• Chapitre 39 : La peau frissonne.

    Dans la clarté grisâtre d'un jour nuageux, le liquide n'est pas vraiment noir. En fait, il oscille entre le brun sale d'une eau de boue et l'encre violette sombre qu'utilisent certains scribes. Vraiment étrange et fascinant à regarder.
    Thrace incline la paume et penche la tête sur le coté. Au moindre mouvement, des volutes serpentines se coulent paresseusement sous le verre épais, comme si les deux phases colorées se caressaient sans jamais se mélanger. Il ne s'en dégage pas moins une impression particulièrement malsaine, comme s'il se cachait là un reptile patient et rusé. Un prédateur lové mais pas assoupi qui sait pertinemment qu'il séduira tôt ou tard sa détentrice par ses ondulations sensuelles. Autant d'invitations à l'étreindre, à l'embrasser, à l'avaler et à déglutir le moindre de ses anneaux pour ressentir ensuite, la piqûre brûlante de ses crochets dans le fond de la gorge. Là où il n'est plus possible de faire demi-tour.
    Franchement, ça ne donne pas envie.
    L'ondine repose la petite fiole sur son giron entre ses jambes croisées. Elle rejette la tête en arrière contre le tronc noueux d'un vénérable noyer qui a sans doute vu couler bien plus d'eau et de sang qu'elle.
    Elle, elle remue sans cesse mais lui se dresse là, paisible et immobile, figé dans cette expression creusée de rides profondes qui n'exprime rien de particulier, si ce n'est la continuité verticale d'une vie séculaire. C'est pour cette simple raison qu'elle est venue s'abriter entre ses racines. Sous sa ramure intemporelle agitée de doux frémissements, elle en viendrait presque à oublier la fièvre, la terreur, la rage et toutes ces impulsions qui guident ses pas, un par un, sur les crânes de ses vaincus. Faut-il vraiment que tout se passe par le trépas ? N'y a-t-il pas une autre manière d'être ? Evidemment que si mais on dirait que ce n'est pas envisageable pour une jeune tueuse.
    Alors elle ferme les yeux pour s'imaginer un instant qu'elle n'est qu'une gamine frivole qui se la coule douce. Comme il est agréable de rester là sans rien faire d'autre que d'écouter le bruit du vent dans les feuilles, les grincements des branches, les pépiements des oiseaux. Un brin d'herbe entre les lèvres, elle effrite entre ses doigts un peu de cette mousse grise qui s'accroche à l'écorce du noyer. Il fait moite, un temps à apprécier la caresse de l'eau… et pourquoi pas après tout ? Un rire narquois la traverse, soulevant les commissures de ses lèvres et dévoilant l'éclat nacré d'une double paire de canines un peu trop longues.

    - Bon sang, comme c'est idiot.

    Quelques tintements clairs viennent briser l'harmonie végétale lorsqu'elle fait rouler les petits récipients de verre. Thrace la rêveuse ? Non Thrace doit tracer son chemin,  qu'importent les obstacles.
    L'ondine laisse évaporer les derniers reliefs de ses désirs dans un soupir et se redresse. Le dos bien droit, elle examine une fois encore les deux fioles de poison confiées par Jetuk. S'il y a un moyen de vivre sans violence alors ce n'est pas pour elle. Et aujourd'hui son chemin passe au travers du goulot étroit de ces flacons tranquillement menaçants.
    Le bouchon lâche sa note creuse et se retrouve expédié dans l'herbe qui borde le noyer. Ça sent un peu l'encre en fait… elle éloigne le flacon et le tient à bout de bras.


    - Nan nan… Tu ne me fais pas peur.

    La première gorgée est abominable, de quoi foutre un cheval à genoux. Mais la seconde aurait de quoi coucher un troupeau entier. Quant à la troisième, pas la peine d'en parler. Des larmes montent aux yeux de la jeune fille tandis qu'elle déglutit la quatrième fois. Elle commence déjà à prendre des spasmes à la cinquième et manque de tout vomir à la sixième. Le fond, le pire dans toute bouteille, lui révèle un assortiment de claques et de sensations poisseuses qui relèguent au rang de simple désagrément l'ensemble des déglutitions précédentes.
    Fini ! Fini !
    Thrace tombe à quatre pattes, éclatant le flacon de verre dans son poing contracté. Ses doigts se serrent compulsivement autour de sa gorge. Elle voudrait s'arracher la glotte, la langue et tout ce qui compose le tube digestif. Quelle horreur !
    Des feuilles de lierre restent prisonnières de ses phalanges tandis qu'elle frappe le sol moelleux sans relâche. Elle se sent contractée, étriquée, trop serrée dans sa peau. Ses yeux exorbités veinés de bleu peinent à fixer un point précis et semblent s'animer contre sa volonté. C'est maintenant un véritable flot continu qui ruisselle sur ses joues.

