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Chapitre 55 : Brume matinale.
J'arrive finalement dans une clairière. La lumière montante de l'aube n'ayant pas encore percé les frondaisons, il est plutôt agréable de trouver un endroit où ne plus se prendre les bottes dans les racines.
J'ai mal au bras gauche, froid et je suis affamé. Autant de raisons qui font que je décide raisonnablement de prendre un temps de repos contre un tronc abattu couvert d'une mousse douillette. Dans ce petit coin de calme, je pourrais m'assoupir là et me remplir la tête de rêves idylliques si je ne craignais pas autant le retour d'Elutrine.
Depuis la bordée de flèches empoisonnées, elle se tient tranquille. Je suppose que la moindre fibrille du parasite s'attache à réparer les dégâts subis par notre anatomie partagée. Mais je sais qu'elle patiente. Prédatrice assoupie, matoise, tapie… Alors je ne m'endors pas. Ou du moins j'essaie. Je dodeline de la tête. Mon casque pèse une tonne.
Du bout des doigts, je rajuste la visière et tombe sur l'ébréchure causée par le sabre de Kageisha. A peine une éraflure en fait. Je la sens sous la pulpe de mes doigts uniquement si je me concentre. Est-il possible que son sabre soit à ce point affaibli ? Ou bien est-ce mon casque qui est plus résistant que je ne l'aurais cru ? Je ne sais pas.
Je suis un peu inquiet pour le shinigami à vrai dire. Mais il n'a pas voulu continuer, c'est comme ça. Je suppose que je devrais lui être reconnaissant de m'avoir sauvé la vie mais je ne peux pas m'empêcher de teinter ma gratitude d'une généreuse dose de cynisme narquois en pensant à ce que cet idiot s'est mis en tête.
Il va vraiment finir par réussir à y laisser sa peau. Ce guerrier qui n'est ni homme ni rêve est complètement désespéré. Levant les bras, je m'étire en soupirant. Mara sait ce qu'il adviendra de tout ce fatras. Moi je suis trop crevé pour m'occuper de tout le monde.
Et alors que je couvre un bâillement du dos de la main, il me semble distinguer en lisière, une forme moins obscure que le reste des feuilles. Je cligne des yeux pour chasser les larmes et secoue la tête. Non, plus rien.
Je souris doucement et baisse la tête. Je connais bien cette sensation. C'est celle qui fait que dans un très bref instant, je vais sursauter parce qu'une créature –probablement de nature elfique- va me sauter sur le râble. Vérifiant que la lame-goutte coulisse proprement dans son étui, je modère mon souffle et tâche de repérer les plus infimes craquements. Une brindille, un dérangement dans l'air, une ombre qui se fait molester… je le sens, oui, ça approche dans mon dos. Là… presque… et…
- Le liseron est définitivement ma plante préférée.
Je me retourne d'un bloc, beuglant un cri de guerre admirable et dégainant mon épée. Le geste fluide, gracieux même, je loge ma lame directement contre l'angle formé par le cou et la nuque de la créature qui pensait me surprendre. Ha ! Bien vu !
Et c'est là que je me trouve subitement tout bête. Mains sur les hanches, la fille fait la moue et me dévisage d'un regard où se mêlent étonnement et lassitude. Plein de mépris aussi.
- Pfff… les humains…
Une fille, enfin une jeune femme. Profil élancé, plutôt élégante dans sa tenue de coureuse des bois. Elle n'a pas l'air armée, ce qui fait qu'avec ma réaction primaire de bûcheron de corps, je dois effectivement passer pour le dernier des barbares. Je reste bloqué sur ma grimace guerrière, cherchant l'entourloupe. Elle arrondit les lèvres.
- Ouiiii ?
- Heu… fblu…
Bon sang j'ai la gorge sèche. La fille tapote le tranchant de la lame du bout de l'index pour m'intimer de l'enlever sans doute. Mais elle mésestime le tranchant inhabituel de l'arme, l'effleurer c'est déjà bien assez.
Son regard s'arrondit de surprise tandis qu'elle considère la coulée de sang noir qui affleure paresseusement à la jointure de sa phalange… comme une confiture poisseuse. Drôle de sang.
- Tranchante…
J'acquiesce et écarte légèrement ma garde pour éviter un autre incident.
- Qui es-tu ?
- Moi ? Je ne suis qu'une fille de la forêt. Ça ne se voit pas ? Ajoute-elle, assez coquette pour se permettre une courte révérence plutôt gracieuse afin de me permettre de mieux envelopper sa silhouette du regard. Sa voix m'accroche vraiment, elle me rappelle quelqu'un. Mais je ne parviens pas à mettre le doigt dessus. Je me radoucis un peu.
- Tu es une thuadène ?
Un petit rire amusé.
- Ah, c'est que tu risques d'en rencontrer par ici tu sais !
- Mmh.
Sans préambule, elle pivote sur les talons et se lance dans une série de mouvements à m'en faire tourner la tête jusqu'à ce que ses pas la portent tout près, juste là où je ne peux plus vraiment me défendre, là où elle trouve sa place sur le tronc tout à côté de moi.
Elle tapote la mousse de sa main pâle.
- Tu veux t'asseoir ?
- Merci, ça ira.
- Comme tu veux.
- Qu'est ce que tu fais ici ?
