• Chapitre 57 : Mort Récurrente

    Come closer she said,
    I can't hear you anymore

    Emilie Simon – Closer

    Je suis assis dans cette même clairière dans une situation improbable, à côté d'un type qui pue le bois pourri et le faisandé et qui m'agite sous le nez une sorte d'outre de peau dans laquelle je n'oserais même pas stocker ma morve.

    - Bière ?
    - La maladie des elfes…
    - Laisse tomber.

    Il débouche la gourde et pour sa part, s'applique à la descendre goulûment. Le mouvement de déglutition de sa pomme d'adam me file la pépie. J'essaie de ne pas trop y penser et je ferme les yeux, la tête basculée en arrière pour goûter les premiers rayons du soleil qui percent à travers les branches.

    - Sale nuit hein.
    - Mmmh.

    Lui aussi il a l'air crevé.

    - Je m'appelle Gawain.
    - Sakutei.
    - Je sais, j'ai entendu Mélanargie. (Il se gratte quelque part, c'est assez bruyant). J'étais allé titiller un peu les humains mais ils sont devenus de plus en plus organisés.
    - Bah ne vous blâmez pas, ils ont une discipline de fer.
    - Mmmh, j'ai hérité d'une collection de bleus assez faibles. Et même d'une flèche dans la jambe.

    J'ouvre un œil.

    - Oh ?
    - Bah, c'est pas ce qui m'a empêché d'arracher deux trois gorges.

    Il se racle la sienne et expédie un mollard sur le côté. Je soupire. Puis, pris d'une inspiration, je retire mon casque pour me gratter la tête furieusement. Ça me démange. Foutue coupe de cheveux de Maille. En voyant ma tête, il plisse les yeux et se fait craquer la nuque.

    - Ah mais attends, je t'ai déjà vu non ?
    - Mmmh ?
    - Si ! Si ! Dans le camp. C'était il y a deux nuits.

    Je tâche de réfléchir à ce que je faisais il y a deux nuits. L'effort mental manque de me faire plonger dans un torrent de pensées confuses, éparses, en miettes. Je lâche l'affaire.

    - J'vois pas.
    - T'étais avec ce groupe de soldats.
    Je claque des doigts.
    - Mais oui ! La bête noire qui a massacré les gars de Mordaigle, c'était toi !
    - Voooooilà !
    - Ah oui, oui, oui, je m'en souviens très bien maintenant. La nuit du carnage. Les poils, les griffes et tout.
    - C'est ça !
    - D'aaaaccord. C'est après, on m'a accusé de tes crimes. Pendu par les pieds. Et puis j'ai fini par être condamné à mort par le duc. Pour faire bonne mesure.
    - Ah, les conséquences des efforts que font les humains pour trouver des explications rationnelles sont souvent amusantes.
    - Mouais…

    Purée, je suis vraiment mort de fatigue. Pourquoi je discute avec ce vieux puant qui biberonne son immondice avec délices en claquant du museau comme un chat en train de laper sa gamelle ? Et bien sans doute parce que je suis à peu près incapable de faire autre chose. Alors autant alimenter la conversation.

    - RmMh. Alors comme ça tu connais Mélanargie ?

    Il se tait, me regarde et puis commence un long "Aaaaaaah", un rien paternel. Un vieux "Aaaah" du fond des bois qui remonte assez loin. Mais pas si loin que ça. Des évènements qui se sont produits quelques années plus tôt ? Je relance. Il finit par me répondre.

    - Elle est venue ici pendant ses études. Comme la plupart des nécromanciens en fait. Ils font tous une sorte d'initiation à la magie dans le Sidh. Une épreuve, un examen je suppose. A une époque c'était plus un jeu pour nous. Ça nous changeait des éternels guerriers cuirassés venus délivrer ou piller on ne sait trop quoi. Pourchasser des gamins en robe écrue, c'est autre chose ! Un plaisir rare. Parfois on faisait de bonnes rencontres.

    Je relève la tête, interloqué.