    En cet instant, elle expérimente la pire sensation qu'une ondine puisse ressentir. Elle a l'impression de se dessécher. Sa poitrine secouée de halètement laisse échapper de petits gémissements plaintifs. Cherchant désespérément à respirer, elle arrache son pectoral et déchire le col de sa tunique. Ses doigts maladroits restent empêtrés dans les lanières de cuir. Elle se roule sur le sol, prise de convulsions violentes. Sa tête heurte les racines à plusieurs reprises, elle tousse, suffoque, perd sa souplesse et devient de plus en plus rigide… à l'image de ce bon vieux noyer.
    Du poison, du poison ! Jetuk l'avait prévenue mais il n'avait certainement pas pensé au fait qu'elle était une fille de l'eau. Oh bon sang ! Cette fois elle dégobille pour de bon. D'abord une purée noir d'une consistance proche d'un excrément. Puis de la bile, acide qui ravive ses spasmes. Thrace n'a pas la force de se relever, elle parvient juste à rouler sur le coté pour ne pas s'étrangler dans son propre vomi.
    Ensuite vient le sang, rouge écarlate. En passant ses mains sur ses yeux, elle s'aperçoit qu'elle en pleure également. Et puis le pire : de l'eau claire. Elle vomit de l'eau ! Elle aurait voulu crier mais ne peut rien faire pour lutter.
    Elle qui s'est toujours battue, qui a toujours bataillé ferme contre le sort, voilà qu'elle en est réduite à rester prostrée sur le sol dans cette flaque collante qui se dilue petit à petit par son propre fluide vital. L'eau ruisselle, l'eau s'échappe et à chaque goutte, c'est une partie de Thrace qui s'éteint.
    Maintenant elle comprend qu'elle va mourir ici, bêtement. La raison et la manière n'appartiennent qu'à elle. C'est entièrement sa décision, mais puérilité oblige, ça ne l'empêche pas d'en accuser quelqu'un d'autre. Et entre deux contractions, elle trouve assez de force pour croasser :


    - Mélan-arg-gie, je te dé-teste.

    Et puis plus rien.

    Sa mémoire de l'eau est fiable, elle se rappelle très s'être déjà trempée dans ce petit ruisseau. C'est probablement le même qui traverse le Sidh de part en part. Thrace laisse l'ondée courir sur sa peau et laver son corps (surtout son visage) sans se douter qu'au même instant, quelque part en amont un cartographe de sa connaissance fait exactement de même.
    Pour le moment elle est plutôt occupée à se rappeler de choses qui lui sont très probablement arrivées mais qu'elle ne trouve plus dans sa mémoire. C'est curieux comme ce n'est pas fiable.
    Par exemple, après "être morte empoisonnée", elle s'est forcément relevée pour ramper misérablement dans la forêt, les égratignures sur ses avant-bras témoignent d'un parcours laborieux. Elle a très probablement ingurgité la fiole d'eau pure offerte par Jetuk en prime des deux de poison puisqu'elle l'a retrouvé vide dans ses affaires. Il est très possible qu'elle ait fini par déboucher ici, devant ce ruisseau. Ça semble logique vu qu'elle y est en ce moment même. Donc ensuite elle a dû penser que ce serait une bonne idée de s'y régénérer. Elle a dû se déshabiller à la main sans trouver la force d'incorporer ses vêtements et s'est glissée dans le courant.
    Et maintenant ça va mieux.


    - Nettement mieux… mais quand même pas la panacée.

    Elle lèche une vilaine plaie dans le creux de sa paume et recrache les morceaux de verre qu'elle a délogé se faisant.

    - Saleté de fiole…

    Quand on parle à voix haute pour soi-même, c'est qu'on ne se sent pas très bien.