- Je voulais te voir… te parler.
- Moi ??
Son regard brillant remonte vers ma tête dubitative. Elle sourit.
- Pourquoi pas !
Je recule de quelques pas et fauche l'herbe de mon épée d'un geste absent.
- Il faut encore que ça me tombe dessus…
- Allons bon, tu ne vas pas te plaindre qu'on cherche à te voir.
- J'ai eu ma dose ces derniers temps.
- Ah oui ?
Elle croise les doigts sur ses genoux et semble toute attentive. Elle est trop malicieuse pour être candide mais il est clair à mes yeux qu'elle dispose de ce charme joueur propre aux elfes. Ce charme mortel. Celui qui permet à l'innocence de se draper des sombres couleurs du meurtre sans perdre sa pureté. Je sais que je dois me méfier et je tâche de rester vigilant. Mais il n'y a rien de plus compliqué quand j'ai déjà dû mal à me tenir éveillé.
- Raconte ? suggère t-elle d'un ton enjoué.
Je soupire à nouveau.
- C'est encore un piège.
- Tu es trop méfiant. (Elle fronce les sourcils, ce qui rend son sourire plutôt inquiétant) Tout le monde ne veut pas ta mort…
- Pas encore.
- Tu as tout compris ! Alors raconte moi ton histoire. Je veux savoir ce qu'il t'est arrivé.
- Pourquoi je ferai une chose pareille ?
- Parce que sinon, tu vas t'endormir. Et là, il pourrait t'arriver des choses que tu ne veux pas connaître.
Je déglutis péniblement. Au moins le ton est donné. Elle entortille une de ses boucles autour de son index.
- C'est un endroit dangereux tu sais. Surtout pour de simples humains. Ceux qui s'y aventurent y survivent rarement plus d'une journée.
- Je sais ça. Je suis déjà mort ici.
- Ah ?! (Elle frappe dans ses mains). J'adore ! Tu es décidément plein de surprises !!
Si je m'attendais à une réaction de sa part… ce n'est pas vraiment à celle là que je pensais. Et mine de rien, le charme opère. Même ma trogne usée s'étire d'un sourire amical. Oui, ça pourrait être agréable pour une fois de faire comme si rien de toute ceci n'existait et que j'étais simplement en train de tailler le bout de gras dans une taverne…
Je rengaine la lame goutte. Dans ce geste, je perçois une légère odeur chargée de décomposition. Une odeur de sous-bois. C'est un bon préambule à mon histoire.
- D'accord mais c'est donnant-donnant. En échange je veux que tu me dises tout ce que tu sais sur cet endroit et la manière d'en sortir en un seul morceau.
- Oh ooooh, tu veux que moi, une fille de la forêt, je te dise comment ne pas te faire avaler par l'humus ? Tu voudrais que je gâte la sauce de cette petite cuisine ? Mais mon très cher Sakutei, je ne peux pas faire ça.
Ah. Là j'ai vraiment un seau de glace dans le cou. Et le pire c'est qu'elle a l'air sincère dans chaque syllabe.
***
Perdue, à la dérive, la petite ondine arpente toujours les bois sans trop savoir où aller. Elle cherche quelque chose qu'elle ne peut pas atteindre. Alors elle tourne en rond. C'est pénible. Démoralisant. Et le cadre ne fait rien pour améliorer son humeur morose.
Oui malgré toutes ses résolutions, son envie de gagner sa liberté, son ardeur à dompter l'indomptable, Thrace déprime.
Elle aimerait trouver une solution mais elle a gagné l'abyme, touché l'obscur, conquis l'acier et ça ne change rien. Elle ne peut pas tuer le Gardien. Elle n'a même plus envie de tuer.
La jeune fille s'arrête près d'une rivière et retire son masque de cuir pour contempler son reflet dans l'eau. Elle n'a pas besoin de lumière pour s'y mirer. Sa nature parle pour elle. L'eau lui renvoie toujours son image, celle d'un visage parcouru d'ondes perpétuelles. Un ruisseau d'expressions. Et pour le moment, la cascade de ses pommettes manque de rebondi. Elle soupire et brouille le reflet d'un revers de main. Tout pourrait être si simple.
Mais ça fait trop longtemps qu'elle serpente sur le fil du rasoir. Tout ça ne mène nulle part.
Elle chausse à nouveau son masque et rajuste les lanières par habitude. Et puis, alors qu'elle est agenouillée en train de se toiletter, un coup de vent vient déranger sa chevelure aile de corbeau. Elle grimace. Il y avait dans cette bourrasque une odeur épouvantable. Un relent qu'on ne peut pas oublier ; l'haleine du charnier. L'exhalaison d'un cadavre.
Voilà ce qui fait que ce monde tourne si mal. Il y a des nécromanciens partout. Grondant, l'ondine se relève et tire sur ses gants pour les enfoncer au bout des doigts. S'il y a encore un adepte de la magie noire dans le secteur, il va regretter le voyage. Thrace n'a toujours pas envie de tuer, mais une petite correction, ça dérouille toujours les nerfs.
Et c'est excellent pour l'ego.
***
Elle connaît mon nom. Elle sait qui je suis. Donc je suis en danger mortel.
Conclusion logique : je m'installe en face (à distance de sécurité) de cette étrange fille-forêt à la chevelure garnie de brindilles et aux ongles sales. Je n'ai plus tellement l'habitude de raconter mais j'ai toujours ce vieux réflexe qui me pousse à examiner mon auditoire avant de commencer. Elle n'est pas vilaine. Un peu livide mais sous l'éclairage gris de l'aube, c'est idéal.
Je me racle la gorge.
- Et bien, par où devrais-je commencer ? Le début ? C'est une l…
Elle fait la moue et bat des jambes dans le vide.
- Non. C'est trop long. J'ai une idée ! Commence par la journée d'hier ! Et puis remonte petit à petit. C'est la meilleure manière de faire tu verras.
Je penche la tête, interloqué. C'est la manière la plus absurde de procéder ! Inverser les liens de cause à effet… Enfin, je dois sans doute m'exécuter. S'il y a une chose que j'ai retenue des elfes, c'est qu'il faut jouer leur jeu selon leurs règles.
Cette fille veut que je raconte mon histoire ; je raconte mon histoire. Et pourtant elle me connaît. A mon avis, c'est une condition de survie. Si je la satisfais, peut-être qu'elle m'épargnera. Peut-être même qu'elle m'aidera. Les légendes du Delta ne sont pas très précises à ce sujet. Dans les récits qu'on glane de bouche à oreille, les protagonistes se font soit écharper, soit féconder, soit reviennent chez eux sans aucun souvenir. Etant donné que je me suis déjà fait répandre et que j'ai déjà hérité d'un parasite… je suppose que ça me laisse une chance d'embrasser un oubli bien confortable et de retrouver mon quotidien.
Je ne sais pas. Ça n'en vaut certainement pas la chandelle mais d'une manière ou d'une autre, j'ai besoin de ce petit moment de paix. Même simulée. Et si le simple fait de raconter des histoires prolonge cette trêve, alors je suis prêt à m'user la gorge jusqu'à ce que mes lèvres parcheminées ne renferment plus qu'un bout de langue desséchée comme du bois.
A vrai dire, je suis tellement habitué à être à la merci des autres qu'il ne fait aucun doute dans ma tête que cette jolie jeune fille pourrait me tuer sur un caprice. Alors je m'exécute de bonne ou de mauvaise grâce.
- Hier, ça tombe bien, ça va te plaire, je suis mort.
Elle sourit avec béatitude. Je sais déjà que ça va lui plaire et à part moi, je suis plutôt content de mon accroche. J'aime capter mon auditoire.
***
Tiens, non. Pour une fois ce n'est un nécromancien. Mais ça pourrait être un endroit qui leur plairait. L'odeur devient vraiment insupportable. A en flanquer la nausée. Ce n'est pas un simple cadavre, c'est un tas de corps. Un gros tas. Rien de plus. Des membres enchevêtrés, des têtes, des cheveux gluants par poignées, des yeux crevés, des molaires. Des flaques figées. De la boue partout. Des insectes qui bruissent là dedans comme au festin. Des oiseaux charognards.
L'immonde d'un champ de bataille après le désastre. C'est ici que les humains et les thuadènes se sont affrontés. La plaine est jonchée de corps. Parfois en petits monticules desquels émergent des étendards déchirés, cassés, qui pendent comme des torchons sales. Alors qu'elle passe à proximité du carnage, un gros corbeau prend son envol, prenant appui sur une hampe de lance qui se brise sous l'élan d'un craquement sec.
Thrace frissonne.
Ce qu'elle contemple. Non, c'est plus que ça. Ce qu'elle… sent, respire, touche, goûte… ce qui l'enveloppe. Ce qu'elle vit, c'est la mort. Voilà ce qu'elle ne veut plus. Ces traits figés en grimaces lacérées. Ces doigts crispés en agonies douloureuses autour de morceaux de métal fichés dans des abdomens, des mollets, des épaules ou que sait-elle encore.
Parfois ce n'est même pas identifiable. Juste des bouts de chair où la pâleur crayeuse se dispute à la boue et à la crasse.
Buttant la pointe de sa botte sur une épée piquée dans un estomac gonflé, Thrace appuie doucement sur la lame jusqu'à la faire tomber l'arme par terre. Ou du moins pas très loin. La panse pourrie éclate soudainement, lâchant un gaz nauséabond qui la fait prestement reculer. Elle se couvre le nez mais trop tard, c'est comme d'en manger.
Tournant sur le côté, elle se penche en avant, prise d'un haut le cœur et crache un filet de bile gluante avant que la série de soubresauts qui lui secoue diaphragme ne la fasse dégobiller tout de go. Elle s'étrangle, crache, jure et se redresse, yeux fermés, pour tenter de reprendre sa contenance.
Bon sang, ce n'est pourtant pas la première fois qu'elle en voit ! Mais jamais autant il est vrai. Et jamais avec un tel acharnement. Ils sont tous là, immobiles et pourtant on dirait qu'ils continuent le combat.
Thrace serre le poing. Voilà pourquoi elle doit persévérer. Non pas pour faire cesser de telles atrocités. Elle s'en moque. Non. Tout simplement pour ne pas finir comme ça. Parce que c'est laid. Et elle, la fille de la déesse noire, elle mérite mieux que ça.
Prenant du coup conscience de ce qu'elle vient de penser, elle vomit à nouveau.
***
J'étais moyennement ravi quand j'ai réalisé que le baron Mordaigle – que je croyais avoir tué – s'est avéré non seulement bel et bien vivant. Mais aussi le digne maître de mon pote Javel, lequel a rapidement tourné sa veste pour réafficher sa vieille loyauté.
Ce sapolard de baron ne s'appelait pas Mordaigle. C'était un foutu nécromancien du nom d'Hidelmark. Je n'ai pas compris comment il est parvenu aussi haut, comment il a pris la place d'un noble influent du Delta sans que personne ne s'en aperçoive mais c'était un fait, il savait manipuler la magie noire. J'en ai eu le droit à un échantillon, évidemment, parce que ça me tombe toujours dessus.
Puis je me suis enfui.
Ça ne m'a pas bien avancé évidemment. Ça ne mène jamais nulle part quand on compte dans son entourage des types retors et vicieux dont l'un d'eux se trouve justement être à la tête du campement des humains.
Le duc, chef de l'armée, le grand duc, Maille, m'a retrouvé presque aussi sec. A vrai dire, je devrais sans doute préciser pour l'honnêteté que c'est plutôt moi qui l'ai retrouvé. Au point de rendez-vous connu de lui seul. Il m'attendait. Il savait que j'allais m'enfuir. Et il savait à peu près où. Je l'ai toujours admiré pour sa clairvoyance mais clairement, ça devenait effrayant.
Alors ce bon Maille, un vieil ami malgré tout, que m'a-t-il dit ? Oh rien de bien méchant. L'habituelle fraternité entre deux hommes du même bord qui naviguent comme ils peuvent dans la même galère. Il m'a rendu mes affaires, un peu comme on rendrait ses dessous à une fille qui les aurait oubliés chez soi, et m'a tendu ma condamnation en mort en sus, pour le plaisir en somme. Seulement du bonheur, j'en avait déjà joué bien trop.
Je n'ai même pas eu le loisir d'en rire jaune, je me suis carapaté dès que j'ai pu, avec la ferme intention de décamper de la manière la plus improbable qui soit : en fonçant sur le territoire des elfes.
Maintenant j'avais au moins trois personnes puissantes déterminées à me faire la peau : la maîtresse nécromancienne Mélanargie parce qu'elle m'en voulait d'avoir déjoué sa petite machination, le seigneur guerrier des elfes au casque cornu parce que j'ai eu le toupet d'avoir de l'air dans les poumons et puis, pour conclure, mon ancien meilleur ami, Maille, le "duc de Sérénité".
On peut conclure de tout ceci que j'avais de bonne raison de me mettre au vert. De me faire tout petit, tassé dans un coin et d'attendre. Le problème c'est que j'avais besoin des elfes pour me tirer des griffes (charmantes) de Mélanargie. Pour ça, j'avais besoin de Maille pour m'aider à rencontrer les elfes. Et par voie de conséquence, j'aurais sans doute besoin de Mélanargie pour me protéger de Maille. Vu l'absurdité de la chose, ça ne m'étonnerait qu'à moitié.
Mais j'étais loin d'en mener aussi large. Je voulais pour le moment mettre de la distance entre moi et mes légions ennemis. Le problème, c'est que je n'avais pas anticipé la réaction épidermique d'Elutrine.
Le Kregg, un charmant parasite d'os qui a colonisé l'essentiel de mon corps et s'en est attaché le contrôle au moyen de fibrilles qu'elle a insinué un peu partout. C'est assez délicat de sorte que je devais continuellement lutter contre sa volonté en plus de réfléchir à une manière adéquate de sauver mes fesses.
Elutrine avait cependant quelques avantages, me dotant d'une faculté de régénération spectaculaire. Pour preuve mon bras gauche, auparavant coupé net au coude et qui s'avère maintenant parfaitement fonctionnel.
Mais la vie avec Elutrine était loin d'être facile. La serpentine garce guettait sans cesse des signes d'affaiblissement de ma volonté pour prendre possession de mon corps et déchaîner alors, sa passion personnelle pour la chasse juteuse et sanglante.
Ce n'était pas la première fois mais à chaque fois, le résultat était plus désastreux. Cette fois, j'ai repris conscience lorsque la sale bête, repue, s'est repliée dans son antre en me laissant endosser le massacre des soldats Lacevent sur le dos. Pas de chance, ce sont tous des fanatiques drogués. Le temps que j'enfourche une monture, je n'avais plus qu'à m'enfuir à bride abattue, traqué par une horde de fous furieux.
Ça ne s'est pas avéré aussi simple que ça et j'y serais sans aucun doute resté sans l'intervention providentielle du plus zélé des serviteurs de Javel. Celui-là même qui m'avait coupé le bras : Kageisha, le shinigami incarné directement hors de songes du vieux rêveur.
Vraiment, je vivais des choses fascinantes. Voir ce guerrier austère en action en était une autre. Précisément parce qu'on ne voyait rien. Juste le sifflement suraigu de sa lame et les brefs moment d'immobilité où il apparaissait en position tendue, juste après avoir frappé. Quand Kageisha combattait, les membres tombaient en cascade avant même que ses adversaires n'aient pu réaliser ce qu'il c'était passé.
Mais aussi talentueux soit-il, il ne pouvait pas tenir tête à toute une armée alors nous avons fuit ensemble.
Et puis nous avons été tué.
