-
PhOtOsYnTeSiS - Premier Pollen
Le Dm-Bula roule depuis plusieurs heures déjà et l'ambiance a connu des élévations épiques et des chutes épineuses assez chaotiques. Vorgine s'est brièvement pris le bec avec leur nouvelle passagère, Hédéra, à propos de son avis déplorable sur sa machine. Qu'on la trouve un peu poussive, c'est un fait, mais de là à la qualifier de déambulateur ! Mais bien entendu, une brutasse du Hélix ne peut pas comprendre ce que ça signifie. Hédéra ne s'est pas laissé démonter pour autant, alimentant la chaudière sous pression de Vorgine à grands renforts de sarcasmes amusés. A bout de nerfs, cette dernière a fini par décrocher son casque audio pour couper court et s'est immergée dans le chant mécanique. Branché directement sur la caisse du moteur principal, le casque amplifie les percussions et les grincements du véhicule. Ce n'est pas de la musique à proprement parler, même s'il y a une sorte de rythmique répétitive primale dans l'écoute de cette cacophonie mécanique, mais pour la pilote, il n'y a pas de mélodie plus enivrante. Tous ses sens dévolus à la conduite, elle s'isole dans sa bulle boudeuse. Elle est là, pleine et entière, à l'abri des contrariétés. Seule et c'est tout. Les yeux rivés à sa trajectoire, elle glisse de temps en temps un œil professionnel sur le plan de route fourni par Sisymbre et ne s'occupe plus de ce qui se passe en arrière-plan.
Du coup, la botaniste et l'hélixaire ont fini par briser la glace. Vu leur proximité embarrassante, elles ne pouvaient pas vraiment se permettre de se crêper le chignon à leur tour. A la place, petit à petit, l'une et l'autre ont tacitement convenu de se débarrasser des convenances, des vouvoiements et autres titres encombrants ; comme l'a dit Vorgine, il n'y a pas assez de place pour tout ça dans le Dm-Bula. D'abord deux trois questions convenues.
- Ça fait combien de temps que vous travaillez pour le Hélix ?
Hédéra, les jambes repliées sur le cylindre du coffre lui répond d'un air vague.
- Huit ans, une tirée comme on dit.
- Beaucoup d'action dans la friche ?
- J'peux pas vraiment en parler… Les botanistes ne sont pas censés être au jus là dessus ?
- Tout dépend. On ne peut pas connaître tous les détails et la vue d'ensemble à la fois.
- Je suppose que c'est logique. Quelle est votre spécialité Taxono-maîtresse ?
Un brusque à-coup du véhicule la projette en avant, elle se rattrape à une poignée juste à temps pour éviter de percuter la botaniste tassée sur le siège inconfortable.
- Comme beaucoup d'entre nous, je suis pluridisciplinaire. Personnellement, je m'intéresse surtout à l'évolution des espèces. Mais ce n'est pas vraiment ce qui m'amène ici.
- Ah non ?
- Non.
Puis des questions un peu plus personnelles.
- Je me demandais… tous les membres de la famille Araliace atterrissent dans le Hélix ?
- Pas forcément non. C'est notre voie de prestige mais pas la seule carrière. C'est vrai que le fondateur du Hélix était un Araliace et que la famille garde les mains bien serrées dessus. Comme vous le savez, on est pas des fanas du mélange. Alors on peut dire que le Hélix est pratiquement composé uniquement d'Araliaces. Mais l'inverse n'est pas vrai. Y'en a qui vont vers d'autres métiers, comme l'exploration, le ravitaillement intercitadin ou la mise en place des chantiers extérieurs.
A trois dans l'habitacle, il fait également plus chaud. De la buée opacifie maintenant l'intégralité de la baie d'observation. Hédéra a beau tenter d'ajuster sa posture, elle n'arrête pas de se cogner le dos contre la vitre.
- Toujours hors des villes hein… votre famille n'a pas le goût urbain on dirait.
- Peut-être bien. Tout comme les crucifères sont réputés pour leur goût du pouvoir… et des manigances.
Sisymbre a un petit rire chaud. Un de ceux qui la font passer pour la gamine qu'elle n'est plus depuis longtemps et révèlent ses fossettes.
- Ce n'est pas vraiment un choix. La prédestination génétique joue pour beaucoup dans ce que nous devenons. D'ailleurs, j'ai toujours trouvé intéressant de constater que quelque soit nos orientations individuelles, on en revient toujours à coller à peu près à un schéma construit selon notre historique familial. Très rares sont les exceptions.