    - Ça va aller, j'en suis sûre. Je vais sortir de l'eau, changer mes vêtements et prendre un petit temps de repos avant de m'attaquer à la suite des hostilités.

    Et en général d'ailleurs, on se surestime complètement, histoire de juste se convaincre qu'on n'est pas complètement en loque.

    - Bon sang, j'ai l'impression d'être en cloque… quelle claque… Ooooh.

    En fait sortir de l'eau semble une épreuve insurmontable pour le moment alors Thrace décide de rester y méditer un peu. Elle laisse ses longues mèches étendre leurs ailes de corbeau dans le courant et s'immerge totalement en retenant son souffle.
    Les secondes s'égrainent sans qu'aucune bulle ne vienne perler à la surface. Capturer de l'air et le retenir précieusement contre son sein sans trop le presser ni le relâcher, c'est un comportement si étrange pour ondine que toutes ses pensées se focalisent autour de cette étrange illusion de solitude parfaite.
    Plus aucun lien avec l'extérieur. Les contacts intermittents qu'elle a avec les galets qui tapissent le fond lui semblent feutrés par un tissu épais et mouvant. Sentir l'eau de cette manière est tellement différent… c'est ainsi que la vivent la plupart des créatures terrestres.
    Un vide apaisant s'ouvre dans son esprit comme un grand courant d'air qui viendrait balayer les épines et les échardes. Au cœur de sa plénitude apnéique, Thrace entend alors un son grave et modulé. Des ondes qui affleurent et éveillent son attention. Qu'est ce que c'est ?


    - Eo…na…Ae

    Une voix. Les syllabes sont vives, proférées avec une conviction énergique ; c'est un cri. Thrace fronce les sourcils. Il y a autre chose, une sorte de craillement éraillé qui se superpose par intermittence…
    Et alors qu'elle se tend pour mieux entendre, sans prévenir, un véritable flot de parole la submerge.


    - Elle devait rester !
    - Merci…
    - Il s'en remettra.
    - La rive ! Han !

    La tête de la jeune fille crève soudainement la surface tranquille. Thrace hoquette, tousse et crache un peu d'eau, à demi étranglée par le choc. D'où venaient ces voix ?? Ramenant ses cheveux en arrière d'un mouvement ample, elle nage vers la berge et se hisse dans l'herbe où elle reste allongée sur le dos un moment, les mains sur le ventre. Pourquoi cette étrange impression de déjà-entendu ? C'est peut-être un signe.
    L'ondine se sent un peu perdue. Trop de choses se passent hors de sa portée pour qu'elle en comprenne tout les tenants et les aboutissants. A l'origine, elle pensait venir dans cette forêt pour se préparer et puis… tout ça est arrivé.
    Le plan B consistait alors à gagner suffisamment de force pour échapper aux fomoires ce qui semble être une réussite partielle. Oh d'ailleurs...
    Sa langue passe anxieusement sur la pointe de ses dents. Et c'est avec un frisson de déception qu'elle relève que ses canines sont toujours trop pointues. Amer constat confirmé par la pulpe de ses doigts. Abattue, Thrace laisse reposer le dos de sa main sur son front perlé de gouttelettes. Le poison n'a pas marché. A moins qu'il ne faille attendre plus longtemps… ou alors, et cette dernière hypothèse n'est pas réjouissante, c'est que la dose n'était pas assez forte.
    Mais en considérant ce qu'elle vient de vivre, Thrace estime qu'elle a suffisamment absorbé de saletés pour la journée. Elle prendra la seconde fiole plus tard, le plus tard possible, voire jamais. Après tout, entre deux maux il faut choisir le moindre, alors qu'est ce qu'il y aurait de si terrible dans le fait de devenir une horrible chose toute écorchée, laide et contrefaite qui ne supporte pas la chaleur ?
    Elle le pense avec une ironie noire mais se fait soudain la réflexion que c'est peut-être justement ce qu'attend Jetuk ; lui faire renoncer au remède tant il est répugnant. Ah ! Si c'est un piège il n'est pas question de tomber dans le panneau ! Crispée, l'ondine se redresse d'un coup et serre le poing. Le regard qu'elle décoche à la seconde fiole est encore plus noir que le liquide qu'elle abrite.
    Est-ce qu'elle deviendrait trop méfiante ? Voir le mal partout peut tuer aussi sûrement que d'être insouciante. Elle prend sa décision sur un reniflement agacé. Il est temps de reprendre les choses en main !