***
Thrace remonte maintenant le bord approximatif de la mêlée, ce qui coïncide à peu de choses près avec la lisière de bois. Les arbres ayant sans doute acculé les combattants à une mêlée impitoyable dont elle ne saurait dire qui est sorti vainqueur. La seule à tirer son tribut de tout ceci, c'est Mara.
L'ondine enjambe prudemment un bout de "truc" qui devrait posséder une sorte de botte… donc ça devait être un pied. Elle repère au loin des silhouettes voûtées. Ce ne sont pas des morts, ils bougent. Dans cet étrange contre-jour de l'aube à peine naissante, ils évoquent des figures fantomatiques. Les esprits des vaincus errant à la dérive ?
Non rien d'aussi extraordinaire bien entendu. Juste des détrousseurs de corps. Des pillards qui viennent après la curée pour se remplir les poches. Des hommes, des femmes… tous des humains. Elle le capte d'ici à leur signature aquatique. Les elfes ont plus de sève dans le corps. C'est ce qui fait leur verdeur. Mais même sans ça, il faut au moins la rapacité d'un humain pour aller se mouiller les coudes dans ce brassin immonde juste pour quelques breloques en métal brillant.
Thrace reste à distance, habillée de noir, elle sait qu'ils ne peuvent pas la voir. Et elle ne tient pas à ce que ça change. Elle ne sait toujours pas ce qu'elle cherche ni pourquoi elle s'attarde aussi longtemps auprès d'un endroit aussi répugnant. Peut-être par fascination morbide. Peut-être pour relativiser, se galvaniser, trouver du courage. Ou plus certainement, parce qu'elle n'a, de toute façon, pas grand-chose d'autre à faire pour le moment.
A court d'idées, elle s'assoit contre un tronc et ramène ses genoux sous le menton pour réfléchir. Bel endroit pour cogiter. Odeur vomitive, criaillement de corbeaux et spectacle de désolation. Il doit y avoir quelque chose de mieux…
C'est en changeant de position qu'elle remarque un autre observateur. Lui aussi est assis. Non, agenouillé pour être exact. Il ne bouge pas.
***
Les flèches tirées par les archers déments, on s'en est finalement rendu compte, étaient enduites d'un poison réputé mortel en quelques minutes. Pratiquement cloués au sol, on ne pouvait pas faire grand-chose.
C'est Elutrine qui a décoincé la situation. Du moins c'est ce que Kageisha m'a dit après, lorsque j'ai repris contact.
- Elle m'a tiré le sien.
Le problème avec lui, c'est qu'il maîtrisait mal la langue du Delta. D'une manière assez étrange cependant, il mélangeait des mots. Ce n'était pas vraiment le défaut d'élocution d'un étranger. C'était plutôt comme si l'on avait implanté tout ces mots de force dans son esprit mais qu'il avait encore du mal à faire le tri. Et je suppose que c'était le cas, d'une manière ou d'une autre.
- Qu'est ce que tu veux dire ?
- Elle a lapé la toison.
Elle l'a sauvé. Qu'il s'en réjouisse ah ! C'est encore elle qui préserve leur corps !
Le problème avec Elutrine, c'est qu'elle ne s'exprimait qu'à la troisième personne. Ne connaissant apparemment aucune autre forme de locution. Entre un métèque ahuri et une sauvageonne sanguinaire, j'étais bien embarqué.
En mettant bout à bout des morceaux de phrase, j'ai fini par comprendre que le Kregg avait pompé tout le poison hors de nos veines et se l'était… enfin s'était débrouillé avec. Pour illustrer son propos, Kageisha a relevé la manche de son vêtement ample pour me montrer la morsure ; une série de petits trous en rond tous agencés autour d'un autre plus gros.
J'aurais aimé lui demander des détails sur cet étrange suçoir… d'où ça sortait, comment, mais j'avais peur de me perdre dans sa réponse qui inclurait sans doute du vocabulaire anarchique culinaire, naval, ordurier… Bref, on s'est relevé et on a repris notre chemin.
L'endroit où j'avais repris conscience ne m'évoquait rien. Juste un bout de forêt, là où Elutrine avait jugé bon de nous emmener avant de procéder à l'opération. Vu ses capacité sensorielles, je savais que je pouvais lui faire confiance pour qu'on soit plus ou moins en sécurité mais ce n'était pas une raison de s'attarder.
Ecartant les branches à gestes imprécis, je tâchais de me raisonner pour endiguer la foule de choses dont je voulais presser le shinigami. Que faisait-il là ? Pourquoi venait-il m'aider ? J'ai fini par craquer en me prenant les pieds une énième fois dans un truc à ras le sol.
- Saloperie ! Franchement qu'est ce qu'on fout là ?! Non, plus sérieusement, moi je sais pourquoi je dois manger la terre tous les trois pas mais toi Kageisha, pourquoi t'es venu ?
- Je ne range pas la terre.
C'était vrai, il n'avait pas trébuché une seule fois. Mais quand même, ça ne répondait pas à ma question.
- Ouais ouais.
Je me suis relevé, ai épousseté mes vêtements et j'ai tenté de continuer en me fiant aux mouvements de Kageisha. Difficile, je ne voyais rien.
- Ouais ouais, ai-je répété, mais je voudrais bien savoir pourquoi t'es pas resté auprès de Javel. Après tout c'est lui que tu devrais protéger non ?