    - Je croyais qu'il n'y avait rien que les elfes détestaient plus que la magie noire…
    Il se ride d'un sourire entendu et secoue sa gourdasse juste au niveau de son oreille :
    - Ah mais je dé-teste ça ! Cet art maudit qui a corrompu les humains ! En voulant assouvir leur soif de connaissance, ils ont créé une abomination non-naturelle. Des morts qui marchent. Des énergies contrariées. Je hais cette contrefaçon ! (Puis il se radoucit tout aussi vite, ses lèvres retombent sur ses dents jaunes). Mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas apprécier les individus. La chasse fait partie de nous, de moi. De même que l'horreur fait partie d'eux. Une fois ceci posé, puisqu'on sait qu'on doit s'entretuer, rien n'empêche d'échanger.
    - Ça me paraît un peu fumeux mais je suppose que ça se tient d'une manière ou d'une autre.
    - J'aime les visites ! Quand un humain pénètre sur mon territoire, il n'est pas rare que je discute un moment avec lui avant de décider ce que j'en ferai. Un dîner ou autre…
    Et dernièrement, j'ai beaucoup de visiteurs ! Tiens je pourrais te raconter celle que j'ai eue ce fameux soir. Au début on a pas trop discuté. J'étais d'une humeur joueuse… et elle aussi je crois. On s'est battu !

    Il frappe dans ses mains calleuses, rendant un son sec comme du bois.

    - Et quelle combattante ! Belle, racée, fine et rapide. Je dois dire que j'ai rarement été aussi excité à l'idée de me battre. C'est comme si sa simple présence me donnait envie de lui tomber dessus toutes griffes dehors et de lui racler l'échine jusqu'à l'os.

    Je commence à me sentir mal à l'aise mais il y a dans son verbiage des détails qui me fascinent. Sa manière de mélanger brusquerie et civilité. Il dégoiserait sur des détails sanglants et enchaînerait, sans transition, sur des considérations philosophiques profondes. Ce n'est pas le calme froid que pourrait afficher un pervers glacé comme Maille. Non, c'est une dualité manifeste. Ce type a un GROS problème de personnalité.

    - Et ensuite ?
    - Elle m'a mis une de ces pilées ! Ça en valait la peine. Mais elle ne s'en est pas tirée indemne non plus. Alors on a parlé. Je discute toujours au petit matin. La nuit, c'est sauvagerie, le matin c'est causerie.
    - Et l'après-midi ?
    - L'après-midi (il me sourit de toutes ses dents et se lèche les lèvres), c'est appétit !
    - Ah… heu…
    - Tranquillise toi, le jour n'a même pas encore finit de se lever. Je n'ai pas l'habitude d'avoir la fringale avant le zénith.
    Une main sur l'épaule, il me fait rasseoir de force. Ce à quoi je n'ai de toute façon pas beaucoup de résistance à opposer.
    - Alors je disais que j'ai vu cette fille, cette ondine pour être exact.
    - Une ondine ! Elle t'as dit son nom ??
    Il me fait rasseoir à nouveau, sans même me regarder. Une main distraite, arachnéenne, animée de sa propre volonté.
    - Mmmh, attends oui. A la fin… ah comment c'était déjà…
    - Ce n'était pas Thrace par hasard ?
    Il réfléchit, se passe la main sur la figure et laisse retomber son bras sur son outre gonflée. Ses doigts râblés tambourinent un court instant. Il se racle les glaires profondément et :
    - Non je crois pas. (Il décoche un glaviot gluant dans les feuilles). Enfin je ne suis pas sûr. J'ai dû mal à tout retenir.

    Moi j'en suis sûr. C'était elle. Combien y a-t-il d'ondine tueuses qui parcourent ses terres ? Thrace ! Mon cœur s'emballe. Je ne l'ai pas vue depuis qu'on s'est évadé du rêve de Javel mais… Si elle est par ici, je pourrais lui demander de l'aide. Oui, je sais que je pourrais lui faire confiance. Enfin quelqu'un de fiable. Je dois absolument la trouver.

     

    ***



    Se trouver sur un champ de bataille quelques instants avant que l'enfer de ne se déchaîne ? Brillant ! L'ondine tourne la tête vers la forêt. Pas si loin que ça…
    Le sabre s'abat brutalement devant elle, la contraignant à se concentrer à nouveau sur son adversaire. C'est pas vrai ?! Il ne va quand même pas… Elle recule, pare et croise les mains sur le manche de son épée pour imprimer un violent moulinet assez rapide pour décourager son attaque. Il fait si chaud… Elle sent son corps réagir à la caresse du soleil. Ses sens, ses mouvements deviennent toujours plus fluides. Elle n'en devient que plus rapide et alerte mais aussi plus aisément distraite. C'est toujours comme ça. Plus elle se rapproche de sa nature brumeuse et plus elle devient évaporée.
    En face, le shinigami marque son désir ardent de continuer le combat. Alors il faut continuer. Elle ne peut pas se permettre de tourner casaque. Elle l'a affaibli mais certainement pas assez pour lui présenter son dos – déjà blessé-.

    Leurs lames s'entrechoquent encore, ils prennent maintenant plus attention à leurs coups respectifs. Que ce soit en attaque ou en défense. Plus question de récolter une blessure bêtement. Chaque botte est mûrie pendant plusieurs coups machinaux qui ne servent qu'à temporiser pour réfléchir. La vitesse et les réflexes sont toujours les matières premières de cette alchimie subtile, mais l'ondine essaie d'y ajouter maintenant des développement plus complexes. Elle tente toujours de percer cette garde mais ne tient pas à se faire sabrer dans la manœuvre. Et pour le moment, vu la vitesse de réaction de son opposant, ça semble impossible. Si elle passe par-dessous, il va la poignarder d'en haut et si elle tente une attaque bondissante par le haut, il pourra sans doute se dérober avant de l'éventrer salement.

    A l'issue d'un nouvel enchaînement qui s'achève sur un roulé-boulé de sauvegarde, Thrace laisse une fine perlée de sang vermillonne sur le sol et un juron tout aussi coloré.
    Ils arrivent. Elle perçoit maintenant les cuirasses scintillantes. Les lances dressées en l'air. Les pas qui ébranlent la terre en cadence. Le roulement des tambours et les beuglantes des gradés. Elle resserre sa prise, frappe de gauche à droite, claque sur le côté et parvient à lui entailler l'épaule de ses écailles en passant par-dessus. Pas suffisant ! Elle se retourne.
    Maintenant elle a l'autre côté du champ de bataille dans sa vision. Là aussi, le spectacle est angoissant. Anxieuse, elle détaille les boucliers ronds, les casques mordorés, les panaches. Les cris – plus nombreux – et les torses nus par dizaines. Les thuadènes pratiquent l'amour vache et la guerre passionnée. Ils ne distinguent sans doute pas l'un de l'autre. Hey… il y en a même qui sont complètement nus…
    Elle hoquette d'un coup lorsqu'une mèche de ses cheveux se fait trancher nette. Le shinigami se rapproche soudainement et tente une attaque très risquée, profitant de son inattention passagère. Elle réagit instantanément. L'empêche de se rapprocher en bloquant de son épée à moitié fondue et… mais non justement ! Elle relâche aussi sec la pression et le guerrier fond sur elle. Elle croise son bras devant sa poitrine et décoche le coup sec.
    Les lames d'aciers mordent ! Elle tire. Elle crie. Oh merde. Quelque chose vient de lui rentrer dans la jambe. Elle tire encore. La douleur qui éclate soudainement dans sa cuisse l'empêche de poursuivre. Elle ne peut plus l'ignorer. Elle se rétracte, plaque sa main sur la blessure et tombe, fesses premières dans les bras d'une fille sauvagement mutilée.
    Tremblante, elle n'ose pas retirer sa main contractée autour de sa cuisse d'où dégouline déjà un gros bouillon de sang.

    - Ça fait mal…

    Ce n'est pas elle. Elle serait bien incapable de desserrer les dents. Elle relève des yeux brouillés de larmes. Oui. Elle l'a charclé. Il respire laborieusement, son vêtement lacéré pend misérablement sur sa taille, laissant voir son torse glabre et la vilaine plaie, béante, laissée par ses écailles en dents de scie. Une plaie sale, irrégulière. Lui aussi est tombé par terre.
    Thrace baisse la tête. Elle tente de juguler la souffrance qui irradie de partout mais c'est évidemment impossible à ce stade.

     

    ***



    - Monseigneur, on dirait qu'il y a des gens qui se battent dans la plaine.
    - Sans rire Grise. Je ne pensais pas que vous pratiquiez l'humour gris.
    - Pardonnez moi monseigneur, je veux dire qu'ils étaient là avant nous. Et qu'ils ne semblent appartenir à aucune des deux factions.

    Maille se frotte le menton et relève son stylet des cartes qu'il était occupé à annoter.

    - Et bien, l'emplacement n'est pas réservé il me semble. N'importe qui peut venir participer après tout. Ça nous gène pour engager ?
    - Pas vraiment non.
    - Alors allez y. Transmettez l'ordre de charge.

     

    ***



    - Semeur. Regarde là !

    Le doigt épais de Bjorn se pointe sur un duo de silhouettes noires enchevêtrées dans ce qui semble bien être un duel.

    - Ma parole, il y en qui sont bien impatients ! commente un des rares meneurs restants.

    Mais le thuadène casqué, lui, ne bouge pas. Il se tend subtilement comme si son lieutenant venait de lui filer une claque. Ce détail n'échappe pas à ceux qui le connaissent bien. Miyanne sourcille, Sétoine tique et finalement, la haute et austère forme mouvante du Gardien pose une grosse patte-branche sur l'épaule de son capitaine. Sa voix plus rugueuse qu'un vent de sable et plus grave qu'une plainte au fond d'un tonneau fait frémir les thuadènes assemblés.

    - C'est elle Semeur. C'est elle ! L'ondine. Tu dois l'arrêter à tout prix.
    - Par Mara, cette fille est plus coriace qu'une racine d'ambroisie. J'avais envoyé un assassin la trouver !
    - Très insuffisant. Mais tu n'as plus besoin de la chercher maintenant. Elle est là ! Empêche là de s'évanouir. Il faut la coincer cette fois.
    - Comment aurais-je pu savoir…
    - Tu n'as pas besoin de savoir, laisse moi cet aspect et contente toi de pouvoir.
    - Compris.

    Bjorn se gratte la barbe et profite de ce colloque improvisé pour poser les questions qui lui secouent les épis et creusent des cernes sous ses yeux jadis rieurs.

    - Pardon mais… pourquoi on se concentre autant sur une seule créature ? Elle ne va pas changer grand-chose au combat qui va suivre si je crois ce que je vois.
    - C'est ce qui compte Bjorn, lui répond Miyanne, un sourire complice sous son bandeau. Ce que tu ne vois pas.
    - Cette ondine est la fille de la déesse la mort, révèle alors le Gardien de son ton le plus vibrant. Elle EST la mort. Il faut l'arrêter.
    Quelqu'un s'en décroche la mâchoire, médusé.
    - Par Mara…
    - Précisément.

     

    ***



    Thrace au bord de l'inconscience finit par remettre la main sur une lanière de cuir et s'en sert pour garrotter sommairement sa cuisse ouverte dans la longueur. C'est de la folie. Elle ne s'en tirera pas cette fois. Elle coince son index entre ses dents et tire pour ôter son gant. Elle passe et repasse sa main nue sur la plaie jusqu'à la retirer rouge écarlate. Elle lèche le sang. Elle recommence. Encore. Elle recueille.
    C'est inhabituel mais pour elle, ça tombe sous un sens différent. Elle confond tout. Elle lape l'eau pour ne pas s'éparpiller sans réaliser que sous sa forme humaine, ça ne fonctionne pas ainsi. Que ce n'est pas en ingurgitant ce qu'elle perd qu'elle va se reconstituer. Mais elle continue. Elle couine de douleur, lape, absorbe, déglutit des gorgées épaisses où se mêlent divers fluides, morve, salive, sang… Elle a envie de vomir.

    Sa chance, c'est que son adversaire semble au moins autant hors de combat. Il comprime lui aussi sa propre plaie (et quelques autres). Son sabre est tombé. Il ne représente plus une menace pour le moment.

    En revanche, sa malchance…

    Les tremblements qui s'étaient interrompus reprennent soudain avec une intensité préoccupante. Un œil fermé par la douleur, Thrace parvient à rouler sur les hanches et les voit foncer. Cors, tambours, épées dressées.
    De l'autre côté aussi. Lances en arrêt, ils chargent tous. Et elle se trouve en plein milieu. Parfaitement incapable de bouger de là. Ils vont la piétiner ! D'après les distances inégales qui la sépare des deux lignes, elle estime qu'elle se fera d'abord piétiner par les humains – plus lourds, ça tombe mal – avant d'être réduite en purée par la mêlée.
    Elle gémit et pétrit une boule de glaise qu'elle trouve sous sa main, impuissante à faire autre chose.
    Elle pourrait tenter de s'évaporer mais dans cet état, à ce moment précis, elle devrait alors renoncer à tout. Elle le sait. Il lui faudrait plusieurs jours de dérive. Plusieurs jours perdus. Et d'ici là, il sera trop tard, elle le sent. Elle doit tenir. Frappant le sol du plat de la main, elle enrage d'être aussi stupide. Pourquoi. POURQUOI aller se battre avec ce type ?!

    Et pour couronner le tout, voilà que finalement, après des expectorations humides et des halètements mouillés, il se relève et ramasse son moignon d'arme.

    Le regard bleuté de Thrace se trempe d'une teinte de désespoir marine.


     

    ***



    Le vacarme qui enfle dans la plaine est perceptible même depuis notre clairière plus calme. Je me relève d'un coup, cette fois imité par le druide noueux. D'un signe de tête, il m'enjoint à le suivre et nous avalons rapidement les quelques buissons et trous de forêt qui nous séparent de l'affrontement. Les armées sont là, trop nombreuses, trop compactes, trop résolues. Le massacre tant désiré de Maille pour la gloire et la fraternité d'une terre qu'il cherche simplement à contrôler. Tout ces morts juste pour asseoir son pouvoir…
    Je m'accroupis derrière le feuillage vert luisant d'un arbuste aux petites fleurs jaunes.

    - C'est aujourd'hui que tout va se décider, augure mon voisin puant.
    - Comment tu sais ça ? Les druides sont voyants en plus ?
    - Les six bannières restantes des thuadènes sont rassemblées.
    - Quoi ? C'est tout ? Toute l'armée des elfes est là ??
    Il me sert un très profond :
    - Oui.
    Et dans ce oui, je note pas mal de fierté. Une fierté ancestrale. Je me gratte la joue.

    Elle est là !
    Ouais ouais, content de te retrouver Elutrine.

    Machinalement, je cherche mon casque pendu à ma ceinture et entreprend de la chausser.

    - Toutes les troupes s…

    Non elle veut dire qu'elle est là !
    La ferme ! Tu m'empêches de suivre !

    - Pardon, désolé j'ai mal entendu.
    - Réunies sous une seule. Finalement le Marcheur-des-Cieux et le Dagda Nuadien sont parvenus à unifier les guerriers.
    - Mais qu'est ce que ça change ? Les humains sont cent fois plus nombreux ! Regarde, le duc n'a même pas envoyé toutes ses forces disponibles. Il dispose de dix-neuf baronnies. Dix-neuf !
    - Il le fera en temps utile.

    Elle EST LAAAAAA !!!

    - Qu'est ce qui te fait dire ça ?
    - Tu verras par toi-même. Mais le temps va devenir plus précieux dès à présent.

    Le druide se retourne subitement vers moi et me prend le bras.

    - Tu es venu contrecarrer la nécromancie n'est-ce pas ?
    - Je… oui

    Elle EST LAAA !! LA !
    Oui j'ai pigé que t'es là ! Du calme bordel !
    Mais non pas elle, ELLE !

    Mais qu'est ce qui peut exciter Elutrine à ce point bon sang.

    - Il va nous falloir quelqu'un pour être dépositaire de ce savoir. On ne peut pas risquer de le perdre. Tu feras l'affaire. De toute façon on a personne d'autre sous la main.
    - Heu… techniquement je suis condamné à mort et…
    - Détail ! Fariboles !
    - Mais c'est très sérieux au contraire.
    - Pas tant que tu peux transmettre à ton tour avant d'être tué.

    LA, SOUS LEURS YEUX
    Elutrine mets la en veilleuse bon sang !

    - Je suis venu voir le Gardien pour éviter ça.
    - Vraiment ? Oui ce n'est pas une mauvaise idée. Lui mieux que personne sait comment combattre la nécromancie. Qu'est ce que tu attends ?
    - C'est pas si facile, répondé-je la bouche pincée. Merde, qu'est ce qu'il croit ? Qu'il suffit de toquer au Sidh pour avoir une invitation de luxe ? Il sait mieux que moi ce qui arrive à ceux qui entrent ici ! J'ai essayé !
    - Quoi tu veux rencontrer le Gardien ? Mais je t'y emmène moi, suffit de savoir se faire introduire. Les manières, vous connaissez rien.

    Et pour saluer sa propre prestance, il m'offre un combiné ricanement-rôt avant de tirer un petit couteau d'un repli de sa pelure et de se curer les ongles d'un air absent.

    - Suis moi. Mais ne perdons pas de temps. Les choses vont se précipiter.

    Enfin !

    La fille de Mara, la fille de Mara, la fille de Mara !
    Rooh ta gueule.

     

    ***



    - NON !

    Le rugissement du Gardien ébranle les rangs des guerriers massés en attente de s'élancer à  leur tour. Sur le coup, personne ne comprend ce qu'il se passe mais tout le monde pressent que c'est un danger. Alors la réaction inévitable : les thuadènes fouettés par l'alarme de leur chef grondent en échos et s'élancent d'autant plus furieusement à l'assaut.

    - Semeur, arrête la charge tout de suite ! Arrête les !
    - Trop tard… je ne peux pas…

    Bras croisés, Luk observe impassible l'avancée inexorable de la phalange humaine qui va s'écraser sur l'ondine prostrée au milieu. Cette fois elle va y passer. Ça, ça va la calmer une bonne fois pour toute. Et tout sera réparé. Mais le Gardien s'entête.

    - Il faut ABSOLUMENT arrêter les hommes. Faites sonner le cor immédiatement.

    Le Semeur de Chaos semble se crisper. Ses lieutenants reculent légèrement. En situation de combat, il n'est plus le même.

    - Le Dagda, si j'arrête nos forces maintenant, les humains vont nous éventrer.

     

    ***



    Thrace parvient à refermer ses doigts rouges de sang sur son épée au moment où le shinigami se profile pour la frapper comme un rapace affamé. Il veut en finir avant que la ruée braillarde ne les submerge.
    Les lances… Elle hurle et parvient à parer le coup de justesse. Il s'enferre dans son empressement et elle parvient à le déséquilibrer d'un coup de botte. Elle roule et tente de se remettre debout. Aussi sec, la douleur partant de sa cuisse la transperce comme une onde de choc, elle retombe sur les mains, la poitrine secouée de hoquets. Le sol tremble. Ils arrivent…

     

    ***



    Perché sur son cheval au sommet d'une éminence assez bien située, Maille ne rate pas une miette du début de l'engagement. Ses hommes n'ont pas autant de cœur à l'ouvrage que ceux d'en face mais ça viendra. Dans la furie du combat, quand ils verront que leurs frères, leurs proches, leurs cousins se font massacrer par ses barbares. Alors ils se donneront à fond.
    D'un geste, il commande la mise en mouvement des régiments lourds. Phalanges cuirassées, bataillons si serrés qu'une flèche ne parviendrait pas à percer l'ajustement des boucliers. Le signal est transmis par drapeaux. Le Croze Hermitage et le Brehan avancent sur les côtés. Comme lors du premier engagement.
    A ceci près que cette fois, ce n'est pas une unité de Mordaigle qui fonce au milieu. Les elfes le croiront sans doute lorsqu'ils verront les lances mais ce n'est pas le cas. Les braves lanciers ont été décimés. Ils ont joué leur rôle. Maintenant ils lèchent leurs plaies et moignons pendant qu'au milieu se tiennent d'autres, beaucoup plus allumés : les archers de Lacevent.

    - Maintenant… décochez.

    Un autre drapeau se lève, le roulement de tambour qui l'accompagne trouve son échos, amplifié, porté par des dizaines de peaux, puis de gorges tandis que les sergents beuglent la consigne en contrebas.
    Il ne peut pas le voir d'ici mais il sait précisément ce qu'il se passe, pour l'avoir orchestré lui-même. Avec le temps de retard prévu, la troupe centrale s'arrête dans le chaos le plus total. Les premiers rangs ne changent pas en apparence c'est derrière que ça se passe. Les soldats lâchent leurs lances factices –dont la plupart n'ont pas de fer- et décrochent leurs arcs. La désorganisation sera fatale à beaucoup. La précision sera lamentable mais ils feront de leur mieux. Et c'est ce qu'il veut.

     

    ***



    Syldane, casquée, harnachée dans son armure blanche mène la charge thuadène par l'ordre du Semeur de Chaos. Elle sait que c'est une manoeuvre personnelle pour se débarrasser d'elle. Mais pas seulement. Il est vrai que c'est aussi elle la plus vindicative de tous les meneurs restants. Et selon l'usage, en ouvrant ainsi, les thuadènes imposent le rythme le plus dur dès le début. Voir leurs frères se battre avec ardeur stimule les autres. C'est une manière de prendre l'ennemi de court.
    Elle cavale en tête, son épée de bronze au clair, encadrée par ses meilleurs frères et sœurs. Tous, comme elle, veulent se venger. La Corne Blanche a beaucoup souffert des derniers combats. Toujours au cœur de la mêlée. Le Semeur de Chaos sait identifier ses ennemis, même au sein de ses rangs. Il purge. Mais elle le fera mentir en survivant. Elle survivra et elle vengera la mort de son frère, Hédion.
    Mais pour le moment, son regard plein de hargne est fixé sur les lignes ennemies mal ajustées. Ces lanciers qu'on leur envoie sont pitoyables. Ils se sont arrêtés avant le contact ?! Elle sourit avec un sadisme atavique. C'est trop facile.  Probablement des jeunes recrues envoyées pour les fatiguer. Pas une raison pour lambiner.

    - DEFONCEZ moi ces larves ! beugle t-elle pour encourager sa troupe.

    Elle allonge sa foulée et se laisse porter par la fureur commune. Les mottes tremblent, il faut éviter les corps de ceux qui sont déjà tombés. Il faut garder l'ennemi dans l'axe. Il faut…

    - DES FLECHES !!