    Et à commencer par sa tenue. Par un étrange caprice de la nature, Thrace, fille de l'eau, aime l'odeur du cuir. Le contact de cette matière animale lui procure une sensation de vigueur et de liberté… sans compter que c'est assez résistant pour ses escapades et que le style sied à merveille à sa coquetterie.
    Tenant son masque entre deux doigts, elle sourit tendrement avant de l'enfiler par le haut. Elle a recomposé le loup qu'elle s'était créé dans la caverne des fomoires. Plus sophistiqué au sommet et laissant libre le bas de sa mâchoire. Parce que ça lui plaît et qu'elle complexe moins qu'avant sur les formes coulantes de son visage. Qui pourrait le lui reprocher à présent ? Et à titre de nouveauté, elle ajoute également une série de lanières de cuir dont l'usage n'est pas évident au premier regard ; une idée qui lui est venue depuis qu'elle a vu Kernal se battre. Elle s'en loge une sous chaque poignet et deux autres autour des reins, nouées de manière à ce qu'elles ne bringuebalent pas.

    Alors qu'elle achève de lacer ses bottes, un craquement inattendu lui fait relever la tête. Vive comme un chat, elle est déjà blottie au dos d'un charme lorsqu'une botte s'invite dans la petite clairière en bordure du ruisseau. Bon sang ! Quelques minutes de plus à batifoler et on la surprenait dans le plus simple appareil ! Rosissante mais pas moins aventureuse et curieuse, Thrace se coule contre l'arbre pour risquer un oeil.
    Une silhouette encapuchonnée arpente furtivement les rives. Du moins, on peut déduire de son dos voûté et de ses petits pas qu'il tente d'être discret. Et à bien regarder, il n'a pas l'air bien familier de l'exercice ; l'ondine pourrait le surprendre en sautant à cloche pied dans son dos.
    Il oblique à gauche, là où la végétation se fait plus dense. Avec un soupçon d'amusement, elle le suit du regard tandis qu'il se fraie un chemin tant bien que mal dans les buissons. Il ne s'en sort pas très bien si on en juge par les bris qu'il laisse derrière lui et un bref instant, sa capuche reste empêtrée dans les branches basses d'un arbuste. En tombant en arrière, le tissu brun révèle une chevelure incroyablement blonde. Le genre à se gaver de rayons de soleil pour étinceler au milieu des foules. Certes d'un charisme fou mais follement inadapté à la discrétion.
    D'ailleurs, sans doute conscient de ce fait, l'inconnu tire hâtivement la capuche sur ses traits, marquant une brève pause pour s'assurer que personne n'a rien remarqué. Encore une fois, pas très habile… Thrace l'observe à moins d'une dizaine de pas, tapie entre les herbes.
    Intriguée par cette anomalie mondaine en pleine zone sauvage, elle se pique de curiosité et décide de le filer.

    Elle jongle entre troncs et broussailles pour y lover sa mince silhouette et échapper aux regards dérobés que l'autre lance de temps à autre. A un moment, ce dernier s'interrompt pour tirer un papier froissé de sous sa cape. Il le consulte un bref instant silencieux avant de le replier et de repartir.
    Le chemin est douloureusement familier à Thrace, elle l'a emprunté il y a tout juste quelques heures dans la clarté voilée de la lune… et dans ce sens évidemment, il ramène droit sur le repaire des fomoires.
    Une bonne volée de pas plus loin, nouvel arrêt. Plus brutal cette fois. Le capuchard se baisse d'un coup et reste accroupi derrière un tronc abattu. L'inconnu vient de repérer un autre inconnu… lequel l'a repéré également mais chacun croyant visiblement être le seul à avoir remarqué l'autre. C'est une farce ! L'ondine s'amuse de plus en plus. Elle se déplace de manière à être à mi-chemin entre les deux et s'installe pour suivre la suite de cette étrange rencontre. Combien de temps vont-ils se dévisager ainsi tels deux chiens myopes qui se demanderaient lequel à le désir de manger l'autre ?
    Finalement, c'est le second inconnu qui craque, celui dont les cheveux blancs naissent autour de son crâne comme une couronne d'épis indomptés :


    - Je vous vois vous savez…
    - Oh très bien. Dans ce cas restez là bas et j'en ferai de même.

