• l'Hiver de l'Homme : Raisin sans Raison

    Douzième Fragment :

    Le Meneur de Crânes, nécromancien intemporel et increvable était un fidèle servant de la "lumière". Comme quoi les préjugés concernant les sorciers machiavéliques aux sourires déments dans leurs tours de cristal tenaient plutôt des racontars de taverne. En fait, à défaut d'arborer ce fameux air méchant qui colle si bien aux pratiquants des arts noirs, celui-là ressemblait plus à un petit pépère pétri de bonnes intentions.

    Il faut dire aussi que l'imagination des gens quand on leur parlait des bons paladins se limitait en général à la vision exaltée d'armures rutilantes et de franches cavalcades au goût de vengeances sacrées. Ils oubliaient bien souvent que ces gentils gaillards cuirassés étaient surtout d'impitoyables guerriers se repaissant de la vision du sang et des tripes. Toujours prêt à enfourcher leur terribles destriers pour aller joyeusement massacrer toute une population au moindre sourcillement déplacé. Prophétie, lutte contre le mal, quête, préquête ou démonstration de virilité tout était prétexte pour se lancer dans une équipée meurtrière.

    Rien d'étonnant donc à ce qu'un nécromancien (aussi badin soit-il) se soit joint à la compagnie du Chien pour venir y faire son marché. Le sillage des héros était toujours semé de cadavres frais. Par contre ça n'expliquait absolument pas sa présence ici.

    - J'ai reçu un message en effet…je croyais qu'il venait de toi.
    - Pas du tout. C'est moi qui ai reçu un appel à l'aide de ta part pour te tirer de là. C'est bien pour ça que je suis venu risquer ma peau dans cette foutue bâtisse sacrée.

    Le Maître des Crânes sur son arbre perché tenait dans sa bouche une grappe de raisin. Le jus dégoulinait sur son menton tandis qu'il s'affairait à mâchonner péniblement. Il était visiblement très amusé par l'échange. Il finit par cracher la rafle dénudée de ses grains.

    - Vous êtes en train de dire que vous ne vous être préoccupés ni l'un ni l'autre de l'auteur de ces messages ? Warf warf warf ! Je m'en souviendrai de celle là. Si j'avais su que les démons étaient si faciles à berner...
    - Toi là haut... commença Quintus en laissant planer un sous-entendu lourd de menaces.

    L'ambiance commençait à lui déplaire souverainement. Et la source de toute cette exaspération de trouvait quelques mètres au dessus. Parfait, un peu d'exercice le réchaufferait. Depuis le dernier combat, il avait l'impression que son sang se figeait petit à petit dans ses veines, coulant paresseusement comme une mélasse épaisse. La blouse de cuisinier qu'il avait récupéré laissait la grande partie de ses bras nus et n'était pas d'un grand réconfort.

    - Attends un peu mon petit père, je vais te faire descendre de ton perchoir plus vite que tu n'y es monté !

    Le tronc était lisse mais peu épais. L'homme furibard se contenta de l'enserrer dans ses bras et commença à grimper.

    - Quintus tu…
    - Un peu de patience Xyl', j'étripe le monsieur et je –han– suis à toi.

    En haut, le vieillard ne semblait pas s'émouvoir de cet assaut redoutable. Il se contenta d'observer la progression de Quintus, le menton négligemment posé sur sa main droite.

    - C'est bien, tu progresses, lâcha t-il d'un ton railleur.

    Quintus grogna. Il était à peine à trente centimètres du sol. Ce satané tronc couvert d'humidité glissait comme une plaque de verre. Haletant, il abandonna sa vaillante entreprise et se mit à tourner autour du hêtre comme un renard affamé.

    - Tu ferais un bon paladin en fait. Rien dans la tête. Les paladins font de très bonnes liches d'ailleurs, des macchabées de premier choix.

    Xylarm s'avança dans l'ombre de l'arbre. Sa voix tinta dans l'air comme du cristal pur.

    - Est-ce pour cela que tu as rejoint le Chien ? pour récupérer son corps s'il venait à échouer ?
    - Ah ! ah ! celle-là m'a l'air beaucoup plus intelligente. Félicitation jeune fille, cette idée m'a effectivement traversé la tête plusieurs fois. Bon sang quel trépassé il aurait fait ! Sa voix devint plus fervente, comme un gosse parlant d'un rêve. Si vous l'aviez vu, tout en muscles et en blondeur innocente. Des cuisses comme des poteaux, des biceps à faire rougir les pucelles et un regard franc comme le jour.

    - Ca va, ça va n'en rajoute pas.
    - Qu'est ce que tu veux ?! grogna Quintus qui avait achevé son cinquième tour. Il avait compris que le vieux était inaccessible, mais marcher l'aidait à garder les idées claires. Et puis, si cela pouvait contribuer à la faire passer pour un parfait imbécile aux yeux du nécromancien, ce serait toujours ça de pris. Un homme qui sous-estime son adversaire finit toujours par baisser sa garde.

    - Je suis ici pour vous donner ceci.

    Fouillant dans les profondeurs de sa manche gauche, le vieil homme sortit -d'on ne sait où- un glaive court d'une simplicité martiale. La lame droite et équilibrée était directement fichée dans une garde sans fioriture. L'arme n'avait pas besoin de décoration pour paraître redoutable. Elle était la Coupure, le Tranchoir incarné. Un reflet étincelant remonta le long de la lame jusqu'à la pointe tandis que le Meneur de Crânes brandissait le glaive à deux mains.

    Il fit quelques passes dans l'air comme s'il cherchait à démonter la pureté des sifflements produits par la lame. Pour finir, il la lança vers Quintus d'un geste habile. Celui-ci manqua de perdre un bras en l'attrapant au vol et lâcha un juron original. Ses doigts se refermèrent presque naturellement autour de la poignée enrobée de cuir. Pile poil le bon diamètre pour sa main. A son tour, il ne put résister au plaisir de manier le glaive.

    Xylarm qui suivait la scène d'un regard interrogateur se couvrit les yeux pour regarder vers le nécromancien sans être aveuglée par le soleil.

    - Qu'est ce que c'est ? une arme magique ? un piège ?
    - Ouvre donc les yeux, lui rétorqua t-il. C'est un glaive. C'est tout.
    - Je ne comprends pas.
    - Pour faire court, c'est un bout de métal aiguisé fixé sur une poignée. On s'en sert pour tuer des gens. Assez répandu dans l'armée en général.

    Xylarm le fixait avec un regard noir. Voyant qu'elle perdait patience, Quintus prit la suite :
    - Pourquoi venir nous apporter une arme ? Et d'ailleurs, pourquoi cherches tu à nous aider ? Il me semble qu'au bureau des inscriptions, on s'est enrôlé dans deux camps opposés.
    - Ah c'est donc ça qui te tracasse…

    Le nécromancien sauta à terre. Immédiatement, les deux autre se mirent en garde, griffes et glaive dressés.
    - Ne soyez pas gamins. Serais-je assez idiot pour vous donner une arme si je n'avais pas les moyens de me défendre contre elle ?

    Quintus fut forcé d'admettre la justesse de cette remarque. Frustré, il s'accroupit et ficha la lame en terre devant lui. Xylarm s'adossa à l'arbre, visiblement prête à réagir au moindre geste suspect. Le nécromancien sortit une nouvelle grappe et hocha la tête en savourant les grains juteux.

    - Bien, je vais vous dire pourquoi vous n'êtes pas encore morts.
    « l'Hiver de l'Homme : Sale Rencontrel'Hiver de l'Homme : X et III »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :