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Chapitre 65 : Le Festin de Mara : Digestif Corsé (6)
L'ondine regarde approcher la carcasse branlante de ce qui, il y a très peu de temps elle en est certaine, était une vague connaissance de forme humaine et masculine. A présente, Sakutei tient bien plus du cadavre en décomposition que de l'être bien vivant qu'il était un instant plus tôt. Mais un macchabée inhabituel, un assemblage hétéroclite de plusieurs anatomies inter-espèces qu'on aurait assemblé à la va-vite sur un reste de corps dont la chair se détacherait par morceaux.
S'écartant provisoirement du Gardien, Thrace se raidit et fronce le nez. C'est répugnant ! Abjecte modification d'un organisme contaminé par quelque chose d'impie. Mais le pire dans tout ça, c'est qu'en plus "ça" parle. La voix est mâchonnée, criaillante et creuse à la fois. Et ce regard…
Evidemment, l'ensemble de ces observations se fait reléguer au rang de petites annotations en coin de marge lorsque les yeux bleus de la tueuse accrochent le nouveau sourire du cartographe amoché. L'os de la mâchoire inférieure est presque totalement à nu, trop large pour être d'origine et bien trop garni de petites dents pointues pour être amical. En revanche, la mâchoire supérieure est encore couverte d'un bourrelet de peau rougeâtre qui tente de passer pour une lèvre. Une lèvre retroussée comme les babines d'un molosse sur une paire de crochets recourbés vers l'intérieur. Les mêmes que possèderait un serpent. Là aussi, on ne voit pas tellement comment l'appareil dentaire pourrait rentrer dans son logement mais la créature n'a pas l'air de vouloir fermer son clapoir pour le moment. Elle respire fort, la gueule ouverte et bavouillante. En ceci, on pourrait dire que l'abomination a des restes de son hôte. La même tare : incapable de la boucler.
- Elle écoute et arpente. Elle attend. Elle guette et maintenant elle chasse ! Traque, craque et fraye enfin avec l'héritière.
Inquiète et vaguement médusée, Thrace se décale d'un pas de côté, consciente de la présence du Gardien sur sa droite. C'est le pire moment pour tailler une bavette !
- WOH ! T'es quoi ?!
- Un Kregg.
- Et… c'est quoi ? (Thrace surveille encore une réaction de la part des thuadènes mais ceux-ci ne font rien pour s'interposer.)
- C'est elle.
L'ondine en aura vu des choses dernièrement. Et des monstruosités garnies d'appendices répugnants, elle en a toute une collection derrière les pupilles. Mais ça… ça ressemble trop à une maladie pour qu'elle se contente de hausser les épaules. Elle serre le poing, de fines particules de glace de rassemblent entre ses phalanges. Est-ce qu'elle pourra dégainer une autre épée ? Oui. Il faut savoir tracer une ligne pour séparer les amis des ennemis. Ce n'est pas toujours facile, mais en situation de combat, le choix est vite fait. Il suffit de se préparer. Et puis, par acquis de conscience :
- Qu'est-ce-que-tu-veux ?
Thrace a parlé trop vite, les dents serrées.
- S'accoupler.
Visiblement, ce truc n'a pas compris la question. Ou alors c'est encore un reste de son enveloppe masculine. Thrace a déjà pratiquement chassé Sakutei de son esprit. Elle a admis avec une faculté d'adaptation remarquable que la créature faite d'os et de crissements cartilagineux n'a plus grand-chose à voir. Et à vrai dire, ça l'arrange. Si dans le fond, elle se posait quelques instants la questions, elle admettrait que ça l'ennuierait de passer un pic glacé au travers du cœur de ce brave scribouillard. Mais si c'est autre chose, un "Kregg", qui a pris possession de son être, alors ça change tout. C'est comme s'il était déjà mort. Aucun problème. Aucun scrupule. Son index la chatouille légèrement. Non aucun. Maintenant son index tapote nerveusement. Aucun hein ? Saloperie d'index fébrile. Il sait mieux ce qu'elle ressent au fond d'elle que tout le reste de son être.
- Ainsi que la déesse noire le commande. Le porteur du Kregg doit faire un enfant à l'héritière.
Alors c'est sérieux. Thrace écarte les pieds de quelques centimètres supplémentaires. Elle fléchit les genoux. Coup d'œil côté Gardien : rien ne bouge. Elle l'a suffisamment calmé pour qu'il n'en redemande pas. Ou alors il profite du spectacle pour préparer un coup fourré. La jeune fille étrécit les yeux en direction de la voix éraillée. Traquant la plus petite crispation, le détail microscopique qui trahira le début de l'engagement. Elle pressent le corps à corps.
- Elle doit prendre racine au plus profond pour que commence véritablement son règne ! Une fille de deuxième génération y pourvoira ! Ainsi parle Mara !
