• Le vent s'engouffre dans l'ouverture, mon chignon cède et libère mes cheveux qui s'égaillent dans le chaos le plus total. Ecartant les mèches à gestes distraits, je tente de percer le nuage de méthane. Au loin, j'aperçois les saillies soudaines des boucleurs fous. Ils vont me tomber dessus bientôt. Je ne devrais pas aller par là. Je me penche au-dessus de l'ouverture et regarde vers le bas. C'est insondable, effrayant.
    Je me recroqueville et me prends la tête entre les mains. Echevelée, asphyxiée, moulue, partiellement dénudée… qui suis-je face au Canablat ? Je dois réfléchir. Sur la gauche, il y a une autre grue guettant paresseusement dans le vent comme un oiseau de proie. C'est peut-être mon salut. Un léger détour dans les couloirs m'amène en face de l'engin.
    Il faut que je démolisse une autre surface transparente avant de parvenir à refermer mes doigts sur le crochet qui se balance lentement à quelques centimètres du bâtiment. Et puis crocheter les jambes autour du gros câble en acier tressé et grimper à la force des bras.
    L'exercice est intenable, je glisse trois fois, m'écorchant les jambes, les pieds et les mains. Mes vêtements se déchirent, je perds mon souffle, la panique. Et l'explosion !

    Une onde de choc soulève un nuage de poussière abrasive. Je me cramponne sans trouver assez d'air dans mes poumons secs pour crier. J'avale des morceaux qui crissent sous mes dents. Ma langue s'empâte, je m'efface, balancée comme un fétu de paille au bout de ce vulgaire filin intordable. Je ne suis plus qu'une boule de chair entaillée qui gémit, suspendue de travers dans le vide.

    Puis la gravité reprend ses droits. Les saccades manquent de me démettre les épaules mais je m'accroche. J'y crois. Un filet de sang dégouline sur mon chemisier. Je me suis mordue la langue.
    En clignant des yeux, je parviens à distinguer la cause du désastre ; un boucleur. Il s'est écrasé à quelques mètres seulement, sur le toit d'en face. Mes pupilles brûlent littéralement d'une ardente de curiosité. Je vais enfin savoir.
    J'écarte une mèche rebelle et achève de me hisser sur la grue. De là, j'accède à la cabine et met en marche presque naturellement les poulies qui commandent le treuil. Pivoter à 180°. Envoyer le chariot au bout du rail. Les secousses de la machinerie se propagent à ma colonne vertébrale, et de là au reste de mon anatomie meurtrie. Je me casse un ongle sur un bouton, j'hérite d'une nouvelle ecchymose sur la pommette en me cognant au chambranle mais finalement j'y suis.
    Une perlée de sueur sur les lèvres, je parviens à attraper la carcasse du boucleur. Deux mains sur le levier de remorquage. Je parviens à la soulever. Ainsi suspendue dans les airs, l'ossature aplatie n'est plus aussi impressionnante que lorsqu'elle dégringolait du ciel. Je la dépose le plus délicatement possible hors du cratère causé par l'impact et serre le frein.
    De retour dans le vent sifflant, j'utilise le bras de la grue pour atteindre le toit maltraité.

    Le boucleur fou éventré est couché sur le flanc. Ses parois lisses sont encore trop chaudes au toucher mais entre les débris dispersés à l'impact, je découvre un objet rond qui me semble familier. C'est creux, de la taille d'une tête. Il y a des sangles et des tuyaux qui en sortent. Et c'est d'une étrange teinte bleue…
    Accroupie devant l'ouverture, je dépose le casque à terre et rampe au plus près de la carcasse. Il y a des corps à l'intérieur ! Je me regarde, puis je les regarde eux. Morts, en charpie. Mais ce sont des humains. J'en suis sûre.
    Sur un morceau de vêtement à moitié déchiré, je déchiffre une inscription typographiée. Mon cœur s'arrête de battre. J'y suis. Je l'ai.

    "M. Dayane.
    CR-AstroSpatiale Cobalt."

    Le cobalt. J'éponge ma sueur et retire ma veste de tailleur trop étriquée. A la place, je récupère quelques pièces sur les corps qui me semblent plus adaptées. Des protections aux épaules, aux cuisses à la poitrine et au ventre a peu près intactes. Je déniche aussi une robuste paire de bottes à rivets mais elles sont fendues aux semelles.

    Peu importe. J'ai trouvé ce qu'il me manquait.

      

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