• Tripaille !

    Dix-huitième Fragment :

    Bientôt rejoint par plusieurs de ses congénères, le corps flasque et tentaculaire qui venait d'apparaître tenait plus du mollusque que de la bête des bois. Probablement une créature invoquée dans un but précis. Ce qui rejoignait donc l'idée d'une traque... Quintus fronça les sourcils, avança la lèvre inférieure et se gratta le lobe de l'oreille. Tout ceci n'était pas clair. Il y avait dans le coin quelqu'un qui avait déployé beaucoup d'efforts pour organiser cette petite séance de rabattage. Et surtout, il ne s'expliquait pas le brusque changement d'attitude des petits corps flasques. L'homme en blouse décida de ne pas bouger pour tenter de grappiller quelques miettes d'information.

    Une bonne vingtaine de créatures se regroupèrent à quelques pas de lui. Généreusement pourvues en tentacules, elles ondulaient légèrement comme sous l'effet d'une brise invisible. Assez petites, probablement à hauteur de genou. Leur corps mou était plissé en divers endroit mais on ne voyait nulle part d'oeil ou de bouche. Juste une trompe. Un appendice laid au possible et piqueté de poils hirsutes qui emmergeait au sommet de chaque tas de gelée rosâtre.

    Pas vraiment le genre de bestiole que l'on croisait tous les jours. Quintus changea légèrement de position pour soulager son mollet droit. Son mouvement fit craquer une inévitable brindille. Ikk ! Il se figea, les dents serrées et les fesses contractées. Non, ça n'avait pas l'air de les alerter. L'assemblée grouillante et gargouillante ne semblait plus se préoccuper de sa présence. Qu'est ce qui avait changé ?

    Sous le regard attentif de l'invité mystère, une des créatures fut subitement prise d'une sorte de hoquet. Elle sursauta deux trois fois avant de se pencher en avant, la trompe pointée à l'horizontale. Ses tentacules se crispèrent momentanément lorsque qu'elle expulsa un dard scintillant qui alla se ficher dans un pin. Oh ? Elles sécrètent leurs projectiles ? Piquant. Quintus jeta un oeil à sa cuisse qui hébergeait toujours un fragment de dard. Du bout des ongles, il parvint à le retirer, laissant naître une perle de sang sur le tissu de son pantalon maculé de boue.

    Légèrement dentelés, les projectiles n'étaient pas en métal comme il l'avait cru au premier abord. Il s'agissait plutôt d'une sorte de résine durcie et recouverte d'une couche de mucus brillant. Quintus releva les yeux lorsqu'un des poulpes à trompe se mit à pousser une complainte lancinante avec son orifice nasal. Son geste fut bientôt imité par toute la horde. Le hululement langoureux se diffusa dans la forêt comme une rengaine dissonnante. Si on avait pu accoler un adjectif matériel à ce son, "poisseux", aurait sans doute résumé l'essentiel des sensations qu'il produisait.

    Quintus se promit de punir prochainement la symphonie par quelques coups de tranchoirs bien placés. Il y avait fort à parier que les mollusques feraient moins les malins avec quelques morceaux en moins. Il s'accrocha à cette idée et serra les dents. Au bout de quelques instants inoubliables, un bruit huileux lui répondit. Puis ce fut comme un bulle que l'on ferait éclater du bout du doigt. Dans un grand plop, une rainure scintillante se dessina quelques centimètres au dessus du sol, comme une traînée de lucioles scintillantes. Le trait devint fissure...puis portail, proposant une conclusion logique : Encore un magicien...

    Quelques éclairs crépitèrent entre les troncs et la forme béante acheva de se stabiliser. Une botte noire s'écrasa sur le sol spongieux. Le reste suivi de peu. Son propriétaire affectionnait apparemment beaucoup cette couleur. Quintus ne s'attarda pas sur son accoutrement uniforme et passa directement à la tête chauve qui en émergeait. Un vrai crâne d'oeuf celui-là. Son col remonté jusqu'au nez ne révélait de son expression qu'un regard d'aigle sans compassion.

    Les choses s'éclaircissent. Le maître de la chasse daignait enfin se montrer, il allait vite comprendre qu'il avait fait une erreur stratégique. Quintus s'autorisa un sourire en coin. Comme s'il l'avait senti, les yeux noirs du nouvel arrivant se rivèrent sur le buisson. L'homme accroupit dans les branchages se releva lentement, glaive en pogne légèrement en retrait. Toujours avec un demi-sourire, il s'apprêta à lancer une réplique mordante au crâne chauve ténébreux.

