• Chapitre 38 : Semeur de chaos.

    Wear your grudge like a crown of negativity.
    Calculate what we wil or will not tolerate.
    Desperate to control all and errything.
    Unable to forgive your scarlet lettermen.


    Tool - The Grudge

    Il y a ce heaume méchamment cornu qui laisse filtrer une respiration sourde et des relents de sueur acre. Il y a ces gouttelettes de brume tiède accrochées à ces épaulières, qui pleurent doucement le long de sa cuirasse. Il y a ces rigoles sombres qui dansent le long de son avant-bras droit, s'enroulent autour de son poignet et perlent sans se presser pour tâcher le dos des fougères et des pousses de tanaisie ou d'ambroisie. Il y a aussi ces deux lourdes bottes maculées d'une terre épaisse et collante, pratiquement enfoncées dans les berges moelleuses de la rivière.
    Il y a enfin, ce bras musculeux, tendu en avant et prolongé par une lame vengeresse. Et à l'autre bout, dans le prolongement de l'épaule, derrière l'étroite meurtrière du heaume, l'éclat nacré d'une rangée de dents affamées d'une mort qui trouve son reflet dans le regard qui les surmonte.


    Luk esquisse un pas sur le coté, écrasant les herbes tendres dans des bruits de succion. Sa respiration est encore sourde, chargée des reliefs de l'émotion qui lui compresse la poitrine et le ventre.

    - Tu n'aurais pas dû éviter mon attaque sorcier. Tu serais mort sans douleur.

    Le puissant guerrier rejette succinctement la tête en arrière. Oh oui, il aurait voulu en finir au premier assaut ! Planter son épée dans l'angle formé par la nuque et l'épaule de cet humain pour lui décoller la tête. Faire jaillir son sang, s'en barbouiller, s'en abreuver et célébrer sa mort. Puis tailler ses veines et peindre une fresque écarlate jusqu'à ce qu'elles soient taries.
    Le capitaine des thuadènes s'ébroue pour chasser ces visions de son esprit. Il ne s'attendait pas à ce que le nécromancien soit aussi leste. Mais ça ne change rien. Non rien. Reprenant sa respiration bruyamment, il bande ses mollets et s'élance à nouveau. L'épée de bronze siffle, l'humain recule en titubant et lui crie quelque chose mais Luk n'en a cure. Il en a assez. Cette fois, l'outrage réclame réparation. Miyanne sera vengée.


    Il attaque en faisant passer sa lame dans une diagonale large et rapide de haut en bas pour l'écraser. L'autre trébuche et interpose cet espèce de bras en os. Rien que la vision de ce membre contrefait suffit à donner des envies de meurtre au thuadène. Ce bras, il sait qu'il l'a tranché net ! Cette chose, il l'a découpée et voilà qu'elle a repoussé !
    Luk passe sur le coté et pivote, sa lame fauche le vide un pouce au-dessus de la tête de sa victime désignée. Il renifle avec mépris devant cette nouvelle dérobade.


    - Vous les humains, vous êtes pire que de la mauvaise fumée. Vous vous infiltrez partout, vous imprégnez tout ce que vous touchez et vous empestez même après votre départ. Et pour couronner le tout, vous êtes lâches et fuyants !

    Il ponctue son exclamation par un revers sévère qui manque encore sa cible. Luk a conscience d'être trop furieux pour ce genre de combat. Au sein d'une mêlée il ferait un carnage mais là, ses coups sont trop brusques et trop prévisibles. Ce n'est pas sa manière habituelle de combattre mais il est décidé à ne pas honorer ce nécromancien. Il ne lui offrira pas une mort de guerrier. Il le tuera salement ! Serrant les dents, il ramène son bras et se déplace à nouveau pour acculer l'humain à la rivière. Cette fois, il s'efforce de ne pas céder à la frénésie. Il sera froid et impitoyable.


    - Prépare toi à franchir le fleuve des morts une bonne fois pour toute.