Là c'en devient carrément flippant. Mais l'ondine n'en décroche pas une. Elle goûte l'atmosphère par le moindre pore épargné de sa peau. Elle respire ce mélange de putrescence froide et d'immondice poisseuse par toutes ses écorchures, coupures, entailles et blessures. Elle absorbe la crasse de l'instant, comme une eau qui cascaderait en pluie sur un morceau de viande faisandée et coagulerait plus bas en flaque grasse et opaque. C'est ce que fait l'eau. Elle épouse les formes, elle nettoie. Mais en aucun cas, l'eau ne s'accouple avec des curiosités maxilaroserpentiformes !
Ayant donc copieusement saturé ses perceptions d'impressions malsaines, Thrace lit l'attaque du Kregg avant même que celui-ci ne se lance. Elle le voit décocher son bras gauche haut pour tailler verticalement. Il lui suffira de parer, puis de dévier son coup de pied en inclinant la tête pour éviter la mâchoire. Là elle pourra riposter, dans ce petit espace vulnérable et tellement pratique. En espérant que Sakutei a légué cette sensibilité si typique au Kregg. Une seule manière de le savoir.
Thrace pivote brusquement sur le côté. Le Kregg rate complètement son attaque. Elle durcit son avant-bras à l'Acier, bloque du gauche, serre le poing droit. Souffle d'air au-dessus de la tête, elle se penche, la mâchoire difforme claque dans le vide. Coup sourd sur le bras gauche. La douleur la titille à peine. Jouant de l'impact, elle s'accroupit et rassemble encore de l'énergie dans son poing droit, compact et dur à s'en faire sauter les phalanges. Elle ferme les yeux, prend un grande inspiration et frappe ! Le coup brutal à faire pâlir un colosse soulève pratiquement le Kregg et le fait retomber en arrière. En plein dans l'entrejambe.
- Voilà pour tes velléités de reproduction.
Thrace se redresse, une grimace étrange sur le visage. Le Kregg lui saute dessus en battant des deux bras. Un rire fou. L'image de la démence.
- Que…
Elle tombe en arrière sous le choc. Le bras gauche se lève à nouveau. Il se déforme ! Il prend un aspect de faucille. Thrace se crispe. Une épée de glace ! Il lui faut une arme maintenant ! Elle relève le poing. La lame cristalline empale proprement le Kregg dans le défaut de l'épaule en se formant mais ça ne bloque pas pour autant son mouvement. Dans un craquement beaucoup trop audible, il dédaigne la blessure et plante son membre torturé dans la terre à quelques centimètres dans la tête de l'ondine. Tout juste si elle est parvenue à le dévier ! Thrace croise le bras gauche devant son visage lorsque l'abomination descend pour la mordre. Les écailles d'acier accueillent sa dentition d'un revers bien senti mais ça ne suffit pas. La résistance de cette chose est invraisemblable ! Il continue à éventrer le sol, tentant en vain de planter sa faux dans un point vulnérable mais Thrace tient bon, elle maintient sa prise sur l'épée de glace passée en travers de son omoplate – du moins en théorie – ce qui empêche la créature de l'atteindre. Du bras gauche, elle lui scie littéralement les molaires pour éviter la morsure qu'elle imagine venimeuse. A terre, assaillie par la bête. N'importe qui d'autre jugerait la situation désespérée mais Thrace en a simplement trop vu pour s'arrêter à une conclusion aussi hâtive. Elle s'est tirée de situations bien plus critiques. Quoi, juste les deux bras occupés ? Ça lui laisse quantité d'autres membres pour se dépêtrer. Elle commence par les genoux, à coups répétés. Puis, comme ça ne suffit pas, elle mobilise ses abdominaux pour se redresser. Sakutei était lourd (surtout verbalement) mais la nouvelle version osseuse est plus légère, sans doute en raison de la masse de chair en moins. Ça se tient. L'ondine parvient à se dégager le dos du sol mais sa position est trop précaire pour qu'elle puisse véritablement se relever. Il va falloir faire mieux que ça. En sueur, les lambeaux de sa tenue collés à la peau, le sang pulsant hors de ses plaies et l'impression d'avoir avalé un godet de magma, Thrace a le feu au corps. Et puis soudainement, elle réalise que de loin, leur position cavalière doit effectivement faire penser à…
Ça commence doucement mais inexorablement, fatalement, une secouée de rire nerveux saborde tout ses efforts. NON ! Pas maintenant !
Il faut qu'elle utilise tout son corps, toute sa tête !« Chapitre 65 : Le Festin de Mara : Digestif Corsé (5)Chapitre 66 : Le Festin de Mara : Reliefs (1/3) »
Tags : thrace, kregg, bras, gauche, coup
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Commentaires
Wouhou, la suiiiite :)