- Javerosama ?
- Heu… (j'ai tenté ma chance) oui ?
- Il m'a envoyé ici.
- Ah.
Il n'était pas expansif, ça c'était certain. J'aurais du mal à lui tirer les vers du nez. Je voulais quand même vérifier qu'il ne s'était pas planté.
- Envoyé ? T'es sûr ?
Il a paru réfléchir et puis, s'immobilisant, a hoché la tête.
- Oui. Envoyé. (puis un mot incompréhensible)
- Hmm. D'accord. Admettons. Donc Javel m'a d'abord planté un couteau dans le dos et ensuite il t'envoie toi, son meilleur découpeur de lard… qu'est ce que je suis censé en déduire ?
- Javerosama meut te protéger.
Purée, c'est qu'il ne rigolait pas. Nous avons atteint une zone un peu moins fouillis, ce qui m'a permis de me porter à son niveau. J'ai roulé des yeux.
- Arrête ton char, ça ne colle pas.
- Le Kregg…
- … ?
- …
Je sentais qu'on touchait le summum de notre échange. Au lieu de s'embarrasser à dépatouiller son registre lexical en friche, le shinigami a simplement agrippé mon bras et l'a presque tordu en le relevant.
- Ça va muer.
- Quoi je vais perdre ma peau ?
- En partie mais non, ce n'est pas ça l'important. Tuer. Oui ça va te tuer.
Je l'ai vu prendre une grande inspiration et j'ai compris qu'il allait faire un gros effort sur lui-même.
- Le Kregg est un parasite qui dévore son hôte de l'intérieur. On ne peut rien y faire. La seule manière possible de le réfréner un tant soit peu, c'est encore de recourir à la magie de ceux qui l'ont créé : la nécromancie. Et pour ça, il faut mener le processus à son terme. Il faut incorporer le Kregg pour qu'il se soumette à la volonté d'un autre. Même si cet autre doit être un nécromancien… c'est mieux que rien. Dès lors, plus aucune partie osseuse n'est visible de prime abord mais c'est une illusion nécrotique. En réalité, le bras de Sakutei sera toujours une charogne en putréfaction. Il faudra qu'il en prenne soin. Et dit lui aussi qu'il doit continuer. Il doit trouver les thuadènes et rompre le cycle. Moi à partir du moment où j'aurais recontacté mon ancien maître, je ne pourrais plus rien. Dis lui que j'ai essayé. Dis lui que je suis désolé.
***
Curieuse, Thrace s'approche de l'étrange individu qui semble comme méditer au bord de la mer de corps. Très rigide, le dos droit, sa main gauche enserre son poignet droit. Il tient la dextre devant son visage, deux doigts dépliés devant les lèvres comme pour intimer le silence à tous ces morts. Les yeux fermés. Oui, pas de doute, il médite.
C'est vraiment intriguant.
L'ondine se fait plus souple, elle se coule, à chaque pas plus liquide sans pour autant perdre sa consistance humaine. Plus légère qu'une bruine, elle s'approche lentement. Puis elle s'arrête à cinq pas. Elle ne sait pas si elle doit considérer l'homme comme une menace. En même temps, il ne ressemble pas à un homme. Non. Pas du tout.
Elle rejette ses cheveux en arrière, lissant d'une main distraite les trois longues mèches métalliques qui en font maintenant partie intégrante.
Elle a déjà vu ce genre de créature avant. Bien avant. Dans un rêve qui n'était pas le sien. Un rêve où elle est restée enfermée pendant si longtemps… Et dans ce rêve, ils cherchaient tous à la tuer. Tous, habillés de la même manière, avec ce sabre au côté.
C'est un shinigami. Impensable ! Que fait-il ici ??
***
Kageisha avait visiblement récité cette partie. Et je me sentais tout confus. Javel avait-il vraiment fait tout ça pour moi ? La marque de Mara, Hidelmark… tout ça se serait pour m'aider ? Et maintenant, coincé par son "sacrifice", il m'envoyait son homme de dernier recours pour m'aider.
Bon sang. Je baisse la tête.
- Javel… imbécile…
Et comme pour saluer cette pensée scintillante, cette bouffée de chaleur teintée d'amertume, voilà qu'une atroce odeur de mort nous assaille la gorge. Je m'arrête sachant très bien d'où ça vient. Je connais ça : c'est l'odeur d'une bataille périmée. Par Mara, nous nous dirigeons droit sur la plaine de Mag Tuired ! Malheureusement, c'est évidemment de l'autre côté que se trouvent les thuadènes.
Nous nous sommes arrêtés un court moment. Kageisha avait probablement tari sa réserve de mots pour un moment. Il ne desserrait plus les lèvres. D'un autre côté, je n'avais pas envie de parler dans cette pourriture si envahissante.
J'ai tourné la tête. Est-ce qu'on pouvait contourner ?
Un sifflement soudain. Un choc sourd. J'ai trébuché en avant. Les yeux ronds. Mais ? Je perçois un cri sec, le raclement du métal. Je me suis affalé dans les feuilles et ai accroché une paire de bottes dans mon regard. Puis un bras. Un bras ?!!
Je voulais rouler sur le côté mais la piqûre entre mes omoplates me paralysait presque totalement. C'était déjà insoutenable de rester immobile. Une voix gutturale s'est élevée :
- Chien ! Grahhh.