    Alors qu'il s'approche à pas difficilement lents, le bras gauche de son adversaire semble pris de convulsions. Il se tortille et se débat comme un poisson cherchant à échapper à la prise d'un pêcheur. Le visage du nécromancien vient de virer au rouge brique, visiblement tendu sous un effort à s'en faire claquer les veines.
    Luk en déduit immédiatement que l'autre compte faire appel à sa magie d'ossement pour riposter. Ridicule, la première fois il s'est laissé surprendre mais il l'a vaincu quand même. Et maintenant qu'il sait à quoi s'en tenir, ce n'est pas cette abomination qui va l'arrêter.
    Le Marcheur-des-Cieux tire sa seconde épée et croise les deux devant son casque d'horreur. Il marche sur l'humain lentement, un pas après l'autre, savourant l'instant. Et comme il est fréquent dans ce genre de situation, son adversaire ouvre la bouche, sans doute pour tenter d'implorer sa pitié. Mais à sa grande surprise, ses paroles sont totalement inédites… et surtout parfaitement incompréhensibles.


    - Elle utrine ! Elle utrine (Sa voix mue soudainement, comme un disque de métal ripant sur des galets) Laisse le pour elle ! (Encore des dissonances). Nan ! Dégage !

    Luk fronce les sourcils. Elle quoi ? Mais qu'est-ce qu'il raconte lui ?? Décidément, complètement fêlé celui-là. Le réanimer était sans doute la dernière chose à faire. Une erreur facilement réparable ! Le Marcheur-des-Cieux bondit, place ses épées en ciseaux et frappe !
    Son attaque se voit pourtant bloquée des deux cotés, par le bras d'os et par une étrange épée en forme de goutte. Mais sa garde est faible, l'humain tremble et ne parvient pas à contenir la pression imposée par le thuadène. Souriant sous son métal, Luk prend son temps pour appuyer de plus en plus fort, faisant ployer le nécromancien au visage noyé de sueur.
    Et soudainement, il lâche prise. Au lieu de chercher à contenir l'attaque, il se laisse tomber en arrière dans l'eau du ruisseau.


    - AH NON ! Tu ne t'en tireras pas comme ça !

    Le Marcheur-des-Cieux détend son bras droit juste à temps pour cueillir son adversaire. La pointe de son épée s'enfonce de quelques centimètres dans sa poitrine. Il le tient ! Mais l'autre se dérobe et parvient à s'engager dans le fil du courant pour échapper à son coup fatal.
    Rabaissant ses armes vers le sol, Luk observe le corps dériver au fil de l'eau avec un détachement teinté de frustration amère.


    - Theu. Ça ne change rien.

    Il rengaine ses épées et semble hésiter. Doit-il suivre les berges pour en finir ou remettre sa punition à plus tard ? Il a déjà perdu trop de temps, d'autres affaires s'imposant déjà à son esprit tourmenté. Et pourtant, il suffirait d'aller le planter à l'autre bout de la rivière. Blessé et tétanisé par son bain forcé, il ne pourra pas…

    - Bah tant pis. Ce n'est qu'un contretemps de plus. Quand je t'attraperai, je te ferai goûter au bronze.

    Luk grogne un vague juron à l'adresse du monde en général et se détourne prestement pour rejoindre son armée qui l'attend dans la plaine de Mag Tuired.
    Alors qu'il franchit un rideau de fougères, une méchante idée lui vient pour coincer cet humain la prochaine fois. Sur le coup, elle lui semble incongrue et un peu stupide mais à force de lui tourner autour, elle finit par le séduire à la manière d'un chat sauvage aux mouvements souple. Le rire lugubre qui s'échappe alors des fentes de son casque n'a par contre rien d'un ronronnement. Oui, une vengeance appropriée pour sa lieutenant.
    Rah, simplement y repenser suffit à lui coller des frissons. Luk reprend sa marche d'un pas plus vif pour tenter de distancer les souvenirs de cette fin de nuit. En vain. Les visions reviennent le tourmenter. Le visage de Miyanne…

    ***


    Après avoir dévalé la pente à toutes jambes, Luk s'est rendu compte qu'il distançait carrément le pauvre messager déjà essoufflé et contraint de galoper derrière son supérieur.