    Le cri se propage de gorges en poitrines mais lorsque Syldane relève la tête, elle ne voit rien. NON ! Elles viennent à l'horizontale !! L'impact la renverse littéralement. Fauchée dans les viscères. Elle tombe en arrière dans un râle de douleur et de haine frustrée. Pas même un coup d'épée… son épée qui lui glisse maintenant des doigts alors qu'elle tombe, crispée autour de l'empenne. Son casque roule dans la boue. D'autres de ses fidèles agonisent à ses côtés. La même incompréhension dans les regards. La même rage impuissante. Non ! Non ! Elle frappe du poing sur le sol boueux. Il fait si froid…

     

    ***



    La fille meurt sous les yeux effarés de l'ondine qui sentait sa propre heure venue. Elle a renoncé à se vaporiser. Sa vie n'a plus de sens si elle abandonne maintenant. Alors tant pis… elle se battra jusqu'au bout.
    Mais alors même que la guerrière farouche rend son dernier soupir pratiquement couchée sur elle, une vague revigorante la saisit. Une grande claque brûlante. Quelque chose de puissant se rue dans son organisme et enveloppe chacun de ses membres. Elle se cambre violement en arrière. Chaque fibrille de sont être, partout où elle souffre, crie, tout semble se porter au rouge. Elle sent la rage de la mourante. Elle perçoit sa rage de vivre ! Elle l'absorbe, elle la remâche, l'incorpore et la convertit en une petite boule pulsatile qui gigote comme une flamme indomptable. Une pelote d'épines brûlantes qu'elle avale. Sa gorge desséchée, ses poumons prêts à éclater, la tension… son cœur s'embrase littéralement en buvant la mort de cette fille.

    Et puis d'autres corps meurent autour. Des dizaines. Des dizaines ! Son regard éclate d'une irradiance cobalt. Des DIZAINES ! Thrace rugit alors que cet assaut d'énergies se déchaîne en elle sans trouver d'exutoire. Elle doit se battre, elle doit dépenser cet excédent maintenant !

     

    ***



    C'est la panique chez les elfes. Comme prévu. Les archers font un ravage en opérant des tirs tendus entre les premiers rangs. C'est une stratégie totalement nouvelle. Personne n'utilise les archers en première ligne, ce qui fait que tout ennemi s'entendant avertir d'une bordée de flèche va chercher des trajectoires en cloches, tirées de loin. Et s'il est bien entraîné, il va lever son bouclier et découvrir se faisant… son très vulnérable abdomen.
    Mais évidemment, ça ne marchera que le temps de la surprise. Dans un second temps, les épéistes vont arriver aux prises avec des archers qui ne peuvent se défendre qu'en se bagarrant passablement au couteau.

    - Une réussite monseigneur, commente son éminence Grise.
    - Voui. Dommage pour Lacevent.
    - Comment ça ?
    - Cette bande de fanatiques drogués s'imaginent qu'ils maîtrisent parfaitement l'art du combat sous toutes ses formes. Ils vont découvrir ce qu'est la véritable adresse quand les survivants vont opérer leur jonction.

    Effectivement, une bordée de flèche, même bien placée, ça ne foudroie jamais que quelques dizaines d'ennemis.

    - Mais tout de même, il semble qu'une bannière de plus se soit couchée. C'est inattendu. Et presque décevant.

    Maille sourit finement. Il n'y a que lui pour être "légèrement déçu" parce que son entame surprise vient de mettre à genoux près d'un sixième des forces opposantes.

     

    ***



    Le shinigami surgit, l'écume aux lèvres entre deux thuadènes livides. Son vêtement noir est facile à repérer au milieu de tout ce cuir coloré. Thrace le guettait. Elle sourit. D'un sursaut, elle se rappuie sur une paumes et claque son épée sur son sabre coupé. Sa parade d'une main incroyablement énergique manque de l'envoyer en arrière. Il se fait avaler par la charge. Un thuadène passe à portée et lui cache la vision.
    Une épée se lève. Elle pare. Un coude. VLAN. Quelqu'un vient de tomber. Thrace bondit. Sur la droite. En tendant le bras elle parvient à toucher le shinigami qui s'efforce lui, de reculer pour retrouver sa position. Ensanglantée mais avide de plus de tuerie, elle parvient même à le rattraper et à le surprendre par derrière.

    - Hep !

    Il se retourne, elle éclate son épée contre son épaule. Véritablement. La glace trop fragilisée explose en copeaux translucides qui surprennent les guerriers alentours. Levant le bras gauche, Thrace pare un coup sans même le voir – coup de chance sans doute – et se penche pour regarder son adversaire particulier dans les yeux.

