• Chapitre 65 : Le Festin de Mara : Digestif Corsé (4)

    L'ondine ne l'écoute pas, l'ondine ne l'entend plus. Elle est hypnotisée par sa cible. Malgré la fatigue et le sang, sa course est encore assez vive pour la faire bondir. Elle est prête, ce sera maintenant ou jamais. Dans son poing la lame goutte. Sur son bras gauche, les écailles d'Acier. Dans ses veines le feu de Gamma. Dans son cœur la glace de Sataline et dans son esprit, l'héritage de sa mère. Il faudra bien tous ces ingrédients pour venir à bout de la plus formidable entité de vie qui existe. Une alchimie élémentaire qui conjugue métal, magma, eau et sang.
    Parce que le simple fait de chercher à nier son existence provoque des maux de têtes et que sa seule présence impose une vigueur alentours à faire se relever les morts, le Gardien n'a jamais été contesté.
    Mais pour Thrace, fille de la déesse de la mort, cette folie n'a que trop duré. Ce n'est plus pour le compte de Mélanargie qu'elle officie. Ce n'est pas juste pour acheter sa liberté auprès d'une nécromancienne tartuffe qu'elle se bat. Ce n'est pas pour les beaux yeux de cette entourloupeuse professionnelle qu'elle risque sa vie. Non, Kernal avait raison depuis le début. Thrace ne peut pas vaincre le Gardien sans motif valable.

    Et maintenant qu'elle fond sur lui la bave aux lèvres et les yeux mouillés de larmes d'excitation, elle connaît sa raison. Il suffit parfois de quelques mètres pour mettre en place les dernières pièces du puzzle. Et pour ce qu'elle en sait, il y a quelques minutes, quelques battements de cœur encore, elle hésitait. Cette raison, c'est ce pauvre scribouillard qui vient de la lui fournir en même temps que son épée légitime.
    La lame goutte est une arme redoutable il est vrai, mais ce n'est pas ce qui tuerait le Gardien. Ça ne suffirait pas. Et lorsque Thrace a prononcé d'un air malicieux ces quelques mots, lorsqu'elle a décrété que le son adversaire ne pouvait pas être tué en jouant sur le passé, ce n'était pas une allusion à l'épée.

    L'ondine rejette ses bras en arrière. Elle dépasse les corps des soldats infortunés qui ont tenté en vain de s'en prendre au maître des Thuadènes. Ce dernier ne bouge pas, il la laisse approcher. Confiant. Présent. Là.
    Thrace se met à gronder comme un félin. Ses bottes maculées d'un mélange gluant s'enfoncent plus profondément dans le sol lorsqu'elle prend son élan final. Le bas de son visage révèle la grimace contrariée de ses dents serrées. Elle saute et lève son arme à deux mains au-dessus de sa tête. Son feulement devient cri. Son cri devient hurlement. Elle domine presque le Gardien en hauteur maintenant. Il ne bouge toujours pas ? Tant pis pour lui !
    La sombre silhouette est là, droite, digne. Immobile. Intouchable. Impossible à entailler. Inaltérable. Comment peut-on seulement envisager d'y graver son nom comme sur l'écorce d'un chêne ? Il dégouline de vitalité !
    La jeune tueuse amorce sa descente maintenant. Toujours aucun mouvement. Mais chez ses fidèles ce n'est pas la même chanson, Thrace peut voir les corps s'écarter à la hâte. Des mains se tendent, des bouches se distendent sur des cris muets. Elle en devient folle. Ivre de sa propre résolution.
    En l'air l'épée goutte se couvre soudainement d'une pellicule de glace crénelée qui descend le long de la lame, enrobe le manche et prend racine autour des avants bras de sa noire porteuse. Finalement, le Gardien daigne lever la tête et croise un instant le regard de son inconséquente attaquante. En un battement de cils, Thrace à le temps d'y lire la sérénité, le mépris et une absolutisme déconcertant. Elle s'en moque elle abat son épée sur l'angle formé par ce qui ressemble au cou et au premier entrelacs d'épis brins qui pourrait passer pour une épaule.

    L'épée mord profondément ! Elle lacère l'aura noire sans même ralentir, elle se fraie un chemin avec une voracité presque animale, comme si la passion de sa porteuse s'était transmise au métal. Les chairs du Gardien ne l'arrêtent pas, elle s'y enfonce, rompt les cartilages, claque les veines de bois, fend les os, perce canaux de sève, tranche les veines…
    Lorsque Thrace touche terre, elle n'en revient pas. C'était… facile ? Elle relève la tête. Une horrible plaie béante barre le tronc du Gardien en diagonale de l'épaule à la hanche opposée. Ses branches frémissent, ses bras mollissent. Il trébuche ! Autour on hoquette. Même l'ondine sursaute. Sans rien opposer ? Ni résistance, ni riposte ?
    La tête couronnée de bois de cerfs s'abaisse, elle fait de petits mouvements de bas en haut et lorsqu'une voix en sort, elle est corrompue par un mélange de sons. Comme si mille voix parlaient à la fois.