- Et pourtant y'en a eu pas vrai ? Comme Sativa Crucifère, le peintre dément qui se droguait avec… ?
- Je préfère ne pas en parler.
Et pour finir, presque de la franche camaraderie. Le trajet est effectivement assez long en Dm-Bula.
- Quand j'en aurai fini avec mes dix premières années de service, je pourrai choisir une affectation plus permanente. La vadrouille ça va bien un temps.
- Pour ton petit ami ?
- Aussi oui. Tu peux pas savoir comme c'est dur de devoir tout le temps se dire au-revoir, sans être certains justement de se revoir. Putain ! Je peux me faire tuer n'importe où. Bon y'a pas beaucoup de risque, on sait se débrouiller quand ça chauffe. Mais quand même… il me manque. T'es pas appariée toi ? On dit que les crucifères ont pas le temps pour conter fleurette.
- Oh mais si ! Avec celle que tu vois en train de bouder sous tes pieds.
- Ah heu… ok, c'est bien.
Additionnant une et une, Hédéra est prise d'une bouffée de chaleur en réalisant qu'elle est beaucoup trop proche physiquement. Les chaos répétés l'ont pratiquement fait descendre de son perchoir. Sisymbre n'est sans doute pas du genre à asticoter n'importe qui. Mais quand même, ça change tout et bizarrement, les premières images qui lui viennent à l'esprit à présent sont plutôt indécentes. Furieuse contre elle-même mais incapable de juguler ce flot de sensations, elle s'arcboute sous la baie, faisant tourner la lanière de son fusil aux élongations tarabiscotées pour le coucher sur ses genoux et gagner ainsi un peu de place dans son dos. La botaniste à qui ce manège n'a pas échappé sourit en coin. Ce petit mouvement de recul, ce n'est rien comparé à ce qu'elle vit au sein de sa propre corporation.
C'est Vorgine qui met un terme à leur échange en tirant brutalement sur les manettes. Elle s'éponge le front, ravale sa salive, relève ses lunettes et décroche son casque. Le souffle court, la lippe humide et l'œil brillant, elle se dévisse la tête pour annoncer d'une voix saccadée :
- On arrive à la réserve. Si je vais plus loin, les humains vont nous repérer. Et probablement tenter de nous tuer.
Hédéra tambourine sur la crosse de son arme, rictus cynique à l'appui.
- Ils ont déjà essayé. Les projectiles à haute densité, c'était qui d'après vous ?
- Tirés d'aussi loin ?
Elle lève les yeux au ciel, visiblement consternée des lacunes de la pilote en matière de technologies guerrières.
- Bien entendu. Plus loin même s'il le faut. Certains de leurs missiles ont des portées de plusieurs centaines de kilomètres. Ils pourraient nous dégommer direct dans nos villes mais on surveille ça de très près. Toutes les réserves humaines sont criblées par le Hélix, alors ils ne nous tirent pas dessus.
- Mouais…
Une stridulation résonne soudain dans l'habitacle. Vorgine tourne la tête en tous sens, ne reconnaissant pas l'alarme. Ce son là n'existe pas dans le corps de sa machinerie, c'est une émission étrangère, une intrusion dans sa symphonie intime ! Une anonyme onomatopée impertinente ! Hédéra lève la main et consulte un boîtier pendu à son baudrier.
- Ah si. Pardon, ils nous tirent dessus, lâche t-elle du ton badin qu'emploierait un soudeur pour évoquer un petit boulot à venir. A la différence bien sûr, que pour Hédéra, il s'agit plutôt de dessouder.
- Quoi ?!! Vorgine manque de s'étrangler avec les câbles qui pendent de son cockpit en tentant de lire ce qui est écrit sur l'écran de l'hélixaire. Celle-ci ne fait pas mine de le lui montrer. Un rien mesquine, un rien orgueilleuse.
- Ouais. Deux. Mh. Ils vont vite. Je vais les intercepter. Pardon, je sors. Pardon, pardon…purée, c'est étroit ce bordel.
La pilote actionne la trappe ventrale pour laisser descendre Hédéra qui se glisse dans l'ouverture avec une souplesse et une agilité qui ne relève qu'à peine le haut de sa tenue. Sous le cuir grenu et le tissu écru, ses abdominaux tendus sont perlés d'une fine sueur. Elle disparaît par la bouche, met un genou à terre et engage son fusil dans l'axe présumé de l'attaque aérienne.