    Un instant de réflexion de chaque coté, y compris chez l'ondine. L'une des deux voix lui est familière. C'est celle de ce vieux type qui a croisé son chemin dans ces même bois quelques jours plus tôt ! Comment a-t-il dit qu'il s'appelait déjà ?? Grah pas moyen de s'en rappeler !  En revanche, une veille déduction se remet au goût du jour : c'est LUI ! Le voleur du cœur ! Le nécromancien qui a causé la mort de la plupart des fomoires !
    Soudainement beaucoup plus fébrile, Thrace replie ses jambes et entortille nerveusement ses doigts aux brins d'herbe à sa portée.

    - Hem… je ne suis pas armé, lance le vieux au bout d'un moment.
    Saleté de mensonge pour un sorcier.
    - Moi non plus mais je n'ai pas raison de vous croire et vous non plus.
    Ah. Le blond est un malin.
    - Alors que faisons nous ?
    - On pourrait en rester là, et chacun passe son chemin.
    - Vous pourriez faire confiance à un inconnu pour ne pas revenir vous attaquer dans le dos ?
    - Hmmm non en effet.
    - Nous voilà donc coincés ici pour un petit moment on dirait.
    - Je n'ai pas le temps d'apprendre à vous faire confiance vieil homme, je suis pressé.
    - Croyez bien que je suis le premier à souffrir de ce contretemps. Mais contrairement à vous, j'estime que ce détour vaut bien un petit attardement.
    - Formidable…
    - Comment vous appelez vous ?
    - Inconnu-des-bois, répond-il du tac au tac, et vous ?
    - Vous pouvez m'appeler Aan.

    Aan ? Non ce n'était pas ce nom là. Il ment. Mais visiblement ça parle au blond.

    - Ho, j'ai déjà entendu ça. Vous êtes du Temple ?
    - Vous êtes du Delta ?
    - Si je ne vous ai pas massacré à vue, c'est que je ne suis pas d'ici hein…
    - Les créatures de cet endroit sont un rien ombrageuses n'est-ce pas.
    - Vous n'avez pas répondu à ma question.
    - En effet mais je ne vois pas pourquoi je le ferai.

    La situation semble bloquée. Machinalement, Thrace cherche à vérifier la présence de ses armes avant de se rappeler qu'elle n'en a plus aucune. Du moins pas physiquement. Poisse !

    - Bon. Mon bon sire Aan, on ne va pas rester planté ici toute la journée !
    - Non… j'ai une proposition à vous faire.
    - Je vous écoute.
    - Approchez vous pour qu'on puisse parler à voix basse.
    - Pas question.
    - Mais puisque je vous dis que je ne suis pas armé !
    - Mais moi non plus je ne le suis pas !

    Maintenant, Thrace peut clairement voir l'éclat d'une lame de couteau dans le poing du blond encapuchonné. Lui aussi, il ment. Les humains sont fascinants. Un duel de menteurs qui savent l'un et l'autre qu'ils cherchent à s'entourlouper.

    - D'accord, je vais venir alors.
    - N'approchez pas ! Je reculerai d'autant de pas.
    - Ecoutez, si on continue à crier comme ça, on va finir par attirer les vrais résidents de ces lieux. Et ils ne seront pas contents de nous trouver ici, ni l'un ni l'autre pas vrai ?
    - Grumbl…

    Le blond semble remâcher la question.

    - Bon c'est d'accord, amenez vous mais laissez vos mains bien en évidence et retirez votre manteau.
    - Je viendrai avec mon manteau puisque vous gardez le votre.
    - Bon très bien ! Marché conclu.

    Quelques pas dans les broussailles dévoilent totalement le voleur du cœur. En passant à la hauteur de Thrace, il tourne la tête comme s'il avait repéré sa présence. Qu'il l'ait sentie ou non, ses yeux ne peuvent à présent voir qu'un fin nuage de brume au ras du sol. Rien qui mérite son attention. Voilà comment on devient une assassine indécelable.
    L'ondine sous forme vaporeuse se déplace lentement en épousant les contours du terrain.