    - BRAVO.

    Une main fond sur la petite ondine qui l'évite d'un bond.

    - J'ai dit… BRAVO !

    Thrace évite encore cette main démesurée, elle fouette l'air de son épée. Deux doigts-bûches tombent au sol, éventrant la terre sous le choc. Elle se redresse, place sa garde en oblique et toise son adversaire avec morgue. Un vent de folie agite sa chevelure aile de corbeau. Elle se cambre avec audace. Somptueuse du carnage. Répugnante de victoires.

    - Tu vas mourir.
    La gardienne la surprend alors de sa voix féminine.
    - En effet. Tu n'imagines quand même pas que c'est toi qui as décidé ça ?
    Thrace présente sa lame couchée à l'horizontale.
    - A parce que je ne t'ai pas blessée peut-être ?!
    La gardienne sourit comme une mère à sa fille. Mais en plus dur. En moins compréhensif.
    - Peut-être même que tu viens de sceller le sort des humains.
    - Qu'est ce que ça peut me faire ?!
    - Ah. Je vois.
    - Peuh. Tu ne vois plus rien depuis longtemps ! Je vais t'ouvrir les yeux. Je vais t'ouvrir plein d'yeux.
    - Tu es amoureuse.

    C'est bien assez pour user la patience d'une impulsive masquée. Elle s'approche en deux enjambées de la gardienne, l'attrape par le col de sa tunique et lui propose son oraison funèbre :

    - Et toi tu es à mourir !

    Avant de lui enfoncer son épée jusqu'à la garde dans le ventre.
    L'instant se fige, une main remonte sur la tunique en loques de Thrace, la gardienne souffre vraiment maintenant. Elle tremble. Elle tente de s'accrocher mais glisse inexorablement. L'ondine n'exprime pas le début d'une émotion. Elle est trop salie. Trop contaminée par le sang et la mort. La jeune fille riante qui jouait avec des gouttes d'eaux, ce n'est plus elle.

    - Petite ondine. Tu as perdu.
    - De mon point de vue, c'est moi qui suit du bon côté de l'épée, rétorque t-elle avec pratique.
    - Et comment fait le bûcheron lorsqu'il coince sa cognée dans le tronc noueux d'un noyer ?!

    Le Gardien se relève soudainement de toute sa hauteur, emprisonnant définitivement la lame goutte dans son corps et manquant de peu de happer la main de l'ondine au passage. Cette dernière saute en arrière, se réceptionne sur un genou et serre le poing sur un rire mécanique.

    - Ah-Ah-AH. Je savais que ça ne serait pas aussi simple.

    Il faut lui reconnaître un certain sang froid. Mais maintenant que le Gardien déracine l'énorme gourdin qui trône à son côté, les choses prennent une tournure moins avantageuse. Un bras en arrière, Thrace invoque sa lame de glace. La terrible voix assourdissante comme une tempête estivale la repousse de quelques pas en arrière.

    - Tu n'aurais pas aimé une victoire facile de toute façon.
    - Viens m'en parler !

    Dans les rafales qui suivent la provocation du Gardien, Thrace y perd son masque déjà malmené. Elle apparaît alors à découvert pour la première fois devant le maître des thuadènes qui pour le coup, lui, vient de regagner les ombres. Et lorsque le vent se calme et que ses cheveux retombent en pagaille autour de sa tête, elle pourrait l'imaginer avoir un hoquet de surprise sous son aura.

    - PAR MARA !

    Le visage de l'ondine est en deux tons, le bas tâché de sang, le haut juste perlé de sueur mais la ressemblance est forcément frappante. On le lui a déjà dit. Alors elle sourit d'un air matois.

    - Voilà, c'est ça.

    Et en arrière plan, une voix s'égosille encore, emboutissant sans dignité tout ce que la scène peut avoir de solennel :

    - Thrace ! Thrace ! Bordel de merde !

    La rejetone de la Déesse Noire soupire. Il y a des gens qui ne savent pas se tenir.

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  • Commentaires

    1
    Sakutei Profil de Sakutei
    Lundi 28 Mai 2012 à 21:11

    Rock 'n' roll ! Je suis très motivé par les scènes qui vont suivre, alors ça devrait pulser dans l'écritoire. J'ai ces lignes de script en tête depuis le début et je peux finalement les dresser sur l'écran !

    Qui plus est, je suis bientôt au chômage, donc j'aurais plein de temps pour écrire ! La vie est belle !

    2
    Moo Profil de Moo
    Vendredi 1er Juin 2012 à 08:52

    Sak au chômage, wouhou, super !

    Viens en Australie, j'ai passé en tout et pour tout 4 jours à chercher de taf depuis que je suis là :P

    Lecture ce soir, sur mon matelas installé à l'arrière de ma voiture ^__^

    3
    Sakutei Profil de Sakutei
    Samedi 2 Juin 2012 à 18:57

    Ah là tu vends du rêve Moo ! :D

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