    Une nouvelle série de crépitements l'arrêtèrent avant même que les mots n'aient le temps de se former. Le portail n'avait pas fini de vomir ses passagers. Cette fois le passage magique fut visiblement soumis à rude épreuve. Des étincelles bleutés jaillirent sur les cotés avec un étrange bruit de friture. Sans trop savoir pourquoi, Quintus pensa spontanément à un oeuf cuit à la poêle...ce qui gâchait pas mal l'effet spectaculaire, il faut bien l'avouer.
    Le deuxième personnage finit par se frayer un chemin parmi les arcanes d'énergie. Beaucoup plus massive, la silhouette prenait trois bonnes têtes à son compagnon. Le contraste avec le gringalet noir était saisissant. Quintus salua cette entrée par une déglutition difficile. Fini de rire, l'ogre arrivait dans la forêt. Le rictus du fugitif se figea lorsqu'il accrocha un nom au dessus de la montagne de muscles.

    - Tranche-tempête...c'est...ça fait une paye hein.

    Le colosse lui offrit un bel exemplaire de sourire carnassier. Grattant sa barbe broussailleuse, il se racla la gorge.

    - Quintus. Je savais que les "visqueux" ne t'avaient pas troué le cuir.
    - Tu parles de ta petite famille à tentacule ?


    Crâne d'Oeuf hocha la tête en dénégation :
    - Il ne pouvait pas être mort. Les rabatteurs ont simplement perdu sa trace. Je ne sais pas comment il a fait pour cacher son Essence.
    Sa voix filtrée par l'étoffe noire était trop claire pour être celle d'un homme. A bien y regarder...ces petits renflements au niveau de sa poitrine pouvaient passer pour des mamelonnures. Tranche Tempête cracha sur le coté avec mépris.

    - Teuh, ta magie ne vaut rien voilà tout.
    - Va te faire voir gros porc, si je l'avais voulu, ils seraient morts tous les deux.
    - C'est ça oui, va ramasser du purin pour nourrir tes bestioles et laisse nous entre adultes.
    - Ah ça fait le malin maintenant, mais CA faisait moins le fierot quand j'ai prononcé l'invocation ce matin.
    - Tu veux qu'on en rediscute ma jolie ? Je pourrais t'inventer une nouvelle coupe de cheveux à base de lambeaux de cervelle si celle là ne te plait plus.


    Pendant l'échange, Quintus gardait la mimique délicate de celui qui ne veut pas s'imposer dans la discussion. La situation venait de se compliquer. Affronter une nouvelle fois le gros arrivait tout en bas de sa liste.  Un douloureux souvenir lui remonta de la mâchoire à cette pensée. La dernière fois qu'il l'avait rencontré, il disposait de toute sa force et s'était lamentablement fait rétamer par les peignes magistrales du guerrier.

    Tout en fustigeant l'invocatrice noire, Tranche-tempête le fixait d'un oeil où pouvait se lire toute sa folie destructrice mal contenue. Sanglé dans une tenue composite qui alternait les pièces de cuir râpé et les carrés de tissu tape à l'oeil, il portait nonchalamment sur son épaule l'arme qui lui avait valu son nom. L'imposante double hache attendait patiemment que son possesseur veuille bien l'utiliser pour découper, larder, trancher, fendre, éclater et autres raffinements.

    Quintus plissa le nez. Non ce n'était pas idéal. D'un coté la magicienne androgyne et sa tribu de cracheurs trompeurs et de l'autre, le cogneur aux mains lourdes. Il aurait mieux fait de se carapater pendant qu'il en avait eu l'occasion. C'était peut-être encore jouable...

    - J'espère que t'es pas en train de gamberger une fuite ? Ca me ferait chier de devoir relancer la meute de glumeux à tes basques pour te rattraper.

    La fille en noir croisa les bras sur sa menue poitrine et recula d'un pas. Le regard d'acier qu'elle dardait sur Quintus était trop proche d'une rancoeur personnelle pour qu'il se sente tranquille. Qu'est ce qu'il avait bien pu lui faire ? Il n'avait pas besoin d'ennemis supplémentaires ! Quintus tenta de miser sur l'ambiance de franche camaraderie dont la température avoisinait celle d'une bourrasque hivernale (sans doute avec quelques grêlons en prime).