    - Je dois te remercier aussi, Kageisha, disciple de Javel.

    Jamais encore son regard n'a été aussi brillant, au point de déborder du masque comme une résurgence glaciaire sur le point de se sublimer en geyser. Le guerrier noir, essoufflé, brisé, mais toujours aussi digne, ne lui répond que par un froncement de sourcils.

    - Je t'ai redonné le goût du sang ? Toi tu m'as carrément redonné le goût de la mort !

    Ce disant, à mains nues, elle frappe à mort –justement- un thuadène qui prétendait la défier et se débarrasse du corps en le bousculant sur un de ses camarades. Et puis les humains s'en mêlent. Eux aussi se fondent dans la masse maintenant. Un crétin à crête la désigne du doigt. Bientôt l'index rampe par terre. Elle exulte et lui écrase la pomme d'adam d'un coup de poing. Remonte sa paume et lui craque le nez dans le cerveau.
    Thrace renfile son gant d'un coup sec. Elle se retourne face au shinigami qu'elle a eu tant de mal à mettre à terre. Maintenant elle peut le faire. Elle croise son bras gauche devant sa poitrine.

    - En remerciement, je ne vais pas te tuer. J'ai affaire plus loin. Mais merci !

    Elle attrape un soldat par le bras et, ignorant son cri de surprise, le propulse sur la droite en lui cassant le poignet. Une épée en main. Elle baisse les yeux. Là. Elle fait sauter une autre arme du sol avec le bout de son pied et l'empoigne de la main gauche à la volée. Le carnage commence. A chaque fois que quelqu'un meurt dans son entourage, elle s'en gorge jusqu'à l'ivresse.

     

    ***



    Luk ne sait pas exactement ce qu'il se passe là bas dedans mais le Gardien a vu juste. C'est un massacre. La troupe de Syldane fauchée en un clin d'œil et maintenant, le tumulte chaotique. C'était une bonne idée d'envoyer cette frondeuse en premier plan. Histoire de jauger les forces ennemies mais c'est quand même surprenant de la voir tomber aussi vite dans ce magma de têtes.
    Mais il y a une perfection trop notable dans ce bouillon brouillé de sang. Une danse inimitable. Quelqu'un qui tue sans relâche avec une impunité presque totale.

    - Je te l'avais dit.
    - Comment fait-elle ?
    - Elle se nourrit de la mort.
    - Elle…
    - Les ondines peuvent se régénérer avec de l'eau. Mais elle, elle est hybride. Dualité d'un principe liquide meurtrier. L'agonie des autres la revigore aussi bien que l'onde pure. Là, en quelque sorte, c'est un peu comme si elle venait de se trouver une source de mort pure.
    - Abominable hérésie.
    - C'est pour ça que je voulais que tu l'attrapes Semeur. Maintenant il est trop tard pour l'arrêter. Au sein de cette bataille, personne ne sera de taille pour la tuer. Tant que des gens mourront autour d'elle, elle sera inarrêtable.
    - Ça reste à prouver. (Claquant sa main sur le pommeau de sa nouvelle épée). Bjorn.

    Le puissant nordique hoche la tête. Les anterserks n'ont pas encore dit leur mot dans cette histoire. Il est temps de réorganiser le champ de bataille.

    - Qu'importe cette fille Gardien. Nous allons vaincre les humains quoiqu'il en soit.

     

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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Jeudi 1er Septembre 2011 à 17:08

    Y'a du grabuge dans la plaine !

    Quand Thrace trace et que Sakutei fait sa bouteille... nan rien à voir mais je sais pas, c'est chouette à dire.

    Ça fait un bail que j'avais pas posté trois chapitres en une semaine. Wouhou. Peut-être un record de publication en vue :D

    2
    Moo Profil de Moo
    Jeudi 1er Septembre 2011 à 20:50

    Wouhou :D

    C'est la première fois (deuxième avec le chapitre d'avant) depuis bien longtemps que j'ai pas à revenir quelques chapitres en arrière pour me remémorer ce qui précédait. Si ça pouvait durer... :P

     

    La suiiiiiiiite :)

    3
    Sakutei Profil de Sakutei
    Jeudi 1er Septembre 2011 à 21:18

    Je fais en sorte de tenir ma résolution de rentrée :D

    Mais ça devient plus dur en fin de semaine forcément. Lundi c'était cool, presque deux chapitres d'un coup. Là il m'a fallut la journée pour finir celui-là !

    Alors, soyons fous, débridés et insane, j'annonce la suite pour demain fin d'aprem o/

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