    - C'est bon, je vais y aller seul. Souffle un coup et dis moi simplement où elle est, lui a-t-il crié dès qu'il a été à portée de voix.

    Incapable de modérer ses halètements pour former des syllabes cohérentes, l'enseigne a simplement tendu le bras et fait plusieurs gestes vers l'avant pour donner une vague notion de distance. Malgré la précision toute relative de cette indication artisanale, Luk a immédiatement saisi l'endroit ; la hutte du guérisseur.
    Pris d'une crampe soudaine aux tripes, il s'est élancé sans attendre, serrant déjà les poings à s'en faire blanchir les phalanges. Miyanne chez le guérisseur ! En tant que capitaine, il était déjà inquiet mais en tant qu'ami, il devenait mortellement inquiet.
    Il est passé en trombe devant des feux de camps entourés des silhouettes indéfinissables de ronfleurs, de lèves-tôt ou de couches-très-tard aux yeux gonflés. Il fallait en avoir dans les jambes pour galoper comme ça après avoir encaissé une rossée de la part du Gardien. Mais quand la santé de ses proches est en jeu, n'importe qui aurait pris des ailes. Et quand ce n'importe qui se trouvait justement affublé d'un patronyme aérien, il n'était même plus question de lambiner.


    Luk a fini par débouler hors d'haleine sur un petit replat de terrain en lisère de la forêt. Juste devant lui, des branches de bois souple courbées et liées entre elles de sorte à former un petit dôme hémisphérique dont le moindre des interstices a été calfeutré avec de la mousse, des herbes aromatiques et diverses plantes aux vertus plus ou moins reconnues, il n'aurait de toute façon, pas pu toutes les nommer. Devant l'entrée, une bande de gars et de femmes apparemment fourbus étaient occupés à discuter ou restaient tout simplement vautrés à même le sol. La plupart ont coulissé des regards soucieux à son arrivée.
    Le Marcheur a marqué une pause sur le seuil pour détailler cette bande dépenaillée avant de laisser retomber le rideau de tiges tressées derrière lui. C'est juste après ça que les exclamations ont commencé.


    - Dehors ! Dehors ! Dehors ! Oula, tu fais peut-être autorité en matière de tranchoirs, crochets et autres ustensiles guerriers, mais ici c'est MON domaine, c'est mon territoire et aucun guerrier bien portant n'a de raison d'y fourrer ses bottes !

    Le guérisseur. Un sacré bonhomme celui-là. Adepte des postillons à outrance et des gestes secs, il manie la langue aussi bien que le pilon pour mater les herbes folles et broyer les jérémiades. Et parfois l'inverse.

    - Falosain pousse toi de là, je dois voir Miyanne.
    - C'est ça, et moi je et dis qu'elle ne veut pas te voir. Ouh ! Dégage de ma hutte Marcheur ou je vais te donner une bonne raison de séjourner ici assez longtemps pour que tu ne veuilles plus y retourner avant d'avoir perdu les quelques dents qui resteront dans ton clapoir ! Ouuuuuh oui ! Ça je te le promets mon gaillard.

    Le guérisseur a roulé ses yeux furibonds dans leurs orbites, ce qu'il fait très bien d'ailleurs en raison d'une anomalie anatomique assez rebutante. Probablement à cause d'une expérience un peu trop fumeuse, ses yeux fous regardent toujours dans deux directions différentes. C'est pour ça qu'il ne les utilise pas et à recours à ceux de son assistant : un homme-insecte façonné par le Gardien en personne. Ce dernier était pour le moment en train d'étirer sa carcasse chitineuse au-dessus d'une pile de parchemins, de fioles et de sachets entassés sur un bureau. Les suçotements qu'il produisait sans cesse avec ses mandibules étaient assez crispant mais il paraît que la soie qu'il produit fait des miracles pour ressouder les os.


