Par
Sakutei dans
l'Hiver de l'Homme le
22 Avril 2010 à 16:44
Vingt-et-unième Fragment :
Quintus était déjà sur ses pieds avant la fin de la phrase. Il regarda autour de lui comme un chiot apeuré avant de franchir d'un bond les trois pas qui le séparaient de l'ouverture. Une fois encore, sa tête oscilla par à-coups saccadés comme s'il redoutait de voir surgir une charge céleste furibarde emmenée par un grand blond costaud. La voix de Xylarm le ramena à une réalité plus clairvoyante.
- Ne t'excite pas comme ça, s'il y avait vraiment un danger, tu crois que j'aurais continué à discuter tranquillement avec l'autre idiot du village ?
Quintus a fait volte face et empoigné fermement le chambranle de la porte pour écluser une partie de sa nervosité.
- On ne peut pas rester là Xyl' !
- Allons Quintus ! Calme toi, on dirait une fillette qui vient de voir une araignée sur son oreiller.
- Mais bordel !
- Assieds toi, lui intima la tueuse avec un regard pénétrant.
Sifflant entre ses dents, Quintus se rendit à son expression autoritaire et se passa les nerfs en tisonnant inutilement les cendres du foyer presque éteint.
- Bon, le Chien est passé ici ce matin et alors ?
- Et alors ?! On est dedans jusqu'au cou ! Ce fumier de Meneur de Crâne lui aura certainement indiqué la direction qu'on prenait et maintenant on est coincé !
- Peut-être… mais je n'y crois pas.
Quintus arrêta son manège et jeta la petite baguette directement dans l'âtre d'un geste rageur.
- Ah oui ?!
- Oui. (Elle se pencha en avant, faisant retomber quelques mèches de ses cheveux autour de ses cornes). Réfléchis, si le bouffeur de raisin avait voulu nous tuer ou nous livrer, pourquoi ce serait-il contenté de nous rencontrer comme ça ? Il n'avait qu'à nous tendre une embuscade ou… je ne sais quoi.
- Je ne sais pas Xyl', c'est un sorcier, grommela Quintus avec un lourd sous-entendu qui signifiait qu'à son avis, ce simple fait démontrait une profonde tare qui pouvait s'exprimer de bien des façons.
- Oui mais tu admettras qu'il aurait pu s'y prendre autrement.
- Admettons… et alors ?
- Alors je pense qu'il ne roule plus pour le Chien. Il doit mener sa barque en solitaire.
Maintenant qu'elle en parlait, il y avait aussi cette étrange rencontre avec Tranche-Tempête et (parce qu'il fallait bien lui trouver un nom) Crâne d'œuf. Le premier avait bel et bien tenté de le trucider avec tout le rugueux du terme mais la seconde avait tout flanqué par terre, au propre comme au figuré pour le laisser pantois avec une dague sur la glotte. De quoi rendre muet la plupart des hommes. Décidément, les sorciers avaient un grain.
- Bon d'accord. Il joue sa partie tout seul. Qu'est ce que ça change avec le fait qu'on soit pratiquement dans la pogne du Chien ?
- Je pense qu'il ignore totalement notre position. Il a simplement dû déduire que nous irions au sud pour trouver les hartucks.
- Je savais que c'était une idée foireuse…
- Non écoute moi ! On a été retardés dans la montagne mais ça, il doit l'ignorer.
Xylarm releva un regard soudainement particulièrement brillant sur son compagnon d'infortune :
- Le Chien doit nous chercher plus en avant. Nous sommes derrière notre poursuivant !
A l'issue de cette déclaration, Quintus se gratta la tempe et resta plongé dans ses réflexions. L'idée faisait son chemin. Il soupira et tira une nouvelle pomme du tonneau qu'il fit rebondir un instant dans le creux de sa paume.
- Tu veux dire qu'on est passé au travers des mailles du filet ?
Xylarm hocha la tête silencieusement. Le regard gris de l'homme s'égara un instant sur son visage inhumain avant de se parer du pétillant qui précède les grands éclats de rire.
- Ah ah AAH ! Il nous a raté ! AAHAHAHAH !
Il s'esclaffa avec brutalité, dénouant un paquet de nerfs par la même occasion et croqua à belles dents dans le fruit ridé.
- Il faut quand même rester sur nos gardes, tempéra la jeune femme. Si le Chien pose les bonnes questions, il s'apercevra vite que nous ne sommes pas passés et il nous cherchera ailleurs. Mais à présent, c'est nous qui avons un coup d'avance sur lui.