Vorgine gonfle les joues, siffle et se tourne vers Sisymbre.
- Elle est bien foutue hein.
- Mh mh.
- Aller, de quoi vous avez parlé ?
- Ne t'inquiète pas ma douce, elle est pas assez virulente pour te concurrencer et question combativité, je suis sûre que tu la dépasses.
Profitant de la sortie de la troisième passagère, Vorgine fait sauter les attaches de son harnais, se retourne sur son siège et grimpe à l'assaut de son dossier pour embrasser farouchement mais résolument le sourire taquin de Sisymbre.
- Bah au moins, ça te stresse pas plus que ça qu'on se fasse canarder.
- Si je crève, je veux que se soit pendue à tes lèvres.
- On ne va pas mourir Vorgine.
- Alors pas de raison de stresser.
Dehors, pendant que les tourterelles se béquotent, Hédéra s'occupe de sauver leur peau, et la sienne par la même occasion. L'organisation très cellulaire de la société des Arches Vertes réduit chaque individu à sa fonction. Ni plus, ni moins. Seule la caste dirigeante des botanistes, parvient à se diversifier sur plusieurs champs de compétence, ce qui leur permet à la fois de mieux comprendre et d'être bien plus autonomes que les autres. Il n'y a donc rien d'anormal à ce que Vorgine ne souhaite même pas assister à l'opération. Ça n'a pas de raison de la fasciner et sa curiosité n'a pas de prise quand il s'agit d'armes. Le cloisonnement des Arches Vertes produit des individus égoïstement passionnés par leur labeur, rien n'existe en dehors de ça. Un système qui permet à chacun d'exceller dans son domaine, tout en étant remarquablement nul dans tous les autres.
La pilote ne s'intéresse qu'aux choses qu'on conduit. L'hélixaire elle, son truc c'est de protéger.
Alternant des phases de souffles courts et des grandes inspirations, Hédéra décroche une lunette de visée et l'adapte sur le rail de son fusil avant de serrer les molettes en vitesse. Jugeant son canon trop court, elle opte finalement pour une allonge de quinze centimètres supplémentaires. Histoire de voir. Elle s'humecte les lèvres, sors la pointe de la langue entre ses dents pour recueillir les informations. Vitesse du vent, humidité, magnétisation, taux de pollen dans l'air, toutes ses informations en pagaille lui parviennent par blocs qu'elle décode et interprète en arrière pensée, rompue à l'exercice.
- Ok. Bon. Ils sont à sept kilomètres. Avec l'arc, ça fait du vingt-trois degrés virgule cinq… heu (elle goûte mieux) avec trois degré de correction. P'tain. Pas de précipitation.
Elle passe la bandoulière autour de son avant bras et traque ses cibles. "Voyons voir". Ses iris verts changent de couleur, ils chatoient, ondoient comme si une pierre venait de crever la mare tranquille de ses yeux. Elle descend dans les fréquences. Spectre jaune, orange, rouge. Spectre infrarouge. Elle les voit. Des missiles de facture humaine. Bon il faut les faire exploser en vol. Un tir à sept kilomètres (un peu moins maintenant, vu qu'ils avalent la distance), ça va quand même être coton. Une erreur d'un demi degré et elle passe à environ soixante mètres de sa cible. Pire, si elle ne les fait pas exploser mais qu'elle les effleure juste, elle peut les faire dévier de leur trajectoire et les rendre imprévisibles, impossibles à intercepter. Elle pourrait attendre qu'ils soient plus proches mais ce serait risqué. Si jamais les têtes sont fourrées à une quelconque substance radioactive, les retombées seraient désastreuses à faible distance. Qui plus est, si elle les rate, elles auront peut-être encore le temps d'échapper à l'explosion. A condition de s'éloigner suffisamment. Hédéra glisse un œil vers le Dm-Bula immobilisé à côté. Ouais. Avec ce genre de vieux machin, mieux vaut prévoir large.