    - Tu vieillis mon gros, dans le temps tu n'aurais pas eu besoin de te faire transporter pour venir me chercher.


    Le rire caverneux du barbu fit probablement fuir toute forme de vie à deux cents mètres à la ronde. Il ne s'était pas amélioré... Dès que ce type arrivait quelque part, la subtilité s'empressait de filer avant de se faire emboutir.

    - Ah ! Ca me plait ça ! J'aime tes provocations de petit merdeux des campagnes.
    - Crétin...


    Tranche-Tempête posa sa hache contre un tronc et se fit craquer quelques poignées de phalanges.

    - Bon ! On attaque ?

    Sa main calleuse attrapa le manche noueux et il se rua à l'assaut en beuglant comme s'il voulait inviter toute la contrée au spectacle. Le mouvement rapide surprit l'homme aux prunelles cendrées. La hache fendit l'air devant lui, créant un véritable courant d'air dans sa trajectoire. Quintus recula précipitament, sa lame courte mollement interposée devant lui. Au passage, il se prit inévitablement les mollets dans le buisson qui lui avait servi de planque, ce qui lui fournit une occasion de caser un autre bon vieux juron du moyen âge. L'autre en face ne se départit pas pour autant de son enthousiasme du départ. Il assena un coup vibrant qui fit décoller les aiguilles de pins à la ronde.

    Quintus esquiva de justesse et optant pour une retraite prudente au sein d'un petit massif d'arbustes. Ca devrait le gêner pour attaquer... L'homme en blouse se passa la langue sur les lèvres. De la pointe de son glaive, il tenta une petite attaque sur le coté. L'autre le renvoya brutalement en arrière, décapitant au passage une série de jeunes résineux plein d'un avenir désormais compromis. Ah non pas du touuuut ! La lame siffla à nouveau, Quintus se baissa, ramassant au passage des copeaux de bois issus du bûcheronnage sauvage dans la figure.

    Il se faufila sur le coté et dérapa dans la boue pour atterrir à coté d'un vieux tronc pourrissant. Son adversaire se rua en avant. Quintus fléchit les jambes et darda sa lame au niveau de son oeil droit. La hache se leva...c'était le moment ! Se détendant d'un bond, il plongea sous la garde du barbu et lança son bras armé. Le métal ripa le long d'une plaque de cuir et parvint à peine à entailler le haut du pantalon rouge.

    Pas terrible et la sanction ne se fit pas attendre. Tranche-tempête lui assena un coup de genou dans les dents suivi d'une claque sonore qui l'envoya valdinguer contre un arbre. Un filet de sang gouttant entre les lèvres, Quintus chercha à récupérer son arme à tâtons. Son regard moucheté de lucioles tremblotantes l'empêchait de focaliser correctement.

    Son adversaire poussa un soupir pénétrant.

    - Pfffff. Mais qu'est ce que tu fous !

    Quelque chose d'incroyablement dur heurta Quintus de plein fouet dans les côtes. Il se sentit soulevé dans les airs. Un bref vol plané avec vue imprenable sur la semelle du colosse suivi d'un arrête brutal...contre une pierre pour varier les plaisirs.

    Une main pressée contre son flanc meurtri, il s'efforçait encore de reprendre sa respiration lorsqu'une poigne d'acier l'attrapa par le col. Le tissu commença à se déchirer tandis que Tranche-tempête le hissait de force au niveau de sa trogne de pirate.

    - Ben alors. Qu'est ce que t'attends ducon ?!

    Une occasion en or...Quintus lui pulvérisa un beau crachat de sang en pleine face. Le géant se contenta se hausser les épaule et de projeter son adversaire un peu plus loin. S'appuyant sur sa hache, il pointa le bout de lard qui lui servait d'index dans sa direction.

    - Tu veux crever comme une merde ? C'est ton choix, mais ça va être douloureux.
    - Gramff du fji ! Tenta d'articuler Quintus entre deux halètements.
    - Ah ! Ne me fais pas le coup du démon repenti ou je te larde les tripes avec une pomme de pin.

    Le regard brouillé de l'homme couru le long de la scène. Curieusement, malgré les coups et la douleur, il restait lucide. Ce n'était pas normal. Pourquoi la colère ne venait-elle pas ? Du coin de l'oeil, Quintus nota que Crâne d'Oeuf n'avait pas bougé. Toujours refrognée dans sa coquille boudeuse depuis son engueulade avec le gros.

    Il était temps de reprendre la situation en main.
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