    - Bah je croyais que vous n'étiez pas armé…
    - J'ai menti, rétorque le blond sans détour avec un aplomb consumé.
    - Bah… peu importe.
    - Et cette proposition ?
    - Inconnu-des-bois, vous êtes humain n'est-ce pas ? Oh pas la peine de nier, ça se voit. Permettez moi donc d'abord de vous demander ce que vous faites ici, dans un monde magique et farouchement gardé contre toute intrusion.
    - Je pourrais vous demander la même chose et au final on ne sera pas bien plus avancé ni l'un ni l'autre quand nous n'aurons pour notre service qu'une paire de mensonges.
    - Ah ah… jeune homme, vous avez une tournure d'esprit qui me plaît. Très bien, je prendrais donc le risque d'abattre quelques unes des mes cartes, libre à vous de me croire ou non. (Il se racle la gorge, ce qui produit un son particulièrement désagréable). Mais avant ça…

    Soudainement, ses doigts arachnéens se détendent vers l'ondine. Surprise, sa vapeur n'émet qu'un bref moutonnement. Elle se sent moins sûre d'elle tout à-coup. Il se passe quelque chose dans l'air, des vagues d'énergie pure ! Elle ne comprend pas vraiment, mais une chose est certaine, tout ce qui peut sortir des mains d'un nécromancien est malfaisant par essence. Il faut filer !
    Thrace se regroupe au pied d'un saule et reprend forme humaine. Il est dangereux pour elle de rester trop longtemps évaporée ici. De plus, elle est beaucoup vulnérable aux attaques magiques de cette manière. Les traits fermés sur une moue concentrée, elle se couche entre les fougères et tente de reculer lentement. En face, la conversation reprend sur une série d'interjections.


    - AAAAEh ! Qu'est ce qu'il vous prend ??
    - J'ai dit, pas de crasse.
    - Ma main !
    - J'aimerais sincèrement vous conseiller de ne pas recommencer ce genre d'astuce si vous ne voulez pas perdre un doigt… mais on dirait que c'est deux fois trop tard.
    - Vous êtes fou !
    - Allons, ne nous sous-estimons pas je vous en prie. Vous êtes un sorcier et je suis un guerrier. Ce qui fait de nous de parfait antagonistes… ou compléments.
    - Shin…
    - Hm ?

    Il se passe à nouveau quelque chose mais Thrace, trop préoccupée par sa propre sauvegarde ne voit plus rien de l'échange. Tout juste si elle capte des bribes de la discussion maintenant. Alors que son masque noir disparaît entre les tiges souples, les dernières paroles qu'elle entend la laissent perplexe. C'est la voix du blond :

    - Je le savais…

    Les humains sont une espèce vraiment dangereuse. Plus sournois que l'acier, plus dévorants que le feu, plus fuyants que l'eau. Et en plus ils n'ont aucun scrupules. Thrace marque une pause une fois revenue sur ses pas près de la rivière. Que faire ? Elle voudrait en apprendre plus, il lui semble que cette rencontre va avoir quelque chose d'élémentaire pour la suite, que ce soit de l'eau, du feu ou de l'acier. Deux intrus qui se défient et détiennent des secrets, c'est forcément important !
    Et s'il faut en venir aux mains pour apprendre ce qu'elle veut, c'est toujours possible. Par défi, elle fait naître quelques écailles d'Acier le long de son avant bras avant de les résorber.


    - Tu comprends maintenant pourquoi je les déteste…

    Son cœur manque de jaillir hors de sa boite comme un diable. La surprise lui laisse un visage complètement allumé, bordé d'une aura bleutée qui s'effiloche à mesure qu'elle recouvre son calme. Puis avec un petit ricanement sec :

    - Mélanargie… pourquoi je ne suis pas surprise salope !
    - Ne sois pas ingrate Thrace, je t'ai sauvé la vie au moins deux fois depuis le début de ton escapade.
    - La ferme ! La ferme ! Toi aussi tu es humaine !

    Un rire cristallin lui parvient, elle voudrait s'arracher cette présence de la tête mais sait bien que c'est impossible. La nécromancienne doit se servir de la goutte d'eau qu'elle a enchâssé dans le cristal de roche pour communiquer avec elle. Mais quand on s'ouvre, c'est à double tranchant…
    Souriant sous son loup, Thrace se pare d'un air de prédatrice qui vient de découvrir que sa proie n'a pas remarqué la seconde entrée de son terrier. Il suffit de remonter le courant de l'onde, comme ça oui, suivre le fux. Comme c'est facile maintenant que Sataline lui a expliqué la parenté intrinsèque qu'il existe entre l'eau et l'énergie !