    Mais tout ceci n'était pas de nature à impressionner le Marcheur-des-Cieux, pas plus que la redoutable cuillère en bois que son vis-à-vis brandissait à son encontre comme s'il voulait le menacer de lui faire ingérer quelques unes de ses substances les plus repoussantes.
    Ecartant le bonhomme d'un geste presque absent, Luk s'est frayé un chemin dans le fourbi qui encombrait la hutte pour atteindre les couchettes disposées au fond. Pas de trace de Bjorn ici, ce qui était bon signe. En revanche il y avait un corps qui il y a peu de temps encore était une jeune femme séduisante en diable.
    Il est rare que le guérisseur officie à l'intérieur même de son "antre". Non seulement la taille ne s'y prête pas, mais il est réputé pour la jalousie avec laquelle il préserve son intimité. Seuls les cas les plus graves sont traités là ; comme Miyanne.


    Luk a retenu son souffle sous le choc. Un simple clin d'œil suffisait à voir que la belle rousse en avait bavé. Et un second pour comprendre que cet adjectif ne lui siérait plus jamais. Miyanne ne serait plus jamais la même maintenant… sa peau laiteuse avait viré au gris terne d'une teinte cendre, ses bras nus, ses jambes et toutes les parties visibles de son corps étaient striées de vilaines cicatrices rougeâtres dont certaines suppuraient. Le guérisseur avait déjà disposé plusieurs bandages et compresses sur les parties les plus endommagées et sa mandibule d'assistant était en plein travail.
    Mais le pire restait son visage. Gerçures, coupures, marbrures, brûlures, il y avait là tout un étalage de mots trop durs. Trop durs pour cette pétillante jeune femme jadis si douce…
    Un bandeau recouvrait ses yeux mais Luk pouvait voir des traînées sombres sur ses pommettes. En temps que guerrier, il avait déjà vu ça, il savait ce que ça signifiait. Ce pourquoi il n'a posé qu'une seule question au guérisseur qui se tenait à présent silencieusement à ses cotés.


    - Pourquoi lui ont-ils crevé les yeux… pourquoi… ksssssshhhin.

    Il aurait voulu se mordre le poing mais avec son casque, en était réduit à serrer la mâchoire jusqu'au seuil de la douleur et même au-delà. Le capitaine vibrait déjà d'une fureur noire qui ne s'apaiserait que dans un déchaînement de violence sans merci. Le moindre de ses muscles réclamait son tribut de sang.
    Ce n'est pas le fol Falosain qui lui a répondu, mais une autre voix provenant d'un tas de fourrures mitées jetées négligemment en travers d'un bahut.


    - Quand on tient une captive aussi jolie et aussi farouche, on s'amuse, on cogne un peu partout. Mais ce qui colle vraiment au corps des humains, c'est leur passion à détruire la beauté.

    Luk s'est redressé en grinçant des dents. Cette voix, il y avait bien des années qu'il ne l'avait pas entendue. Au point qu'il doutait de ses perceptions à présent. Le tas de fourrure s'est mis à bouger, des membres décharnés et livides en ont émergés, une tête de loup s'est redressée. Sous la tête il y avait un visage maculé d'une épaisse croûte de terre noire. L'ensemble avait les traits si crevassés qu'il en devenait difficile de distinguer l'ouverture de la bouche aux dents noires au milieu. Néanmoins, il parlait sans difficulté, d'une voix sûre et profonde.

    - As-tu déjà vu, Marcheur, comme leurs enfants aiment à briser les stalactites ou les étoiles de givre qui se forment en hiver. As-tu déjà remarqué leur besoin de défricher les entrelacements naturels ou encore l'ingéniosité dont ils font preuve lorsqu'il s'agit de donner la mort... ou bien de la dompter.
    - Nécromancie, a lâché le Marcheur d'un ton qui aurait refroidi un glaçon.

    La tête a hoché. Une main arachnéenne s'est extirpée de la masse de poils pour attraper le col d'une gourde en peau. L'étrange personnage a commencé à prendre une silhouette plus définissable tandis qu'il débouchait, humait et finalement s'envoyait une longue et généreuse rasade au goulot. Luk a croisé les bras sur son pectoral, baissant à nouveau les yeux sur sa sœur, sa compagne, son amie et sa lieutenant meurtrie.


