu trop perçant, un peu trop vert, un peu trop étroit.
    - Alors l'autorisation ne nous serait pas parvenue dans les temps ?
    - Ce sont des choses qui arrivent.
    - En effet taxono-maîtresse. Regrettable mais classique malheureusement.

    Sisymbre est maintenant sur une fine pellicule de glace. Jusque là, la conversation semble s'être passée plutôt bien. Il ne lui reste qu'à placer deux ou trois traits judicieux pour l'emporter. Mais la moindre erreur sera sans appel. Elle laisse une courte pause s'installer pour fourbir son armement d'arguments.
    Vorgine elle, détaille un arsenal d'un autre genre. Lorsque d'une des deux hélixaires passe à proximité, elle remarque les pièces d'un Lamarck démonté sur son dos. Une arme de persuasion massive pour ainsi dire. Le canon est noirci, l'acier est rayé, les cuivres sont patinés. C'est pas du flambe, elle s'en est déjà servi, probablement plusieurs fois vu l'usure. Ça ne met pas en cause son efficacité meurtrière, ça contribue simplement à alimenter un soupçon. Il y a quelque chose chez cette petite brigade qui dépasse le simple contrôle routinier des franchisseurs de friche. Entre autres remarques, un Lamarck, c'est beaucoup trop bourrin. Sisymbre réfléchit un peu trop, elle ne prête pas attention à ces détails.

    - Vous savez qu'il fera nuit demain ?
    - On en aura terminé avant ça.
    - Tout de même. Je suis étonnée qu'on vous ait laissées partir sachant que l'obscurité allait bientôt nous priver de tous nos moyens.
    - Ce n'est pas comme si on ne savait pas ce qui allait se passer. Mais c'est trop important pour qu'on attende le jour d'après. Voilà pourquoi une petite expédition rapide et mobile est préférable.
    - Qui est-ce qui…
    - Qu'est ce qui n'est pas dangereux à l'heure actuelle épiphytenante ? Nous sommes obligées de prendre des risques.
    - Hm. C'est vrai de beaucoup de choses oui. Mais entre travailler dans un atelier et foncer dans la friche juste avant la nuit, il y a une différence. S'il vous arrive quelque chose là bas, même une simple crevaison…
    - Certes, une différence d'impact. Mais dans les faits, si notre objectif est de protéger à tout prix, alors personne ne devrait toucher quoique ce soit. Il vaudrait mieux rester chez soi, dans un sarcophage de verre. La friche, c'est notre lot. On vit avec. Et tout le monde doit prendre sa part. Pas seulement le Hélix.
    - Ça ne correspond pas vraiment aux idéaux…
    - Mais vous devez reconnaître que c'est vrai. Et si les gens des Arches Vertes ne se frottent jamais aux dangers des friches, vous verrez que d'ici une dizaine d'années, tout le monde niera jusqu'à sa létalité qui est, vous le savez comme moi, très réelle ! Des rapports seront produits, de nouvelles lois seront votées et tout changera. On se laissera engourdir par la sensation de sécurité. Il ne faut jamais qu'on oublie. Et pour ça, parfois, il faut se stimuler la mémoire.

    La tirade de Sisymbre a pratiquement épuisé ses réserves. Elle se demande si elle n'en a pas trop fait ; elle n'est pas en conclave au sénat. Mais peut-être que justement, ça impressionnera sa vis-à-vis.
    La sous-off recule d'un pas et rajuste son baudrier sur ses hanches. Elle regarde Sisymbre, puis Vorgine qui baisse les yeux, et finit par s'attarder sur la Dm-Bula.
    Elle remâche visiblement la bordée d'arguments que vient de lui servir la botaniste. Puis d'un geste vif, fait signe à ses subalternes qui la rejoignent en cliquetant de l'armement.

    - C'est bon, ça ira.

    La botaniste et la pilote échangent un regard complice. Vorgine est toujours un peu anxieuse. Plus elle y pense, et plus elle est persuadée d'être en présence d'une brigade de choc. Pas des simples flics de secteur. Non, une unité rompue au combat intense avec du matériel de pointe et bon sang, du lourd, du lourd. La commandante fait signe à celle qui porte le PrisCo.

    - Hédéra.
    - Chef ?
    - Comment tu as appelé ce truc déjà quand on l'a approché ?
    - Un Dm-Bula, chef.
    - Oui, oui je sais, je sais, je te parle de ta première réaction.
    - Oh.
    - Vas-y. Rafraîchis moi la mémoire.
    - Je crois bien que j'ai dit "oh merde la blague, un Dm-bulateur", chef.
    - C'est ça. Et pourquoi t'as dit ça ?
    - Parce que ça se traîne, chef.

    Vorgine fait les gros yeux, trop intimidée pour réagir mais brûlant de le faire. L'épiphytenante sourit méchamment.

    - Voilà. Alors, c'est avec un déambulateur que vous pensez filer vite et sans encombre au cœur de la friche pour revenir avant la nuit. Le tout avec la bénédiction d'une commission ?
    - En réalité…
    - Non, non laissez, laissez taxono-maîtresse. Ne vous fatiguez pas plus. J'ai compris. Vu l'équipage réduit et la teneur de vos paroles, avec tout le respect que je vous dois, je pense que vous essayez de me mystifier pour dissimuler une escapade à la sauvette. Je n'ai jamais vu quelqu'un argumenter de manière aussi intense pour une simple histoire d'autorisation. La réalité, je vais vous la donner, c'est que vous avez tellement cherché à me convaincre du bien-fondé de votre expédition que vous m'avez permis de comprendre que la commission ne vous a pas accordé cette fameuse autorisation.