Une pression du pouce et de l'index sur un bidule de haute technologie velcroté à son poignet. La franc-tireuse cligne des yeux pour chasser la sueur et se reconcentre. Elle prend une longue et profonde inspiration, bloque sa respiration. Quinze secondes. Elle tourne une molette, une canne articulée se déplie par à –coups secs au-dessus du canon de son arme. Huit secondes. La lentille fixée à son extrémité s'ajuste lentement au-dessus de l'embouchure du canon. Ça a l'air valable. Cinq. Elle donne un deuxième tour de molette et règle une seconde canne de la même manière, en dessous. Les lentilles renvoient l'éclat vif du soleil. Maintenant, il s'agit d'être précise. Zéro.
Hédéra assimile une grande goulée de lumière, goûte une dernière fois au crépitement des lums sous son épiderme et interrompt sa photosynthèse. Sous zéro moins trois secondes. Pas un cil ne bouge. Tendue, immobile, silencieuse, elle soutient son arme contre son épaule sans bouger d'un millimètre. Les faisceaux de lignine contenue dans son corps s'entrelacent pour rigidifier ses membres. Sous zéro moins dix secondes. Sans s'affoler, elle presse deux fois la détente. A peine un bourdonnement. Aucun bruit, rien. Hédéra replie le coude avec un grincement de vieil arbre, relève son arme et expire. Elle regarde son chronomètre : sous zéro moins quinze secondes. Elle n'a aucune idée de la manière dont procèdent les gradées du Hélix pour arriver à des scores au-dessus de zéro. C'est invraisemblable.
Elle se redresse avec raideur et épaule à nouveau. Bon. Elle progresse néanmoins, ses derniers tirs étaient plutôt sous zéro moins dix-huit.
Effectuant quelques mouvement coordonnés pour déverrouiller ses articulations et désolidariser des fibres durcies, elle finit par remonter dans la bulle interrompre l'intimité douillette de Sisymbre et Vorgine. Il fait décidément de plus en plus chaud là dedans. A moins que ce ne soit qu'une impression par contraste avec la vigueur extérieure ?
- Je les ai dézingués. Un sourire espiègle dévoile ses dents.
La salicace un peu salace retombe sur son siège, refermant hâtivement les pans de sa veste rembourrée. La crucifère rencogne deux mèches de cheveux derrière ses oreilles.
- Iurk, t'as les yeux rouges… ça fait mal ?
- Ça coupe un peu les pattes au début. Mais on s'y fait. Ça va revenir, il faut un peu de temps pour que les cristaux reprennent leur place. Bon évidemment, là, je vois tout en nuance de bleu et violet. Mais ça va aller.
Vorgine intervient :
- Tu les as eus ? Comment ça tu les a eus ?
- C'est fait oui.
- Ils ont explosé ou quoi… ?
- Dégommés oui, explosés en plein vol. (Elle claque des doigts). Comme ça.
- On a rien entendu.
- Ils sont… ils étaient à sept kilomètres ! Evidemment qu'on entend rien à cette distance. A peine un roulement sourd, faut prêter la feuille.
- Et le PrisCo ?
Hédéra lui retourne un regard interloqué et claque sa paume sur la culasse de son arme.
- Quel PrisCo ? Ça ? Nan c'est un PrisDi ma fille. Un PrisCo aurait pas assez de portée.
- Un PrisDi, c'est quoi la différence ?
- Prismes divergents, musarde Hédéra avec une pointe de fierté. Portée de seize-trois. Indice de réfraction de six point deux. Moins efficace de près que le PrisCo même s'il est bien plus précis. On l'utilise pour les coups à longue distance mais aussi pour le combat en végétation. Comme son angle de dispersion est contrôlé par les lentilles, on fait moins de dommages collatéraux. Au final, c'est un fusil bien plus fiable et bien plus puissant que le PrisCo. On a vite compris que ce qui compte, ce n'est pas tellement la concentration lumineuse mais sa pénétration. Léger, démontable, compatible avec des munitions à lums purs ou grossiers. Sur les dernières générations, les prismes à quartz rhomboédriques ont été remplacés par des axinites tricliniques. (Elle le brandit à bout de bras, dans la mesure des possibilités offertes par l'espace exigu). Et en plus, il est modulable ! On peut adapter des correcteurs de tirs sur les rails, des colorations, des lunettes…
- Ah d'aaaaaccord, baille Vorgine déjà occupée à faire un check-up des voyants du Dm-Bula.
L'hélixaire secoue la tête et ses membres pour les dégourdir un peu avant de se glisser dans l'interstice entre le siège pilote et le chambranle pour gagner sa place. Vorgine se retourne et en profite pour glisser en douce un mot à Sisymbre :
- Elle bluffe encore. Je parie qu'il y avait rien.