    - Que fais-tu ici le druide ? Je te croyais mort.
    L'intéressé a rebouché la gourde avant d'agiter la tête avec quelque chose qui ressemblait à de l'amusement.
    - Je savais que je te trouverai ici, alors je suis venu. Je suis venu t'avertir Marcheur !
    Le guérisseur c'est alors animé à nouveau.
    - Tu parles, ce saoulard de Gawaïn n'a plus de gniole c'est tout ! Il est venu m'encombrer lui aussi et voilà que je me retrouve avec deux indésirables chez moi maintenant. Ouh !
    La carcasse enrobée de fourrures s'est secouée sur un ricanement sombre.
    - Huk huk huk.
    - Ah mais je m'en vais t'en donner moi du breuvage. Ouh, t'en auras la glotte noyée et les yeux flottants. Et ensuite quand tu seras trop…
    - Le ferme Falosain. Occupe toi de Miyanne plutôt.
    - Ah ça oui. Ouh ! J'y serais déjà si on me laissait œuvrer en paix ! La pauvre a déjà reçu assez comme ça pour ne pas subir les miasmes de vos paroles en plus !
    - Gawaïn, a relancé Luk d'un ton impatient, qu'est-ce que tu veux me dire ?
    - Je suis venu t'avertir Marcheur.

    Le druide a sauté au bas de son perchoir et s'est approché, tout voûté, tout cliquetant pour ne pas avoir à élever la voix. C'est d'un murmure rocailleux qu'il a repris :

    - Des larme a dit le vent, des cris a dit la sève. Ecoute bien car je ne répèterai pas. Les humains ne sont pas seuls à l'entrée du Sidh. Ils ont fomenté une alliance. Une terrible alliance. Et la mort qui étend maintenant ses ailes au-dessus de nos têtes est déjà dans notre couche. Nous tenons le serpent contre notre sein et il se délecte de notre ignorance en attendant le bon moment pour mordre.
    (La voix a soudainement semblé emplir la tête du Marcheur, faisant tourner la pièce et danser les lumières). Luk ! Luk ! N'oublie pas ce que t'as demandé le Gardien. Ce pourrait être notre perte ou notre salut.
    Là-dessus, les fourrures sont retombées sur le bahut. Le temps que Luk reprenne ses esprits, il n'y avait plus personne à l'intérieur. Etrange, insaisissable et majoritairement incompréhensible. Mais il avait sans doute une certaine forme de sagesse dans ses paroles.

    - Et bien, lui au moins il est parti. Aller Marcheur, ouste ! Ouh ! Dehors ! Dehors !
    - Ma—aa—rcheur … … … ?

    Tout le monde a retenu son souffle. Même l'insecte tisseur s'est interrompu dans son ouvrage, tous les tarses suspendus en plein tricot. Luk s'est agenouillé devant la jeune femme défigurée avec un douloureux pincement au cœur. Une nouvelle fois, les lèvres craquelées se sont entrouvertes. Le filet croassant de voix qui en est sorti était un peu plus assuré cette fois.


    - Marcheur ?
    - Miyanne… je suis…
    - Non. Je sais… de l'eau ?

    Le guérisseur a avancé une louche d'un liquide qui n'en était certainement pas mais il savait probablement ce qu'il lui fallait alors Luk l'a laissé faire. Après l'avoir fait boire, il s'est relevé et a tapoté sèchement l'épaulière du guerrier.

    - Un quart d'heure, pas plus ! Ensuite tu dégages ou je fourre ton petit casque de meneur avec des aiguilles de pin.

    Luk a opiné du chef et a délicatement attrapé les mains de la jeune femme entre les siennes.


    - Raconte moi Miyanne. Que s'est-il passé ?
    - Nous avons suivi la grotte… jusque là tout allait bien. Le cinquième humain était bien là, à l'entrée. Un gamin. Proie facile et isolée. Nous l'avons surpris sur les latrines. Tué et pendu pour l'exemple. Un avertissement pour les autres.