Quintus opina du chef et expédia le trognon dans les cendres. Il se releva et se fit craquer les épaules. Pas moyen de se réchauffer dans cette casemate, il avait l'impression d'avoir froid depuis le moment où il avait eu la note du nécromancien entre les mains il y avait de ça un jour… ou un an.
- La seule question est donc, comment allons nous utiliser cet avantage ?
- Pour ça c'est simple Xyl', on disparaît sans laisser de trace et il ne nous trouvera jamais. Il va nous falloir des déguisements et quelques contacts bien choisis qu'on fera disparaître (eux aussi sans trace) derrière nous.
- Hmmmm.
- Ecoute, on rebrousse chemin vers le monarquement. Apparemment ils ont eu un problème et je n'ai pas l'impression qu'ils nous gêneront.
Quintus faisait allusion à l'étrange lueur d'incendie qu'ils avaient découvert au matin. Si le monarquement avait entièrement brûlé, il y avait peu de chance pour qu'ils s'activent à les chercher en effet.
- Je sais qu'il y a un village pas loin où ils se ravitaillent, reprit-il. Là on devrait pouvoir trouver ce qu'il nous faut pour un long voyage au sud-est.
La démone des lames releva les yeux, interloquée.
- Au sud-est ?
- Tu as bien entendu. Au sud-est.
- Mais c'est…
- La direction du cœur des terres d'Obsyde, je sais bien.
Quintus attrapa un des débris de la porte et s'accroupit dans la poussière pour tracer une carte grossière. Sa compagne se leva pour l'observer avec un air dubitatif. L'homme en tenue de cuistot tentait de représenter la forme allongée et tordue du royaume avant d'y adjoindre la nuée de petits territoires francs qui en délimitaient jalousement les frontières.
- Bon, le Chien sait que nous n'avons pas intérêt à revenir sur les terres de Zalnash, dit-il en pointant le nord. Pour le moment, il nous cherche dans les zones sauvages, au sud et sans doute à l'ouest. (Quintus s'interrompit un instant pour ajouter quelques détails sur son dessin). Nous pourrions aller au nord-ouest ou encore chez les Astagands de l'autre coté de la Mer Froide mais pour ça, il nous faudrait obligatoirement franchir un col… ce qui n'est pas idéal. Il y a tout un tas de directions qui pourraient convenir à des fugitifs en fait. Mais jamais il ne nous cherchera au cœur même du royaume.
Quintus releva les yeux sur sa compagne et lui servit un sourire encourageant.
- Crois moi, une fois dans la capitale, nous serons invisibles. La foule offre ce genre de discrétion. Bien sûr, c'est risqué parce que nous allons devoir franchir des plaines de plus en plus peuplées le plus discrètement possible.
Xylarm frotta à nouveau l'une de ses cornes pour réfléchir.
- C'est très risqué, souligna t-elle d'un ton mesuré. Ça ne nous éloigne pas tellement du Chien et puis je ne suis pas très… appropriée pour la discrétion.
Elle désignait sa propre apparence. Les flocons ne tombaient que lorsqu'elle déchaînait son pouvoir mais il est vrai qu'elle dégageait en permanence une aura de froid assez intense pour surprendre. Ceci étant sans compter les cornes et autres effets de pointes bien sûr. Quintus se releva en se massant les genoux.
- C'est justement pour ça que ça va marcher. Jamais il n'ira nous chercher là bas.
- Je ne sais pas…
Leurs cogitations furent soudainement interrompues par un cri… ou plutôt une imprécation venant de dehors. Bon sang ! S'étaient-ils trop attardés ? Immédiatement, Quintus pensa au hartuck timoré qu'ils avaient laissé filer. Une erreur ! Et si, aussi invraisemblable que ce soit, il était allé prévenir le Chien ?
- Merde !
Il tira son glaive et sa nouvelle dague et se rua dehors, prêt à en découdre avec qui que ce soit, talonné par sa glaçante compagne déjà hérissée de ses mortels aiguillons.
- Les voilà !
- Haye Hoooooye !
- Que ?
- Hougraaaah !
Leur accès belliqueux fût aussitôt noyé dans le lac d'acclamations pittoresques.
Ce qu'ils avaient devant les yeux dépassait l'entendement. Une foule compacte de gaillards trapus et rébarbatifs. Un véritable troupeau de bœufs épais, barbus, chevelus et musclés à en faire frémir les plus braves.
Une belle bande de hartucks quoi.
Quintus s'offrit une bonne rasade de perplexité dont il trouva un écho amplificateur chez sa voisine.
Une belle bande de joyeux hartucks avec des couronnes et des colliers de fleurs.
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