Amusée malgré elle, la botaniste secoue la tête sans rien dire. Qu'elles aient réellement échappé à des missiles ou non ne change rien au fait qu'elles sont effectivement en zone contaminée : sur le territoire des humains.
- Bon qu'est ce qu'on fait maintenant ?
- On y va. Si j'ai bien compris, le Hélix dispose d'un système d'alarme. On sera prévenues en cas de danger.
- Oui enfin ce n'est non plus fait pour s'embringuer tête baissée dans le caca tout coulant… Ils ont la détente facile là dedans et on est pas dans une rame là.
Sisymbre pétille déjà d'utiliser la fierté manifeste d'Hédéra à l'égard de ses gadgets.
- Pourquoi ? Ça ne marcherait pas ? Allons bon, le Hélix est à la pointe non ?
- Oui, oui. Au top.
- Alors est-ce qu'on risque quelque chose si on s'en remet totalement à toi pour notre protection ? C'est toi qui vois. Après tout, d'après le code cardinal, c'est toi qui commandes ici.
- Nan, je veux pas enchérir sur une botaniste ! Enfin, ouais je sais ce que je dois faire mais…
- Bon, je vais te dire, à ta place, moi, je ne gâcherais pas l'occasion. C'est un test grandeur nature !
- Un test ? Nan mais il y a longtemps qu'on est au point. On connaît les limites et tout.
- Qu'est ce que tu redoutes alors ?
- Moi ? Rien !
- Rien ? T'as l'air nerveuse quand même. Y'a un problème dont tu voudrais nous parler ?
- Non rien… quand j'ai le matos adéquat et la situation en main, je me sens parfaitement à l'aise.
Pour illustrer, Hédéra s'avachit sur le coffre, les jambes repliées sous les fesses et le fusil planté au milieu comme un étendard. Sa main droite glisse dans une poche de sa combinaison pour tirer un paquet de crayeuses sans filtre. Elle en porte une à la bouche. Mine de rien, c'est Vorgine qui enfonce le clou pour sa compagne.
- Ouais bon. C'est super. Soit on bouge soit on rentre. Purée, je pensais pas que le Hélix était du genre frileux. Vous êtes justes bons à faire semblant ou y'a du concret derrière tout ça ?
- Semblant de quoi ? grince Hédéra, sa tige entre les dents, absorbant de la craie pour rétablir son équilibre minéral.
- T'as bien compris. Le concret c'est ça (elle martèle un montant du Bula avec autorité). J'ai un moteur sur le feu moi, des chambres portées au rouge, des conduites spiralées crépitantes et une pression à déchirer les accordéons.
- Tsss, les salicaces… du barouffe, du pétard, faut que ça claque de partout… et pour une efficacité pardon…
- Les araliaces et leurs pantomimes, peuf, poudre aux yeux, regardez, j'ai dégommé un missile ! Ah non pardon vous pouvez pas voir. Impressionnant.
Hédéra se penche en avant, orageuse, l'index accusateur.
- Va te faire foutre ! Tu préfères peut-être que ça te flambe la tronche ? Remarque ça l'améliorera peut-être !
- On a bien compris que vous n'avez pas vraiment d'atomes crochus. Ça ne change rien. Vorgine, je t'en prie, laisse Hédéra nous démontrer ce dont elle est capable.
Sisymbre interpose son calme souverain avec une autorité naturelle qui renvoie les deux autres face à leur propre puérilité. Vorgine tambourine la gouttière d'accès à sa manette de pilotage de droite.
- Pour ce que j'en dis… ça chauffe toujours…
Hédéra braque ses yeux rouges sur la bulle vitrée.
- Avance. Tu vas en voir de toutes les couleurs et là tu seras bien contente de me trouver derrière toi avec la crosse de mon Lamarck sur l'épaule.
Vorgine frissonne à l'évocation de l'arme absolue mais elle couvre ça en appuyant abruptement sur ses pédales. Le Dm-Bula saute et franchit la limite invisible qui sépare le territoire des Arches Vertes et des humains.
Hédéra camoufle son irritation sous un mâchonnement appuyé de sa crayeuse, le regard dans le vague, les mains occupées à une vérification machinale de son fusil.
Sisymbre dissimule sa souriante satisfaction derrière sa main droite. La manipulation des caractères aux arêtes tranchantes… rien de plus simple.
-
Commentaires