En tournant la tête, j'ai quand même pu voir une partie de la scène. Juste un coin sombre : l'étoffe du vêtement de Kageisha. Et en face, un homme seul. Il tenait encore un arc à la main. La piqûre… Et meeeeerde. Encore du poison. Je me suis mis à baver dans mes feuilles.
Qu'il ne s'inquiète pas pour ça.
Le Lacevent a jeté un regard furibond au shinigami. Il a désigné du doigt une zone hors de mon champ de vision d'où montaient des râles. Un type s'était probablement fait taillader. Ils étaient deux. Ils nous suivaient !
Ah bravo !
Elle ne peut pas tout faire ! Qu'il ouvre un peu les yeux !
Elle n'avait pas tout à fait tort. C'était facile de me plaindre alors que je faisais tout pour l'empêcher de prendre le contrôle sur moi. Mais j'avais appris à me reposer, un peu, sur ses perceptions.
- Tu vas mourir enfoiré. Je vais te dépecer comme une bête et je ramènerai tes oreilles au campement !
En fait je crois qu'il avait dit "couilles". Peu importe, quoiqu'il en soit, la faconde du gaillard n'a pas eu l'air d'émouvoir Kageisha. Le contraire m'aurait étonné.
Voyant que son adversaire n'avait rien à dire, l'archer a prestement lâché son arc pour empoigner un couteau de chasse à tranchant simple. Il s'est mis en position. J'ai presque senti le moment où Kageisha allait s'élancer et pour tout dire, je l'ai presque "vu", fondre sur sa cible.
Un coup net. La pause, le retour. L'archer s'est effondré. Terminé. Expulsion du sang sur les écorces. Si je n'avais pas eu aussi mal, le dos inondé de douleur, j'aurais frissonné de terreur. Mais rien, rien au monde, ne m'avait préparé à ce qui allait suivre !
- RAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHH ! PUTAIN ! PUTAIN ! CHIASSE ! BORDEL !
Ça c'était moi. Ce taré venait d'arracher la flèche plantée dans mon dos sans même prendre la peine de m'en informer au préalable. Quel enfoiré. Il a fait tourner le projectile entre ses doigts fins.
- Butté contre un os. Pas de gros dégâts. Une attelle pour imposer ton bras fera l'abordage. Mais il faut nettoyer.
- Butté-contre-un-os, butté-contre-un-os, butté-contre-un-os, ai-je grogné en boucle.
- Qu'il oublie ses pansements et ses pommades. Elle se charge de nettoyer.
Elutrine dégage de là.
Mais elle de me répondre, moqueuse, sur un air populaire :
Niah niah niaaaaah.
Mais le fait est qu'elle a ressoudé mon omoplate avant même que je n'ai fini d'abreuver Kageisha de ma fournée de meilleurs jurons, tout chauds, sortis du four de mes crémations personnelles. Là où je brûle tout ce qui m'exaspère, me blesse, me reste dans la gorge et j'en passe. Au final, je me suis relevé et je l'ai gratifié d'une tape sur l'épaule.
- Bien joué mon gars. Sur ce coup, tu nous sauves la mise.
Il a d'abord paru surpris par mon revirement. Sans doute ne connaissait-il pas la franche balourdise en vigueur dans le Delta. Entre hommes, on s'insulte sans le penser. C'est convivial.
Et puis dans un second temps, il a détourné les yeux. J'ai d'abord cru qu'il était gêné par mon attitude mais il n'en était rien.
- Pas assez rapide, a-t-il grincé.
- Quoi ? Tu rigoles ? Je n'ai jamais vu quelqu'un se déplacer aussi vite ! Non en fait je ne te vois même pas bouger.
Il a secoué la tête.
- Non. Je suis faible sur-le-champ. J'aurais dû amadouer la première flèche. Pardonnez moi maître.
- Faible ?? Faible ?!
Dites moi qu'il s'était trompé de mot ! Mais faible ? Me voyant incrédule, il m'a regardé plus franchement et a déplacé son pied en arrière. Les deux mains serrées respectivement autour de la poignée et du fourreau de son sabre. Il a opiné.
- Faible.
Il a crié.
- FAIBLE !
J'aurais bien voulu lui dire que ce n'est pas un cri de guerre acceptable, mais j'ai reçu le coup avant même de me rendre compte qu'il me frappait. Un coup porté de haut en bas, en plein sur mon casque ! Je me suis tassé sous le choc. Les deux bras écartés, j'ai senti Elutrine se ruer en avant. La chair. La chair s'est décomposée. Mâchoire, dent, os, cartilage, phalanges, ongles, griffes.
Un bruit de brisure assez nette m'a agressé les tympans. Mon bras s'est arrêté de suinter. La peau s'est reformée. Pour une raison que j'ignore, Elutrine avait décidé d'interrompre sa charge.
Lorsque j'ai pu enfin dissiper les étoiles dans mes yeux. Je ne savais pas quoi dire. D'ailleurs je m'étais mordu la langue assez rudement pour me remplir la bouche de sang.
J'ai grogné. Kageisha se tenait toujours devant moi, bras tendu vers le bas. Il… tremblait ? Oui il tremblait légèrement. J'ai vu sa mâchoire se crisper. Il a remonté son sabre devant ses yeux et j'ai vu… la lame amputée. Cassée.