    Elle a subitement pris une quinte de toux qui a forcé Falosain à intervenir et délayé encore le récit déjà sporadique.


    - Ensuite ils sont arrivés Marcheur… tous.
    - Les humains ?
    - Ils sont si noirs Marcheur, oh par Mara qu'ils sont cruels ! Nous avons lutté… ils les ont tué tous et m'ont capturée. Et puis…
    Elle s'est mise à sangloter, secouée de tremblements visiblement douloureux.
    - Ils m'ont prise chacun leur tour. Violée plusieurs fois. Ils s'amusaient à me marquer après chaque passage au fer rouge. Ils m'ont ravagée Marcheur… ravagée. Ils m'ont soumise, humiliée… ils… ils…
    - Miyanne reprends toi, combien étaient-ils ? Qui était leur chef ? Est-ce qu'ils étaient équipés pour la guerre ?
    - Oui… oh oui…  ils étaient là tous autour de moi. Ils riaient et me chevauchaient… ils aaaaah ! Je veux mourir !

    Rien à faire, elle était trop traumatisée pour donner à son capitaine les précieuses informations dont il aurait eu besoin.
    - Miyanne, s'il te plaît !
    - Ça suffit Marcheur ! Tu vas la tuer ! Aller hop !
    -  KHhhhs !

    Même l'insecte s'en est mêlé. Et comme la blessée a finalement perdu connaissance,  Luk n'a pas eu d'autre choix que de se retirer. Au dehors, il restait quelques types encore vautrés par-ci par là. Sans doute le groupe qu'il avait envoyé chercher Miyanne. Il en a attrapé un par le col et l'a relevé sans ménagement.

    - Toi. Tu étais dans la grotte du passage cette nuit ?
    - Oui Marcheur… j'étais avec …
    - Qui était ton meneur ?
    - Sigurd, il est là-bas.

    Un autre Sigurd hein... Le doigt s'est pointé vers un soldat visiblement abattu, au dos voûté et vêtements défraîchis. Il se passait et se repassait les paumes sur le visage comme s'il cherchait à chasser une parcelle de cette crasse noirâtre qui lui collait à la peau. Seules quelques mèches blondes s'échappaient de son casque rond à paragnathides décorées.
    Luk s'en est approché à pas mesuré, conscient que son attitude n'était pas digne du meneur qu'il était censé incarner mais également incapable d'y changer quoique ce soit.
    Il a posé sa lourde pogne sur l'épaulière du soldat, lequel a mollement relevé la tête avec un regard trébuchant entre peur et désespoir.


    - Sigurd c'est ça ?
    - Oui Marcheur…
    - Raconte moi ce qu'il s'est passé dans la grotte du passage.

    Un profond soupir s'est échappé de sa poitrine, semblant emporter avec lui encore une partie de la vigueur qui lui restait et tassant d'avantage sa mince carcasse. Il avait en tout point l'air d'un jeune insouciant venant de découvrir la rugosité du monde adulte.

    - Nous avons cherché pendant des heures dans ce labyrinthe obscur. Les lueurs ne dansaient plus comme avant, Marcheur, et même nos torches ne suffisaient pas à éclairer notre chemin.
    - Le noir ?
    - Tout semblait si vide… si froid… si mort.

    Encore de quoi se mordiller la lèvre avec préoccupation. Le Gardien avait prédit la mort et la fin de la magie, en étaient-ce les présages ? Et soudainement, sa morgue est revenue à la charge derrière ses yeux sombres. Il a serré son poing droit, toujours ruisselant de sang noir et a raffermi sa résolution. L'ennemi qu'ils allaient avoir à combattre serait bien réel.

    - Parle moi de la suite. Comment avez-vous trouvé Miyanne ?
    - Au plus mal Marcheur… au plus mal. Elle s'était visiblement traînée dans les galeries à la force de ses bras. Ses chevilles étaient entravées par une corde grossière. Nous l'avons secourue mais elle a été incapable de nous dire ce qu'il s'était passé.
    - Il n'y avait personne d'autre ?
    - Nous avons localisé la direction d'où elle venait, sais-tu comment Marcheur ?

