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Par Sakutei le 30 Juin 2011 à 18:09
Le jour. Une paume tiède contre la joue, je relève le menton, rasé de frais. Le téléphone. Il fait agréablement gris ce matin. Quand je lève mon mug de café devant la baie vitrée, je vois d'avantage mon reflet que le reste de la ville, répandue quelque part en contrebas. Cet "en bas" que je n'ai pas contemplé depuis des années. D'ici je ne vois que les toits. Plats, lisses, noirs, où des blocs de ventilations poussent de ci de là comme de l'acné à hélice.
Je me retourne. Trois pas jusqu'à mon bureau dans ce couloir en teintes froides. La lumière de la photocopieuse passe fugitivement contre le mur en béton nu. Déjà soixante treize mille exemplaires depuis ce matin.
Je passe la main sur le montant métallique de la fenêtre. Une limaille de métal se fiche dans mon index au niveau de la jointure de deux phalanges. Je relève le doigt. Et étonné, je découvre une goutte de sang. Une petite coulure vermillonne. Mes yeux se réduisent. Une traînée sensuelle, langoureuse, délicate. D'une folle indécence.
Ce n'est que lorsque je la lèche que le mot résonne dans mon esprit. En même temps que le goût cuivré. Trois syllabes. Je me retourne vivement. Le mot s'imprime en série, vomi hors des entrailles de dix milles photocopieuses. Il grésille aussi de combiné en combiné depuis ce matin. On n'entend que ça. On ne voit que ça.
Le canabalt.
Les lumières clignotent. A moins que ce ne soient mes yeux ? Le sol se met à trembler. A moins que ce ne soient mes genoux ? Je me redresse, respire. Je reprends un fragment de cette assurance souveraine. Une lampée de café noir dans mon building gris. Je déboutonne ma veste et desserre légèrement ma cravate. Allons, ma coupe de cheveux est impeccable.
Canabalt.
La tasse se brise sur la moquette anthracite. Le café gicle. Je cours. Le couloir rectiligne. La chaise de la comptabilité. Un obstacle gris. Je croise les avant-bras au moment où des fissures apparaissent le long des murs. La baie vitrée explose sous l'impact de mon corps lancé à pleine vitesse.