- Mais que… ai-je bafouillé en retenant un filet de sang de la main gauche.
- Je suis évanoui de l'influence de mon maître. Maintenant je n'ai plus de force. Mon katana est frèle. Mes bras sont roux. Mes gestes sont lents. TROP LENT ! Je ne peux plus courir à côté d'un cheval. Je ne peux plus arrêter les flèches.
Il craquait ! J'ai tenté de le raisonner.
- Quoi t'es trop éloigné du vieux ? Hé retourne auprès de Javel s'il le faut, je pourrais m'en tirer. J'ai pas l'air mais je sais survivre hé.
- Ça ne changera rien. Je suis sorti ! Quand nous sommes…
Il cherchait ses mots. Je le cherchais du regard. Quand nous étions quoi ?
- Morts. Morts.
- Morts ?
- Et puis revenus à la vie. A ce moment j'ai perclus le lien. Et maintenant je suis faible.
Son regard s'est durci. Il a rengainé le reste de son sabre a m'a regardé.
- Ce casque que tu portes est solide. Il est encore lié à Javerosama. Il te protégera mieux que moi. Moi je ne peux plus bien. Je ne suis plus digne. Un guerrier sans adresse ne mérite pas d'être un grenier. Et si je ne suis plus capable d'accomplir une seule ponction avec certitude alors je n'ai pas de raison d'être.
- Ne sois pas idiot. Nous sommes tous comme ça nous les humains. On a des faiblesses de partout. Regarde moi, je ne fais pas trois pas sans m'étaler ! C'est pas pour ça que je vais m'ouvrir les veines !
- Pitoyable.
- Ce n'est pas pitoyable de rester en vie.
- Tu n'as pas d'honneur.
J'ai serré le poing, un poing juteux de ce liquide carmin s'échappant de mes lèvres.
- L'honneur ne te rend pas plus fort ! Kageisha, c'est sa faculté à progresser dans le chaos qui fait d'un homme ce qu'il peut être. Encaisser les coups, repartir, éviter mais toujours avancer !
- Non. Un guerrier doit vivre et penser comme s'il était mort chaque jour. Alors la terre peut s'ouvrir sous ses pas, le feu lui dévorer les entrailles, il peut se faire écraser par un rocher, se noyer dans l'océan, se voire ordonner de mourir par son maître, rien de tout ceci n'aura d'importance. Il sera capable en un instant unique d'atteindre son but, même si celui-ci est noyé dans un tumulte comme un moineau parmi d'autres au sein d'une envolée. Alors comme un aigle, il piquera et, même si tête est tranchée, il pourra finir ce qu'il a commencé.
Il récitait encore, visiblement.
- C'est ridicule.
- Tel est le bushido.
Piqué au vif, il s'est éloigné en direction du champ de bataille. Je n'ai pas pu faire grand-chose pour le retenir. Et j'ai surtout compris qu'il avait besoin d'être seul. Nos points de vues étaient tellement exotiques et étranges l'un à l'autre que nous ne pourrions jamais tomber d'accord avant une dizaine de jours.
Et je n'avais même pas la fin de la journée devant moi. J'ai desserré le poing et laissé mon sang s'égoutter lentement du bout de mes doigts. La sueur, la crasse, l'odeur du charnier proche. Je me sentais si sale. Si impropre à côté de lui, dans sa splendeur noire. Le guerrier absolu. Il n'était pas taillé pour ce monde. Maheureusement, il faut être malpropre pour survivre.
***
Thrace hésite mais elle se soucie maintenant si peu des conséquences qu'au final, elle cède à ses impulsions premières. Celles qui font son charme après tout.
- Hé. Qu'est ce que tu fais ici ?
Le shinigami ouvre les yeux. Il se fige. Très concentré. Et rabaisse les mains avec une lenteur exagérée et fronce les sourcils.
- J'ai prié près des morts pour obtenir un fort digne. Et les morts m'ont entendus. Ils t'ont envoyée.
Avec un sourire forcé par l'incongruité, l'ondine se penche en avant :
- Pardon ?
- Je te reconnais tu étais dans le domaine de mon maître. L'intruse insalubre. Il n'en sera que plus honorable de te tuer. Ou de mourir en essuyant.
- Pardon ??
Toujours très lentement, le shinigami se relève, une jambe après l'autre. Et une fois droit, une main sur son sabre, il salue très dignement la jeune fille qui lui fait face.
- Je suis Kageisha, disciple de Javerosama. Offre moi une mort digne. Une mort de guerrier, que je puisse enfin reposer dans ce champ de tombés.« Prison de verre aux parois trop lumineuses d'une engourdissante torpeur.Chapitre 56 : l'Etranglement du Liseron. »
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Commentaires
Wouhou, enfin les retrouvailles tant attendues entre le Sak et l'ondine. Enfin presque, visiblement ça sera pour le prochain épisode...
La suiiiiiiiiiiiite ! :]
Hé hé, c'est sûr qu'ils ne sont vraiment pas très loin là ^^. Mais, mais, mais... qui sait :D.
La réponse très vite ! (Demain en fait)
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Vous pouvez y aller, j'ai fait une sorte de résumé des épisodes précédent dans ce chapitre ^^. Plein de flash back et tout.