    Bon prince, le capitaine a mis une dizaine de mors à son impatience pour laisser à Sigurd le soin de ménager son petit effet et a hoché la tête.

    - Le sang ! Le sang ! Une traînée de sang sombre et sale qui s'échappait de son corps meurtri et qu'elle a laissé s'écouler sans pouvoir le retenir de ses doigts cassés. Tout ce sang Marcheur !

    Le soldat s'est soudainement relevé avec véhémence, visiblement sur le point de craquer. Luk s'est souvenu qu'il était l'un des amants de sa lieutenant. L'affaire prenait un tour trop émotionnel pour lui. Mais n'était-ce pas son cas aussi ?

    - J'ai envoyé un homme en reconnaissance… il n'est pas revenu. Alors plutôt que d'affronter l'inconnu, j'ai décidé de me rabattre ici pour tenter de la soigner. Et maintenant je suis là et je ne sais même pas si elle va s'en sortir…

    Aux soupirs se sont succédés les gémissements et les sanglots. Les larmes qui se sont mises à perler aux yeux du soldat ont fait déborder la coupe de Luk. Tremblant de fureur, il s'est retourné et a fait quelques pas. Ces humains voulaient la guerre… ils allaient avoir ce qu'il y a de pire en elle. Si c'est ainsi qu'ils traitaient leurs prisonniers, alors il leur serait accordé les même égards… peut-être même avec quelques raffinements supplémentaires. Mais pour cela, il allait falloir être forts. Forts et impitoyables.
    Et en entendant le jeune Sigurd renifler comme une loque, Luk a décidé de reprendre les choses en main, ou plutôt en poing.


    Se retournant subitement, il a rebroussé les quelques pas qu'il avait fait en une seule enjambée et frappé violemment le jeune soldat au visage. Ce dernier pris par surprise est tombé à terre, son casque roulant dans les herbes. Les autres ce sont relevés, surpris et alertés par ce coup d'éclat. Sigurd se tenait la mâchoire avec un air choqué, incapable de réagir mais Luk a vu avec satisfaction les prémices d'une colère indicible moucheter de braises ardentes son regard humide.

    Le cogneur l'a relevé d'une poigne ferme et a posé ses deux mains sur ses épaules, approchant son casque au point de le caresser de la pointe d'une de ses cornes.

    - Les thuadènes ne pleurent pas leurs frères et sœurs tombés Sigurd. Ils les vengent. Ils les vengent ! Les larmes de sang que tu arracheras aux tripes de nos ennemis, c'est l'honneur que tu rendras à l'élue de ton cœur. C'est de cette manière que tu offriras à Miyanne une mort digne de sa valeur, en lui envoyant des serviteurs dans l'autre monde. Un tas de serviteurs.
    Un instant s'est écoulé. Quelque chose a changé dans l'attitude de son vis-à-vis. Un net raffermissement de ses muscles et une respiration plus lourde.
    - Je comprends.

    Puis se détournant brusquement, Luk a pris un instant pour réfléchir, décochant des regards au ciel plombé avant de s'adresser à nouveau au jeune soldat.
    - Tu as bien fait de rentrer. A partir de maintenant, je te nomme lieutenant de nos armées. Tu prendras le commandement des troupes de Miyanne.

    Le jeune guerrier avait le front haut, les traits prononcés et un étrange rictus sur le coté droit, une gueule qu'on oubliait pas ; une bonne chose pour un meneur. Ce dernier lui a servi une forme de sourire féroce et asymétrique avant de se frapper la poitrine.

    - Bien Marcheur.
    - Ta première tâche en tant que lieutenant sera d'aller chercher un dénommé Sétoine, un roux à la peau pâle piquetée de tâches de rousseurs, il a aussi (ses doigts se sont agités devant son casque) un tatouage torsadé sur les joues. Tu l'informeras qu'il est nommé lieutenant à la place de Faneur-de-la-Tourbe. Ensuite ensemble, vous allez rassembler le conseil. La guerre a commencé.