    - Thrace, laisse moi te dire une chose…
    - Trop tard pour toi ! Pétasse !

    Elle la tient mais ne sait pas trop comment s'y prendre alors elle s'imagine en train de lui envoyer un magistral uppercut. Non ! Elle aurait dû lui lâcher une manchette sur la trachée pour la tuer ! Trop tard. Le coup porte, Mélanargie laisse échapper un début de râle avant de couper le contact brutalement.
    Ah ah ! Gagné !
    Jubilante, la tueuse prend maintenant conscience de la force qu'elle a récupérée dans les profondeurs de la caverne des fomoires. Un nouveau regard sur sa propre nature se fait jour sous son esprit.
    Moitié ondine, moitié monstre, fruit de l'union contre nature d'une sorcière fomoire et d'une créature aquatique. Mara, la créatrice de la nécromancie, devait avoir une idée en tête pour associer ainsi les vagues de la mort et celles de l'eau. Et elle, Thrace, abominable Emilie aux iris sombres pailletées de bleu, qu'est-elle censée faire de tout ça ?!

    - Mère, je te hais toi aussi.

    Se relevant, elle inspecte les environs par acquis de conscience. Bon, tout est calme, la clairière, l'orée du bois, la riv… non ! Décidemment, il se passe trop de choses en ce moment. Là bas, dans le courant, il y a un corps qui dérive !
    Doit-elle se porter à son secours ou le laisser passer ? Les poings sur les hanches, elle le regarde approcher. Il se débat encore faiblement pour rester hors de l'eau mais semble trop épuisé pour s'accrocher aux berges. Le courant n'est pourtant pas très fort ni le lit très profond… En tout cas, ça n'a pas l'air d'être une baignade de détente.
    Au moment où son cœur balance du coté de la vie qui palpite en elle comme une boule d'eau, une série de craquements caractéristiques montent du sous-bois. Ça, c'est le blond qui revient avec son inimitable talent pour la discrétion.


    - Poisse !

    Thrace se replie dans la végétation. Le bien nommé Inconnu-des-bois s'avance. Il semble seul mais l'ondine préfère ne pas s'approcher au cas où le nécromancien rôderait dans les parages.
    Il marque un arrête subit et se cambre. Voilà, il a remarqué le corps lui aussi. Oh ! Il faut le voir courir soudainement pour le tirer de là. Curieux… Thrace prend le risque de s'approcher à portée de voix. Elle y parvient juste au moment où le naufragé d'eau douce achève de tousser pour grincer :

    - … t'ai pourtant déjà dit de ne pas m'appeler comme ça Maille…

    L'autre éclate d'un rire insolent et lui file une bourrade amicale qui manque de les faire tomber tous les deux le nez dans le ruisseau. Et tout aussi soudainement, parce que le fil des évènements semble devoir se secouer par à-coups, une sonnerie sourde et profonde ébranle la forêt. Thrace relève la tête et se tourne en tous sens pour tenter de comprendre ce qu'il se passe.
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  • Commentaires

    1
    O-Ren-Kimi Profil de O-Ren-Kimi
    Mardi 25 Mai 2010 à 12:12
    Et voila encore un chapitre qui me plonge dans le trouble! C'est quoi la voix qui lui dit "elle doit rester là" quand elle est dans l'eau? Elutrine chez elle aussi? Intriguant les effets de ce poison :)
    Par contre la rencontre de Maille et le vieux méchant ...je me demandais quand il referait son apparition celui là. Il va faire quoi??????
    Bon maintenant que Thrace est si près de Sakutei il se passe quoi??????
    Et la seconde fiole elle va la prendre? Il aurait pas voulu lui jouer un coup d'arnaque avec ses poisons sensés la faire redevenir normale?
    Sak j'ai tout plein de questions et je t'en mets même pas le 10ième donc en gros de façon presque détournée ne tarde pas trop  à poster la suite loool^^
    2
    Sakutei Profil de Sakutei
    Mercredi 26 Mai 2010 à 15:59
    Aaah, je me réjouis de voir qu'il y a encore tant de mystère à ce niveau de l'histoire \o/
    J'aime bien quand c'est cryptique huk huk huk...

    La suite, ce soir !
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