    Vorgine se mord la lèvre inférieure. Sisymbre ne réagit pas. Elle s'est laissée duper par l'apparente bonhomie de la fille du Hélix. Elle lui a déroulé un tapis rouge pour ses grosses bottes renforcées. Maintenant, elle ne peut plus corriger la trajectoire. Dépitée, elle remonte simplement sa capuche. Ça ne change rien mais ça lui donne l'impression de se planquer, de cacher sa honte et le feu qui lui monte aux joues.

    - Et bien vous connaissez la sanction.
    - Ça ne va pas nous faciliter le voyage, maugrée Vorgine.
    - Sisymbre Crucifère, en vertu de la loi cardinale du 3 Ventôse 1984, je vous place en commensalisme et vous adjoint d'autorité un membre du Hélix. Tout ce que vous pourrez faire devra maintenant intégrer le Hélix et ce, jusqu'à votre sortie de la friche. Les munitions et autres fournitures périssables consommées pendant cette période seront à votre charge. Par ailleurs…
    - C'est bon, je connais la loi, j'ai contribué à sa rédaction. Finissons-en, on a de la route à faire.
    - Comme vous voudrez. Bon, bon, bon c'est au tour de qui cette fois… Tiens, Hédéra.
    - Oui chef.
    - Tu prends ton matériel et tu grimpes dans la bulle avec elles.
    - A vos ordres.

    La troisième hélixaire regarde soudainement l'écran d'un boîtier sanglé sur son avant bras.

    - On a des raisons de se magner chef, les projectiles à haute densité qu'on a repérés tout à l'heure se rapprochent vachement de nous. Je pense que ça va nous péter à la tronche d'ici un quart d'heure.
    - Les autochtones de la friche nous souhaitent la bienvenue. (L'épiphytenante se fend d'un clin d'œil taquin à une Sisymbre médusée.) Pas de problème, on sera parties avant ça hein.

    Pendant que la dénommée Hédéra fait un aller-retour rapide à la rame pour attraper un gros sac à dos, ses deux collègues se détournent pour observer le ciel et faire une mesure au moyen d'un instrument optique complexe dont le fonctionnement échappe à Vorgine et Sisymbre. Lorsque tout est prêt, elles rejoignent à leur tour la rame. Juste avant de fermer la porte, l'épiphytenante lance d'une voix autoritaire :
    - Si j'étais vous je resterais pas là.
    Hédéra hoche la tête et se tourne vers les deux transfuges.
    - En route.
    Pendant qu'elle grimpe, Vorgine laisse filtrer deux trois non-dits dans un regard glacial.
    - Qu'est ce qu'elle dit ta loi après le "par ailleurs" ?
    - Rien. (Sisymbre reste scrupuleusement cachée sous sa capuche). Si. Juste que le Hélix prend le contrôle de la situation.
    - Bien joué…
    - Désolée.
    La pilote se contente de siffler en sourdine entre ses dents.
    - Y'a pas de place là dedans pour trois personnes.
    - Laisse moi là si tu veux.
    - Andouille, l'une de vous se mettra à califourchon sur le coffre. Je ne veux personne dans mon cockpit !
    - Tu crois qu'elles bluffaient pour le coup des projectiles ?
    - Possible. Le Hélix adore se la péter. T'as envie de vérifier ?
    - Non.
    - Alors bouge et prie pour que le moteur soit encore chaud.

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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mardi 15 Janvier 2013 à 18:17

    C'est pas encore DD&CC pour les aficionados mais j'y viens, j'y viens.

    En attendant, je continue un peu sur cette prose végétale. Ce morceau ci contient pas mal de termes botaniques que j'ai déformé plus ou moins selon mes envies. Du coup, c'est peut-être un rien hermétique. N'hésitez pas à me le dire ^^.

    L'info du jour, c'est que tous les personnages portent des noms de plante et que les familles correspondent à des familles botaniques en taxonomie (l'art de décrire le vivant). Armé de cette information, on en comprend sans doute plus de choses.

    Le Sisymbre qu'on appelle aussi, l'herbe des poètes et des orateurs.

    La Vorgine qui est une variante de saule poussant aux abords des marais et les étangs, on s'en sert pour faire de l'osier, c'est aussi très coriace (et pénible à arracher).

    Et la nouvelle, Hedera Helix, c'est du lierre. Une plante qu'on pense souvent parasite mais qui en fait n'abîme pas son support et lui fournirait même une certaine protection contre les atteintes physiques.

    2
    Tyn
    Lundi 21 Janvier 2013 à 18:57

    Si en plus tu allies l'utile à l'agréable, on peut qu'apprécier !! :D

     

    (Parce que je fais partie de ceux qui n'avaient pas calculé que les noms des gens, c'étaient des noms de plantes :x)

    3
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mercredi 23 Janvier 2013 à 12:29

    Merci tyn, fidèle entre les fidèles !

    Ouaip, je m'amuse à mélanger mes deux passions pour l'écriture et la bota. Un nouveau genre ! Green-Fantasy ! Science-Botaniction !

    Alors par exemple, le commensalisme, c'est quand une espèce utilise une autre espèce soit comme support, soit en prélevant sa nourriture ou autre... sans lui nuire, mais sans rien lui apporter non plus.

    J'ai presque fini la suite mais mon accès au net est assez chaotique en ce moment +_+

    Et je pense que ça devrait plaire :) (on va enfin aborder quelques points de particularités)

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