    Le nouvellement promu s'est élancé avec ardeur après avoir lâché un bref salut. Luk l'a regardé s'éloigner avec l'ombre d'une satisfaction. De la vigueur et de la rage, ils n'auraient besoin que de ça.
    Il a médité un instant les dernière paroles du druide. Que voulait-il dire avec cette histoire de serpent ? Peut-être une allusion aux humains réanimés par le Gardien. Oui sans doute...
    Voilà pourquoi, lorsqu''un des nombreux homoncules qui sillonnaient le camp est venu l'avertir qu'un humain se baignait dans la rivière toute proche, le sang du capitaine n'a fait qu'un tour.


    ***


    Lorsqu'il approche enfin du tertre où se tiennent les conseils, une imposante silhouette se manifeste à lui. Les deux gaillards se dévisagent, s'adressent quelques muets signe de reconnaissance et foulent un moment les herbes ensemblent pour grimper sur le tertre. Luk est le premier à briser le silence confortable qui s'est installé entre eux.

    - Bjorn, je suis content de voir que tu vas mieux. Quand je ne t'ai pas vu chez le guérisseur, je me suis dit que je finirai par te trouver bientôt.
    - Il en faut plus pour me mettre à genoux Marcheur, a rétorqué l'autre d'un ton confiant. Et puis je n'allais pas laisser passer tout ce temps sans rien faire.
    - Cabochard va.
    Le nordique sourit.
    - C'est l'entêtement qui fera de nous des vainqueurs… ou des misérables cadavres.
    - Alors voilà ce à quoi nous en sommes réduits hein.
    - Le temps…
    - On va se battre très bientôt Bjorn, coupe Luk d'un ton acide. Et j'espère que les humains se sont bien préparés parce qu'ils vont souffrir. Le temps des douceurs est révolu. Place à la douleur.
    - Oui j'ai appris que tu faisais des promotions percutantes.
    - La vie se gagne à coups de poings mon ami…

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    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Jeudi 13 Mai 2010 à 12:29
    Oh my god ! Ce brave Luk est en train de passer du coté obscur !
    J'étais gêné pour ce chapitre, parce que la majorité de ce que je voulais raconter se passait plus ou moins avant le chapitre précédent.
    Alors une fois n'est pas coutume, retour au passé composé qu'on a rarement l'occasion de manier (et qui n'est pas des plus docile d'ailleurs).

    Chapitre plus court, parce que tout s'accélère et aussi que je suis un peu enrhummé ><.
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    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Jeudi 13 Mai 2010 à 15:16
    Ooh soigne toi bien parce que tu peux pas laisser le chapitre sans suite lol. Nan je rigole^^.
    Le druide! Il manquait plus que lui pour faire virer les choses tsss. Je crois que je suis de plus en plus adepte d'Elutrine. 
    Faudra expliquer a Luk que Maille ne regarde pas les femmes, Javel est trop vieux, Kageiha est un assexué (oué je l'imagine comme ça^^) et Sakutei occupé ailleurs, donc qu'il se venge pas sur eux!!!! Mais ça promet d'être intéressant s'il tombe dans le coté "obscur" comme tu dis. Puis j'aimerais savoir ce que va donner l'usage de l'épée en "goutte" avec un humain et d'autant plus le mélange avec Elutirne. 
    Ah pi Bjork qui revient ..ça c'est que du bonheur^^

    Bon vu que j'ai pas crié le chapitre précédent parce que j'étais un peu occupée, je peux crier doublement à celui là:
    La suiiiiiite siteplééééé :) mais soigne toi avant! (j'adore la tournure que ça prend^^)

     
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    Sakutei Profil de Sakutei
    Samedi 15 Mai 2010 à 10:26
    Oui dans la liste des meilleures choses à faire après une résurrection nous avons :

    1- Farfouiller discrètement de ci de là.
    2- Piquer un roupillon (yeah).
    3- Ne pas s'être réveillé... boh, c'est dommage.
    4- Trouver moyen de se faire attaquer par un thuadène fou furieux :D
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